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Full text of "Le Globe"

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University  of  Ottawa 


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LE  GLOBE 

(JOURNAL  GÉOGRAPHIQUE  \ 


(    ORGANE 

DE   LA 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  DE  GENÈVE 

POUR    SES 

'^MOIRES  ET  BULLETIN 


-^  -)  — .    '7 


GENÈVE 

SOCIÉTÉ    DE   OÉOGRAPHIE,    ATHÉNÉK 

1877 


62^1907 

Genève.  —  Imprimerie  Ramboz  et  ScnrciiARt>T. 


MÉMOIRES 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

DE  GENÈVE 


TOME  SEIZIEME 


/   SECONDE  SÉRIE.  —  TOME  III 


GENÈVE 

SOCIÉTÉ    DE    GÉOQRAPHIE,  ATHÉNÉK 

1877 

Tous  droits  réservés. 


LOCÉAN  ATLANTIQUE 


CHAPITRE  XXI 

(Suite.) 

Une  autre  conséquence  de  riiypothèse  que  nous 
traitons  est,  qu'avec  les  années,  la  mer  des  Sargasses 
deviendrait  un  *  foj'er  d'infection.  »  En  effet,  ces 
lierbes  arrachées  aux  côtes  arriveraient  à  la  mer  de 
Varech  déjà  à  moitié  décomposées,  et  de  leur  accumu- 
lation résulteraient  une  fermentation  intense  et  des 
exhalaisons  putrides  ;  les  voyageurs,  au  contraire, 
n'ont  jamais  rien  ressenti  de  semblable. 

Passons  à  la  deuxième  hypothèse,  qui  nous  occu- 
pera moins.  On  a  prétendu  que  les  Sargasses  crois- 
sent sur  de  nombreux  récifs  à  fleur  d'eau,  reste  d'un 
grand  continent  disparu,  dont  elles  sont  arrachées 
par  les  vagues  de  tempête. 

En  effet,  disent  les  partisans  de  cette  opinion,  les 
premiers  navigateurs  qui  reconnurent  la  mer  des  Sar- 
gasses, croyaient  toujours  avoir  devant  eux  un  archi- 
pel, une  île.  un  écueil  ou  un  fond  vaseux;  ne  connaît- 
on  pas,  du  reste,  toutes  les  discussions  qu'a  soulevées 
la  fameuse  Atlantide  de  Platon  ?  Le  débat  n'est  pas 
terminé,  et  dernièrement  encore,  le  journal  VExplo- 


6  l'océan  atlantique. 

rateur  a. -publié  sur  ce  sujet  un  très-long  article.  N'est- 
il  donc  pas  naturel  de  supposer  que  les  Sargasses 
naissent  sur  ce  vaste  continent  englouti? 

Pour  résoudre  cette  question,  il  faut  consulter  les 
chiffres  de  sondages  faits  dans  la  merde  Varech.  Or. 
le  lieutenant  John  Evan  en  1810,  les  capitaines  Lee. 
Leps  et  Nares  ont,  dans  ces  parages,  jeté  le  plomb 
sondeur,  de  sorte  que,  de  nos  jours,  on  sait  que  la 
partie  orientale  de  la  mer  herbeuse  a  des  profondeurs 
de  6999  mètres  au  maximum,  et  de  267  mètres  au  mi- 
nimum, tandis  que  dans  la  région  occidentale  ces  pro- 
fondeurs varient  entre  4000  et  6000  mètres. 

Puisque  le  fond  de  la  mer  se  trouve  eu  général  à 
une  telle  distance  de  la  surface,  les  écueils,  les  îlots 
ne  doivent  pas  être  nombreux,  car  toute  arête  qui 
émerge  au-dessus  des  flots  doit  s'appuyer  sur  un  pla- 
teau peu  profond.  En  outre,  à  de  telles  profondeurs, 
les  vagues  les  plus  hautes  ont  depuis  longtemps 
perdu  toute  leur  puissance',  et  les  courants  sont  très- 
faibles;  ni  les  vagues,  ni  les  courants  n'ont  assez  de 
force  pour  arracher  en  si  grande  masse  les  varechs 
de  la  mer  de  Sargasso.  Du  reste,  M.  Leps  a  constaté 
que  ces  algues  ont  tous  les  caractères  des  plantes  que 
les  flots  ont  ballottées  longtemps,  tandis  qu'aucune 
d'elles  ne  présente  jamais  rien  qui  puisse  faire  sup- 
poser qu'elles  ont  été  arrachées  à  la  terre. 

Nous  arrivons  enfin  à  la  troisième  hypothèse,  sans 
contredit  la  plus  répandue  :  les  sargasses  sont  des 
plantes  marines  qui  naissent,  croissent  et  meurent  à 
la  surface  des  eaux.  Elles  vivent,  on  retirant  de  Tenu 

'  On  a  calcule'  que  l'action  d'une  vague  do  dix  mètres  est  encore 
sensible  à  cent  mètres  de  fond,  mais  qu'elle  décroît  rapidement  nvcc 
la  profondeur. 


I/OCÉAN  ATLANTIQUE.  7 

de  mer  les  matières  organiques  dissoutes,  tandis 
qu'une  grande  quantité  de  leurs  larges  feuilles,  placées 
verticalement,  absorbent  l'air  qui  leur  est  nécessaire. 
Une  mer  tranquille,  soumise  à  des  vents  réguliers, 
une  ceinture  mouvante  qui  les  empêche  de  se  répan- 
dre au  loin,  favorisent  leur  existence.  Elles  ne  sor- 
tent donc  pas  de  T harmonie  de  la  nature.  M.  Leps  a 
constaté,  sur  la  même  plante,  des  parties  flétries, 
noircies,  presque  décomposées,  plus  haut,  des  feuil- 
les plus  fraîches,  une  tige  plus  vivace,  enfin  à  l'extré- 
mité, des  branches  en  pleine  croissance;  quelquefois 
même  il  a  trouvé  des  feuilles  dont  la  partie  terminale 
cassée  avait  parfaitement  repoussé.  Colomb  avait  déjà 
remarqué  sur  une  même  algue  des  portions  fraîches  et 
d'autres  vieilles.  Les  Anglais  en  parlent  aussi  {Fresh 
iveed  and  weed  much  decayed,  herbe  fraîche  et  herbe 
flétrie,  disent-ils). 

Ce  n'est  pas  chose  facile  que  de  déterminer  l'éten- 
due de  la  mer  de  Sargasso,  car  les  voyageurs  et  les 
savants  se  contredisent  singulièrement  lorsqu'ils  abor- 
dent ce  sujet  ' .  Arago  lui  donne  une  surface  égale  à 
celle  de  la  France  ;  de  Humboldt  soutient  qu'elle  est 

*  Les  limites  en  latitude  de  la  mer  des  Sargasses  sont  d'après  De- 
lile,  le  20°  et  le  29°  latitude  Nord,  d'après  Vitré  de  Saint-Mâlo.  le 
21°  et  le  31°  latitude  Nord,  d'après  Olivier  du  Nord  le  27°  et  le  32° 
latitude  Nord,  d'après  le  père  Canton  le  24°  et  le  36°  latitude 
Nord,  d'après  Hinschot  le  20°  et  le  34°,  d'après  sir  John  Furdy  le 
20°  et  le  30°  latitude  Nord.  Quant  aux  longitudes,  la  même  incer- 
titude règne  aussi.  M.  A.  Focillou  prétend  que  la  mer  herbeuse 
est  comprise  entre  le  38°  et  le  44°  longitude  Ouest  de  Paris,  Froget 
qu'elle  s'étend  entre  les  Antilles  et  les  Açores.  Jean  de  Léry  la 
place  beaucoup  à  l'Ouest  de  ces  dernières  îles.  Une  carte  publiée 
chez  Covens  et  Mortier,  à  Amsterdam,  la  signale  à  partir  du  30° 
longitude  Ouest.  Maury  appelle  mer  de  Varech  l'espace  triangu- 
laire compris  entre  les  Açores,  les  Canaries  et  les  îles  du  Cap  vert. 


8  l'océan  ATLAiNTIQUE. 

6  à  7  fois  plus  étendue;  le  capitaine  Leps  et  Elisée 
Reclus  lui  assignent  une  superficie  plus  considérable 
encore  ' .  En  prenant  la  moyenne  des  nombreux  chif- 
fres indiqués  comme  limites  par  les  marins  du  XVIII'"' 
siècle,  M.  Leps  a  trouvé  que  la  mer  herbeuse  devrait 
s'étendre  entre  le  20**  et  le  36°  latitude  Nord  et  le 
30°  et  le  50°  longitude  Ouest  de  Paris;  mais  il  pense 
que  ces  limites  sont  beaucoup  trop  resserrées  et  que 
véritablement  la  mer  de  Varech  recouvre  l'espace 
compris  entre  le  16°  et  le  38"  latitude  Nord  et  le  18" 
et  le  50'^  longitude  Ouest  de  Paris.  On  croit  du  reste, 
que  ces  amas  d'herbages  forment  deux  masses  distinc- 
tes, l'une  à  l'Ouest,  l'autre  à  l'Est,  réunies  par  un 
espace  où  l'on  rencontre  moins  de  varechs  que  par- 
tout ailleurs.  La  partie  orientale  est  plus  encombrée 
d'algues  que  la  partie  occidentale. 

Il  ressort  clairement  des  nombreuses  divergences 
signalées  plus  haut,  que  les  confins  de  la  mer  que 
nous  étudions  se  déplacent.  Et  pourquoi  en  serait-il 
autrement?  Les  algues  marines  sont  mobiles;  elles 
sont  soumises  à  l'action  des  courants,  des  vents,  des 
ouragans.  Le  navire  qui  repasserait  demain  dans  un 
lieu  où  il  en  a  trouvé  beaucoup  aujourd'hui,  n'en  ren- 
contrerait peut-être  pas.  Les  courants  varient  avec 
les  saisons,  tantôt  ils  resserrent  davantage  la  mer, 
tantôt  ils  la  laissent  s'étendre  sur  un  plus  large  es- 
pace. Les  vents  changent  aussi  et,  avec  l'époque  de 
l'année,  ils  amoncellent  les  herbes  marines  en  tel  ou 
tel  point  de  l'océan.  Rien,  enfin,  n'est  plus  inconstant 
que  les  ouragans,  les  tornades, qui,  en  se  déchaînant 


'  Plus  (le  4,000,000  do  kil.  carrés. 

(Iloclus.  —  Les  Mers  et  les  Météores. 


I/OCKAN  ATLANTIULE.  î» 

sur  telle  partie  de  la  mer,  entraînent  les  varechs  à 
(le  grandes  distances,  et  les  ramènent  plus  tard  à  leur 
lieu  primitif, 

A  côté  de  ces  considérations  géographiques,  une 
question  importante  se  présente.  Quel  est  le  parti  que 
Ion  pourrait  tirer  de  la  mer  des  Sargasses  au  point 
de  vue  industriel? 

Tout  le  monde  connaît  la  grande  industrie  provo- 
quée ])ar  la  récolte  des  varechs  ou  goémons  sur  les 
côtes  de  Bretagne  et  de  Normandie,  et  de  la  barille 
sur  les  plages  espagnoles.  On  sait  aussi  que.  sur  les 
côtes  françaises,  cette  pêche  n'est  pas  exempte  de 
dangers.  Les  travailleurs  sont  souvent  surpris  par  la 
marée,  la  tempête,  ou  tombent  du  haut  des  falaises. 
Pourquoi  recherche-t-on  ces  algues,  en  apparence  si 
peu  importantes  ?  A  cause  des  coii3S  contenus  dans 
leurs  cendres.  Brûlées,  elles  fournissent  du  carbonate 
de  chaux,  du  phosphate  de  chaux,  de  la  silice,  du 
charbon,  substances  qui  constituent  les  meilleurs  en- 
grais connus,  du  sulfate  de  potasse  qui  sert  à  fabri- 
quer l'alun  et  le  salpêtre,  du  chlorure  de  potassium, 
employé  journellement,  du  chlorure  de  sodium,  notre 
sel  de  cuisine,  de  l'iode, -d'un  grand  secours  en  phar- 
macie, du  brome,  si  connu  pour  les  services  qu'il 
rend  à  la  photographie.  Au  moment  de  la  récolte  des 
varechs,  toutes  les  populations  accourent  sur  la  plage 
et  se  livrent  à  ce  dangereux  métier.  Le  nombre  des 
ouvriers  est  immense  et  la  quantité  des  produits  fa- 
briqués considérable.  Ne  serait-ce  donc  pas  pour  le 
commerce  une  excellente  aubaine  que  d'aller  recueil- 
lir les  algues  de  la  mer  des  Sargasses  ' ,  de  les  brûler 

*  L'entreprise  dont  nous  parlons  a  été  proposée  par  M.  Leps. 


10  l'océan  ATLANTIOUK. 

sur  le  navire  même,  et  d'apporter  au  continent  des 
substances  si  nécessaires  à  son  industrie?  Les  navires 
pourraient  embarquer  une  grande  quantité  de  cen- 
dres qui  se  débiteraient  facilement. 

Un  autre  genre  de  produit  pourrait  être  retiré  de 
la  mer  herbeuse.  Tous  les  voyageurs  qui  l'ont  traver- 
sée s'accordent  à  dire  que  les  poissons  et  en  particu- 
lier les  thons  y  sont  en  abondance  ;  et  ne  pourrait- 
on  pas  utiliser  cette  richesse  maintenant  que  les 
pêcheries  tendent  à  s'épuiser  ?  Des  bateaux  viviers, 
semblables  à  ceux  confectionnés  en  Amérique,  appor- 
teraient dans  les  ports  du  poisson  Irais  qui  rencontre- 
rait nombre  d'acheteurs  ' . 

Telles  sont  les  deux  industries  qui  trouveraient  de 
l'extension  dans  la  connaissance  plus  approfondie  de 
la  mer  de  Yarech.  Peut-être,  dans  la  suite,  décou- 
vrira-t-on  qu'elle  renferme  d'autres  objets  de  com- 
merce. Mais  pour  cela  il  faut  que  les  savants  étudient 
cette  branche  de  la  science,  il  faut  surtout  que  les 
amirautés  des  diverses  puissances  maritimes  équipent 
des  navires  exclusivement  chargés  de  l'exploration  de 
cette  sombre  et  vague  région. 


CHAPITRE  XXII. 

Polypiers.  Iles  d'origine  volcanique.  Vigies. 

Si  les  végétaux  recouvrent  d'immenses  étendues 
océaniques  et  peuvent  être  une  source  abondante  de 
richesses,  les  petits  animaux  nuirins  accomplissent 

'  Cette  idt'-e  a  été  émiso  i)ar  M.  Gafl'arel. 


l/OCÉAN  ATLANTIOLK.  Il 

une  œuvre  plus  importante  en  s'acharnant  à  con- 
struire au  sein  des  flots  des  îles  et  des  continents 
nouveaux.  Rien  n'est  plus  intéressant,  en  effet,  que 
le  travail  auquel  se  livrent  sans  relâche  les  milliards 
et  les  milliards  de  polypes  des  mers  tropicale^.  Ils 
aiment,  on  le  sait,  des  eaux  chaudes,  limpides  et  sa- 
lées, et  des  parages  battus  par  les  vagues.  Absor- 
bant le  carbonate  de  chaux  que  contient  l'eau  de  mer, 
ils  s'en  servent  pour  agrandir  sans  cesse  leurs  nom- 
breuses colonies. 

Dans  rOcéan  atlantique,  les  polypiers  se  rencon- 
trent seulement  aux  abords  du  Nouveau  Monde,  car 
les  côtes  africaines  sont  baignées  par  des  courants 
venus  des  pôles.  Dans  le  golfe  de  (ruinée  se  trouve  le 
tiux  antarctique  ;  près  des  côtes  du  Maroc,  le  courant 
froid  du  pôle  nord.  ^lais,  baignées  par  un  courant 
chaud,  les  côtes  brésiliennes  du  cap  St-Roque  aux 
lies  Abrolhos  sont  bordées  de  récifs  de  polypiers.  Ce- 
pendant, c'est  dans  la  mer  des  Antilles,  le  golfe  du 
Mexique  et  à  l'ouest  du  détroit  de  la  Floride  et  du 
canal  de  Bahama  que  les  constructions  coralligènes 
sont  particulièrement  nombreuses.  Dans  la  mer  des 
Antilles,  les  polypes  construisent  des  îles  et  des  récifs 
arrondis  analogues  à  ceux  que  l'on  rencontre  dans  le 
Pacifique.  Entre  Cuba,  la  Jamaïque,  le  Honduras  et 
la  Mosquitie,  la  mer  en  recèle  un  grand  nombre, 
mais  on  n'en  trouve  aucun  dans  les  parages  des  Iles 
sous  le  vent. 

Les  coraux  ont  produit  dans  le  golfe  du  Mexique  des 
îlots  et  des  hauts-fonds  nombreux.  Ainsi  les  îles  ïor- 
tugas,  Bermeja  et  l'île  de  Sable,  les  bancs  Alacranes, 
Triangles,  las  Arcas  en  sont  complètement  formés. 
Le  canal  du  Yucatan,  de  même,  renferme  un  grand 


li  l'ockaiN  atlantique. 

nombre  de  récifs  coralligènes.  Du  reste,  Agassiz  a 
trouvé  que  la  Floride  est  principalement  composée 
de  bancs  de  polypiers.  Ils  forment  autour  de  cette 
péninsule  des  îlots  sans  nombre  qui,  à  marée  basse, 
sont  parfois  unis  entre  eux  et  avec  le  continent.  Ces 
îles,  dont  les  principales  sont  celles  de  Pinos,  portent 
le  nom  de  Kcys  (clefs).  S'élevant  de  6  à  12  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer  et  rapprochées  de  la  côte 
en  général,  elles  sont  elles-mêmes  bordées  à  la  dis- 
tance de  2000  à  GOOO  mètres  par  un  récif  que  con- 
struisent actuellement  les  polypes.  Le  chenal  qui  sé- 
pai'e  les  keys  du  récif  a  6  à  7  brasses  de  profondeur. 
Rarement  cette  barrière  s'élève  au-dessus  de  la  mer: 
elle  est  du  reste  fréquemment  interrompue  par  de  pe- 
tits canaux  qui  établissent  une  communication  entre 
les  keys  et  l'océan. 

On  ne  rencontre  pas  de  récifs  coralligènes  près  de 
l'embouchure  duMississipi.  La  cause  de  ce  fait  serait 
que  les  eaux  de  ce  fleuve,  limoneuses  et  fi'oides  en  hi- 
ver, dessalent  la  mer  à  une  assez  grande  distance. 

L'archipel  des  Bahama  est  entièrement  formé  de 
polypiers  qui  se  rencontrent  aussi  en  grand  nombre 
aux  débouquements  de  St-Domingue.  D'immenses 
bancs  sous-marins  sont  presque  à  fleur  d"eau  et  le 
gi-and  banc  de  Bahama  n'a  que  quelques  mètres  de 
profondeur.  Au  sein  du  (liilt-Stream  on  rencontre 
encore  des  coraux  attirés  par  des  eaux  d'une  tempé- 
rature égale  et  douce,  et  l'on  en  trouve  môme  au 
liernmdes,  qui  sont  à  une  latitude  élevée,  mais  que  le 
Courant  du  (îolfe  enveloppe  de  toutes  parts. 

M.  Baymond  Thomassy  '  croit  que  l'on  a  donné 
aux  polypiers  une  trop  grande  importance  dans  lu 

'  /liilktin  (le  la  Sociité  de  Géographie  de  Paris.  Novcmliro    18t>4. 


l'ockan  atlantmjuk.  l;> 

fonuatioii  des  keys  de  la  Floride  et  des  îles  ?>aliama. 
Tout  en  admettant  que  les  caractères  d'une  formation 
coralligène  se  rencontrent  à  Key-West,  et  que  la 
plage  des  îles  Baliama  est  encombrée  de  débris  de 
madrépores,  il  pense  plutôt  que  les  eaux  du  Gult- 
Stream  déviées  vers  le  Nord-Est  par  le  cap  Canave- 
ral,  à  l'ouest  de  la  Floride,  vont  déposer,  à  l'entrée  de 
l'océan,  les  matières  dont  elles  se  sont  chargées  en 
sapant  les  caps  et  les  îlots,  le  long  des  côtes  qu'elles 
ont  déjcà  parcourues,  et  <iue  cette  accumulation  de 
débris  sans  cesse  croissante  a  formé  les  îles  Bahama. 

Les  keys,  les  îlots  qui  bordent  la  côte  de  la  Floride, 
ont  été  exposés  au  contraire,  à  l'action  destructive 
des  vagues  qui,  pendant  les  tempêtes,  enlèvent  peu  à 
peu  à  la  presqu'île  une  foule  de  matériaux  que  le 
Gulf-Stream  reprend  et  qu'il  dépose  près  des  Lucayes. 

Quoique  l'Atlantique  ne  soit  pas,  comme  le  Grand 
Océan,  entouré  d'une  ceinture  de  volcans  éteints  ou 
en  activité,  il  n'en  est  pas  moins  parsemé  d'îles  vol- 
caniques. L'Islande,  les  Açores,  les  Canaries,  par 
exemple,  sont  encore  soumises  à  des  phénomènes 
volcaniques  quelquefois  très-puissants. 

Ces  phénomènes,  quand  ils  se  produisent  au  fond 
de  la  mer,  concourent  à  la  formation  d'îles  nouvelles. 
Mais  ces  corps  insulaires  sont  loin  d'avoir  une  stabi- 
lité aussi  grande  que  les  formations  madréporiques, 
car  il  n'est  pas  rare  de  les  voir  disparaître  de  la  sur- 
face du  globe.  Une  éruption  sous-marine,  une  secousse 
du  sol  les  met  au  jour,  une  autre  éruption,  une  autre 
secousse  les  replonge  au  fond  des  abîmes.  Du  reste, 
l'action  des  vagues  qui  en  sapent  sans  cesse  le  pié- 
destal entre  pour  une  grande  part  dans  la  destruction 
de  ces  îles  éphémères.  Remarquons  encore  qu'elles  se 


14  l'océan  atlantique. 

forment  en  général  dans  le  voisinage  des  terres  et  non 
en  plein  océan,  où  les  volcans  sous-marins  ne  peuvent 
déployer  une  puissance  assez  grande  pour  que  les 
matières  qu'ils  jettent  atteignent  la  surface  des  eaux. 

Les  Açores  se  trouvent  au-dessus  d'un  foyer  tou- 
jours en  activité.  Le  11  juin  1638,  d'après  Sonrel  ', 
une  île  de  10  kilomètres  de  longueur  et  de  120  mè- 
tres de  hauteur  apparut  près  de  St-Micliel  ;  mais  elle 
fut  de  courte  durée. 

En  1719,  un  autre  îlot  de  lave  surgit  tout  à  coup 
des  eaux,  entre  Terceira  et  St-Micliel,  pendant  une 
terrible  éruption  ;  très-haute  dès  les  premiers  jours 
de  sa  formation,  elle  s'abaissa  peu  à  peu,  et  disparut 
en  1723  laissant  une  profondeur  de  133  mètres.  En 
1811,  dans  les  mêmes  parages,  la  mer  se  mit  à  bouil- 
lonner, des  jets  de  vapeur  s'élancèrent  dans  les  airs; 
au  bout  de  huit  jours,  un  haut-fond  s'était  tout  à  fait 
formé. 

Le  15  juin  de  la  môme  année,  une  éruption  volca- 
nique mit  au  jour  un  nouvel  îlot  de  1  à  2  kilomètres 
de  tour  et  dont  les  falaises  escarpées  s'élevaient  jus- 
qu'à 200  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Il 
fut  appelé  Sahrina,  du  nom  d'un  bâtiment  anglais  qui 
passait  près  de  là  et  qui  en  prit  possession.  Mais  il 
subit  le  sort  de  ses  devanciers  et  bientôt  il  disparut 
complètement. 

Les  Açores  ne  sont  pas  les  seules  contrées  fécondes 
en  phénomènes  volcaniques.  On  en  a  aussi  observé 
près  de  l'Islande.  En  1783,  l'île  de  Nyœ  apparut  tout 
à  coup  sous  la  forme  d'un  rocher  de  basalte  du  sein 
duquel  jaillissaient  une  foule  de  matières  volcaniques. 

'  Le  fond  de  la  Mer,  par  L.  Sourd.  —  Libr.  Hachette  et  C*. 


I/OCÉAN  ATLAMlnL't:.  15 

Cet  îlot  s'eugloutit  dans  les  flots  au  bout  de  quelques 
mois. 

Nous  pouvons  enfin  signaler,  au  sujet  des  volcans 
sous-marins,  un  mémoire  de  M.  Daussy  '  établissant 
que  r Atlantique-sud  recèle  une  région  volcanique  fort 
curieuse:  vers  le  2P  12'  long,  ouest  et  le  0"  50'  lat. 
sud,  c'est-à-dire  à  mi-chemin  entre  les  îles  St-Paulet 
St-Mattliieu,  un  grand  nombre  de  navires,  tels  que  le 
Prince  en  1747,  la  Silhouette  en  1754,  le  Godavcri/ 
en  1856  ont  ressenti  des  secousses  violentes;  en  1806. 
M.  de  Krusenstern,  commandant  de  la  Nadéjda,  na- 
vire russe,  distingua  dans  ces  parages  une  colonne  de 
fumée  qui  sortait  du  sein  des  eaux;  en  1761  l'équi- 
page du  Vaillant  aperçut  même  un  banc  de  sable,  et 
en  1816,  le  Triton,  reconnut  un  écueil  de  plusieurs 
milles  de  superficie. 

On  appelle  Vigies,  dans  le  langage  des  marins,  des 
hauts-fonds,  des  récifs  rencontrés  en  pleine  mer  ou 
dans  le  voisinage  des  terres.  Les  hydrographes  s'en 
sont  beaucoup  occupés,  soit  pour  en  prouver  l'exis- 
tence, soit  pour  en  déterminer  la  position.  Le  nombre 
de  ces  vigies  est-il  aussi  considérable  que  les  rapports 
des  différents  capitaines  veulent  bien  l'établir?  Cette 
question  soulevée  depuis  longtemps  a  été  étudiée, 
quant  à  l'Atlantique-nord,  d'une  manière  approfondie 
par  une  commission  prise  dans  le  sein  de  la  Société 
de  géographie  de  Paris,  et  le  rapport  de  M.  Tamiral 
vicomte  de  Langle  "  ainsi  que  les  tableaux  et  les  cartes 
dont  il  l'a  accompagné  concluent  à  la  négative.  S'ap- 
puyant  sur  des  autorités  éminemment  compétentes, 
telles  que  Maury,  le  capitaine  Leps.  Despecher,  Lee, 

^  Comptes  Rendus  de  V Académie  des  Sciences.  1838,  tome  6. 

-  Bulletin  delà  Société  de  Géographie  de  Paris.  Juillet  et  aoiit  IBGû- 


IG  l'océan  atlantioue. 

Berrymaii,  Daymaii,  cet  ofticier  aftirme  que  le  iioiii- 
bre  des  vigies  dont  l'existence  est  certaine,  se  trouve 
être  fort  restreint. 

En  effet  pour  qu'un  écueil,  un  récif  puisse  exister, 
il  faut  qu'il  s'appuie  sur  un  plateau  étendu,  plateau 
que  la  sonde  doit  signaler  longtemps  à  Tavance.  Il  en 
résulte  que,  si  les  sondages  effectués  aux  abords  de 
recueil  cherché  accusent  des  profondeurs  de  3000. 
4000  et  5000  mètres,  on  peut  affirmer  qu'il  est  ima- 
ginaire. C'est  ce  qui  s'est  présenté  pour  la  plupart  des 
vigies.  Il  est  facile,  du  reste,  de  comprendre  comment 
on  a  pu  en  exagérer  ainsi  le  nombre.  A  certaines  heu- 
res de  la  journée,  les  diverses  teintes  que  prend  la 
mer  font  croire  à  la  présence  de  bancs  à  tieur  d'eau, 
et  si  le  vaisseau  rencontre  alors  des  débris  flottants, 
des  coques  de  bâtiments  perdus,  des  glaces,  des  amas 
de  varechs,  tout  confirme  dans  sa  croyance  le  navi- 
gateur alarmé,  qui  s'empresse  d'indiquer  sur  la  carte 
la  place  du  nouveau  récif  contre  lequel  il  a  cru  se 
lieurter.  De  cette  manière,  les  vigies  se  multiplient  à 
un  tel  point  que  si  Ton  était  dans  le  vrai ,  la  naviga- 
tion au  long  cours  serait  extrêmement  dangereuse, 
tandis  que  les  marins  ne  la  craignent  aucunement. 
D'ailleurs,  comme  le  dit  fort  bien  M.  de  Langle,  il  est 
possible  et  même  raisonnable  d'attribuer  la  formation 
d'un  grand  nombre  de  récifs  à  l'éruption  de  volcans 
sous-marins.  Ces  écueils  ne  seraient  donc  pas  de  lon- 
gue durée,  car  la  moindre  secousse  du  sol,  le  travail 
incessant  des  vagues,  entraîneraient  leur  dislocation, 
et  le  marin  qui  viendrait  plus  tard  en  vérifler  la  posi- 
tion, n'en  retrouverait  aucun  vestige. 

Les  lignes  qui  représentent  les  ondulations  du  fond 
de  la  mer  n'accusent  pas  en  général  de  brusques  res- 


l'océan    VTI.AMTIQIK.  17 

sauts,  (les  montagnes  abruptes,  des  vallées  encaissées, 
mais  plutôt  des  plateaux  à  pente  douce  et  régulière  ; 
le  nombre  des  vigies  ne  peut  donc  être  que  peu  con- 
sidérable. 

Il  est  cependant  quelques  bancs  dont  on  ne  peut 
contester  l'existence  et  dont  on  explique  même  la  for- 
mation. Ainsi  le  banc  de  Terre-Neuve,  au  Sud-Est  de 
l'île  de  ce  nom,  est  dû  à  la  rencontre  en  ce  lieu  des 
deux  courants  principaux  de  notre  globe,  du  courant 
polaire  et  du  Gulf-Stream.  Leur  choc  détermine  la 
chute  des  matières  qu'ils  charrient,  de  sorte  qu'avec 
les  années  un  banc  considérable  a  pu  se  former. 

«  Les  barres  qui  obstruent,  et  bouchent  quelque- 
fois l'entrée  des  rivières,  n'ont  pas  toutes  la  même  ori- 
gine et  varient  de  nature.  Les  barres  de  rochers  sont 
aussi  anciennes  que  les  fleuves  mêmes.  Lorsque  ceux- 
ci  charrient,  mêlée  avec  leurs  eaux,  une  grande 
quantité  de  limon,  de  sable  et  de  gravier,  ces  ma- 
tières se  précipitent  dès  l'instant  que  la  résistance  de 
la  mer  paralyse  l'impulsion  du  fleuve  qui  les  tenait 
en  suspension,  et  elles  forment  des  barres  qui  seront 
d'autant  plus  avancées  dans  la  mer,  et  par  conséquent 
d'autant  moins  nuisibles,  que  le  fleuve  aura  plus  de 
rapidité.  On  rencontre  cependant  des  barres  de  sable 
à  l'embouchure  de  fleuves  dont  les  eaux  sont  limpides. 
Elles  sont  dues  alors  à  la  fréquence  des  vents,  et  aux 
lames  de  fond,  qui  accumulent  les  sables  de  la  mer  à 
leur  entrée.  Les  rivières  s'extravasent  alors  et  for- 
ment le  long  des  côtes  des  marais  pestilentiels  ' .  » 

Aux  abords  de  notre  continent  nous  rencontrons 
aussi  plusieurs  récifs  connus  et  redoutés  des  marins. 

^  M.  Chaix,  Notes  inédites. 

MÊMOIKES.    T.   XVI,    1877.  2 


18  l'océan  atlantique. 

Ce  sont  le  Rockall  et  le  banc  du  Lion  à  l'ouest  de 
l'Ecosse,  la  Grande  Sole  au  large  des  îles.  Scilly  ou 
Sorlingues,  le  banc  de  la  Chapelle  et  les  Roches  Bon- 
nes dans  le  golfe  de  Gascogne,  enfin  la  vigie  du  cap 
St- Vincent.  Quant  aux  autres  écueils,  ils  n'existent 
qu'en  pensée  ;  ainsi  le  capitaine  Vidal  a  prouvé  que 
la  roche  Aitkins^  placée  au  nord-ouest  de  l'Irlande 
par  les  capitaines  Aitkins,  Croing,  Cork,  est  complè- 
tement imaginaire.  Il  en  est  de  même  de  la  vigie  du 
cap  Finistère  et  de  la  Roche  du  Diable.  Il  ne  faut  aussi 
admettre  qu'avec  beaucoup  de  réserve  les  bancs  que 
les  cartes  signalent  au  sein  de  l'Atlantique,  car  leur 
position  est  vague  et  les  explorations  modernes  n'ont 
pu  les  retrouver.  Ainsi  près  de  Tîle  Jaquet,que  Legros, 
Querval  et  Job  plaçaient  vers  le  46"  de  longitude  et 
le  41"'®  parallèle,  Berryman  et  Dayman  ont  trouvé 
3000  à  4000  mètres.  Le  même  fait  s'est  présenté  pour 
les  bancs  du  Druid,  du  Beaufort,  de  Mayda,  des  Cinq 
Grosses  Têtes,  et  pour  une  foule  d'autres  dont  le  cata- 
logue serait  trop  long.  Il  n'en  est  pas  de  même  cepen- 
dent  du  Bonnet  Flamand  et  de  quelques  récifs  situés 
près  du  banc  de  Terre-Neuve.  Leur  position  est  déter- 
minée. Mais  les  roches  qui  ont  été  vues  au  nord  de 
Madère  et  les  vigies  que  Purdy  place  près  des  Iles  du 
Cap-Vert  n'existent  qu'en  imagination,  tandis  que  les 
côtes  de  la  Guyane  et  celles  du  Brésil  sont  bordées 
d'écueils  réels  que  les  navigateurs  connaissent  parfai- 
tement. 

En  résumé,  nous  pouvons  dire  que  les  seules  vigies 
véritables  sont  en  général  situées  près  des  terres. 
Elles  peuvent  être  alors  le  prolongement  de  ces  ter- 
res, le  lieu  de  rencontre  de  deux  courants  opposés, 


l'océan    ATLANTlgUE.  lU 

roiivrage  des  polypes,  ou  enfin  le  résultat  de  phéno- 
mènes volcaniques. 


CHAPITRE  XXIIl. 

Rivages  de  l'Atlantique.  —  Considérations 
générales. 

Limité  au  nord  par  le  cercle  polaire,  au  sud  par 
les  terres  antarctiques,  à  Test  et  à  l'ouest  par  les  ri- 
vages continentaux,  l'Atlantique  offre  l'aspect  d'une 
vallée  dont  la  longueur  est  le  double  de  la  largeur  et 
qui  subit  un  étranglement  entre  le  cap  St-Roque  et  le 
cap  des  Palmes. 

La  similitude  que  présentent  ses  rivages  est  remar- 
(juable.  En  effet,  la  convexité  orientale  de  l'Amérique 
du  Sud,  dont  le  point  le  plus  avancé  est  le  cap  St- 
Pioque,  correspond  à  l'enfoncement  du  Golfe  de  Gui- 
née, tandis  que  la  mer  des  Antilles  se  trouve  en  face 
de  la  courbe  que  décrivent  les  côtes  africaines,  du  cap 
des  Palmes  au  détroit  de  Gibraltar.  A  partir  d'une 
ligne  tirée  de  la  presqu'île  de  la  Floride  à  ce  détroit , 
les  côtes  américaines,  et  plus  haut,  celles  du  Groen- 
land, ont  une  direction  parallèle  aux  rivages  de  l'Eu- 
rope continentale. 

Remarquons  aussi  que  les  côtes  de  l'Amérique  du 
Sud  et  celles  de  l'Afrique  différent  essentiellement  de 
celles  de  l'Europe  et  de  l'Amérique  du  Nord.  Tandis 
que  celles-ci  sont  fécondes  en  presqu'îles,  découpées 
en  golfes  profonds,  celles-là,  au  contraire,  sont  pres- 
que reclilignes  et  ne  présentent  pas  ces  grandes  et 


120  I/OCKAN   ATLANTIQUK. 

riches  îles  bordées  de  baies  où  le  navire  peut  aborder 
avec  confiance.  Non;  seuls,  de  loin  en  loin,  sont  se- 
més quelques  caps  avancés,  jalons  qui  ont  joué  un  si 
urand  rôle  dans  la  reconnaissance  de  ces  côtes. 

Un  rivage  brûlant  et  souvent  malsain,  des  barres 
qui  en  rendent  l'accès  difficile,  des  montagnes  formant 
de  longues  chaînes  côtières  qui  semblent  défendi^e 
l'intérieur  du  pays  contre  l'approche  des  étrangers, 
voilà  ce  que  rencontre  le  voyageur.  Aussi  n'est-on 
pas  surpris  de  voir  l'hémisphère  Nord  être  le  siège 
du  commerce  et  de  l'industrie,  d'y  rencontrer  les  mar- 
chés nombreux  vers  lesquels  convergent  les  produits 
du  monde  entier,  d'y  trouver  enfin  les  races  poUcées 
et  savantes. 

Si  nous  examinons  en  détail  les  rivages  des  mers, 
nous  nous  apercevons  qu'ils  tendent  sans  cesse  à  chan- 
ger de  forme,  à  modifier  leurs  sinuosités.  Depuis  le 
faible  courant  causé  par  la  brise  légère  jusqu'au  puis- 
sant fleuve  marin  qu'aident  encore  la  tempête  et  la  ma- 
rée, tous  les  mouvements  de  la  mer  remplissent  une 
double  fonction.  D'un  côté  les  vagues  sapent,  désa- 
grègent, détruisent  les  caps,  les  promontoires,  les 
falaises,  tandis  que  d'un  autre  côté,  se  chargeant  de 
ces  débris  et  du  sable  qu'apportent  les  fleuves  à  la  mer, 
elles  transportent  tous  ces  matériaux  en  d'autres 
points  du  littoral,  et  particulièrement  devant  les  baies 
dont  l'eau  tranquille  se  dresse  comme  une  muraille 
devant  la  vague  limoneuse.  Ainsi  les  golfes  se  con- 
vertissent en  lagunes  côtières  qui,  elles-mêmes,  se 
transforment  en  terre  ferme,  lorsque  les  plantes  habi- 
tuelles des  marais  s'y  sont  fixées,  et  que  les  légers 
cours  d'eau  qui  roulent  dans  les  sables  leur  ont  ap- 
porté leur  continuent  de  matéi'iaux. 


l/OGÉAN   ATLi#lïI(jUE.  21 

Par  suite  de  ce  comblement  des  golfes  et  de  cette 
destruction  des  promontoires,  la  côte  tend  à  prendre 
une  forme  rectiligne  ou  plutôt  légèrement  concave 
entre  deux  rochers  contre  lesquels  se  brisent  les  flots. 

Cette  œuvre  est  lente  sans  doute,  mais  elle  est  in- 
contestable. Cependant,  remarquons  que  dans  cer- 
tains cas  un  phénomène  inverse  peut  avoir  lieu  ; 
la  vague  peut  creuser  le  rivage  surtout  si  la  roche 
dont  il  est  formé  est  friable,  et  parfois  aussi  les  ma- 
tières dont  se  chargent  les  flots  viennent  se.  déposer 
en  bancs  côtiers  qui,  en  s'élevant  sans  cesse,  forment 
avec  le  temps  de  nouveaux  promontoires. 

Le  sable  que  transportent  les  rivières  peut  aussi 
concourir  à  la  formation  d'un  delta  à  leur  embouchure, 
surtout  lorsque  la  côte  n'est  pas  sujette  à  de  hautes 
marées  ;  car  le  flux  se  charge  de  tous  les  débris  ap- 
portés par  les  fleuves,  les  transporte  jusqu'au  sommet 
de  sa  course  et  les  entraîne  à  sa  suite  vers  d'autres 
lieux.  Par  suite  de  l'apport  continuel  de  matières  par 
les  fleuves,  les  deltas,  en  s'agrandissant  toujours,  peu- 
vent modifier  les  sinuosités  des  côtes. 

Une  cause  qui  intervient  encore  dans  la  transfor- 
mation graduelle  des  rives  de  la  mer,  c'est  Tafl'aisse- 
ment  ou  le  soulèvement  de  la  côte  ;  car  on  a  observé, 
sur  un  grand  nombre  de  rivages,  des  oscillations  sen- 
sibles. Tantôt  l'on  retrouve  au  fond  des  eaux  d'an- 
ciennes forêts,  des  ruines  de  bourgades,  ce  qui  donne 
à  conclure  que  la  rive  s'est  affaissée  ;  tantôt  au  con- 
traire, on  rencontre  à  une  assez  grande  distance  de 
la  mer,  des  sables,  des  galets,  indices  certains  d'un 
séjour  prolongé  des  eaux.  —  A  quoi  attribuer  ces 
phénomènes  ? 


2^  l'océan  atlantique. 

Les  uns  y  voient  une  action  volcanique,  les  autres 
un  retrait  ou  un  envahissement  de  la  mer\ 

M.  Delesse^  croit  qu'ils  sont  dus  à  une  autre  cause. 
Il  pense  que  l'accumulation  des  sédiments  apportés  par 
les  courants  et  les  rivières  occasionne  un  tassement 
des  couches  terrestres,  une  dépression  du  sol,  tandis 
que  l'eau  de  la  mer  traversant  les  roches  et  les  cou- 
ches qui  forment  le  sol  sous-marin,  augmente  leur 
volume  et  produit  une  élévation.  S'il  y  avait,  dit-il, 
une  action  volcanique  dans  ces  oscillations,  elles  de- 
vraient être  générales,  saccadées,  accidentelles, 
tandis  qu'elles  sont  souvent  locales,  lentes  et  conti- 
nues. 

Les  plages  sablonneuses,  exposées  au  vent  de 
l'Océan  et  à  de  violentes  marées,  sont  bordées  de  du- 
nes, collines  de  sable  mouvantes  qui  s'y  forment  sans 
cesse.  Elie  de  Beaumont,  Brémontier,  Elisée  Reclus, 
Delesse,  se  sont  tour  à  tour  occupés  de  cet  important 
sujet  ^ 

Lorsque  la  mer  est  basse  et  qu'elle  a  laissé  sur  la 
plage  les  matières  apportées  par  le  flux^  la  chaleur 
solaire  dessèche  bientôt  ces  débris,  le  vent  du  large 
s'en  empare  et  les  transporte  jusqu'à  ce  qu'il  ait  à 
gravir  une  pente  trop  rapide  ou  qu'il  rencontre  un 
obstacle  quelconque,  pierres,  bois  mort,  arbrisseau. 
Alors  il  les  laisse  tomber  sur  la  pente  ou  en  avant  de 
l'obstacle.  Le  sable  déposé  devient  obstacle  lui-même, 
et  si  le  vent  souffle  pendant  longtemps  dans  la  même 
direction,  il  se  forme  bientôt  une  véritable  collini'. 

^  Cette  dernière  opinion  commence  à  ôtre  abandonnée. 
-  Lithologie  dn  fond  des  mers.  (Paris.  —  K.  Lacroix). 
•'  Elio  de  lieanmont,  Leçom  de  géologie  pratique.  —  Brémontici-. 
Mémnifes  sur  les  dunes.  —  K.  Reclus,  Les  mers  et  les  météores. 


l/()CKA.\    ATLANTIULK.  23 

dont  la  pente  située  en  face  de  la  mer  est  toujours 
moins  forte  que  celle  qui  regarde  les  terres.  Ce  n'est 
pas  tout  :  cette  dune  n'est  pas  fixe  ;  le  vent  qui  vient 
de  la  mer  transporte  sur  la  face  postérieure  de  l'ob- 
stacle, le  sable  de  la  face  antérieure,  qui  diminue  sans 
cesse  tandis  que  l'autre  s'accroît,  de  sorte  que,  par 
suite  de  ce  transport  continuel,  la  dune  tout  entière 
change  de  place  et  s'avance  dans  les  terres. 

Dans  leur  course  que  rien  n'arrête,  ces  monticules 
de  sable  repoussent  vers  l'intérieur  les  marais,  et 
transforment  en  étangs,  en  lagunes,  les  baies  fermées 
par  des  presqu'îles  où  ils  ont  pu  se  former.  Ils  ense- 
velissent les  maisons,  les  bourgades,  les  villages  sous 
leur  épais  manteau,  ou  les  menacent  d'une  ruine  im- 
minente. 

Que  faut-il  faire  pour  conjurer  ce  danger?  Trans- 
former ces  collines  arides  en  forêts  et  en  prairies  ;  il 
faut  les  couvrir  d'une  végétation  dont  les  racines 
fixent  la  dune  au  sol  et  retiennent  l'humidité  de  l'air. 

Les  dunes,  sans  doute,  oft'rent  un  rempart  contre  les 
vagues  de  la  mer,  et  il  est  mainte  contrée  qui  serait 
submergée  sans  la  barrière  de  sable  qui  borde  ses  ri- 
vages ;  mais  elles  ne  peuvent  braver  les  assauts  trop 
puissants  de  l'Océan.  Souvent  celui-ci  se  fraye  un  pas- 
sage au  milieu  d'elles,  pénétrant  à  l'intérieur  d'un 
pays  qu'on  ne  croyait  pas  exposé  à  une  invasion  si 
désastreuse. 


24  l/OGIÎAN    ATLANTlQUt;. 

CHAPITRE  XXIV. 
Rivages  d'Europe.   -  Côtes  Scandinaves. 

Dans  cett*^  revue  sommaire  des  rivages  de  l'Océan 

Atlantique,    ms  décrirons  en  premier  lieu  les  côtes 

de  la  ScaiTj   \  i,vie. 
jpi  » 
Celui  „«    ,  ette  un  regard  sur  la  carte  de  la  Nor- 

wéf/e  s'aperçoit  immédiatement  de  deux  caractères  qui 

distinguent  ce  pays.  D'une  part,  les  côtes  occidentales 

sont  découpées  en  un  nombre  considérable  de  golfes 

ramifiés,  appelés  fjords  dans  le  langage  du  pays, 

d'autre  part,  des  îles  et  des  îlots  sont  parsemés  avec 

une  véritable  profusion  sur  toute  l'étendue  des  côtes. 

Nous  examinerons  ces  deux  points. 

«  Le  fjord,  dit  M.  Enault,  est  Un  i)aysage  mari- 
time d'une  douceur  exquise.  La  côte  s'écliancre  en 
baies  profondes,  toutes  semées  d'îles.  A  chaque  in- 
stant le  bateau  les  effleure.  Ces  îles  sont  petites;  tan- 
tôt elles  s'isolent  sur  les  flots  lointains,  et  tantôt  se 
rai)proclient  en  groupes  serrés,  oflrant  à  l'œil  une 
variété  presque  infinie  de  rochers  et  de  villas,  de 
cottages  et  de  moissons,  de  bouquets  d'arbres  et  de 
prairies.  Après  cinq  ou  six  heures  de  bordées,  cou- 
rant d'une  lie  à  l'autre  au  milieu  d'un  horizon  à  sou- 
hait, dont  le  bateau,  centre  mouvant,  déplace  à 
chaque  instant  la  circonférence,  on  arrive  au  fond  du 
golfe  où  la  ville  est  assise,  la  tête  dans  les  forêts  et 
les  pieds  dans  la  mer  ' .  >^ 

Cette  description  poétique  donne  au  tjord  un  carac- 

'  La  Norwcge,  par  M.  Louis  Enault.  —  Libr.  Hachette  et  C'. 


l'océan  atlantiqlk.  ^-Î 

tère  de  douceur  et  de  sauvage  giaiuleur  inexprima- 
bles, que  les  récits  de  M.  Jules  Girard'  ne  font  que 
confirmer.  «  Les  fjords,  dit  ce  dernier,  expriment 
tout  à  la  fois  un  golfe,  un  port  ou  un  lac  marin.  Tan- 
tôt le  fjord  est  formé  par  une  série  d'îles,  protectrices 
des  hautes  vagues  du  large^  tantôt  c'est  une  gorge 
profonde  qui  fait  pénétrer  la  mer  jusqu'  u  milieu  du 
massif  des  montagnes,  tantôt  c'est  une  .i>;  je  qui  forme 
une  molle  et  profonde  écliancrure  drés:!es  terres. 
Les  tjords  sont  caractéristiques  de  la  k  .'ége  ;  ils 
font  sa  richesse  et  son  attrait.  » 

Le  parti  qu'on  peut  tirer  des  fjords  est  facile  à 
comprendre.  Ils  forment  des  ports  excellents  où  le 
navire  peut  aborder  avec  confiance,  certain  qu'il  trou- 
vera toujours,  même  près  du  rivage,  au  pied  des  ro- 
chers, une  profondeur  suffisante.  Pendant  l'été,  des 
steamers  parcourent  régulièrement  le  littoral,  desser- 
vant tous  les  ports,  jusqu'aux  plus  cliétives  bourgades. 
Ils  circulent  au  milieu  de  ce  dédale  d'îles,  de  golfes, 
de  baies  avec  une  parfaite  sûreté,  réglant  leur  route 
sur  les  hidications  fidèles  des  cartes  nautiques  :  et 
r hiver,  si  le  service  est  discontinué,  ce  n'est  pas  que 
la  glace  ait  envahi  les  fjords,  car  l'eau  de  ces  golfes 
ne  gèle  jamais,  mais  c'est  bien  plutôt  parce  que  les 
longues  ténèbres  qui  régnent  alors  rendent  difficile  et 
même  périlleuse  la  marche  du  navire  au  milieu  des 
archipels  ;  c'est  aussi  parce  que,  la  pêche  finie,  il  n'eu 
transporte  plus  les  produits.  Mais  ces  circonstances 
n'arrêtent  pas  les  embarcations  plus  légères,  et  c'est 
un  ravissant  spectacle  que  de  voir,  le  dimanche,  une 

^  Les  fjords  et  le  soleil  de  minuit.  Exploration.  1877,  livraison  3, 
4,  5.  —  Les  Jjords  dt  Norwége.  Bulletin  de  la  Société  de  Géogra- 
phie de  Paris.  Septembre  1876. 


26  l/OCÉAN   ATLANTIQUE. 

foule  de  petites  barques,  luttant  avec  succès  contre 
la  vague  et  le  vent  contraire,  se  rendre  à  l'église  de 
la  paroisse,  distante  quelquefois  de  six  lieues. 

Le  fjord  est,  en  hiver,  le  théâtre  d'une  pèche  ac- 
tive, tandis  que  l'été  les  bateaux  pêcheurs  s'en  vont 
surtout  dans  la  haute  mer. 

Le  plus  long  et  peut-être  le  plus  beau  des  fjords 
de  Norwége)  est  le  Sognefjord,  au  nord  de  Bergen, 
auquel  M.  Henrik  Millier'  assigne  une  longueur  de 
140  kilomètres.  Large  de  5 '/a  kilomètres  à  l'entrée, 
de  4  kilomètres  dans  l'intérieur,  ce  golfe  profond  dé- 
tache de  nombreux  bras  parmi  lesquels  le  Lystertjord 
est  d'un  aspect  ravissant.  Le  Sogneljord  présente  des 
profondeurs  variant  entre  900  et  1200  mètres.  Un 
étroit  rivage  sépare  la  mer  de  hautes  montagnes^  de 
cascades,  de  précipices  qui  donnent  au  golfe  un  air 
fantastique  et  sauvage,  que  la  plume  de  M.  Enault  a 
si  bien  dépeint\ 

Quel  est  le  phénomène  géologique  ([ui  a  présidé  à 

'  Les  cotes  de  la  Norwége^  par  M.  Henrik  ÎNIûUer;  traduit  par 
]\I.  Taul  Vœlkel.  —  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris. 
Décembre  1871. 

-  «  Ce  fjord  de  Sôgne  est  un  golfe  immense  qui  s'enfonce  dans 
les  terres,  pareil  à  un  large  fleuve  qui,  pour  rives,  aurait  des  mon- 
tagnes. Le  fjord  projette  ses  longs  bras  dans  toutes  les  directions, 
comme  pour  aller  chercher  au  loin  le  tribut  des  rivières  et  des 
fleuves,  qu'il  emporte  à  la  vaste  mer.  Ici,  vous  pouvez  vous  contîer 
à  l'intelligence  do  vos  matelots,  ou  même  abandonner  votre  barque 
au  hasard  ;  elle  abordera  toujours  à  merveille.  Tantôt  le  fjord  se 
resserre  ;  il  bondit  sur  un  lit  de  cailloux,  et  sa  tunique  verte  se 
frange,  vers  les  bords,  d'une  écume  d'argent;  tantôt  [il  s'élargit 
comme  un  lac,  et  les  immenses  rochers  qui  le  surplombent  épan- 
chent sur  lui  leur  ombre  épaisse  ;  et  tandis  qu'au  milieu  la  lumière 
du  ciel  tombe  et  tremble  dans  la  glauque  transparence  dos  eaux 
profondes,  si  vous  approchez  des  rives,  vous  croyez  glisser  sur  les 
Hots  noirs  du  Cocyte.  » 


l/oCliAN    AILAMUJUK.  27 

ia  formation  de  ces  golfes  étranges?  L'observation 
va  nous  répondre.  En  premier  lieu,  nous  reconnais- 
sons qu'ils  ne  peuvent  être  dus  à  Férosion  des  flots  de 
la  mer  dont  l'action  ne  s'étend  pas  si  loin:  et  du  reste, 
les  fjords  sont  quelquefois  parallèles  à  l'Océan,  et  non 
sur  le  prolongement  de  la  vague  marine.  Ils  ne  peu- 
vent être  non  plus  l'ouvrage  des  torrents,  car  les 
montagnes  Scandinaves  sont  trop  rapprochées  de  la 
côte  pour  qu'il  puisse  s'en  échapper  des  cours  d'eau 
impétueux  et  dévastateurs.  La  véritable  cause  des 
fjords  est  celle  que  nous  donne  M.  Elisée  Reclus  '. 

Les  côtes  bordées  par  des  fjords  ou  des  golfes  ana- 
logues se  rencontrent  exclusivement  dans  les  contrées 
boréales,  et  principalement  sur  leurs  côtes  occiden- 
tales. Les  firtlis  d'Ecosse,  les  golfes  découpés  du 
Groenland,  du  Spitzberg,  de  l'Islande,  de  l'Irlande, 
delà  Patagonie  nous  en  offrent  des  exemples  frappants, 
On  peut  admettre  que  les  côtes  primitives  des  conti- 
nents étaient  plus  découpées  que  les  rivages  actuels, 
dont  les  baies  ont  été  comblées  et  les  promontoires 
renversés.  Or,  l'examen  géologique  des  terres  prouve 
que  pendant  un  certain  laps  de  temps  le  globe  a  été 
couveit  de  glaces  ;  c'était  la  période  glaciaire,  pen- 
dant laquelle  les  découpures  des  côtes  conservèrent 
leur  forme  primitive.  Cette  période  dut  finir  plus  tôt 
pour  l'équateur  que  pour  les  contrées  polaires. 

Lorsque  les  glaces  des  pa3S  tropicaux  et,  plus  tard, 
celles  des  pays  tempérés,  fondirent  et  s'écoulèrent  en 
fleuves,  celles  des  régions  boréales  ne  changèrent  pas 
d'état,  de  sorte  que  le  travail  de  la  mer  et  des  fleuves 
tendant  à  remplir  les  golfes,  à  détruire  les  presqu'iles, 
s'effectua  alors  dans  les  zones  chaudes,  et  non  dans 

^  Les  mers  et  les  météores. 


28  l/OGliAN    ATl.ANTIQUi:. 

les  zones  froides,  où  l'on  peut  dire  qu'il  ne  s'accomplit 
qu'à  notre  époque.  Les  fjords  nous  montrent  donc  ce 
qu'était  la  côte  primitive,  parce  que  leur  comblement 
n'a  pas  encore  été  opéré  par  les  eaux  marines  et  flu- 
viales. II  est  facile  du  reste  de  reconnaître  que  cette 
œuvre  se  fait  de  nos  jours;  les  fjords,  les  firths  dimi- 
nuent et  nous  laissent  aujourd'hui,  en  quelques  pa- 
rages, des  côtes  aussi  droites  qu'elles  étaient  dente- 
lées auparavant. 

Mais  oii  ce  travail  devra-t-il  être  le  plus  puis- 
sant? Selon  nous,  sur  les  rivages  qui  présentent 
le  plus  d'embouchures  de  longs  fleuves,  car  ce  sont 
ces  dei"uiers  qui  apporteront  le  plus  de  limon  à  la 
mer.  Eh  bien  !  chose  curieuse,  les  rivages  occiden- 
taux des  pays  que  nous  avons  cités  sont  bordés  de 
très-près  par  des  montagnes  hautes  et  escarpées,  qui, 
tout  en  arrêtant  les  nuages,  ne  permettent  pas  aux 
cours  d'eau  qui  s'en  échappent  de  prendre  un  déve- 
loppement assez  grand  pour  qu'ils  puissent  agir  d'une 
manière  efficace  sur  les  golfes  dans  lesquels  ils  se 
jettent.  De  sorte  que  les  rives  orientales  où  l'on  ren- 
contre de  grands  fleuves  auront  déjà  subi  depuis 
longtemps  l'action  géologique  de  ceux-ci,  alors  que 
les  côtes  occidentales  seront  encore  dans  leur  état 
primitif.  Si  la  montagne  s'éloigne  de  la  côte  ou 
s'abaisse,  aussitôt  l'équilibre  se  rétablit  et  le  comble- 
ment des  golfes,  sur  les  deux  côtes,  se  fait  simulta- 
nément. On  peut  croire  aussi  que  la  ditt'éronce  entre 
les  rivages  d'un  même  pays  provient  de  ce  que  les 
pluies,  plus  fréquentes  sur  le  versant  occidental,  ont 
empêché  les  glaces  qui  le  recouvraient  de  disparaître 
à  la  même  époque  que  celles  du  versant  oriental. 

JjC  second  ijhénomène  qui  caractérise  les  côtes  de 


l/dCKAN    .Vri.ANTEuLi:.  ^9 

la  Xorwége,  c'est  le  nombre  incalculable  criles  et 
(Fîlots  dont  elles  sont  bordées.  Jamais  les  passagers 
d'un  navire  ne  i)erdent  la  terre  de  vue  un  instant  ; 
aux  îlots  en  succèdent  d'autres,  et  le  vaisseau  se  voit 
quelquefois  entouré  d'une  forêt  de  terres  entre  les- 
«luelles  il  ne  semble  glisser  qu'avec  peine.  Du  reste, 
ces  corps  insulaires  si  nombreux  ne  sembleraient  être 
(luini  corollaire  des  fjords,  car  ils  les  accompagnent 
dans  la  Xorwége,  l'Ecosse,  le  Groenland,  la  Pata- 
gonie.  L'archipel  norwégien  le  plus  remarquable  est 
celui  des  Lofot  ou  Lofoden.  Là  des  myriades  d'îles 
parsèment  la  surface  de  la  mer.  Tantôt  ce  sont  des 
raers,  c'est-à-dire  des  terres  basses  et  sablonneuses, 
refuges  assurés  des  habitants  de  l'air,  tantôt  elles  se 
présentent  sous  l'aspect  de  rochers  feldspatliiques 
escarpés,  où  les  pêcheurs,  nombreux  dans  ces  parages, 
vont  chercher  un  abri  contre  les  tempêtes.  On  les 
appelle  alors  des  holms. 

C'est  dans  les  détroits  qui  séparent  les  îles  entre 
elles  que  le  choc  des  marées  cause  ces  courants  irré- 
sistibles si  redoutés  des  marins.  Le  plus  célèbre  et  le 
plus  puissant  est  le  Malstrom,  qu'on  observe  entre 
Lefotodden  (cap  de  Lefot)  et  Mosken.  Les  naviga- 
teurs du  moyen  âge  en  donnaient  des  peintures  terri- 
bles et  les  romanciers  se  sont  plu  à  le  décrire  dans 
leurs  œuvres  à  sensation.  Sans  doute,  il  est  loin  d'avoir 
l'importance  qu'on  lui  a  attribuée,  mais  il  n'en  est 
pas  moins  d'une  puissance  étonnante  ;  car  ce  tourbillon, 
par  de  fortes  tempêtes,  peut  mai'cher  avec  une  vitesse 
de  11  kilomètres  à  l'heure.  Cependant,  quand  la  mer 
est  calme,  les  marins  ne  craignent  pas  d'y  jeter  leurs 
filets,  et  l'on  raconte  qu'ils  y  font  parfois  des  pêches 
abondantes. 


;}()  l.'oCliAN    ATLA.NTIQUli. 

La  côte  (le  Norwége  est  en  général  escarpée,  bor- 
dée de  falaises  abruptes  ou  de  hautes  montagnes,  mais 
elle  est  munie  de  bons  ports,  et  les  bancs  de  sable  y 
sont  en  petit  nombre.  Il  3^  a  cependant  des  exceptions. 
Si  l'on  en  croit  M.  Henrik  Millier,  depuis  Christiania 
nu  cap  Lindesnaes,  le  rivage  est  plutôt  uni  etidat.  A 
partir  de  ce  cap,  la  côte  devient  élevée,  et  les  monta- 
gnes qui  s'avancent  dans  la  mer  ou  la  bordent  à  peu 
de  distance  présentent  tantôt  des  sommets  en  dos 
d'âne,  tantôt  des  crêtes  escarpées  et  hardies  qui  sem- 
blent sortir  du  sein  des  eaux.  Le  rivage  ne  s'abaisse 
que  dans  quelques  contrées,  telles  que  le  Lysterland 
etl'Iaederen;  mais  lorsqu'on  s'approche  de  ïrondlijem 
le  pa3^sage  côtier  change  peu  à  peu.  Aux  Alpes  Scan- 
dinaves, droites  et  déchiquetées,  aux  falaises,  succè- 
dent des  montagnes  moins  hautes,  moins  abruptes  et 
plus  éloignées  des  rivages,  des  vallées  charmantes, 
une  côte  basse  et  fertile,  presque  toujours  bordée 
d'une  foule  d'écueils  dangereux  pour  tout  autre  que  le 
Xorwégien,  dont  la  mer  est  la  patrie. 

Au  nord  de  Trondhjem,  la  côte  reste  plate  et  uni- 
forme jusqu'à  Bodœ,  où  les  montagnes  se  rapprochent 
de  la  mer,  ce  qui  rend  le  rivage  escarpé.  Mais  il 
baisse  de  nouveau  près  du  Fjord  Occidental  (West- 
fjord).  Entin,  au  nord-ouest  de  la  Norwége,  la  mer 
est  bordée  de  falaises  et  de  rochers,  tandis  que,  dans 
le  Fhnnark  oriental,  la  rive  devient  plate,  monotone, 
triste  et  complètement  stérile. 

La  marée  se  fait  sentir  le  long  de  la  côte  on  aug- 
mentant de  hauteur  avec  la  latitude.  D'après  M.  Hen- 
rik Millier,  l'amplitude,  de  0"',31  à  Naîssel,  devient 
()"',94  à  Stavanger,  r",25àJîergen,  2'", 5  à  Trondhjem, 
2'", 8  à  Hammerfest  et  Wadsœ.  Cependant  les  nom- 


l'océan    ATLANTKJUE.  :{ I 

breuses  îles  arrêtent  le  développement  du  Hux  et, 
dans  les  fjords,  la  marée  n'est  souvent  pas  sensible. 
Le  courant  côtier  se  dirige  en  général  du  sud  au  nord 
le  long  de  la  côte  occidentale,  et  du  sud-ouest  au  nord- 
est  sur  la  côte  septentrionale.  Comme  il  n'est  autre 
chose  qu'un  dérivé  du  Gulf-Stream,  il  est  chaud,  dé- 
barrasse la  côte  de  glaces,  et  apporte,  des  Antilles,  des 
bois  et  d'autres  débris  que  les  habitants  utilisent. 

(A  suivre.)  AV.  Kosiek.  prof. 


MEMOIRES 


MEMOIRES,    T.   XVI,    1877. 


L'EXPLORATION  ET  LA  CIVILISATION 

DE 

L'AFRIQUE      CE:srTR^LE 


(Mémoire  lu  à  la  première  réunion  du  Comité  suisse  de  l'Association 
Internationale,  le  23  avril  1S77.) 


Messieurs  et  honorés  collègues, 

Commençons  par  reconnaître  ce  que  nous  devons  à 
la  haute  initiative  de  laquelle  procède  l'entreprise 
qui  nous  réunit  ici.  Par  l'influence  presque  illimitée 
attachée  à  leur  rang  élevé,  les  rois  et  les  princes 
peuvent  beaucoup  pour  le  bien  de  l'humanité.  Mais  il 
est  rare  qu'ils  comprennent  toute  l'étendue  de  leurs 
avantages,  et  dans  les  mains  du  plus  grand  nombre 
cet  enviable  privilège  reste  sinon  stérile,  du  moins 
bien  peu  productif.  Honneur  donc  à  Sa  Majesté  le  roi 
des  Belges,  qui,  sachant  s'animer  de  l'esprit  de  l'âge 
où  nous  vivons,  a  discerné  dans  ce  vaste  champ  de 
l'Afrique  centrale  une  œuvre  à  accomplir,  digne  d'un 
philanthrope  et  d'un  roi. 

Science,  commerce,  civilisation!  Tels  sont  les  trois 
mots  magiques  dont  le  son,  après  avoir  ému  la  ma- 
gnanime ambition  de  notre  royal  Président,  a  trouvé 
en  vous  un  écho  qui  se  propagera  encore  à  mesure 
que  cette  grande  cause  sera  mieux  connue.  C'est  à 


;]()  l'exploration  et  la  civilisation 

vous,  qui  avez  été  jaloux  de  vous  placer  au  premier 
rang  de  cette  armée  de  piomiiers,  qu'il  appartiendra 
de  recruter  de  nouveaux  amis  à  une  si  belle  cause. 

Cela  sera  d'autant  plus  aisé,  que  chacun  de  nous 
possédera  mieux  l'ensemble  des  questions  qui  se  po- 
sent maintenant  et  des  conditions  impliquées  dans  la 
solution  de  ces  problèmes.  Daignez  donc  m'honorer 
de  quelques  instants  d'attention,  pendant  que  je  tâ- 
cherai d'en  mettre  le  résumé  sous  vos  yeux. 

C'est  un  fait  propre  à  nous  surprendre  que  l'Afri- 
que, région  de  l'ancien  monde  à  notre  portée  immé- 
diate, reliée  à  l'Europe  bien  plus  qu'elle  n'en  est 
séparée  par  cette  mer  Méditerranée  que  nos  marines 
de  commerce  et  de  guerre  ont  sillonnée  dans  tous  les 
siècles  et  dans  tous  les  sens,  reste  jusqu'à  ce  jour 
l'une  des  portions  de  notre  globe  dont  la  connaissance 
est  la  plus  incomplète. 

Ce  n'est  point  la  distance  qui  nous  en  ferme  l'accès. 

Ce  n'est  pas  non  plus  l'insignifiance  commerciale, 
car  elle  abonde  en  produits  précieux,  et  il  en  est 
qu'elle  seule  peut  fournir  aux  nations  civilisées  ;  et 
cependant,  à  l'exception  de  ses  côtes,  bien  connues  et 
fréquentées  sur  une  multitude  de  points,  pour  l'homme 
de  science  comme  pour  l'homme  d'affaires,  elle  est 
encore  un  mystère  et  une  énigme. 

Il  y  a  sans  doute  trois  causes  spéciales  de  cette 
ignorance  où  nous  sommes,  et  que  nous  sentons  plus 
péniblement  à  proportion  que  le  reste  du  monde  ré- 
vèle ses  secrets  aux  hardis  eiïorts  de  nos  explora- 
teurs. 

Une  première  cause,  c'est  la  rareté  comparative 
des  grands  fleuves  navigables,  qui  sont  les  artères 
naturelles  du  commerce.  Pendant  que  l'Europe   en 


DK  i/afrique  crntrale.  37 

possède  au  moins  vingt,  de  dimensions  considérables, 
l'Afrique,  plus  de  quatre  fois  aussi  vaste,  en  compte 
à  peine  la  moitié  de  ce  nombre,  et  leurs  embouchures 
sont  séparées  par  des  centaines,  par  des  milliers  de 
lieues;  de  plus,  par  suite  de  la  conformation  générale 
du  continent  africain,  ces  fleuves  sont  sujets  à  être 
coupés  de  cataractes  qui  créent  de  grands  obstacles  à 
la  navigation  entre  les  côtes  et  l'intérieur. 

Une  seconde  cause  doit  être  signalée  dans  l'exis- 
tence soit  de  vastes  déserts  privés  d'eau,  soit  d'im- 
menses marécages  qu'on  pourrait  définir  des  déserts 
privés  de  terre  ferme,  qui  rendent  les  voyages  extrê- 
mement laborieux,  périlleux  même,  une  fois  qu'on  a 
pénétré  au  cœur  du  continent. 

Enfin,  la  nature  du  climat,  qui  est  à  la  fois  brûlant 
et  humide,  souvent  mortel  à  l'Européen,  et  la  condi- 
tion sociale  des  indigènes,  en  général  à  moitié  sauva- 
ges, et  néanmoins  jaloux  de  toute  influence  éti'an- 
gère,  constituent  une  troisième  cause  en  mettant  !e 
comble  à  ces  difficultés. 

Il  est  hors  de  doute  que  les  anciens  ont  connu 
l'Afrique  du  nord  mieux  que  nous.  Je  ne  parle  pas 
des  folles  courses  d'un  Cambyse,  venant  du  fond  de 
l'Orient,  ou  d'un  Alexandre,  venant  de  Macédoine 
pour  conquérir  des  régions  où  il  n'y  avait  probable- 
ment rien  à  posséder.  Ce  ne  furent  que  des  éclairs, 
qui  laissèrent  moins  de  traces  dans  la  science  que 
dans  l'histoire.  —  Mais  avec  les  Romains,  peuple 
plus  sérieux  que  les  Grecs,  nous  obtenons  des  notions 
plus  précises.  Partout  où  les  Romains  portaient  leurs 
armes,  leur  civilisation  pénétrait  avec  elles;  or  le 
puissant  mécanisme  qui  caractérisait  leur  domination 
avait  pour  base  nécessaire  une  connaissance  exacte 


38  l'exploration  et  la  civilisation 

des  pays  qu'elle  devait  régir.  Les  ruines  de  leurs  mo- 
numents partout  semés  témoignent  de  son  étendue. 

Mais  n'exagérons  rien.  Arrivés  à  la  limite  du  dé- 
sert, auquel  ils  ne  demandaient  guère  que  les  bêtes 
qui  paraissaient  dans  les  spectacles  du  cirque,  aucun 
intérêt  ne  les  poussait  plus  loin.  L'Afrique  centrale 
leur  était  probablement  aussi  peu  connue  qu'aux  mo- 
dernes, si  ce  n'est  peut-être  la  région  orientale  des 
hippopotames  et  des  éléphants  ;  car  on  sait  que  les 
Romains  étaient  grands  consommateurs  d'ivoire.  Au 
midi  de  l'Egypte,  ils  connaissaient  quelque  chose  de 
l'Abyssinie  et  du  Soudan,  d'où  ils  tiraient  leurs  es- 
claves noirs.  Mais  leurs  relations  étaient  gouvernées 
par  leur  intérêt,  beaucoup  moins  commercial  que  po- 
litique. Les  maîtres  du  inonde  trouvaient  commode 
de  recueillir  là  où  ils  n'avaient  point  semé  ;  leur  com- 
merce consistait  à  s'asservir  les  nations  et  à  s'enri- 
chir du  fruit  de  leur  travail.  Le  doux  Virgile  lui- 
même  paie  son  tribut  à  cette  despotique  fureur  quand 
il  s'écrie  : 

«  Tu  regere  impcrio  populos,  Romaue,  mémento  ! 
«  Hœ  tibi  erunt  artes.  » 

[Enéide,  VI,  851-2.) 

L'introduction  de  l'islamisme  en  Afrique  vient,  du 
YIP""  au  VIII™*"  siècle,  faire  une  fâcheuse  diversion. 
Dès  lors,  aux  obstacles  provenant  de  la  nature  des 
pays  à  reconnaître  s'ajoutent  les  obstacles  artiticiels 
résultant  des  antagonismes  de  religion,  greffés  sur 
ceux  de  race  et  de  couleur.  Souvent  insurmontables, 
ces  haines,  contre  lesquelles  ont  échoué  bien  des  ten- 
tatives de  découvertes,  subsistent  jusqu'à  nos  jours. 

(Je  n'est  pas  tout;  deux  autres  causes,  plus  géné- 
rales,  entravent  les  progrès  de  la  géographie.  — 


DE  l'afriquk  centrale.  39 

D'abord,  l'esprit  un  peu  sceptique,  nécessaire,  il  faut 
l'avouer,  à  une  méthode  scientifique  rigoureuse,  nous 
a   incontestablement  privés  de   certaines   données, 
vraies   en   elles-mêmes,   mais   que,   dépourvue  des 
moyens  de  contrôle,  la  science  a  cru  devoir  écarter. 
C'est  ainsi  que  la  position  des  sources  du  Nil,  au  midi 
de  l'équateur^  était  connue  des  anciens,  bien  que, 
vers  le  commencement  de  ce  siècle,  on  se  crût  plus 
près  de  la  vérité  en  effaçant  hardiment  1 5  degrés  de 
latitude  de  ce  long  parcours.  Il  a  bien  fallu  ,y  revenir; 
et  encore  aujourd'hui  nous  ne  sommes  pas  certains  de 
savoir  sur  ce  point  tout  ce  qu'on  en  savait  du  temps 
même  du  géographe  Ptolémée.  —  En  seconde  ligne 
vient  le  préjugé  jaloux  qui  a  souvent  porté  les  peu- 
ples à  dissimuler  leurs  découvertes^  à  les  tenir  se- 
crètes, à  enfouir  leurs  cartes  et  autres  documents 
dans  les  plus  profondes  oubliettes  de  leurs  adminis- 
trations ou  de  leurs  bibliothèques  fermées.   Ignorant 
les  principes  de  l'économie  politique,  ne  connaissant 
de  richesses  que  la  possession  de  Vor,  ces  peuples 
croyaient  perdre  tout  ce  qu'une  nation  rivale  aurait 
pu  gagner.  De  là  une  foule  de  fâcheuses  conséquences. 
Au  lieu  d'ouvrir  les   régions  nouvellement  parcou- 
rues au  souffie  d'une  bienfaisante  civilisation  qui  eût 
centuplé  la  richesse  universelle,  on  les  réduisait  en 
réserves  du  monopole,  cette  sangsue  qui  pompe  jus- 
qu'à l'inanition  la  vie  des  peuples  qu'elle  dévore,  sans 
réussir  à  s'engraisser  elle-même.  —  On  peut  donc 
penser  que  l'Europe  possède  actuellement  bon  nom- 
bre de  documents  scientifiques,  enfouis  dans  des  ar- 
chives plus  ou  moins  inabordables  à  l'étude,  et  qui 
seraient  d'une  grande  valeur  en  vue  de  futurs  tra- 
vaux. Il  est  permis  d'espérer  aussi  que,  sous  l'impul- 


40  l'exploration   et   la   CrVILISATIOiX 

sioii  donnée  par  S.  M.  le  roi  des  Belges,  quelques- 
unes  de  ces  sources  s'ouvriront,  et  que  l'influence  de 
la  royauté  produira  des  résultats  encore  hors  de  la 
portée  de  simples  individus  ou  de  sociétés  savantes. 
Ainsi,  quant  au  projet  qui  nous  réunit,  on  sait  que  le 
Portugal  a,  plus  qu'aucune  autre  nation  européenne, 
exercé  son  influence  sur  les  régions  de  l'Afrique  au 
midi  de  l'équateur,  dont  il  a  depuis  longtemps  em- 
brassé les  vastes  espaces  par  l'extension  de  ses  éta- 
blissements sur  les  côtes  orientale  et  occidentale. 
Aussi  est-ce  vers  nos  collègues  de  la  Société  portu- 
gaise, récemment  fondée  à  Lisbonne,  que  nous  tour- 
nons aujourd'hui  nos  regards,  dans  l'espoir  que  leur 
concours,  qui  ne  peut  manquer  d'être  aussi  fructueux 
pour  tous  qu'il  sera  intelligent  de  leur  part,  aidera 
les  expéditions  futures  en  leur  communiquant  la  con- 
naissance d'un  grand  nombre  de  faits  déjà  conquis 
par  les  explorateurs  portugais  des  siècles  passés. 

En  attendant,  et  dans  la  mesure  que  nous  permet 
la  circonstance  qui  nous  rassemble,  nous  voudrions 
vous  présenter,  fort  en  abrégé,  le  tableau  de  ce  qui 
s'est  accompli  jusqu'ici  sur  le  continent  africain  en 
fait  de  découvertes  géographiques. 

Nos  connaissances  sur  le  terrain  de  l'Afrique  sont 
il  peu  près  toutes  modernes.  Les  meilleures  cartes  de 
la  fin  du  XV!""^  siècle,  celles  d'Ortelius  et  de  Merca- 
tor,  sont  construites  de  telle  sorte  que  M.  Vivien  de 
Saint-Martin  (dans  son  Histoire  de  la  géographie, 
p.  606)  a  pu  les  caractériser  en  disant  :  «  Remettons 
<'  chaque  chose  à  sa  place;  resserrons,  élaguons,  ef- 
«  façons  surtout.  Que  reste-t-il  ?  Il  reste  un  pourtour 
«  couvert  de  noms  fournis  par  les  documents  nauti- 
•' ques  ;  puis  sur  cet  immense   littoral,  (piatre   ou 


DE  l'aFRIijLE  CENTRALE.  M 

«  cinq  contrées  où  Fou  peut  placer  un  certain  nombre 
«  de  détails,  la  vallée  du  Nil.  l'Abyssinie,  la  Barba- 
«  rie,  la  région  du  Zaïre,  celle  du  Zambézi.  Tout  le 
«  reste,  c'est-à-dire  la  presque  totalité  du  continent, 
«  est  ou  devrait  être  en  blanc.  »  —  Voilà  le  point  de 
départ;  c'est  assez  dire  que  fmd  reste  à  faire. 

Mais  quelque  élémentaire  qu'elle  lut,  la  connais- 
sance de  cette  ligne  des  côtes  a  servi  de  base  solide 
aux  recherches  de  nos  jours,  qui,  commençant  vers  la 
fin  du  siècle  dernier,  se  sont  développées,  avec  des 
temps  d'arrêt  et  des  reprises,  n'ont  jamais  été  en- 
tièrement abandonnées,  sont  devenues  plus  actives 
surtout  durant  ces  derniers  vingt  ou  vingt-cinq  ans,  et 
semblent  nous  promettre  aujourd'hui  une  activité  bien 
plus  grande  encore,  avec  des  résultats  proportionnés. 
Si  ces  recherches  ont  manqué  de  la  direction  d'en- 
semble et  de  l'appui  que  notre  Association  prend 
pour  tâche  de  leur  donner  à  l'avenir,  elles  n'en  ont 
pas  moins  rendu  d'admirables  services.  La  somme 
de  travaux,  de  dévouement,  de  persévérance,  d'iié- 
roïsme  qu'elles  représentent  est  vraiment  incalcu- 
lable, et  si  le  prix  payé  par  l'humanité  et  par  la 
science  a  été  grand,  les  progrès  accomplis  sont  bien 
réels  ;  il  suffit  pour  s'en  convaincre  de  comparer  une 
bonne  carte  d'aujourd'hui  avec  les  meilleures  d'il  y  a 
cinquante  ou  soixante  ans  '. 

On  peut  dire  que  le  siège  scientifique  de  l'Afrique 
a  commencé  sérieusement  en  1769,  par  les  explora- 
tions de  James  Bruce  en  Abyssinie  et  à  la  recherche 

^  La  Société  de  géographie  avait  exposé  diverses  cartes  d'Afri- 
que tirées  de  sa  précieuse  collection,  parmi  lesquelles  une  belle 
carte  française  de  1712  justifiait  parfaitement  l'assertion  du  pro- 
fesseur. 


42  l'exploration  et  la  civilisation 

des  sources  du  Nil.  En  1788,  la  formation  àeVAfri- 
can  Association  de  Londres  imprima  aux  opérations 
une  marche  plus  énergique.  Dès  l'origine,  des  hommes 
dévoués  hasardèrent  leur  vie  au  service  de  la  science, 
et  plus  d'un  la  donna  en  effet.  Mais  Mungo  Park, 
Hornemann,Burkhardt,  G.  Browne,  récompensèrent 
par  d'importantes  découvertes  l'aide  qu'ils  reçurent. 
C'est  surtout  à  dater  de  leurs  voyages  que  les  rap- 
ports cessent  d'être  de  simples  récits  d'incidents  de 
route  ou  de  vagues  rumeurs^  pour  revêtir  un  carac- 
tère réellement  scientifique.  L'Afrique  est  de  plus  en 
plus  attaquée  de  toutes  parts.  Même  les  guerres  de  la 
France,  à  d'autres  égards  si  défavorables  aux  arts  de 
la  paix,  avaient  eu  pour  l'étude  de  l'Afrique  un  avan- 
tage exceptionnel,  en  produisant  les  belles  recher- 
ches sur  les  antiquités  égyptiennes  (1798-1801)  qui 
ont  servi  de  point  de  départ  à  de  si  magnifiques 
études.  Mais  le  temps  des  expéditions  individuelles  ne 
recommença  qu'avec  la  paix,  après  1815.  Dès  lors  le 
courant  se  dirige  de  nouveau  vers  l'intérieur  du  pays 
inconnu,  et  les  voyages  se  succèdent  rapidement. 

A  cette  époque,  on  connaissait  jusqu'à  un  certain 
point  l'Egypte,  FAbyssinie  et  la  Nubie,  la  colonie 
française  du  Sénégal  et  la  colonie,  alors  nouvellement 
anglaise,  du  Cap.  Tout  le  reste  était  si  imparfaite- 
ment connu  que  ce  n'est  pas  la  peine  d'en  parler.  Les 
Etats  barbaresques  du  littoral  sud  de  la  Méditer- 
ranée se  livraient  à  la  piraterie,  véritables  tléaux 
pour  leurs  voisins  d'Europe  et  barrière  à  peu  près 
infranchissable  nous  interdisant  l'accès  du  Sahara  et 
des  immenses  et  populeuses  régions  qui  y  confinent. 

On  connaissait  les  embouchures  des  grands  fleuves  ; 
mais  ni  le  cours  ni  lorigine  d'un  seul  d'entre  eux 


DK  l'afriquk  centrale.  43 

n'avaient  été  rigoureusement  déterminés.  —  On  ne 
savait  pas,  pour  la  plus  grande  partie  du  continent, 
si  c'était  un  pays  de  plaine  ou  de  montagnes,  fertile 
ou  aride,  habité  ou  désert.  On  n'avait  pas  abordé  un 
seul  des  grands  lacs  intérieurs,  dont  on  connaissait 
tout  au  plus  vaguement  l'existence.  Une  multitude  de 
noms  de  lieux  et  de  tribus,  aujourd'hui  connus  de 
tout  le  monde,  n'avaient  encore  jamais  été  prononcés 
par  des  lèvres  civilisées.  Les  meilleures  cartes  étaient 
les  plus  vides;  car  au  moins  contenaient-elles  moins 
de  fausses  indications.  Elles  se  distinguaient  par 
d'immenses  espaces  blancs  ;  c'est  qu'on  avait  heureu- 
sement franchi  la  période  fabuleuse  où  les  cartogra- 
phes croyaient  enrichir  leurs  œuvres  en  faisant  men- 
tion des  monstres  que  rencontrait  Othello  dans  ses 
étonnantes  pérégrinations  : 

<  It  was  my  liint  to  speak... 

<  of  the  Cannibals,  that  each  other  eat, 

■<  The  Anthropophagi,  and  men  wliose  heads 
«  Do  grow  beneath  their  slioulders.  > 

(Shakspeare,  Othello,  acte  I.) 

Ou  a  bien  retrouvé,  il  est  vrai,  les  cannibales;  ou 
a  même  retrouvé  les  pygmées  (les  Akkas)  ;  mais  on 
n'a  pas  retrouvé  ces  gens  dont  la  tête  jouit  d'une  po- 
sition si  exceptionnelle,  pas  plus  qu'on  ne  retrouve 
les  Gydopes^  les  Skiopodes,  et  tant  d'autres  imagina- 
tions de  même  calibre. 

Les  voyageurs  qui  se  sont  élancés  à  la  conquête  de 
l'Afrique  forment  une  noble  phalange.  De  tous  les 
points  de  l'horizon  ils  ont  convergé  vers  le  centre,  et 
plusieurs  fois  ils  se  sont  rencontrés.  Quelques-uns 
sont  revenus  pour  jouir  de  leur  gloire  ;  mais  nombreux 
sont  ceux  dont  la  vie  s'est  silencieusement  exhalée 


44  i.'kxploration  et  la  civilisation 

dans  la  solitude  ;  plus  d'un  a  disparu  sans  laisser  de 
traces  certaines;  d'autres,  comme  Yogel,  Alexiiie 
Tinné  ou  Dournaux-Duperré,  sont  tombés  sous  les 
coups  des  assassins;  d'autres  encore,  comme  Li- 
vingstone  et  vingt  de  ses  prédécesseurs,  sous  ceux  du 
climat. 

Je  n'ai  pas  la  prétention  d'analyser,  dans  cette  ra- 
pide esquisse,  les  travaux  qui  ont  illustré  de  si  nom- 
breux voyageurs.  Quarante  noms  s'offrent  à  la  plume 
pour  les  explorations  de  l'Afrique  du  Nord  seulement , 
et  là  n'est  pas,  en  ce  moment,  le  principal  objet  de 
notre  attention.  Je  m'en  tiendrai  donc  à  un  simple 
coup  d'œil  sur  les  faits  acquis. 

Les  sources  du  Nil,  ce  problème  de  tant  de  siè- 
cles, ont  été  étudiées  par  Burton,  par  Speke,  par 
Grant,  par  S.  Baker,  et  en  dernier  lieu  par  Stanley, 
de  façon  sinon  à  résoudre  chaque  point  de  la  ques- 
tion, du  moins  à  la  circonscrire  dans  des  limites  d'où 
elle  ne  sortira  plus.  Son  bassin  ayant  été  déterminé, 
tout  se  réduit  désormais  à  fixer  lequel,  entre  plu- 
sieurs cours  d'eau,  venant  du  plus  loin,  doit  être  ac- 
clamé comme  sa  source  primitive. 

Des  lacs,  trois  au  moins,  dont  le  principal  est 
rUkéréwé  (Victoria  Nyanza)^  relevé  par  Stanley, 
font  partie  de  ce  système.  Ils  s'étendent  dans  l'hé- 
misphère austral,  d'où  proviennent  leurs  aftiuents. 
—  Plus  au  sud,  d'autres  lacs,  Tangnnyika,  Bang- 
wéolo,  Moéro,  Makolondo(?),  puisNgami,  Nyassa  et 
Chirwa,  et  encore  d'autres  plus  petits,  forment,  au 
moyen  de  nombi'eux  canaux  (qui  les  mettent  en  com- 
munication constante  ou  temporaire,  par  groupes, 
dans  la  saison  des  pluies),  un  immense  réseau  d'arro- 
sement. 


DE  l'aFRIOUE  CENTRALE.  45 

Le  cours  du  Zambèze,  avec  sa  magnifique  cata- 
racte de  Mosiwatunja,  a  été  entièrement  relevé  par 
Livingstone,  qui  le  premier  pressentit  là  une  voie  à 
ouvrir  à  la  civilisati(;n.  Livingstone  avait  parcouru 
l'Afrique  de  l'est  à  l'ouest  et  de  l'ouest  à  l'est.  Der- 
nièrement le  commandant  Cameron  l'a  traversée  du 
N.-E.  au  S.-O.,  partant  d'Ujiji  et  venant  aboutira 
Benguéla.  Il  a  constaté  que  les  eaux  du  Tanganyika, 
au  lieu  d'être  tributaires  du  Nil,  comme  Livingstone 
avait  pu  le  supposer  naguère,  se  déversent  par  le 
Lualaba  et  par  les  lacs  vers  l'ouest,  et  vont  proba- 
blement (il  n'a  pu  le  descendre  comme  il  en  avait  le 
dessein)  alimenter  le  Zaïre,  ou  Congo. 

De  leur  côté,  des  voyageurs  infatigables,  Rohlfs, 
Xaclitigal,  Schweinfurth,  exploraient  en  venant  du 
nord  et  étudiaient  les  contrées  qui  s'étendent  à  l'ouest 
du  Darfour  et  du  Kordofan  dans  la  direction  du  lac 
Tchad  (découvert  en  1823  par  Clapperton).  —  Là, 
le  Bornou,  le  Baghirmi,  le  Kanem,  le  AVadaï,  le 
Monbuttu,  le  pays  des  Niam-Niam,  sont  aujourd'hui 
bien  connus.  N'oublions  pas  les  voyages  de  H.  Du- 
veyrier  et  de  notre  collègue  Y.  Largeau  dans  le 
Sahara-Nord,  non  plus  que  les  explorations  de  M.  le 
marquis  de  Compiègne  et  Marche,  qui,  partis  du 
Gabon,  ont  visité  le  cours  jusqu'ici  inconnu  de  lOga- 
waï.  Si  nous  rapprochons  de  ces  travaux  ceux  opérés 
dans  toutes  les  directions  par  Du  Chaillu,  Barth, 
Petherick,  Vogel,  Beurmann  et  toute  une  légion 
d'hommes  au  grand  cœur,  nous  arrivons  à  la  conclu- 
sion satisfaisante  que  les  limites  dans  lesquelles  ils 
ont  resserré  le  domaine  de  l'inconnu  doivent  donner 
un  puissant  encouragement  à  nos  efforts  futurs. 

Il  reste  néanmoins  beaucoup  à  faire.  Les  bonnes 


46  l'exploration  et  la  civilisation 

cartes  nous  présentent  encore  de  larges  espaces  com- 
plètement vierges  de  toute  indication!  La  portion 
australe  de  l'Afrique,  assignée  en  premier  lieu  aux 
travaux  de  notre  Association,  s'ofiFre  à  nous  comme 
un  espace  à  explorer,  d'environ  15  degrés  de  longi- 
tude sur  25  degrés  de  latitude,  où  tout,  à  peu  près, 
est  encore  à  découvrir.  Voilà  certes  un  champ  d'étu- 
des propre  à  exciter  notre  ambition  ! 

Le  territoire  que  nous  désignerons  à  l'avenir  sous 
le  nom  à' Afrique  centrale  est  exactement  défini,  les 
Actes  de  la  Conférence  de  Bruxelles  «  limitant  la  ré- 
«  gion  à  explorer,  à  l'orient  et  à  l'occident,  par  les 
«  deux  mers,  au  midi  par  le  bassin  du  Zambèze,  au 
«  nord  par  les  frontières  du  nouveau  territoire  égvp- 
«  tien  et  le  Soudan  indépendant.  »  —  Cette  région 
peut  contenir j  approximativement,  un  quart  de  la 
superficie  du  continent  africain,  et  peut-être  (mais 
c'est  encore  un  point  incertain)  un  tiers  de  la  popu- 
lation africaine,  dont  le  total  est  assez  vaguement 
évalué  à  deux  cents  millions.  —  La  configuration  de 
ce  territoire  est  assez  simple;  car  on  peut  dire  d'une 
manière  générale  que  l'Afrique,  par  contraste  avec 
l'Europe,  qui  offre  sur  une  petite  échelle  la  constitu- 
tion des  grands  pays,  l'Afrique,  dis-je,  représente, 
par  la  simplicité  de  ses  traits  généraux,  un  petit  pays 
développé  sur  une  échelle  immense.  Les  côtes  n'ont 
que  des  sinuosités  insignifiantes  ;  les  systèmes  de 
montagnes  sont  peu  nombreux,  tout  à  fait  élémen- 
taires; ils  s'étendent  le  plus  souvent  en  longues  lignes 
droites,  parallèles,  et  ne  paraissent  pas  en  général  se 
rencontre?  inème  dans  les  cas  où  leurs  directions  pro- 
longées arrivent  à  intersection. 

Cet  espace,    ainsi   limité,  paraît   contenir  trois 


DE  l'afriqle  centrale.  47 

cliaînes  de  montagnes.  A  Torient,  une  plaine  basse, 
plus  ou  moins  étroite,  s'étend  sur  la  côte  de  Mozam- 
bique, de  Zanzibar  à  Quilimané.  Puis  vient  la  pre- 
mière ligne  de  montagnes,  prenant  naissance  vers 
7°  de  latitude  sud,  et  se  portant  vers  le  nord  ;  c'est  la 
chaîne  des  monts  Kilimandjaro  (6116  m.)  et  Kénia 
(6095  m.).  Cette  chaîne  sert  de  contre-fort  à  un  pla- 
teau élevé,  ondulé,  qui  s'étend  de  là  vers  l'ouest.  Une 
seconde  chaîne  s'élèverait  sur  ce  plateau,  se  dirigeant 
comme  l'autre  du  sud  au  nord,  laissant,  dit-on,  le 
Tauganyika  à  l'est.  Cette  chaîne,  d'après  M.  Bau- 
ning  (V Afrique,  page  41),  doit  «  passer  entre  les  lacs 
Victoria  et  Albert.  »  Mais  ce  point  demande  à  être 
élucidé;  cela  ne  paraît  pas  s'accorder  aisément  avec 
le  tracé  des  rivières  que  nous  donnent  les  cartes  ré- 
centes. Car  le  Nil-Somerset  passe  de  l'un  dans  l'au- 
tre ;  il  est  vrai  que  les  cataractes  dont  il  abonde  indi- 
quent un  terrain  très-accidenté  :  il  pourrait  traverser 
ces  montagnes  comme  notre  Rhône  traverse  la  chaîne 
du  Jura.  Mais,  considérant  que  les  dernières  nou- 
velles de  Stanley  (publiées  dans  le  Daili/  Telegrapli 
du  29  mars  1877)  nous  annoncent  un  autre  système 
de  courants  d'eau  coupant  cette  même  chaîne  en  sens 
inverse,  —  c'est-à-dire  sortant  du  lac  AJcanyani. 
lui-même  alimenté  par  une  rivière  supérieure,  et 
coulant  de  l'ouest  à  l'est  pour  se  jeter  dans  le  lac 
Victoria,  —  on  se  sent  contraint  de  poser  là  un  point 
d'interrogation. 

«  La  troisième  chaîne  de  montagnes  de  l'Afrique 
^'  centrale  est  celle  qui  forme  le  bord  occidental  du 
-  plateau  :  elle  s'étend,  sous  les  dénominations  suc- 
«  cessives  de  Sierra  do  Cristal,  Sierra  Cumplida, 
«  Sierra  Fria,   etc.,    à   travers   les   provinces    de 


48  l'exploration  et  la  civilisation 

«  Loango,  d'Angola  et  deBenguéla,  où  elle  se  soude 
«  au  massif  des  monts  Mossamba.  La  distance  de  la 
«  côte  est  de  220  à  330  kilomètres  »  {Banning, 
page  42).  —  Elle  joue  donc  sur  l'Atlantique  à  peu 
près  le  même  rôle  que  la  première  sur  l'océan  Indien. 

De  cette  configuration  générale,  que  nous  devons 
provisoirement  tenir  pour  correcte  jusqu'à  ce  que 
des  études  encore  à  faire  nous  aient  plus  complète- 
ment éclairés,  il  résulte  que  le  pays  se  décompose 
très-simplement  en  un  petit  nombre  de  bassins  hy- 
drographiques d'une  grande  étendue,  d'où  provien- 
nent ces  fleuves  rares  et  puissants,  ordinairement 
sujets  à  de  fortes  crues  périodiques,  que  nous  avons 
déjà  signalés. 

Ce  pays  donne  donc  lieu,  au  point  de  vue  de  la 
géographie  physique,  à  plusieurs  questions  intéres- 
santes. D'abord,  il  faudra  vérifier,  analyser  et  pré- 
ciser la  structure  de  sa  charpente  orographique.  — 
Ce  Kilimandjaro,  qui  aurait  1306  mètres  d'altitude 
de  plus  que  le  Mont-Blanc,  les  a-t-il  réellement  ?  — 
A  cette  élévation  y  a-t-il  des  neiges  perpétuelles,  et 
l'Afrique  a-t-elle  des  glaciers?  —  Et  puis,  est-ce  le 
Bot  des  montagnes  africaines,  ou  bien  en  existe-t-il 
de  plus  hautes  encore?  —  Puis,  question  curieuse, 
finira-t-on  par  trouver  une  loi  générale  des  pentes 
continentales,  produisant  un  rapport  constant  entre 
l'étendue  des  continents  et  l'altitude  de  leurs  princi- 
paux sommets?  —  Ordinairement,  ces  hautes  monta- 
gnes sont  des  nœuds  de  croisement  de  chaînes  pro- 
duites par  des  systèmes  successifs  de  soulèvement. 
En  serait-il  ainsi  dans  ce  cas,  et  y  aurait-il  de  plus 
nombreux  croisements  qu'on  ne  suppose?  En  d'au- 
tres termes,  la  charpente  osseuse  du  continent  afri- 


DE  l'afrique  centrale.  49 

cain  serait-elle  d'une  construction  moins  simple  que 
nous  ne  le  pensons?  Autre  point  à  vérifier. 

Troisième  question  :  Quel  est  le  régime  des  eaux  ? 
—  Il  se  pourrait  que  des  surprises  scientifiques  nous 
fussent  réservées.  Nous  croyons  nous  souvenir  d'a- 
voir rencontré  dans  les  anciens  voyages  de  Living- 
stone  la  mention  d'une  rivière  changeant  de  cours, 
comme  par  une  marée  annuelle,  et  coulant  alternati- 
vement en  sens  inverse.  —  Cela  est  surprenant,  mais 
n'est  peut-être  pas  impossible.  Si  Vaxe  des  pluies  se 
transportait,  par  suite  de  la  marche  des  saisons,  al- 
ternativement au  nord  et  au  sud  de  l'équateur,  ne 
pourrait-il  se  produire  un  tel  efifet,  sous  l'influence  de 
vents  également  périodiques  et  réguliers,  agissant 
sur  une  plahie  inondée  et  de  niveau,  avec  une  per- 
sistance suffisante  pour  chasser  les  eaux  de  surface 
tantôt  dans  un  sens  et  tantôt  dans  l'autre  ? 

D'après  les  dernières  nouvelles  reçues  de  Stanley, 
un  grand  lac,  VAkamjaric,  un  peu  au  nord  du  Kivou, 
petit  lac  déjà  connu,  se  trouverait  exactement  sur 
l'arête  de  partage,  entre  l'Ukéréwé  et  le  Tanganyika. 
Par  un  de  ses  canaux  de  décharge,  le  Ruvuvu,  il  cou- 
lerait par  le  Kitangulé  dans  l'Ukéréwé  (Victoria), — 
et  par  un  autre,  le  Rusizi,  à  travers  le  Kivou  il  re- 
joindrait l'émissaire  du  Tanganyika.  Ainsi  il  alimen- 
terait simultanément  (ou  tour  à  tour?)  le  Nil,  pour 
tomber  dans  la  Méditerranée,  et  le  Zaïre,  pour  se 
jeter  dans  l'xltlantique.  —  Question  :  Le  fait  est-il 
réellement  ainsi  ?  —  Et  à  supposer  qu'il  le  soit,  cela 
a-t-illieu  d'une  façon  continue,  ou  bien  doit-on  tenir 
compte  du  passage  d'une  saison  à  l'autre  ? 

Il  y  aura  peut-être  ici  une  question  de  niveaux  à 
élucider  :  Le  niveau  du  Tanganyika  étant  à  826  mè- 

'  MÉMOIRES,  T.   XVI,    1877.  4 


50  l'exploration  et  la  civilisation 

très  et  celui  de  l'Ukéréwé  à  1148,  il  est  clair  que  le 
premier  ne  peut  se  déverser  dans  le  Nii-Blanc  au  tra- 
vers du  second.  Mais  le  Mwutan  (Albert)  correspond 
au  niveau  de  670  mètres.  Par  conséquent  les  niveaux 
permettraient  (hydrostatiquement)  aux  eaux  du  Tan- 
ganyika  de  se  mêler  à  celles  du  Nil  en  coulant  direc- 
tement dans  l'Albert,  s'il  existait  une  communication. 
Toutefois  il  n'y  a  pas  probabilité,  la  question  impli- 
quant d'autres  niveaux  que  ceux  des  eaux.  Le  mont 
Mfumbiro,  entre  le  Victoria  et  l'Albert,  portant  son 
sommet  vers  4000  mètres,  il  est  plutôt  probable  que 
ses  racines  forment  une  arête  de  partage  fort  élevée. 

Mais  je  dois  m'arrêter  ici,  car  d'autres  sujets  ré- 
clament notre  attention. 

Entre  les  recherches  savantes  et  les  travaux  du 
commerce  et  de  la  civilisation,  comme  élément  de 
prospérité  future,  vient  se  placer  la  recherche  des 
routes  à  créer.  Jusqu'ici  nos  voyageurs  ont  été  gou- 
vernés un  peu  par  leurs  théories  ou  leurs  désirs, 
beaucoup  parles  circonstances.  Quand  ils  ont  trouvé 
obstacle  d'un  côté,  ils  se  sont  tournés  d'un  autre. 
Maintenant  il  s'agira  d'autre  chose.  Il  faudra,  tout 
en  tenant  compte  de  la  possibilité  prochaine  d'établir 
les  communications,  en  déterminer  les  lignes  princi- 
pales en  vue  d'un  autre  état  de  choses,  de  manière  à 
ouvrir,  un  jour,  le  plus  avantageusement  et  le  plus 
largement  possible  les  espaces  encore  inacessibles  de 
l'intérieur.  On  sait  quel  est  l'effet  des  routes  de  com- 
merce sur  le  développement  des  lieux  qu'elles  parcou- 
rent, et  dans  lesquels  elles  versent  une  nouvelle 
vie.  Mais  la  profondeur,  si  je  puis  ainsi  dire,  de  cet 
effet,  dépend  d'une  heureuse  détermination  initiale. 
Les  grands  colonisateurs  ont  en  cela  un  coup  d'œil, 


DK   L'AFRIyUE   CENTRALE.  5! 

un  tiair,  une  intuition  pour  pressentir  les  conve- 
nances de  l'avenir.  C'est  comme  une  vision  qui  s'élève 
dans  leurs  esprits,  par  laquelle  ils  contemplent  les 
multitudes  se  pressant  avec  leur  commerce  là  où  le 
moment  présent  n'aperçoit  que  le  désert.  Telle  fut 
l'anticipation  de  sir  Stamford  Raftles  quand  il  fondait 
le  marché  de  Singapore,  où  afflue  le  commerce  de 
deux  océans  ;  tels  sont  les  hommes  dont  l'Afrique  a 
besoin,  et  dont  le  génie,  heureux  autant  que  hardi, 
peut,  par  des  combinaisons  appropriées  aux  ressources 
des  diverses  contrées,  leur  faire  franchir  en  quelques 
années  un  siècle  dans  la  voie  du  progrès. 

Nous  ne  parlerons  pas  encore  de  fonder  des  villes, 
bien  que.  si  notre  entreprise  réussit,  il  doive  s'en 
fonder  plus  tard,  et  sans  doute  en  grand  nombre. 
3Iais  pour  se  développer  et  prospérer,  il  faut  que  les 
villes  soient  placées  dans  certaines  conditions  essen- 
tielles qu'on  peut  définir  en  général  :  convenances  de 
localité  relativement  au  mouvement  commercial,  au 
transport  et  au  transit  des  marchandises,  salubrité 
de  l'air  et  des  eaux,  facilité  d'alimentation  et  de 
combustible,  emplacement  favorable  à  l'expansion. 
Plus  tard  il  sera  temps  de  s'occuper  des  détails  ;  mais 
il  sera  nécessaire  que  les  voyageurs,  dès  l'abord,  les 
prévoyent  en  gros  et  dans  l'ensemble  quand  ils  s'oc- 
cuperont de  dresser  des  tracés  de  routes,  surtout 
par  rapport  aux  points  d'embranchement  et  de  croi- 
sement qui  en  sont  les  nœuds,  et  qui,  naturellement, 
doivent  attirer  les  populations  à  mesure  qu'elles  de- 
viendront sédentaires  par  le  développement  des  arts. 

Pour  le  présent,  le  principal  objet  de  notre  Asso- 
ciation internationale  sera  l'organisation  de  ses  sta- 
tions hospitalières.   Je  dis  organisation  plutôt  que 


32  l'exploration  et  la  civilisation 

fondation,  parce  qu'on  a  sagement  pensé  que  pour 
assurer  le  succès,  il  convient  départir  de  ce  qui  existe 
en  le  prenant  pour  base  et  appui  de  ce  qui  doit  sur- 
gir plus  tard.  Donc,  les  stations  seront  de  deux  sor- 
tes. 

D'abord  les  stations  d'alimentation,  ou  bases  d'opé- 
rations, situées  sur  les  côtes,  accessibles  directement 
par  mer  pour  nott^e  navigation,  et  placées  de  manière 
à  servir  de  camps  de  réserve  à  l'exploration.  Ces  sta- 
tions n'ont  pas  besoin  d'être  nombreuses;  il  suffit 
qu'elles  soient  judicieusement  choisies,  et  surtout  qu'el- 
les présentent  des  facilités  suffisantes  pour  les  trans- 
ports à  l'intérieur,  soit  par  eau  sur  les  fleuves,  soit 
par  des  voies  de  terre  praticables  aux  caravanes  et  à 
d'autres  moyens  de  transport,  qui,  selon  les  régions, 
pourraient  être  des  bœufs,  des  chevaux,  des  cha- 
meaux ou  des  éléphants.  On  a  donc  jeté  les  yeux,  en 
premier  lieu,  sur  Loanda,  côte  occidentale,  et  sur 
Bagamoyo  (vis-à-vis  Zanzibar) ,  côte  orientale.  Une 
prompte  expérience  montrera  si  l'on  peut  faire  mieux 
en  se  tournant  ailleurs.  Naturellement,  ces  centres 
de  rayonnement  seraient  les  premiers  à  éprouver  l'in- 
Huence  bienfaisante  du  mouvement  commercial,  dès 
qu'il  commencerait  à  se  développer.  Ensuite,  on 
pourra  en  choisir  un  ou  deux  autres,  soit  vers  le  Ga- 
bon, soit  du  côté  de  Quilimané  (ou  quelque  localité 
moins  insalubre),  près  des  bouches  du  Zambèze,  qui 
semblerait  bien  adapté,  surtout  depuis  la  fondation 
de  la  station  de  Livingstonia  sur  le  Nyassa,  pour 
agir  sur  la  région  sud  de  notre  champ. 

Ensuite  on  s'occupera  des  stations  hospitalières 
proprement  dites,  qui  doivent  être  plantées  à  l'inté- 
rieur, et  autant  que  possible  poussées  en  avant  au 


DE  l'afriqub  centrale.  53 

plus  près  de  la  limite  de  lïnconnu,  avançant  à  me- 
sure que  celle-ci  reculera.  Nyangwé,sur  le  Lualaba, 
formerait  tête  de  ligne  dans  le  nord,  étant  relié  à  Ba- 
gamoyo  par  le  chaînon  intermédiaire  d'Ujiji. —  Dans 
la  partie  méridionale  du  champ  d'exploration,  la  sta- 
tion de  missions  et  de  commerce,  Livingstonia,  nou- 
vellement fondée  par  les  Écossais  sur  le  lac  Nyassa^ 
au  cap  MacClear,  entretenant  ses  relations  avec  l'ex- 
térieur par  le  Shiré,  commandant  par  son  bateau  à 
vapeur  toutes  les  côtes  du  lac  qu'il  dessert,  et  possé- 
dant déjà  une  station  annexe  vers  le  milieu  de  la  côte 
occidentale,  est  probablement  ce  qu'il  y  a  de  mieux, 
et  ne  laisse  que  peu  à  désirer  de  ce  côté-là. 

Ces  stations  hospitalières  sont  destinées  à  servir 
de  ressource,  de  points  de  repère  aux  voyageurs  éga- 
rés dans  la  solitude,  contrariés  dans  leur  marche  ou 
atteints  dans  leur  santé^  et  obligés  de  battre  en  re- 
traite. Ce  sont  donc  de  vrais  refuges.  Mais  de  plus, 
elles  doivent  posséder  des  magasins,  bien  pourvus 
de  tous  les  objets  indispensables  aux  explorateurs, 
afin  que  ceux-ci  puissent  venir  s'y  approvisionner,  et 
en  tirer  leurs  mo^'ens  d'action,  au  lieu  de  se  voir  ré- 
duits, comme  l'a  été  plus  d'une  fois  Livingstone,  à 
attendre  pendant  des  mois  et  des  années  ses  appro- 
visionnements, qu'il  devait  tirer  d'Europe.  Un  fonds 
bien  préparé  d'étoffes,  d'armes  et  de  munitions  né- 
cessaires pour  la  chasse,  de  vivres  conservés,  de 
chaussures  européennes,  de  médicaments  appropriés, 
peut  non-seulement  épargner  bien  du  temps  et  hâter 
le  succès  des  entreprises,  mais  encore  et  surtout  con- 
server plus  d'une  vie  précieuse,  plus  d'un  ouvrier 
dont  l'expérience  est  d'une  immense  valeur. 

Une  fois  que  les  explorateurs,  appuyés  d'un  se- 


54  l'exploration  et  la  civilisation 

cours  qui  leur  a  invariablement  manqué  jusqu'à  notre 
temps,  auront  pu,  grâces  à  vous  et  à  votre  Associa- 
tion^ attaquer  leurs  travaux  avec  une  nouvelle  éner- 
gie, ils  auront  soin  de  marquer  chaque  pas  accompli 
par  la  découverte,  comme  les  squatters  du  Far-tuest, 
en  fondant  des  stations  plus  avancées,  qui,  tout  en 
consolidant  les  résultats  acquis,  permettront  de  pas- 
ser à  d'autres  entreprises,  aujourd'hui  inabordables 
ou  d'un  succès  trop  douteux. 

Quand  les  lignes  transversales  (est  et  ouest)  qui  au- 
ront l'avantage  de  s'alimenter  par  les  deux  extrémi- 
tés, seront  suffisamment  établies,  elles  deviendront, 
à  leur  tour,  des  bases  pour  les  lignes  longitudinales, 
qu'on  devra  pousser  au  nord  et  au  sud,  jusqu'à  ce  que 
la  contrée  entière  ait  été  parcourue  et  fouillée  dans 
tous  les  sens,  et  qu'elle  ne  nous  dérobe  plus  un  seul 
secret  de  quelque  importance. 

Voilà  quel  est,  en  somme,  le  projet  concernant  les 
stations.  Ces  idées  paraissent  bien  conçues  ;  ce  sys- 
tème est  doué  d'une  souplesse  qui  doit  lui  permettre 
de  s'adapter  aux  circonstances;  il  est  susceptible 
d'une  extension  dont  la  mesure  ne  serait  que  celle  de 
la  réussite  même  ;  il  est  calculé  de  manière  à  profiter 
de  toutes  les  dispositions  favorables  qu'il  trouverait 
chez  les  indigènes,  dont  les  chefs  devraient  bientôt 
comprendre,  on  peut  du  moins  l'espérer,  que  tout  cet 
effort  aurait  pour  effet,  comme  dans  notre  intention 
il  a  pour  but,  leur  intérêt  et  leur  bien. 

Je  n'ai  pas  à  m'arrêter  ici  sur  les  tâches  qui  vien- 
dront d'elles-mêmes  et  en  temps  convenable  s'impo- 
ser à  nos  explorateurs  scientifiques.  Chacun  de  mes 
auditeurs  peut  s'en  rendre  compte  aussi  bien  que 
moi.  Outre  les  systèmes  de  montagnes  en  général,  il 


DE   L'AFRIQUE  «CENTRALE.  5o 

s'agira  de  déterminer  exactement  les  bassins  primai- 
res et  secondaires  du  relief  continental,  ce  qui  en- 
traîne la  solution  de  toutes  les  incertitudes  quant  au 
partage  des  eaux. —  Du  même  coup  le  cours  des  fleu- 
ves et  rivières  se  trouvera  fixé,  puisque  chacun  ne 
peut  drainer  que  la  superficie  de  son  propre  bassin. 
—  Quant  aux  questions  spéciales,  à  présent  que  le 
cours  du  Nil  est  connu,  la  grande  question  est  celle 
de  l'écoulement  du  Tanganyika,  qui  en  est  aujour- 
d'hui, probablement,  au  point  où  la  question  du  Nil 
est  restée  pendant  quelques  années  :  entre  le  cours 
inférieur  et  le  cours  supérieur  également  vérifiés,  il 
y  avait  un  chaînon  intermédiaire,  hypothétique,  mais 
résistant  aux  elïorts  de  la  recherche.  (3n  en  peut  dire 
autant  du  Lualaba.  Seulement,  là  les  obstacles  étaient 
plutôt  matériels;  ici  ils  sont  plutôt  moraux,  résultant 
de  la  résistance  que  les  indigènes  ont  opposée,  au 
delà  de  Nyangwé,  au  passage  de  Oameron.  —  Li- 
vingstone  avait  déjà  été  arrêté  au  même  point,  ce  qui 
fait  pressentir  une  difficulté  assez  sérieuse.  Mais  on 
triomphe  de  tout  ;  le  chef  qui  s'oppose  à  ce  qu'on  des- 
cende le  fleuve  à  travers  son  domaine  peut  n'avoir 
aucun  pouvoir  d'arrêter  ceux  qui,  prenant  le  pro- 
blème dans  l'autre  sens,  remonteront  le  fleuve  au 
lieu  d'en  suivre  le  courant.  Dans  tous  les  cas,  le  point 
peut  être  résolu  à  satisfaction  malgré  Sa  Majesté 
noire. 

L'ethnographie,  l'anthropologie,  l'étude  des  races, 
des  migrations,  des  mœurs  et  coutumes,  des  langa- 
ges, des  religions  ou  superstitions,  de  l'organisation 
civile  et  politique  de  ces  difî'érents  peuples,  peuvent 
toutes  gagner  quelque  chose  à  nos  travaux.  Nous  ne 
recueillerons  pas  partout  des  éléments  pour  ajouter 


56  l'exploration  et  la  civilisation 

à  l'histoire  du  monde  des  chapitres  nouveaux  ;  mais 
nous  pourrons  néanmoins  rencontrer  des  éclaircisse- 
ments sur  différents  points  obscurs,  des  renseigne- 
ments, des  explications,  dont  le  moindre  aura  pour- 
tant quelque  valeur  au  point  de  vue  de  la  science. 
L'archéologie  elle-même  ne  sera  sans  doute  pas  sans 
recueillir  quelque  fruit  d'une  plus  exacte  connaissance 
de  ces  peuples,  dont  l'existence  semble  se  résumer 
dans  un  perpétuel  aujourd'hui;  car  on  sait  qu'il  existe 
des  ruines  sur  plus  d'un  point  de  ce  vaste  continent, 
et  des  ruines  dont  la  rareté  même  ne  fait  qu'accroître 
l'intérêt  et  le  prix. 

Je  ne  mentionne  que  pour  mémoire  la  géologie,  la 
minéralogie,  la  botanique,  la  zoologie^,  la  météoro- 
logie enfin;  toutes  ces  sciences  doivent  faire  un  pas, 
la  dernière  peut-être  un  pas  important,  à  proportion 
que  l'Afrique  équatoriale  nous  sera  plus  exactement 
connue.  Mais  ce  sont  là  des  Arts  de  la  paix^  et  j'ai 
une  question  préalable  à  toucher,  celle  qui  concerne 
l'établissement  de  la  paix  elle-même. 

En  effet,  vous  l'avez  compris,  la  première  condition 
d'un  développement  régulier  de  l'Afrique  centrale, 
c'est  la  fin  des  guerres  qui  la  désolent;  guerres  qui  ont 
toutes  une  même  cause  et  un  même  but,  l'esclavage  ! 
Il  serait  aussi  rationnel  de  vouloir  faire  prospérer 
l'élève  des  moutons  dans  un  parc  où  les  loups  auraient 
leurs  entrées  libres  et  régulières,  que  de  parler  de 
civilisation  là  où  se  promènent  périodiquement  le  sa- 
bre et  le  mousquet  du  voleur  d'hommes.  A  côté  de  ce 
commerce  maudit,  iniquité  source  de  tant  de  crimes 
et  de 'tant  de  misères,  tout  commerce  légitime  et 
honnête  devient  impossible  et  s'éteint.  L'indigène  se 
livre  volontiers  à  l'agriculture,  et  son  pays  est  riche 


DE  l'afriôue  centrale.  57 

en  ressources.  Il  pourrait  produire  à  peu  près  sans  li- 
mites, le  sucre,  le  coton,  le  riz,  le  maïs,  la  banane, 
le  tabac,  la  cire,  le  chanvre;  —  le  café,  de  première 
qualité,  l'indigo,  l'huile  de  palme,  le  sorgho,  le  sé- 
same, trouveraient  de  vastes  espaces  de  terres  favo- 
rables ;  —  plusieurs  sortes  d'épices,  le  caoutchouc,  le 
copal,  le  ricin  s'y  produisent  naturellement; —  les 
cornes  d'antilopes  de  bien  des  espèces,  les  peaux  de  di- 
verses bétes,  Tivoire,  les  dents  d'hippopotame  y  abon- 
dent, de  même  que  l'ébène  et  d'autres  bois  recher- 
chés dans  les  arts  de  la  civilisation  ;  —  on  y  trouve 
les  métaux  précieux,  l'argent  et  l'or,  puis  le  cuivre, 
le  mercure  (cinabre)  et  le  fer,  d'un  grain  excellent. 
L'indigène,  qui  montre  peu  d'esprit  d'invention,  mais 
qui  est  plein  d'aptitude  pour  le  travail  manuel,  sait 
fondre  ce  dernier  métal,  et  en  tire  parti  avec  une  ha- 
bileté très-remarquable  vu  le  caractère  défectueux  et 
primitif  de  son  outillage.  Il  pourrait  donc  facilement 
devenir  producteur  pour  l'exportation.  —  Mais  com- 
ment se  livrer  à  aucun  de  ces  travaux  avec  suite  ou 
avec  fruit,  quand  la  mort,  ou  un  esclavage  plus  af- 
freux que  la  mort,  sont  à  chaque  instant  suspendus 
sur  sa  tête?  —  Aussi,  tout  se  réduit,  au  fond,  à  une 
seule  question  :  Comment  supprimer  l'esclavage  ? 

Beaucoup  de  gens  croient  simplement,  parce  que 
l'abolition  de  l'esclavage  a  eu  lieu  dans  le  plus  grand 
nombre  des  pays  oîi  il  était  pratiqué,  et  parce  que  la 
traite  des  esclaves  est  devenue  impossible  sur  les  eaux 
de  l'Océan  entre  l'Afrique  et  l'Amérique,  que  l'escla- 
vage et  la  traite  n'existent  plus  !  —  C'est  une  erreur, 
on  ne  doit  pas  se  lasser  de  le  répéter,  aussi  funeste 
que  profonde.  Cette  erreur  s'oppose  à  tout  effort  pour 
combattre  le  mal,  et  le  mal  s'aggrave.  La  traite  se 


58  i/exploration  et  la  civilisation 

fait  dans  des  proportions  effrayantes.  —  Au  lieu  de 
se  faire  à  l'occident,  elle  se  fait  à  l'orient.  Au  lieu  de 
se  faire  par  mer,  elle  se  fait  par  terre;  elle  n'en  est 
pas  plus  inique,  mais  elle  en  devient  encore  plus 
cruelle.  Au  transport  par  navires  et  au  danger  acci- 
dentel de  suffocation  ou  d'épidémie,  on  a  substitué 
des  marches  interminables,  mortelles  sous  un  soleil 
de  feu,  une  nécessité  de  hâte  à  laquelle  on  sacrifie 
par  le  meurtre  ou  l'abandon  tout  ce  qui  ne  peut  pas 
suivre  ce  courant  d'êtres  humains,  liés  ensemble  par 
des  chaînes,  des  carcans  ou  de  lourdes  fourches  de 
bois.  C'est  la  certitude  d'un  supplice  de  plusieurs  se- 
maines, auquel  n'échappent  qu'un  quart,  une  moitié 
tout  au  plus  de  ceux  qui  partent,  ceux-là  seuls  qui 
sont  assez  robustes  pour  souffrir  jusqu'au  bout  sans 
succomber.  Il  en  coûte  chaque  année  à  l'Afrique  cen- 
trale un  million  de  vies  humaines.  Le  meurtre  est  en- 
core,—  si  l'on  ose  employer  cette  expression  en  trai- 
tant d'un  sujet  où  Livingstone  déclare  que  l'exagéra- 
tion est  impossible,  —  le  simple  meurtre  est  presque 
le  côté  lumineux  de  cet  atroce  tableau.  La  perfidie, 
la  surprise,  la  trahison,  l'incendie,  le  pillage,  le  mas- 
sacre de  tout  ce  qui  tente  de  résister  ou  même  d'é- 
chapper, l'excitation  de  toutes  les  passions  les  plus 
haineuses  et  les  plus  brutales,  la  cruauté  à  tous  les 
degrés  de  raffinement,  voilà  les  moyens  employés  par 
ces  trafiquants  arabes,  et  les  fruits  de  leur  monstrueux 
commerce. 

L^esclavage  existe  à  ce  jour,  prospère,  luxuriant, 
se  déployant  largement  dans  les  harems  et  dans  tout 
le  service  qui  s'y  rattache,  depuis  le  Maroc  jusqu'en 
Perse,  partout  où  se  professe  la  religion  de  Maho- 
met. —  Là  encore,  comme  sur  tant  d'autres  champs 


DE   L'AFRIQUE'*^ENrUALE.  59 

de  relèvement  et  de  philanthropie,  c'est  le  christia- 
nisme qui  doit  être  la  liberté  ! 

N'oublions  pas  qu'à  mesure  que  s'étendent  les  limi- 
tes de  la  solitude  que  crée  partout  cette  chasse  à 
Vhomme,  la  souffrance  des  malheureux  captifs  aug- 
mente avec  la  distance  des  centres  d'exploitation;  le 
besoin  de  secours  devient  donc  chaque  jour  plus  pres- 
sant. Mais  n'oublions  pas  non  plus  que,  heureusement 
pour  la  cause  que  nous  avons  embrassée,  ces  guer- 
riers^ vainqueurs  d'enfants  et  de  femmes,  ces  chas- 
seurs d'esclaves  ne  sont  pas  des  héros.  Hardis  et  ar- 
dents, en  vertu  de  leurs  armes  à  feu,  contre  de  pau- 
vres sauvages  sans  défense,  ces  pourvoyeurs  de  ha- 
rems, ces  Judas  qui  ne  demandent  qu'à  vendre  leur 
semblable  pour  trente  pièces  d'argent,  ont  un  cœur 
à  la  hauteur  de  leur  métier.  Ils  ne  mettent  pas  volon- 
tiers leur  vie  au  jeu.  Invincibles  là  où  ils  sont  seuls, 
ils  deviennent,  comme  il  est  juste,  craintifs  devant  un 
adversaire.  L'expérience  de  Livingstone  l'a  prouvé  : 
l'opposition,  la  présence,  l'ombre,  le  nom  seul  d'un 
Européen  qu'ils  savent  décidé  à  réprouver  et  à  con- 
trarier leurs  entreprises,  suffit  pour  mettre  en  dé- 
route cet  ignoble  troupeau  de  commerçants  en  chair 
humaine. 

Ayons  donc  bon  courage!  Montrons-nous,  et  nous 
triompherons  à  notre  tour.  Que  l'Afrique  apprenne 
que  cette  misère  inénarrable  dans  laquelle  le  Maho- 
métan  la  retient  et  la  plonge  toujours  plus  profondé- 
ment, c'est  le  Chrétien  qui  l'en  délivrera.  Que  l'Afri- 
que orientale  connaisse  à  son  tour  les  bienfaits  que  la 
précédente  génération,  celle  des  Wilberforce  et  des 
Buxton  a  déjà  conquis  pour  l'Afrique  occidentale. 
Que  l'Europe  fasse  entendre  sa  grande  voix  :  que  les 


60  l'exploration  de  l'afrique  centrale. 

nations  s'accordent  pour  la  porter  jusque  dans  les  so- 
litudes de  l'Afrique,  et  l'esclavage  aura  vécu;  et  de 
proche  en  proche,  un  septième  de  la  race  humaine 
sera  délivré  de  l'ignominie  du  fouet  et  de  l'oppres- 
sion tyrannique  du  vice.  Levons-nous!  Allons  cher- 
cher notre  sœur  que  nous  avons  laissée  en  arrière. 
Qu'elle  vienne,  reconnaissante,  s'asseoir  à  ce  banquet 
de  la  civilisation  oii  jusqu'à  ce  jour  sa  place  est  res- 
tée vide.  Alors  votre  Association  internationale,  qui 
aura  réalisé  cette  grande  chose,  aura  bien  mérité  du 
genre  humain  et  des  siècles  à  venir. 

L.-H.  de  Lahaepe, 

Vice-président  de  la  Société  de  Géographie  de  Genève. 


LE  PAYS  D'UZ 

ET 

LE  COUVENT  DE  JOB 


(Notes  rédigées  d'après  un  travail  de  M.  J.-G.  AVetzstein, 
publié  dans  le  Conimentaire  de  Delitzsch.) 


I 

Traditions  hauraniennes  relatives  au  séjour 
de  Job  dans  le  pays  d'Uz. 

Dans  l'un  des  mémoires  publiés  par  le  Glohe,  nous 
nous  sommes  hasardé,  — r  à  l'occasion  des  traditions 
qui  font  des  contrées  hauraniennes  la  patrie  du  pro- 
phète Job  (Nabi  Ayoub),  —  à  exposer  quelques- 
uns  des  motifs  qui  semblent  de  nature  à  donner  une 
grande  vraisemblance  à  ces  traditions  ' .  Nous  avions 
tenté  de  démontrer  qu'il  fallait  chercher  la  terre  de 
Uz  ou  de  Hutz,  patrie  du  patriarche,  non  dans  l'an- 
cien pays  d'Edom,  comme  beaucoup  d'auteurs  y 
ont  été  conduits  par  une  interprétation  erronée  d'un 
P.  S.  apocr\T3he  des  LXX,  sur  lequel  nous  revien- 
drons plus  loin:  non,  comme  certains  interprètes 
l'affirmaient,  au  sud-est  de  la  Palestine  et  dans  les 
environs  du  désert  de  Tekoa,  ou  selon  d'autres  dans 
une  Idumée  occidentale  qui  comprenait  le  territoire 

^  Voir  le  Glohe,  année  1S70,  Mémoire  sur  la  Terre  de  Basçan 
(vol.  IX,  p.  32),  note  C. 


(52  LE  PAYS  d'uZ 

d'Hébron;  moins  encore  dans  l'Arabie  heureuse  ou 
en  Perse  ;  —  mais  dans  les  contrées  hauraniennes  et 
la  Batanée,  près  de  la  Trachonitide,  de  Kénath  et 
d'Astaroth-Carnaïm. 

Nous  ne  rappellerons  pas  ici  tous  les  arguments 
avancés  par  nous,  et  nous  nous  bornerons  à  dire  qu'ils 
étaient  tirés,  entre  autres,  de  la  configuration  des  lieux 
comprenant  à  la  fois  des  déserts,  de  vastes  pâturages, 
des  vignobles  et  des  jardins;  du  voisinage  de  monta- 
gnes neigeuses  '  ;  de  la  proximité  des  tribus  pillardes 
du  désert  ;  du  fait  qu'il  ne  fallait  pas  confondre, 
comme  on  l'a  fait  trop  souvent,  le  roi  Jobab,  chef 
iduméen,  avec  Job  ;  de  diverses  données  tirées  de  Jé- 
rôme et  d'Eusèbe  qui  placent  le  séjour  de  Job  dans  la 
Batanée  ;  surtout  enfin  de  l'assertion  de  Josèphe  qui 
indique  le  fils  aîné  d'Aram,  Uz,  comme  fondateur  de 
Damas  et  comme  ayant  eu  pour  domicile  la  Trachoni- 
tide '^  (Ledjah). 

Une  telle  h3'pothèse,  bien  qu'ayant  pour  elle  le  té- 
moignage de  rOnomasticon  et  celui  de  Jérôme,  pou- 
vait paraître  présomptueuse  et  superficielle,  en  pré- 
sence de  tant  d'opinions  différentes  émises  par  de  sa- 
vants critiques.  Mais,  dès  lors,  de  nouvelles  preuves 
sont  venues  à  l'appui  de  notre  thèse.  Elles  nous  sont 
fournies  par  un  érudit  distingué,  M.  le  docteur 
Wetzstein,  Israélite  de  naissance,  ci-devant  consul  de 
Prusse  à  Damas,  et  dont  l'opinion  fait  autorité  dans 
ces  matières. 

Cet  auteur,  bien  connu  par  ses  explorations  de  la 
terre  de  Basçan,  a  fait  une  étude  approfondie  du  su- 

'  Le  Djebel  Ilaiiran  a  2000  m.;  le  mont  Ilor  en  Idumée  ou  a  seu- 
lement 1338,  d'après  M.  Lartet. 
^  Anliq.  Liv.  1,  ch.  G. 


ET  LE  COUVENT  DE  JOB.  63 

V 

jet  et  il  en  a  donné  le  résumé  dans  un  appendice  du 
commentaire  de  Delitzsch  sur  le  livre  de  Job. 

Comme  l'intérêt  de  cette  question  géographique  ne 
saurait  être  méconnu,  nous  croyons  bien  faire  de  don- 
ner quelques  extraits  de  l'écrit  en  question,  mais  en 
renvoyant  la  portion  scientifique  à  une  seconde  partie. 

Commençons  par  signaler  une  erreur  dans  laquelle 
nous  pensons  être  tombé  en  suivant  les  indications  de 
plusieurs  voyageurs  (Robinson,  Smith  et  Porter),  par 
lesquelles  il  faudrait  chercher  la  partie  centrale  de  la 
Batanée  sur  le  revers  oriental  du  Djebel  Hauran,  le 
mont  Alsadamus  des  anciens. 

Déjà  dans  un  précédent  écrit,  M.  Wetzstein  a  con- 
tredit M.  Porter  à  ce  sujet.  Quelques  ruines  portant 
le  nom  de  Buteina  ou  Betenije  se  trouvent,  il  est 
vrai,  au  nord-est  du  Djebel  Hauran,  mais  les  voya- 
geurs postérieurs  ont  reconnu  qu'il  ne  s'agissait  que 
d'un  petit  village  dont  les  ruines  sont  sans  importance. 
M.  Waddingtou,  qui  a  visité  cette  localité,  dit  que 
«  les  ruines  de  Buteina  se  composent  d'une  vingtaine 
de  maisons  et  de  deux  grandes  tours.  C'était,  très- 
probablement,  une  métairie  ;  les  quelques  habitations 
un  peu  spacieuses  formaient  sans  doute  la  demeure 
du  propriétaire  et  servaient  de  magasins  pour  les 
provisions;  les  autres  étaient  destinées  aux  ouvriers.  * 
On  n'est  donc  nullement  en  droit,  ajoute  M.  Wetzs- 
tein,  de  baptiser  toute  une  province  du  nom  d'une  pe- 
tite ville  qui  n'a  jamais  été  mentionnée  dans  la  Bible. 

En  outre,  comme  le  fait  ressortir  le  même  auteur, 
le  tétrarque  de  Batanée  ne  pouvait  dominer  que  sur 
une  province  de  l'ancien  empire  romain.  Or,  cette 
province  ne  doit  pas  se  chercher  au  delà  des  limites 


64  LE  PAYS  d'UZ 

de  cet  empire  dont  Salcha  était  le  poste  le  plus 
avancé,  ce  qui  exclut  nécessairement  le  revers  orien- 
tal du  Hauran. 

En  conséquence,  d'après  M.  Wetzstein,  la  Bata- 
née  serait  limitée  à  l'est  par  le  plateau  du  Ledjah  et 
le  massif  du  Djebel  Hauran,  à  l'ouest  par  les  collines 
boisées  du  Golan,  et  au  sud-ouest  par  le  ravin  du  Ma- 
kram  (probablement  celui  qui  reçoit  les  divers  cours 
d'eau  au  sud  du  Ledjah)  et  la  colline  de  Zumla 
(Zoumlé). 

Depuis  la  conquête  de  la  Syrie  par  les  Osmanlis, 
le  centre  de  cette  contrée  a  reçu  des  nomades  le  nom 
de  Nukra  ou  Nukra  sja-iaque.  La  grande  route  de 
Damas,  suivie  par  les  pèlerins  de  la  Mecque,  la  tra- 
verse du  nord  au  sud.  Sur  son  parcours  est  situé 
Nawa,  la  ville  principale  de  la  Nukra.  Suivant  une 
tradition  locale,  cette  ville  aurait  été  le  lieu  du  domi- 
cile de  Job.  Dans  un  premier  travail,  M.  Wetzstein  a 
émis  l'idée  que  le  nom  de  Nawa  pourrait  bien  être 
une  abréviation  de  «  demeure  de  Job  »  en  hébreu 
neveli  Job. 

La  tradition  conservée  en  Syrie  et  en  Palestine, 
qui  fait  de  cette  contrée  la  patrie  de  Job,  est  extrê- 
mement répandue  dans  le  Hauran.  Aussi,  quand  le 
voyageur  admire  la  fertilité  du  pays,  il  reçoit  comme 
réponse  toute  naturelle  :  «  N'est-ce  pas  ici  la  patrie 
de  Job?  »  Dans  cloaque  localité,  on  retrouve  des  tra- 
ces de  cette  croyance.  Mentionnons  entre  autres  les 
suivantes  :  Bosra  fut  indiquée  à  Seetzen  comme  une 
ville  de  Job  ;  —  i|n  vaste  bâtiment  datant  des  Byzan- 
tins ou  des  Romains,  situé  dans  la  partie  supérieure 
de  Kanawat,  et  où  nous  avons  signalé  *  une  petite  cha- 

^  Globe,  vol.  XIII.  La  Terre  de  Basçan,  ch.  XI. 


ET  LE  COUVENT  DE  JOB.  65 

pelle  où  Druses  et  Chrétiens  déposent  des  ex-voto  et 
font  brûler  des  lampes  en  l'honneur  du  saint  homme 
Job,  fut  désigné  à  M.  Wetzstein  connue  «  le  palais 
d'été  de  Job  ;  »  —  les  pâturages  des  environs  du  Wadi 
el  Lebwa  sont  nommés  par  les  bergers  les  pâturages 
de  Job  ;  —  quand  le  voyageur  anglais  Buckingham 
traversa  la  Nukra,  on  lui  montra  un  endroit  appelé 
Gherbi,  considéré  aussi  comme  la  ville  natale  de  Job  ; 
—  enfin  au  temps  d'Origène,  on  faisait  remonter, 
mais  probablement  à  tort,  l'origine  du  nomdeBostra, 
la  Bosra  actuelle,  à  la  mère  de  Job,  Bosora. 

Toutes  ces  traditions,  l'auteur  les  analyse  de  très- 
près  et  ne  les  accepte  qu'avec  beaucoup  de  réserve, 
et  toujours,  comme  on  va  en  juger,  en  les  rappro- 
chant des  données  scientifiques  que  nous  résumerons 
plus  loin. 

Une  autre  légende,  accréditée  dans  le  pays,  se 
rapporte  à  un  séjour  de  Job  en  Egypte.  Après  la 
mort  de  son  père,  Job  serait  parti  pour  les  bords  du 
Nil,  afin  de  délivrer  Rahma,  la  fille  d'Ephraïm,  qui 
avait  hérité  de  son  grand-père  Joseph  une  grande 
beauté,  et  qui  était  retenue  contre  son  gré.  Cette  ex- 
pédition accomplie.  Job  fut  envoyé  par  Dieu,  en  qua- 
lité de  prophète,  auprès  de  ses  concitoyens  les  habi- 
tants du  Hauran  et  de  la  Batanée. 

Ce  récit,  quelque  improbable  qu'il  soit,  ne  manque 
pas  d'intérêt,  en  ce  sens,  qu'il  tendrait  à  expliquer  la 
connaissance  personnelle  de  l'Egypte,  qui  se  re- 
marque dans  le  livre  de  Job  ' . 

Avant  d'exposer  les  raisons  scientifiques  qui  con- 
firment M.  Wetzstein  dans  la  pensée  que  la  Batanée 
est  le  pays  d'Uz,  visitons  avec  lui  le  couvent  bâti  non 

*  Voir,  en  particulier,  MM.  Renan  et  Godet. 

MÉMOIRES,  T.  XVI,  1877.  5 


66  LE  PAYS  d'UZ 

loin  de  Nawa,  à  une  très-faible  distance  de  l'emplace- 
ment qui  passe  dans  le  pays  pour  avoir  été  le  lieu  de 
la  sépulture  du  prophète  et  qui  en  porte  le  nom. 

Parti  de  Golan  avec  un  compagnon  de  voyage, 
M.  Wetzstein  arriva  à  Tesil  le  soir  du  8  mai.  De  là, 
il  put  apercevoir  le  couvent  tout  illuminé  des  rayons 
du  soleil  couchant.  C'était  une  ruine  imposante,  éloi- 
gnée d'une  forte  lieue  à  l'est.  Le  lendemain  les  deux 
voyageurs  quittèrent  Tesil,  mais  avant  de  se  diriger 
vers  le  couvent  de  Job  (MaJcam  Mjiih) ,  ils  gravirent 
une  colline  volcanique,  le  Tell  el  (lumu,  du  haut  de 
laquelle  ils  purent  contempler  le  panorama  environ- 
nant. Le  pays  était  riche,  d'une  végétation  luxu- 
riante, d'une  admirable  fertilité.  La  plaine,  écrit-il, 
s'abaisse  insensiblement  du  côté  de  Bendek,  et  les 
eaux  abondantes  du  Naher  el  Oweirid  semblent  se  dé- 
rouler comme  un  brillant  fil  d'argent.  Il  ajoute  «que  si 
cette  contrée  avait  comme  autrefois  de  riches  ombra- 
ges, ce  serait  un  vrai  paradis  terrestre.  Même  dans 
les  jours  les  plus  chauds,  la  brise  lointaine  de  la  mer, 
fraîche  et  humide,  passe  sur  la  plaine  et  la  vivifie; 
aussi  le  poète  hauranien  ne  chante-t-il  jamais  sa  pa- 
trie sans  la  nommer  la  saine  Nukra.  » 

Après  une  longue  halte  sur  le  Tell  el  Gumu,  M. 
Wetzstein  et  son  compagnon  se  dirigèrent  vers  le 
couvent,  bâti  à  peu  de  distance  sur  la  pente  d'une  col- 
line et  qui  porte  le  nom  de  Makam.  C'est  un  bâti- 
ment à  un  étage  surmonté  de  deux  coupoles,  et  d'une 
circonférence  médiocre.  Les  six  curateurs  du  cou- 
vent ou,  comme  les  Arabes  les  nomment,  les  «  servi- 
teurs de  notre  seigneur  Job,  »  reçurent  les  étrangers. 
Le  directeur  se  montra  fort  complaisant.  Les  gens 
du  couvent  étaient  tous  noirs  et  célibataires,  mais 


ET  LE  COUVENT  DE  JOB.  67 

leur  célibat  n'était  dû  qu'à  la  difficulté  de  trouver 
des  femmes  dans  l'endroit  et  au  manque  de  place. 

Le  Makam,  et  un  bassin  long  de  50  pas  qui  l'avoi- 
sine,  sont  entourés  par  un  mur.  Ce  bassin  est  rem- 
pli d'une  eau  froide,  au  cours  rapide,  provenant  de 
la  source  de  Job  éloignée  de  400  pas.  D'après  la  lé- 
gende, cette  source  jaillit  quand,  suivant  l'ordre  de 
Dieu,  Job  frappa  la  terre  de  son  pied  à  la  fin  de 
son  épreuve.  On  couvre  l'eau  dans  son  cours  jusqu'au 
bassin,  afin  de  la  conserver  fraîche  et  de  la  préserver 
de  toute  souillure.  Quelques  acacias  et  un  grenadier 
séparent  le  bassin  du  bâtiment. 

La  première  chose  qu'on  montra  aux  voyageurs  fut 
l'auge  de  pierre  dans  laquelle  Job  se  baigna  après 
son  épreuve.  La  petite  localité  où  se  voit  cette  reli- 
que se  nomme  «  le  lavoir  de  notre  seigneur  Job.  » 
Quant  au  tombeau,  il  est  adossé  contre  l'auge;  on  l'a 
recouvert  d'un  vieux  drap  vert,  mais  il  n'offre  rien 
de  remarquable. 

On  conduisit  ensuite  les  étrangers  au  sommet  de  la 
colline  sur  laquelle  se  trouve  la  pierre  dite  de  Job. 
C'est  sur  elle, —  dit  encore  la  légende, —  que  le 
prophète  avait  coutume  de  s'asseoir  quand  Dieu  ve- 
nait le  visiter.  Elle  est  au  centre  d'une  petite  mos- 
quée, construite  sans  doute  avec  les  matériaux  d'une 
chapelle  chrétienne  bâtie  sur  cet  emplacement  avant 
l'époque  musulmane.  C'est  une  construction  sans 
art,  de  style  hauranien,  avec  six  ou  sept  arches 
et  une  coupole  de  moyenne  grandeur,  s'élevant  au- 
dessus  de  la  pierre  de  Job.  Pendant  que  quelques 
musulmans,  qui  visitaient  le  Makam  en  même  temps 
que  M.  Wetzstein,  récitaient  leurs  prières  à  cette 
place  sacrée,  le  directeur  apporta  au  voyageur  une 


68  LE  PAYS  d'UZ 

poignée  de  petites  pierres  et  de  sable,  en  lui  disant  : 
«  Cette  poussière  a  été  formée  par  les  vers  pétrifiés 
tombés  des  ulcères  de  Job.  Prends-la  en  souvenir  de 
ce  lieu,  elle  t'enseignera  à  ne  point  oublier  Dieu  dans 
la  prospérité,  à  ne  point  te  révolter  contre  lui  dans 
l'adversité.  » 

Malgré  le  caractère  bizarre  et  enfantin  de  la  lé- 
gende, l'offrande  et  le  conseil  qui  l'accompagnait  ne 
furent  point  dédaignés  par  le  voyageur.  Il  remarque 
que  dans  un  tel  lieu  l'avertissement  adressé  à  tous 
les  visiteurs  ne  saurait  manquer  son  effet,  et  ce  fut 
sous  cette  impression  sérieuse  qu'il  quitta  le  couvent. 

Ajoutons  ce  renseignement  caractéristique  em- 
prunté également  à  M.  Wetzstein,  c'est  que  le  Ma- 
kam  n'a  aucun  impôt  à  payer  au  gouvernement  et 
aucun  tribut  aux  Arabes.  Il  est  à  croire  que  s'il  sub- 
siste encore  à  l'heure  qu'il  est,  il  le  doit  en  grande 
partie  à  la  croyance  superstitieuse  des  Bédouins  qui 
assurent  que  leurs  chevaux  mourraient  immédiate- 
ment s'ils  venaient  à  s'abreuver  de  l'eau  du  bassin  de 
Job.  Par  cette  même  raison  les  Arabes  ne  réclament 
jamais  l'hospitalité  du  couvent,  charge  qui  entraîne- 
rait sans  retard  la  ruine  de  l'hospice. 


II 

Exposé  critique,  de  la  valeur  des  traditions 
relatives  à  Job. 

Les  pages  précédentes  ont  fait  connaître  ce  qu'est 
actuellement,  d'après  M.  Wetzstein,  la  tradition  rela- 
tive au  séjour  de  Job  dans  le  Hauran.  Le  même  au- 


ET  LE  COUVANT  DE  JOB.  69 

teur  a  recherché  jusqu'à  quelle  époque  on  peut,  avec 
quelque  certitude,  faire  remonter  cette  tradition. 
Voici,  en  termes  aussi  succincts  que  possible  (et,  nous 
aimons  à  l'espérer,  sans  dénaturer  la  pensée  du  sa- 
vant auteur),  les  résultats  auxquels  il  est  parvenu. 

En  remontant  des  témoignages  les  plus  récents  aux 
plus  anciens,  on  rencontre  d'abord  des  passages 
d'Eugésippe  et  de  Sanuto  (XI"?*  siècle)  qui  semble- 
raient devoir  transporter  les  faits  concernant  le  pa- 
triarche aux  environs  de  THermon,  sur  les  bords  du 
petit  lac  Phiala,  mais  qui  expliqués  par  un  passage 
de  Guillaume  de  Tyr,  nous  indiquent  plutôt  le  voisi- 
nage d'un  autre  petit  lac,  peu  éloigné  d'un  château 
appelé  Muzérib  et  du  cloître  de  Job,  comme  la  patrie 
du  prophète  et  celle  de  son  ami  Bildad  le  Subite  ' . 

Ce  triple  témoignage  nous  montre  que  la  tradition 
qui  nous  occupe  était  généralement  répandue  dans  ces 

^  Passage  d'Eugésippe  :  -<  Une  partie  du  pays  est  le  pays  de  Hus, 
d'où  était  Job  ;  il  s'appelle  aussi  Stœta,  nom  d'après  lequel  Bildad 
a  été  nommé  le  Subite.  » 

Passage  de  Samtto  :  «  Sueta  est  la  patrie  de  Bildad  le  Suite.  Au- 
dessous  de  cette  ville,  les  Sarrasins  d'Aram,  de  la  Mésopotamie, 
d'AmmoU;  de  Moab  et  de  tout  TOrient,  se  rassemblent  autour  de 
la  source  FiaJe  pour  dresser  leurs  tentes  de  couleur  et  tenir  le 
marcbé  pendant  tout  Tété,  à  cause  du  cbarme  de  la  contrée.  » 

Passage  de  (hiillaume  de  Tyr  :  «  Cet  endroit  (la  cavea  Boob), 
place  fortifiée  dans  la  Xukra,  se  trouve  dans  la  province  Suite,  et 
ce  Baldad,  ami  de  Job,  qui  est  à  cause  de  cela  nommé  le  Suite,  doit 
en  avoir  été  originaire.  » 

La  province  Suite  ou  Suita  dont  parle  Guillaume  de  Tyr,  expli- 
que Wetzstein,  est  le  pays  de  Suwêt  dans  la  partie  nord-ouest  du- 
quel se  trouve  le  ravin  du  Wâdi  Bahûb  ;  et  la  Cavea  Eoob  s'ap- 
pelle actuellement  Magaret  Bahûb  (c'est-à-dire  la  caverne  de  Ra- 
hûb),  ou  plus  habituellement  mu'  aUaJcat  Bahûb  (caverne  suspendue 
de  Eahùb). 

Quant  au  Fiale  de  Sanuto,  ce  n'est  pas  le  lac  Phiala,  mais  le 
lac  Begga  du  Hauran,  la  source  du  Muzérib. 

HÊMOIEES,  T.  XVI,    1877.  5* 


70  LE  PAYS  d'UZ 

temps-là,  qu'elle  était  venue  à  la  connaissance  des 
étrangers  en  séjour  dans  le  pays,  et  qu'elle  était  fa- 
milière aux  chrétiens  aussi  bien  qu'aux  musulmans.  Il 
est  fort  peu  probable,  en  effet,  que  les  trois  écrivains 
l'eussent  rapportée  sur  la  simple  foi  des  disciples  de 
l'Islam. 

^  L'article  Kapyaéi^  de  l'Onomasticon,  nous  fait  re- 
monter de  plusieurs  siècles  en  arrière  ;  il  s'exprime 
ainsi  :  «  Dans  Carnaïm  Astaroth,  très-grand  village 
au  delà  du  Jourdain  dans  l'Arabie  qu'on  appelle  aussi 
Batanée,  se  trouve  une  maison  que  la  tradition  dit 
être  celle  de  Job.  »  Or,  dans  le  voisinage  du  Makam 
se  trouve  un  Tell  portant  le  nom  d'Astara  on  Asli- 
taré,  dont  nous  avons  eu  l'occasion  d'entretenir 
les  lecteurs  du  Globe  *.  Il  est  très -probablement 
l'Astaroth  de  l'article  indiqué,  et  ne  doit  pas  être 
confondu  avec  l'Astaroth,  capitale  du  royaume  de 
Basçan,  dont  il  est  parlé  dans  TOnomasticon  à  l'article 
Aarajowô,  et  qui  est  situé  à  quelques  kilomètres  plus  au 
sud. 

Pour  Jérôme  comme  pour  Eusèbe,  la  Batanée  est 
le  pays  d'Uz  ^  Cette  idée  est  encore  celle  d'Éphrem 
le  Syrien,  écrivain  chrétien  du  quatrième  siècle  (Pro- 
leg.  au  Commentaire  sur  Job)  et  de  Chrysostome.  Le 
premier  explique  que  la  Batanée  était  la  patrie  de 
Job,  et  Chrysostome  raconte  que  beaucoup  de  pèle- 
rins accourent  des  extrémités  de  la  terre  en  Arabie 
pour  voir,  —  faut-il  le  dire  ?  —  le  fumier  sur  lequel 
Job  était  assis,  et  baiser  le  sol  sur  lequel  il  avait  souf- 

'  Année  1872,  vol.  XI,  p.  60. 

^  Quaest.  Hehr.  in  Genesin,  C.  10,  23:  Us,  Traclionitidis  et  Da- 
masci  conditor,  inter  Palaestinam  et  Cœlen  Syriani  teniiit  principa- 
tum,  unde  fuit  Job. 


ET  LE  COUVENT  DE  JOB.  71 

fert  ' .  Cette  Arabie  est  évidemment  celle  qu'Eusèbe 
explique  par  ny.xi  By.r ocjxtx.  et  ce  fumier,  puisque  nous 
devons  y  insister,  ne  doit  pas  être  cherché  ailleurs 
qu'au  Makam  Eijub. 

Remontant  maintenant  au  temps  de  Titus,  consta- 
tons que  Josèphe  ne  mentionne  pas  Job  lui-même  ; 
mais  dans  les  premières  pages  de  ses  Antiq.  I.  6',  se 
trouve  un  passage  digne  de  remarque,  auquel  il  a  été 
fait  allusion  plus  haut  : 

«  Aram,  dit-il.  de  qui  descendent  les  Araméens, 
que  les  grecs  nomment  Syriens,  avait  quatre  fils  dont 
le  premier  s'appelait  Ovcro;  et  dont  la  postérité  (la 
tribu  de  Us),  peupla  la  Trachonitide  et  fonda  Damas.  * 

Il  n'est  pas  sans  importance  de  voir  la  tradition 
juive  et  chrétienne  remonter  ainsi  jusqu'à  Josèphe. 
Or  le  témoignage  de  ce  dernier,  garant  des  plus  au- 
torisés, plonge  ses  racines,  dit  M.  Wetzstein,  dans 
un  temps  où  Ton  pouvait  avoir  encore  la  conscience 
historique  des  demeures  des  fils  de  Uz.  Si  Ton  ajoute 
que  cette  tradition  concorde  très-clairement  avec  les 
différents  passages  bibliques,  Genèse,  X,  23  :  La- 
ment.  IV,  21  ;  Jérémie,  XXV,  20;  et  qu'elle  désigne 
comme  séjour  de  Job  un  pays  dont  les  caractères  s'ac- 
cordent fort  bien  avec  ceux  que  le  livre  attribué  au 
prophète  nous  fait  connaître,  il  faut  convenir,  dit 
notre  auteur,  qu'il  y  a  là  des  raisons  assez  fortes  pour 
nous  pousser  à  l'accepter. 

A  ces  raisons  il  ajoute  les  suivantes  :  Quelques-uns 
ont  soutenu  qu'il  fallait  chercher  l'Ausitis  (pays  d'Uz) 
dans  le  voisinage  d'Edom.  Voici,  en  abrégé,  quelle 

^  Hom.  V.  de  Stud.  §  1,  t.  II,  p.  59  :   i-'^  -i-^x-oy>  -r.;  ^;r.;  k; 

TT,v  'Asa(î'.7.v  Toîy/j'izi:,  lu.  rr.'i  x-c—piîr.v  l'î'wj'.,  /,7.l  Ocy.iiy.Evs'.  /.j.TXO'.ÀTiiiojïi 
TT.v  -••»;v. 


72  LE  PAYS  D'UZ 

est  dans  cette  question  l'argumentation  de  M.  Wetz- 
stein.  Elle  nous  justifiera  d'avoir  dans  notre  travail 
antérieur  énoncé  plusieurs  des  mêmes  objections. 

Premier  argument.  Il  est  incontestable  que  l'en- 
semble des  passages  de  l'Onomasticon  établit  que 
pour  Eusèbe,  TAusitis  est  bien  l'Arabie  seulement, 
pays  synonyme  pour  Eusèbe  de  la  Batanée.  On  en 
peut  dire  autant  de  Jérôme,  témoin  le  passage  cité 
plus  haut  dans  lequel  il  dit  que  Uz,  fondateur  de  Da- 
mas, régnait  entre  la  Palestine  et  la  Cœlésyrie  — 
passage,  pour  le  dire  en  passant,  qui  se  rapporte  à  la 
province  de  ce  nom  à  partir  de  Dioclétien,  non  à  la 
Cœlésyrie  de  Ptolémée. 

Second  argument.  L'idée  que  l'Ausitis  se  trouve  en 
Edom  se  base  principalement  sur  le  P.  S.  des  LXX 
au  livre  de  Job,  P.  S.  considéré  comme  inauthenti- 
que, postérieur  à  l'écrit  lui-même,  et  dont  la  valeur, 
en  tout  cas,  ne  doit  pas  être  surfaite.  Ce  P.  S.  iden- 
tifie Job  avec  le  roi  édomite  Jobab,  et  cette  identifi- 
cation seule  expliquerait  déjà  le  fait  qu'Édom  ait  été 
indiqué  comme  le  pays  du  domicile  de  Job. 

Il  est  toutefois  bizarre  de  rencontrei-  une  donnée 
en  contradiction  avec  toute  la  tradition  juive.  L'ex- 
plication du  fait  se  trouve  dans  le  sens  attaché  par 
l'auteur  du  passage  au  mot  Idumée. 

Or,  l'auteur  du  P.  S.,  probablement  un  juif  ale- 
xandrin, n'a  pas  voulu  mentionner  l'Édom  biblique. 
En  effet,  pour  être  compris  de  ses  contemporains,  il 
aurait  dû  l'expliquer  par  le  mot  Gebalène  (r;  vjy  r£,Sa- 
)>/7v>î  xaXou|u.év>5) ,  nom  employé  alors  pour  désigner  le 
pays  d'Édom,  et  qu'il  conserve  partiellement  encore 
sous  la  forme  de  Gebal  ;  il  n'a  pas  vouki  davantage 
parler  de  l'Idumée  postérieure  occidentale  (Ilébron), 


ET  LE  COUVENT  DE  JOB.  73 

dont  les  Juifs  de  la  Dispersion  ne  pouvaient  pas  savoir 
grand  chose.  11  s'agit  donc  évidemment  ici  de  la  troi- 
sième Iduraée,  VIdumœa  in  partihm  Aramrronon, 
ou  VIdumœa  orientalis  d'Eusèbe.  Or,  comme  le  fait 
remarquer  M.  Wetzstein,  le  vrai  nom  de  cette  Idu- 
mée  n'est  pas  Édom  (C''"'^)  ,  mais  Arom  (dI"'??)  , 
deux  mots  hébreux  qui  se  confondent  facilement,  c'est 
à-dire  Aram  de  Damas.  La  souche  n'en  est  pas  Esaii 
père  des  Edomites,  mais  Isa  père  des  Araméens,  en 
d'autres  termes  Us,  père  d'Aram  (des  Araméens).  La 
capitale  n'en  était  pas  la  Botsra  du  pays  de  Séhir, 
mais  Bosra  ou  Bostra,  capitale  du  Hauran  '.   L'Au- 

*  L'idée  d'un  pays  et  d'un  peuple  d'Arôm,  observe  M.  "Wetz- 
stein que  nous  citons  ici  textuellement,  doit  son  existence  au  pas- 
sage 2  Rois  16,6,  où  il  est  dit  que  Retsin,  roi  d'Aram,  recouvra 
Elath  et  expulsa  les  Juifs,  et  que  les  Arômim  (faute  pour  Edômim) 
rentrèrent  à  Elath  et  s'y  établirent.  A  la  vérité,  le  Keri  corrige 
Arômim  par  Edômim,  et  le  P.  S.  nomme  aussi  leur  pays  'I^o'ju.ata, 
mais  ce  n'est  là  qu'une  'Asojaaîa  déguisée  ;  car  on  ne  considérait 
pas  le  Chetib  de  l'Écriture  comme  une  simple  faute  de  copie.  Il 
semble  que  cet  Édom  mystique  ait  pris  naissance  au  moment  où  les 
Hérodes  iduméens  régnaient  en  Palestine  comme  vassaux  et  alliés 
des  Romains,  et  où  l'ennemi  héréditaire  de  Damas  avait  été  assez 
oublié  depuis  longtemps  pour  que  les  Arômim  pussent  être  hardi- 
ment transformés  en  Rômim  (Romains).  Ce  fait  qui  serait  de  nos 
jours  fort  propre  à  embrouiller,  puisque  les  Araméens,  les  Romains 
et  même  les  Arméniens  sont  tour  à  tour  ici  confondus  les  uns  avec 
les  autres,  l'était  beaucoup  moins  pour  des  gens  qui  ne  connais- 
saient pas  l'histoire,  qui  n'avaient  point  d'échelle  pour  mesurer  les 
distances  de  temps  et  d'espace,  parce  que  la  chronologie  et  la  géo- 
graphie leur  étaient  étrangères,  et  pour  qui  il  ne  s'agissait  que  de 
simples  noms,  qui  se  laissaient  facilement  ramener  sous  une  dénomi- 
nation générale.  —  Is  abû  Biim  était  le  nom  du  père  commun  de 
tous  les  ennemis  d'Israël.  Et  si  Job  a  été  rattaché  à  cet  ennemi, 
cela  vient  de  ce  qu'il  appartenait  au  peuple  araméen  de  Us.  Dans 
l'histoire  de  Jérusalem  de  Mugir  ed-din  on  lit  :  «  Job  appartenait 
au  peuple  des  Romains,  car  il  descendoit  d'Is  et  la  province  da- 
mascène  de  la  Batanée  était  sa  possession.  » 


74  LE  PAYS  D'UZ 

sitis  sur  laquelle  il  régnait  ne  se  trouve  pas  en 
Édom,  mais  c'est  la  Batanée.  Et  quand  le  P.  S. 
place  l'Ausitis  dans  les  frontières  de  VIdumée  et  de 
l'Arabie  ' ,  il  veut  dire  qu'elle  se  trouve  aux  frontières 
ou  à  l'intérieur  des  frontières  de  l'Aramée  et  de  la 
Provincia  Arahiœ,  c'est-à-dire  en  Batanée.  Il  faut 
donc  y  transporter  Jobab  et  toute  sa  parenté. 

Origène  l'entendait  bien  ainsi  lorsqu'il  disait  dans 
ses  Homélies  sur  Job  :  Le  livre  du  MenJteureux  Job^ 
écrit  d'' abord  en  syriaque^  dans  V Arabie  où  il  habi- 
tait ',  passage  où  il  a  en  vue  ces  mots  du  P,  S.  :  Ce 
livre  est  traduit  du  livre  si/riaque  ' . 

L'Arabie  où  il  place  Job  est  la  même  qu'Eusèbe 
nomme  rj  xSu  Baravacloc.  Cette  manière  de  comprendre 
le  P.  S.  doit  avoir  été  générale  alors,  puisqu'on  don- 
nait comme  origine  du  nom  de  Bostra,  la  métropole 
du  Hauran,  le  nom  de  la  mère  de  Job,  Bosora  (du 
P.  S.)*. 

C'est  ainsi  que,  grâce  à  la  tradition  juive  antérieure 
au  christianisme  qui  voit  dans  les  Araméens  de  Da- 
mas le  peuple  de  Uz,  nous  avons,  dit  M.  Wetzsteiu, 
un  fil  conducteur  qui  nous  permet  de  nous  retrouver 
à  travers  tous  ces  contre-sens. 

Dans  les  relations  des  pèlerins  occidentaux  et  au 
temps  des  croisades,  on  voit,  par  suite  d'une  fausse 
interprétation  de  la  tradition  de  l'Église  orientale, 

*  Beati  Job  scriptura  primum  quidem  in  Arabia  syriacc  scripta, 
uhi  et  habitabat. 

3  OÛTo;  ipu-eveûerat  ïx,  t'^;  îuptay.'À;  pî^Xcu. 

*  BoGTîa  ÈTTtôv'ju-ûî  ouira  Bijiropa;   Tri;  aTiTpb;  tcj  ÔEij-saîo'j  hôfi  (Syiiode 

(le  Bostra,  troisième  siècle). 


KT  LK  COUVRNT  DR  JOB.  /O 

ridumée  biblique  elle-même  confondue  avec  le  pays 
de  Damas  *. 

Récemment  encore,  dit  notre  auteur  en  terminant, 
un  homme  des  plus  compétents  en  archéologie  bibli- 
que a  soutenu  que  le  pays  d'Us  était  vraisemblable- 
ment situé  au  sud-est  de  la  Palestine,  et  que  la  pré- 
tention défaire  du  Hauran  la  patrie  de  Job,  malgré 
sa  haute  antiquité,  paraissait  n'avoir  que  peu  de 
poids  ;  que,  même  si  le  cloître  de  Job  remontait  aux 
premiers  siècles  après  Jésus- Christ,  on  savait  com- 
bien peu  il  allait  faire  de  fond  sur  les  traditions  de 
moines;  qu  v.'i  ne  pouvait  douter  qu'alors  le  nom  d'Uz 
n'eût  disparu  depuis  longtemps.  —  A  ces  assertions 
M.  Wetzstein  répond  en  reprenant  ses  précédentes 
affirmations,  savoir,  que  cette  prétention  et  l'érection 
du  cloître  se  basent  sur  une  tradition  qui  remonte  à 
un  temps  antérieur  au  christianisme,  oii  le  nom  de 
Us  n'avait  peut-être  pas  encore  complètement  dis- 
paru, et  il  met  en  demeure  ceux  qui  tiennent  pour 
vraisemblable  la  position  de  l'Ausitis  au  sud-est  de 
la  Palestine,  d'en  fournir  au  moins  une  raison  plau- 
sible. 

Alex.  Lombard. 

*  Ainsi  Job.  Wirzburgonsis  dit  :  —  «  Arabia  jungitur  Idinncrain 
finihis  Bostron.  Idumœa  est  terra  Damasci.  Idumœam  et  Phœniciam 
dividit  Lihanus.  Damascinn  hahitavit  Esati,  qui  et  Seir  et  Edom.  Est 
aiitem  j)a?'s  ilUus  ttrne  Us,  ex  qua  heatiis  Job;  in  qita  et  Tliema,  me- 
tropolis  in  Idumcca.  Ex  Tliema,  EJiphns  Tliemanites.  In  Idwmea 
mons  Seir,  sub  quo  Damascus.  » 


MEMOIRES 


MÉMOIRES,  T.   XVI,    187 7. 


L'OCÉAN  ATLANTIQUE 


CHAPITRE  XXIY 

(Suite) 
Côtes    Scandinaves. 

La  Suhle  est  loin  d'avoir  un  littoral  aussi  profon- 
dément découpé  que  la  Norwége.  La  côte  présente  des 
sinuosités  sans  nombre,  de  petits  golfes,  des  baies; 
mais  on  n'y  trouve  plus  ces  longs  bras  de  mer  qui  font 
un  port  d'une  ville  intérieure.  Les  estuaires  des  fleu- 
ves creusent  le  rivage  et  sont  parsemés  de  ports  nom- 
breux dont  la  plupart,  surtout  au  Nord,  ne  sont  que 
des  bourgades  de  pêcheurs.  —  Les  chaînons  des  Al- 
pes Scandinaves  ne  venant  jamais  errer  jusqu'à  la 
côte,  les  falaises  norwégiennes  ne  se  retrouvent  pas 
ici.  Les  cultures,  les  champs,  les  landes  sablonneuses 
bordent  la  mer  de  pentes  douces,  car  les  lieux  situés 
à  plus  de  40  kilomètres  du  bord  ne  sont  pas  à  100 
mètres  au-dessus  de  l'océan.  Les  lagunes  côtières, 
formées  par  les  fleuves  et  s'allongeant  dans  leur  di- 
rection, communiquent  avec  la  mer  par  des  détroits 
navigables.  Mais  ce  qui  rend  souvent  la  navigation 
périlleuse  sur  ces  côtes,  ce  sont  les  innombrables 
écueils  dont  elles  sont  bordées,  écueils  signalés  ce- 
pendant avec  exactitude  sur  les  cartes  nautiques. 


80     .  l'océan  atlantique. 

Un  fait  qui  a  beaucoup  préoccupé  les  savants,  c'est 
le  mouvement  d'oscillation  auquel  sont  soumises  les 
côtes  Scandinaves.  Sir  Roderick  Murcliison,  le  pro- 
fesseur Keilhau  de  Christiania,  MM.  Bravais,  de 
Bucli,  Lyell,  Desor,  Martins,  et  d'autres  savants  de 
premier  ordre,  ont  contribué  à  élucider  cette  ques- 
tion si  controversée. 

M.  Bravais,  qui  étudia  particulièrement  l'Altenf- 
jord,  à  l'extrémité  nord  de  la  presqu'île,  reconnut, 
au  moyen  de  recherches  à  la  fois  minutieuses  et  ingé- 
nieuses, les  anciennes  lignes  de  niveau  de  la  mer,  et 
constata  qu'elles  se  trouvaient  à  une  hauteur  notable 
au-dessus  du  niveau  actuel. 

A  Tromsoë,  à  Trondhjem,  les  mêmes  faits  se  pré- 
sentent. 

A  Christiania,  des  espèces  d'animaux  qu'on  re- 
trouve encore  vivantes  dans  les  eaux,  se  montrent 
fossiles  à  50  mètres  au-dessus  de  la  mer.  M.  Keilhau 
croit  que  la  Norwége  a  subi  un  mouvement  d'émer- 
gence avant  l'époque  historique,  et  que  ce  mouvement 
n'est  que  de  3  mètres  depuis  cette  époque. 

La  côte  orientale  de  la  Suède  se  soulève  aussi,  mais 
d'une  manière  lente,  progressive,  et  surtout  depuis 
l'époque  historique.  C'est  à  Gèfle,  au  nord  d'Upsal, 
que  l'émersion  est  la  plus  rapide;  elle  est  de  60  à  90 
centimètres  par  siècle.  A  Calmar,  le  pied  du  château, 
qu'on  avait  fondé  sous  l'eau  il  y  a  quatre  siècles,  est 
actuellement  à  1  mètre  au-dessus  de  la  mer.  A  Stock- 
holm, à  Gèfle,  on  retrouve  très-éloignés  de  la  rive 
d'anciens  cordons  littoraux  formés  de  sables,  d'ar- 
gile, de  blocs  erratiques^  de  coquilles,  appelés  oesars. 
Ils  recèlent  quelquefois  des  débris  d'ouvrages  de  la 
main  des  hommes.  En  outre,  les  lignes  de  niveau  que 


l'océan  ATLANTIQUE.  81 

r Académie  des  sciences  de  Stockholm  avait  fait  gra- 
ver eu  1820,  se  trouvent  actuellement  ù  1  décimètre 
au-dessus  de  l'eau. 

A  OregTund,  à  Loefgrundet,  à  Abo,  on  retrouve 
encore  les  traces  d'un  soulèvement  du  sol. 

Tous  ces  faits  ont  permis  à  ^I.  Desor  d'établir  une 
loi  concernant  le  soulèvement  de  la  Scandinavie.  Xous 
l'extrayons  d'un  mémoire  publié  par  M.  Jules  Marcou 
dans  la  Bibliothèque  universeUc  du  15  juin  1847. 
Cette  notice  est  le  résumé  d'une  leçon  de  ]M.  Charles 
Martins  sur  les  anciennes  lignes  de  niveau  de  la  mer. 

«  La  Scandinavie  a  été  soumise  à  trois  mouvements 
principaux ,  qui  correspondent  aux  principales  phases 
de  la  période  diluvienne  : 

V  Un  premier  soulèvement,  pendant  lequel  le  sol 
était  plus  exondé  que  maintenant,  —  c'est  l'époque 
que  MM.  Agassiz  et  de  Charpentier  ont  appelée  épo- 
que glaciaire  ; 

2"  Un  affaissement  général  qui  a  amené  la  mer 
jusqu'au  pied  des  hautes  montagnes  qui  se  trouvent 
tout  à  fait  dans  l'intérieur  de  cette  presqu'île  ; 

3"  Enfin,  le  soulèvement  de  ces  parties  immergées, 
soulèvement  qui  se  poursuit  encore  actuellement  sous 
nos  yeux,  et  qui  a  produit  la  formation  des  oesars.  » 

Contrairement  à  ce  qui  se  passe  au  nord  et  au  cen- 
tre de  la  grande  presqu'île,  la  Scanie,  au  sud,  de  Go- 
thembourg  à  Calmar,  présente  des  signes  manifestes 
d'un  affaissement.  Ainsi,  à  IMalmo  la  marée  envahit 
de  plus  en  plus  les  rues  et  les  places  de  la  ville. 

On  pense  donc  aujourd'hui  que  la  Scandinavie  su- 
bit un  mouvement  d'oscillation  autour  d'une  ligne  ti- 
rée de  Calmar  à  Gothembourg  comme  axe.  Le  Xord 
s'élève  et  le  Sud  s'abaisse. 


82  l'océan  atlantique. 


CHAPITRE  XXV 


Côtes  de  la  Russie,  de  l'Allemagne, 
du  Danemark,  des  Pays-Bas  et  de  la  Belgique. 

La  Russie  possède,  sur  la  Baltique,  des  rivages 
tristes  et  bas,  qui  ne  présentent  que  quelques  points 
pittoresques.  Les  côtes  des  îles  d'Abo  et  d'Aland 
dans  le  golfe  de  Bothnie,  ont  la  même  apparence. 
Les  myriades  de  petites  îles,  de  rochers,  d'écueils, 
de  bas-fonds  qui  bordent  ce  golfe,  ainsi  que  les  gla- 
ces dont  il  est  obstrué  pendant  une  grande  partie  de 
l'année,  y  rendent  la  navigation  difficile  et  l'établis- 
sement de  ports  presque  impossible. 

Le  golfe  de  Finlande^  de  570  kilomètres  de  lon- 
gueur, présente  un  plus  grand  nombre  de  ports  con- 
sidérables; sa  côte  septentrionale  est  très-découpée 
en  baies,  et  bordée  d'une  infinité  d'îlots  et  d'écueils, 
tandis  que  la  côte  méridionale  a  des  baies  plus  pro- 
fondes et  moins  de  récifs.  Le  fond  du  golfe  présente 
la  baie  de  Kronstadt,  oi^i  se  trouve  l'embouchure  de 
la  Neva.  Là^  s'est  formée,  par  une  profondeur  qui 
ne  dépasse  pas  3  mètres  d'eau,  une  barre  due  à  la 
fréquence  des  vents  et  aux  lames  de  fond  qui  accu- 
mulent les  sables. 

Enfin,  plus  au  sud,  le  golfe  de  Livonie  est  très- 
fréquenté,  parce  que  sa  navigation  est  sûre  malgré 
les  bancs  de  sable  (pii  en  obstruent  l'entrée,  et  qu'il 
ne  gèle  que  rarement. 

\i' Allemagne  ne  semble  pas  destinée  à  un  grand 
mouvement  maritime;  du  moins  les  rivages  qu'elle 


l'océan  atl/ntique.  83 

possède  sur  la  Baltique  le  font  présumer.  —  Qu'on  se 
ligure  une  plaine  immense  et  marécageuse,  oîi  le  cours 
lent  et  tortueux  des  fleuves  se  termine  par  un  delta, 
un  nombre  restreint  de  ports  dans  la  rade  desquels 
les  navires  pénètrent  à  grand'peine  par  les  étroits 
chenaux  qui  sillonnent  les  bancs  de  sable  dont  la  côte 
est  bordée,  et  l'on  se  fera  une  idée  du  littoral  de  la 
Basse- Allemagne. 

Si  l'on  ajoute  à  cela  une  mer  peu  profonde,  sujette 
à  des  coups  de  vents,  et  gelée  pendant  une  partie  de 
l'année,  on  pourra  prédire  que  les  ports  tant  militai- 
taires  que  commerciaux,  ne  s'y  établiront  que  diffici- 
lement. 

Le  vent  du  Nord-Est,  qui  souffle  d'une  manière 
presque  continue,  atteint  quelquefois  une  puissance 
telle,  qu'il  pourrait  causer  des  inondations  dangereu- 
ses, sans  les  dunes  et  les  digues  qu'on  trouve  particu- 
lièrement dans  le  Slesvig-Holstein.  Malgré  cela,  de 
1044  à  1309,  les  côtes  de  la  Poméranie  subirent 
d'affreuses  irruptions  de  la  mer.  Il  en  fut  de  même 
souvent. 

Les  baies  les  plus  curieuses  sont  celles  du  Fri- 
sches-Haff  et  du  Kurisches-Haff,  séparées  de  la  haute 
mer  par  d'étroites  presqu'îles  sablonneuses  qui  lais- 
sent entre  elles  et  le  continent  un  passage  souvent 
dangereux. 

Le  Frisches-Haff,  de  80  kilomètres  de  longueur 
sur  8  à  16  de  largeur,  communique  avec  la  Balti- 
que par  un  canal  appelé  Gatt  qui  n'a  que  4  mètres 
de  fond.  La  flèche  sablonneuse  qui  le  borne  au  nord 
s'appelle  Frische-Nehrung. 

Le  Kurisches-Haff,  dune  égale  longueur  mais  d'une 
largeur  double,  a  la  même  profondeur.  La  Kurische- 


84  l'océan  atlantique. 

Nehrimgle  sépare  de  la  haute  mer.  Des  coups  de  vent 
terribles  assaillent  les  bateaux  qui  seuls  osent  s'y  ha- 
sarder. 

Le  Pommersches-Haff  ou  Stettiner-Haff  a  une  su- 
perficie égale  à  la  moitié  de  celle  du  Frisches-Haff  et 
la  même  apparence. 

L'île  allemande  de  Kugen  présente  un  littoral  sem- 
blable à  celui  du  continent.  Le^  eaux  font  des  inva- 
sions terribles  lorsque  les  tempêtes  du  nord  se  déchaî- 
nent dans  ces  parages,  et  l'on  raconte  qu'en  1309 
elles  séparèrent  de  Rugen  la  petite  île  de  Ruden  qui 
en  faisait  partie,  et  qui  en  est  actuellement  distante 
de  plus  de  six  kilomètres. 

Les  côtes  allemandes  de  la  mer  du  Nord  ont  un  as- 
pect analogue  aux  rivages  baltiques.  Encore  et  tou- 
jours des  îlots,  des  bancs  de  sables  longeant  la  rive, 
un  territoire  bas  et  sablonneux,  une  mer  souvent  ora- 
geuse, à  peine  retenue  par  les  nombreuses  digues  que 
l'homme  a  pris  soin  de  construire  dans  les  endroits 
les  plus  menacés.  Les  digues  et  les  dunes  ne  l'ont  pas 
empêchée  de  s'étendre  au  loin  dans  les  terres,  et  c'est 
un  triste  spectacle  que  de  voir,  lors  de  fortes  marées, 
l'océan  transformer  en  lagunes,  en  lacs,  des  territoi- 
res entiers.  Il  fait  alors  des  conquêtes  terribles,  qui 
coûtent  aux  hommes  leurs  champs,  leurs  trésors,  et 
ce  n'est  qu'après  des  efforts  inouïs  qu'ils  peuvent  re- 
prendre un  lopin  de  terre  sur  leur  ennemi  dévorant 
et  toujours  actif.  Que  de  luttes,  que  d'angoisses,  que 
de  misères  la  mer  ne  cause-t-elle  pas  ?  Quelle  doit 
être  l'inquiétude  du  pêcheur  lorsque  le  bruit  sourd  des 
flots,  déferlant  sur  la  plage,  devient  de  plus  en  plus 
menaçant?  Emporteront-ils  ou  respecteront-ils  sa  ca- 
bane, sa  seule  richesse?  Telle  est  la  question  poi- 


l'océan  ATLANTIQUt:.  85 

guante  qui  se  présente  à  sou  esprit.  Et  pourtant  il 
Taime.  cette  mer  terrible;  il  l'aime,  cette  plage  inon- 
dée ;  lïnsulaire  chérit  son  île  lors  même  qu'il  la  sent 
minée  par  les  flots  jusque  dans  ses  fondements.  Il  y 
reste,  il  l'habite  encore,  jusqu'au  moment  de  la  terri- 
ble catastrophe,  alors  qu'en  un  jour,  en  une  heure 
même,  l'îlot  disparaît  devant  la  vague  envahissante 
qui  ne  respecte  rien.  Cest  ainsi  que  beaucoup  de  pe- 
tites îles  disparaissent  de  nos  cartes,  c'est  ainsi 
que  d'autres  plus  grandes  s'amoindrissent,  sans  cesse 
rongées  par  l'indomptable  agent  destructeur. 

En  l'an  800,  la  mer  emporta  une  grande  partie  de 
l'île  anglaise  d'Helgoland.  En  1300,  1500,  1649,  de 
violents  orages  enlevèrent  encore  des  portions  de 
cette  île,  que  les  flots  sapent  journellement. 

En  1240,  la  côte  occidentale  du  Sleswig  fut  modi- 
fiée par  l'eôet  d'une  eôroyable  tempête,  et  le  détroit 
qui  la  séparait  de  l'île  de  Nordstrand  s'élargit  consi- 
dérablement. En  1634,  la  mer  transforma  cette  île 
fertile  et  prospère  en  trois  petit  îlots  nommés  Pel- 
worm,  Xordstrand  et  Liitje-Moor.  L'on  raconte  même 
qu'elle  détruisit  plus  de  1300  maisons  et  églises,  et 
fit  périr  6408  personnes  et  50,000  têtes  de  bétail. 

De  1277  à  1287,  le  territoire  de  Reiderlandes  fut 
envahi  par  la  mer  qui  détruisit  la  ville  de  Torum,  50 
villages  et  couvents,  et  forma  le  golfe  actuel  du  Dol- 
lart. 

La  côte  occidentale  du  Jutland  est  très-basse  et 
sujette  aux  invasions  de  la  mer.  Des  digues  et  des 
dunes  la  bordent.  iVutrefois  ces  remparts  étaient  peu 
solides  et  les  inondations  très-fréquentes,  mais  on  a 
fortifié  les  digues  et  ensemencé  les  dunes  ;  cependant 
actuellement,  les  navires  qui  essuyent  les  terribles 


8!)  l'océan  atlantique. 

tempêtes  de  la  mer  du  Nord  ne  trouvent  aucun  abri 
dans  les  ports  ensablés  qu'on  rencontre  de  loin  en  loin. 

Au  Nord  de  la  presqu'île  on  reconnaît  les  empiéte- 
ments de  l'océan.  Des  maisons  englouties,  des  arbres 
submergés,  des  marais  salés  qui  bordent  la  rive  sem- 
blent démontrer  qu'elle  s'affaisse.  Mais  M.  Jules  Car- 
ret,  dans  son  ouvrage  sur  le  Déplacement  polaire^  sou- 
tient que  ces  preuves  sont  réfutables;  et,  dit-il,  au 
contraire,  les  amas  de  débris  de  repas  d'hommes  vi- 
vant avant  l'âge  du  bronze  sont  encore  à  plusieurs 
pieds  au-dessus  de  la  mer. 

La  partie  septentrionale  du  Jutland  fut  plusieurs 
fois  séparée  du  continent,  mais  après  quelque  temps 
la  mer  délaissait  sa  conquête.  Cependant,  en  1825, 
un  nouvel  envahissement  eut  lieu,  et  depuis  ce  mo- 
ment le  Lymfjord  communique  définitivement  avec  la 
mer  du  Nord.  L'isthme  devint  un  détroit. 

La  côte  orientale  est  meilleure  que  la  côte  occi- 
dentale, quoiqu'elle  soit  de  même  basse  et  sablon- 
neuse. 

Les  îles  de  la  Baltique  qui  appartiennent  au  Dane- 
mark présentent  le  même  aspect,  sauf  celle  de  Born- 
holm,  qui  est  assez  escarpée. 

Les  Farôer  et  l'Islande  sont  bordées  de  falaises 
très-hautes.  Leur  côte  est  découpée  en  golfes  pro- 
fonds. 

Les  Pays-Bas  appartiennent  autant  à  la  mer  qu'à 
la  terre.  C'est  un  pays  de  transition  qui  était  couvert 
dans  l'antiquité  de  forêts  épaisses,  de  lagunes,  de 
marais  fangeux,  dont  jamais  la  voix  du  pêcheur  ne 
troublait  la  solitude.  Tout  était  silence  et  mort.  Peu 
à  peu  le  pays  se  peupla,  se  défriclia.  Pour  se  défen- 
dre contre  les  assauts  delà  mer,  on  fit  d'abord  des  di- 


l'océan  atlantique.  87 

gues  en  terre.  ^lais  ces  constructions  légères  ne  suf- 
fisant pas,  on  dut  aller  chercher  au  loin  le  roc  qui 
manquait  aux  Pays-Bas;  on  fit  des  écluses  qui  s'ou- 
vrent à  la  basse  mer  pour  laisser  couler  les  fleuves,  et 
se  ferment  à  la  haute  mer;  on  mit  à  profit,  par  des 
plantations  de  bruyères,  de  joncs,  de  roseaux,  la 
cliaîne  de  dunes  qui  borde  l'océan  de  l'embouchure 
de  la  Meuse  au  Helder.  Mais  que  de  fois  les  espé- 
rances furent  déçues,  que  de  fois  la  mer  envahit  des 
territoires  qu'on  s'était  plu  à  regarder  comme  inatta- 
quables ! 

Les  années  1287  et  1421  furent  particulièrement 
néfastes,  car  c'est  alors  que  se  forma  le  Zuider-Zée. 
Jadis  on  remarquait,  à  la  place  du  golfe  actuel,  un 
lac  d'où  s'échappait  une  rivière  aux  méandres  nom- 
breux. Le  lac  et  le  fleuve  portaient  le  nom  de  Flevo. 
Mais  à  la  suite  de  terribles  irruptions  de  la  mer, 
lorsque  celle-ci  eut  emporté  les  digues  et  réuni  le  lac 
au  domaine  de  l'océan,  il  se  forma  un  golfe  vaseux 
de  100  kilomètres  de  longueur  sur  40  de  largeur. 
L'ancienne  limite  de  l'océan  peut  être  facilement  re- 
connue dans  la  chaîne  des  petites  îles  basses  qui  joi- 
gnent le  Helder  à  l'embouchure  du  Weser. 

On  formerait  un  long  catalogue  des  inondations 
qu'ont  éprouvées  les  Pays-Bas  dans  le  cours  des  siè- 
cles. Qu'il  suffise  de  donner  quelques  dates  : 

En  1337,  la  mer  détruit  quatorze  villages  dans 
l'île  de  Kadzand,  dans  la  Zeelande.  Cette  même  île 
vit  souvent  ses  digues  emportées,  et  particulièrement 
entre  1703  et  1746. 

En  1421,  une  inondation  cause  la  ruine  de  vingt- 
deux  villages  dans  le  Bergseweldt  et  forme  le  Bies- 
bosch. 


88  l'océan  atlantique. 

Del530àl532,la  ville  de  Kortgene,  dans  l'île 
de  Nord-Beveland,  dans  la  Zeelande,  est  renversée 
par  la  mer,  et  l'île  de  Sud-Beveland  voit  sa  partie 
orientale  emportée  avec  plusieurs  villages. 

En  1570,  une  tempête  détruit  la  moitié  du  village 
de  Sclieveningen,  au  nord-ouest  de  La  Haye. 

Mais  ces  ravages  terribles,  dira-t-on,  doivent  être 
de  jour  en  jour  moins  considérables  par  suite  de  la 
puissance  et  du  génie  toujours  croissants  de  l'homme. 
Il  n'en  est  pas  ainsi  cependant.  —  En  1876,  on  a  vu 
la  mer  menacer  la  ville  d'Amsterdam,  et  ravager  toute 
la  plaine  qui  se  trouve  au  sud  du  Zuider-Zée.  Aussi 
doit-on  comprendre  les  soins  continuels  donnés  à  l'en- 
tretien des  digues  et  des  écluses.  Qu'on  nous  per- 
mette à  ce  sujet  de  citer  les  lignes  suivantes,  tirées 
d'un  ouvrage  sur  la  Hollande  de  M.  E.  de  Amicis, 
écrivain  italien  * . 

«  La  Hollande  est  une  forteresse,  et  le  peuple  hol- 
landais y  demeure  comme  dans  un  fort,  toujours  sur 
le  pied  de  guerre  avec  son  ennemi,  la  mer.  Une  ar- 
mée d'ingénieurs,  sous  les  ordres  du  ministre  de  l'in- 
térieur, est  éparpillée  sur  la  contrée  et  commandée 
miHtairement  pour  surveiller  l'ennemi,  veiller  sur  le 
régime  des  eaux  intérieures,  prévenir  la  rupture  des 
digues,  ordonner  et  diriger  les  travaux  de  défense. 
Les  frais  de  cette  guerre  sont  partagés  :  une  partie 
regarde  l'Etat,  une  autre  partie  les  provinces  ;  tout 
propriétaire  paie,  outre  l'impôt  général,  un  impôt  spé- 
cial pour  les  digues  en  proportion  de  retendue  de  sa 
propriété  et  de  son  voisinage  de  Feau.  Un  accident, 
une  rupture  imprévue,  une  imprudence,  peuvent  oc- 

^  Traduction  inédite  de  M.  F.  de  Morsier. 


l'océan  ATI-ANTIQUE.  89 

casionner  un  déluge  ;  le  danger  est  continuel,  les  sen- 
tinelles sont  à  leur  poste  sur  le  rempart  ;  à  la  pre- 
mière menace  de  la  mer  ils  poussent  le  cri  de  guerre, 
et  la  Hollande  envoie  bras,  matériaux  et  argent,  et 
même  quand  il  n'y  a  pas  de  grandes  batailles  livrées 
règne  un  état  de  guerre  sourde  et  lente.  D'innombra- 
bles moulins,  même  sur  les  lacs  desséchés,  continuent 
à  travailler  sans  trêve  pour  épuiser  et  verser  dans  les 
canaux  l'eau  de  pluie  et  celle  qui  sourd  du  sol.  Cha- 
que jour  les  écluses  des  golfes  et  des  fleuves  ferment 
leurs  portes  gigantesques  à  la  haute  marée  qui  essaie 
de  lancer  ses  flots  au  cœur  du  pays.  On  travaille  con- 
tinuellement à  renforcer  les  digues  précaires,  à  for- 
tifier les  dunes  avec  des  plantations,  à  fonder  et  à 
élever,  là  où  les  dunes  sont  basses,  de  nouvelles  di- 
gues dirigées  en  droite  ligne  contre  le  sein  de  la  mer 
pour  en  rompre  les  premiers  assauts  ;  et  la  mer  frappe 
éternellement  aux  portes  des  fleuves,  murmure  par- 
tout des  menaces,  soulève  ses  flots  curieux  comme 
pour  regarder  la  terre  qu'on  lui  dispute,  amoncelle 
des  bancs  de  sable  devant  les  ports  pour  tuer  le  com- 
merce de  la  cité  invisible,  ronge^  lime  ses  côtes,  et 
ne  pouvant  renverser  les  boulevards  contre  lesquels 
elle  épuise  ses  efforts  inutiles  en  lames  d'écume  fu- 
rieuses, elle  jette  à  leur  pied  des  bâtiments  pleins  de 
cadavres,  pour  qu'ils  annoncent  aux  côtes  rebelles 
son  courroux  et  son  pouvoir.  * 

En  présence  d'un  tel  danger,  on  peut  se  figurer  les 
sommes  énormes  dépensées  pour  l'entretien  des  tra- 
vaux de  défense,  ainsi  que  les  dimensions  de  ces  tra- 
vaux.—  M.  de  Amicis  cite  par  exemple  la  Zeelande, 
où  les  digues  présentent  une  longueur  de  400  kilomè- 
tres; Tîle  de  AValchereu,  qui  possède  sur  la  côte  oc- 


90  l'océan  ATLAiNTIQUE. 

cideiitale  une  digue  dont  les  frais  de  construction,  en 
y  ajoutant  les  frais  d'entretien,  ont  été  estimés  à  une 
somme  égale  à  la  valeur  qu'aurait  la  digue  elle-même 
en  supposant  qu'elle  fût  d'argent  massif;  le  Helder, 
ceint  d'une  digue  de  10  kilomètres  de  longueur,  qui 
s'enfonce  de  plus  de  60  mètres  sous  la  mer. 

Les  nombreuses  îles  situées  à  l'embouchure  du 
Pthin,  de  la  Meuse  et  de  l'Escaut,  sont  particulière- 
ment menacées,  car  la  mer  y  cause  sans  cesse  des 
inondations.  Aussi  pense-t-on  que  ces  îles  sont  soumi- 
ses à  une  lente  dépression. 

La  Hollande  ne  se  contente  pas  de  lutter  avec  la 
mer;  elle  lui  ravit  des  territoires,  elle  dessèche,  elle 
épuise  des  lacs,  des  golfes,  rend  cultivables  d'ancien- 
nes lagunes,  et  ce  ne  sont  pas  les  terres  les  moins  ri- 
ches, ces  polders  que  la  patience  et  le  génie  de 
l'homme  ont  conquis  sur  l'océan.  On  dessèclie  le  Bies- 
bosch,  et  depuis  longtemps  la  mer  de  Haarlem  ne  li- 
gure plus  sur  nos  cartes. 

Dernièrement  encore,  on  a  soumis  aux  Chambres 
hollandaises  le  projet  de  rendre  au  continent  la  plus 
grande  partie  du  Zuider-Zee.  Les  études  sont  déjà 
commencées,  et  Ton  peut  espérer  que  la  constance 
des  Hollandais  saura  mener  à  bien  cette  œuvre  gigan- 
tesque. 

Moins  menacés  que  les  côtes  de  la  Hollande,  les 
rivages  belges  nécessitent  néanmoins  une  surveillance 
continuelle.  La  longue  ligne  de  dunes  qui  les  borde 
n'est  pas  une  barrière  assez  puissante  pour  contenir 
l'océan.  Du  reste,  ces  côtes  presque  rectilignes,  de 
70  kilomètres  de  longueur,  ne  sont  pas  pourvues  de 
bons  mouillages.  Les  ports  de  commerce  importants 
sont  plutôt  situés  dans  l'intérieur,  sur  les  rives  des 


l'océan  atlantique.  91 

neuves  navigables,  dont  la  Hollande  et  la  Belgique 
sont  abondamment  favorisées. 


CHAPITRE  XXYI. 

Côtes  des  Iles-Britanniques,  de  la  France,  de 
l'Espagne  et  du  Portugal. 

«  Les  côtes  0^ Angleterre  '  présentent  à  la  mer  un 
front  inégal  :  tantôt  elles  se  creusent  en  baies  profon- 
des, tantôt  elles  s'étendent  en  vastes  promontoires. 
Ici,  le  flot  vient  mourir  sur  le  sable  fin  d'une  grève 
sans  écueils  ;  plus  loin  des  bancs  de  craie  s'élèvent  à 
pic  du  sein  des  flots,  ou  des  roches  noires  et  informes 
dressent  leurs  têtes  couronnées  d'algues  vertes.  En 
quelques  endroits  la  rive  dessine  sur  les  ondes  sa  si- 
lhouette capricieuse,  déchiquetée  en  petites  anses  et 
en  pointes  bizarres,  comme  les  dents  d'une  scie  ébré- 
chée.  » 

Les  rives  de  l'Angleterre  appellent,  pour  ainsi 
dire,  les  vaisseaux.  Nulle  part  le  monde  ne  présente 
une  terre  plus  propice  à  la  navigation.  Là  sont  réunis 
tous  les  avantages  que  la  nature  peut  offrir  à  l'homme. 
Point  de  delta  dont  les  bas-fonds  arrêtent  la  marche 
du  navigateur,  mais  des  estuaires  nombreux  et  lar- 
ges au  moyen  desquels  les  navires  peuvent  venir  dé- 
poser leur  cargaison  au  sein  même  d'une  ville  manu- 
facturière; pas  de  côtes  droites  sans  baies,  sans  abris 
et  par  conséquent  sans  ports,  mais  partout  des  fîrths, 
des  lochs,  c'est-à-dire  des  golfes  ramifiés  sur  les  riva- 

^  Univers  pittoresque.  Angleterre,  par  Gallibert  et  Pelle. 


92  l'océan  atlantique. 

ges  desquels  le  commerce  s'établit  ;  partout  une  mer 
profonde,  peu  d'écueils.  Voilà  ce  qui  distingue  l'An- 
gleterre entre  toutes  les  régions  maritimes. 

C'est  la  côte  orientale  qui  présente  le  moins  d'avan- 
tages aux  marins.  La  mer  du  Nord,  souvent  mau- 
vaise, déferle  avec  force  contre  les  dunes  et  les  pla- 
ges basses.  Large  de  sept  kilomètres  à  Sheerness, 
l'estuaire  de  la  Tamise ,  quoique  encombré  de  bancs 
de  sable,  a  une  navigation  sûre  parce  que  les  nom- 
breux phares  indiquent  aux  navigateurs  les  bas-fonds 
à  redouter  et  les  passes  qu'il  faut  suivre.  Au  Sud  se 
trouvent  les  bancs  de  sable  de  Goodwin,  si  redoutés 
des  matelots  ;  au  Nord,  les  côtes  assez  élevées  sont  bor- 
dées de  dunes,  mais  la  faible  profondeur  du  golfe  du 
Wash  et  les  marécages  empêchent  les  ports  de  s'éta- 
blir. 

Ces  marécages  se  rencontrent  encore  plus  au  Nord 
et  les  travaux  d'endiguement  sont  nécessaires  ;  mais 
après  l'estuaire  de  l'Humber  les  rivages  vaseux  font 
place  aux  collines, aux  montagnes,  et  la  mer  y  devient 
profonde,  de  sorte  qu'à  partir  de  l'embouchure  de  la 
Tweed  la  côte  (ï Ecosse  perd  le  caractère  rectiligne 
et  se  creuse  en  découpures  profondes.  Les  golfes  du 
Forth,  du  Tay,  de  Murray,  de  Dornoch  sont  les  prin- 
cipaux. Au  Nord,  du  cap  Duncansby  au  cap  Wrath, 
le  paysage  côtier  devient  hérissé  de  pointes  graniti- 
ques, et  ce  caractère  s'accentue  encore  davantage 
sur  la  côte  occidentale,  qui  rappelle  la  Norwége  par 
ses  golfes,  ses  falaises  et  ses  myriades  de  petites  îles. 

Les  côtes  anglaises  de  l'Ouest  présentent  le  même 
aspect  mais  à  un  moindre  degré;  bordées  par  les 
monts  du  Cumberland  et  plus  au  Sud  par  les  monta- 
gnes du  Pays  de  Galles,  elles  sont  de  même  mon- 


l'océan  atlantique.  93 

tueuses,  abruptes  et  découpées.  Le  spacieux  canal 
de  Bristol  est  bordé,  au  Sud.  de  plages  basses,  et  au 
Nord,  de  rivages  élevés. 

Sur  la  côte  méridionale,  presque  toujours  haute  et 
escarpée,  la  mer,  sillonnée  par  des  courants  d'Ouest, 
est  mauvaise,  quoique  sans  écueils. 

Cependant  devant  Plymouth,  le  célèbre  phare 
d'Eddystone  deux  fois  détruit,  révèle  au  marin  un  ro- 
cher dangereux.  Ce  qui  distingue  particulièrement 
cette  côte,  ce  sont  les  falaises  blanchâtres  que  l'on 
aperçoit  dans  la  brume  lorsqu'on  a  quitté  les  côtes 
françaises,  falaises  dont  l'aspect  a  valu  à  l'Angleterre 
l'ancien  nom  d'Albion  par  lequel  les  poètes  la  dési- 
gnent encore. 

C'est  jouir  d'un  spectacle  à  la  fois  majestueux  et 
terrible,  que  devoir,  lors  d'une  tempête,  les  vagues 
écumeuses  chargées  de  débris  venir  sans  cesse  assail- 
lir la  base  de  la  falaisse.  Elles  arrivent  et  leur  masse 
immense  vous  effraye,  vous  glace  de  terreur,  quel- 
quefois le  vertige  s'empare  de  votre  être,  vous  quittez 
la  terre  et  vous  croyez  entendre,  au-dessus  du  fracas 
des  vents  déchaînés,  la  voix  du  génie  des  mers  com- 
mandant aux  légions  blanchissantes. 

Lorsque  la  base  de  la  falaise  a  été  minée,  que  les 
roches  qui  la  composaient  ont  été  délayées  et  empor- 
tées par  la  mer,  un  bruit  terrible  semblable  au  ton- 
nerre lointain,  annonce  que  la  partie  supérieure  s'est 
affaissée  dans  l'Océan. 

Cette  destruction  des  falaises  est  très-rapide,  car 
on  a  calculé  que,  dans  la  portion  orientale  de  la  Plan- 
che, la  mer  en  enlève  plus  de  deux  mètres  par  année. 

Les  côtes  occidentales  de  Y  Irlande  présentent  le 
même  aspect  que  les  rivages  correspondants  de  la 

MÉMOIRES,  T.   XVI,    1877.  7 


94  l'océan  atlantique. 

Grande-Bretagne;  les  baies  deBantry,  de  Dingle,  le 
vaste  estuaire  du  Shannon,  le  golfe  de  Galwaj^,  et 
d'autres,  s'avancent  parallèlement  dans  les  terres  ; 
les  côtes  sont  aussi,  en  maints  endroits,  bordées  de  fa- 
laises, et  M.  E.  Reclus  cite  celles  de  Ballybunion,  au 
Sud  de  l'embouchure  du  Shannon,  comme  ayant  été 
détruites  par  la  combustion.  En  effet  la  mer  ayant 
mis  à  découvert  les  pyrites  de  fer  et  les  strates  bitu- 
mineuses que  contenait  la  falaise,  celles-ci  s'allu- 
mèrent lorsque  les  pyrites  exposées  à  l'air  furent  sou- 
mises à  une  trop  grande  oxydation. 

Les  côtes  méridionales  et  orientales  sont  moins  dé- 
coupées que  les  rivages  occidentaux. 

Les  deux  baies  de  Carlingford  et  de  Strangford  ne 
communiquent  avec  la  mer  que  par  des  chenaux  très- 
étroits;  enfin,  au  Nord  de  l'Irlande,  les  voyageurs 
vont  visiter  et  admirer  la  célèbre  Chaussée  des 
Géants  dont  les  innombrables  colonnes  basaltiques 
étonnent  l'imagination. 

Les  îles  qui  environnent  la  Grande-Bretagne  et 
l'Irlande  sont  remarquables,  soit  à  cause  de  leurs 
avantages  commerciaux,  soit  par  leur  tournure  capri- 
cieuse et  pittoresque.  Les  îles  Shetland,  les  Orkney 
et  les  Hébrides  occidentales  se  dressent  au  sein  d'une 
mer  tourmentée.  Le  Minsh  et  tous  les  détroits  qui 
séparent  ces  îles  présentent  une  navigation  difticile, 
surtout  lors  des  terribles  courants  de  syzygies.  Les 
îles  de  Man  et  d'Anglesey,  dans  la  mer  d'Irlande, 
ainsi  que  celle  de  Wiglit,  dans  la  Manche,  offrent 
d'excellents  ports. 

Les  côtes  de  la  France  sont  diverses.  Ici  favora- 
bles à  la  navigation,  là  se  refusant  à  l'établissement 
des  ports,  elles  n'ont  pas  sur  l'Atlantique  de  carac- 


l'océan  atlantique  95 

tère  dominant.  On  remarquera  toutefois  que  les  du- 
nes et  les  rivages  bas  se  trouvent  particulièrement 
au  Sud, tandis  que  les  falaises, les  rochers  granitiques, 
et  en  général  les  côtes  élevées  bordent  la  lîretagne 
et  le  Nord. 

La  France  *  ne  possède  sur  la  mer  du  Nord  qu'une 
étendue  de  côtes  de  80  kilomètres  ;  marécageuses  et 
noyées  vers  la  Belgique,  elles  deviennent  plus  élevées 
sur  les  bords  du  Pas-de-Calais. 

Les  courants  côtiers,  le  peu  de  profondeur  de  la 
mer,  les  bancs  que  le  Ilot  accumule,  tout  y  rend  la 
navigation  difticile  ;  les  ports  se  comblent  lentement, 
et  les  gros  navires  ne  peuvent  plus  y  entrer  que  pen- 
dant quelques  heures  de  haute  mer. 

Sur  toutes  les  rives  françaises  de  la  Manche  on  a 
pu  constater  une  dépression  lente  mais  continue  du 
sol,  dépression  qui  se  poursuit  au  Nord  jusqu'aux 
embouchures  du  lîhin,  delà  Meuse  et  de  TEscaut. 

Il  est  vrai  que  plusieurs  points,  comme  Testuaire 
de  la  Somme.  Boulogne,  Gra vélines,  Dunkerque,  su- 
bissent une  lente  émersion  ;  mais  la  dépression  a  été 
constatée  en  de  plus  nombreux  endroits.  Déjà  pen- 
dant le  neuvième  siècle,  la  mer  avait  englouti  plu- 
sieurs vallées  et  quelques  villages  de  la  Bretagne. 

Aujourd'hui,  d'après  M.  Delesse,  des  forêts  sous- 
marines  se  rencontrent  à  Nessau  sur  le  Pas-de-Ca- 
lais, sur  la  côte  occidentale  du  Cotentin,  près  de 
Cherbourg,  sur  plusieurs  points  du  littoral  normand, 
à  St.-Malo,  à  Dol,àPlouescat  et  sur  d'autres  rivages. 
Ce  n'est  pas  tout  :  l'on  a  trouvé  beaucoup  de  tourbiè- 
res sous-marines,  des  restes  de  constructions  recou- 

^  Pour  cette  description  des  côtes  françaises,  nous  avons  particu- 
lièrement consulté  la  Géographie  générale  de  Louis  Grégoire. 


9o  l'océan  atlantique. 

vertes  par  les  eaux  ;  enfin  le  Mont  St. -Michel,  com- 
plètement entouré  par  le  flot  à  marée  hante,  était,  au 
huitième  siècle,  si  l'on  en  croit  les  cartes  et  les  docu- 
ments recueillis,  à  10  lieues  de  l'Océan  et  en  pleine 
foi-êt. 

En  suivant  les  rivages  français  de  la  Manche^  nous 
remarquons  au  Nord  un  littoral  rectiligne,  bas  et  sa- 
blonneux, bordé  de  bancs  de  sable,  où  seul  le  port  de 
Boulogne  a  quelque  importance. 

Bientôt  aux  plages  basses  succèdent  les  dunes  et 
surtout  les  falaises,  qui  dans  le  pays  de  Caux,  s'élè- 
vent quelquefois  à  100  mètres  de  hauteur.  Elles  sont 
soumises  du  reste,  comme  celles  d'Angleterre,  à  une 
active  érosion.  L'estuaire  de  la  Seine,  encombré 
de  bancs  de  sable,  a  été  amélioré;  mais  la  barre 
d'eau  Y  atteint  une  force  inouïe  lors  des  marées  de 
syzygies. 

Entre  l'embouchure  de  la  Seine  et  la  presqu'île  du 
Cotentin,  les  rochers  et  les  falaises  alternent  avec  les 
plages  basses.  La  presqu'île  du  Cotentin  est  partout 
bordée  de  sables,  sauf  aux  extrémités  Nord-Est  et 
Nord-Ouest,  entre  lesquelles  se  trouve  l'excellente 
rade  de  Cherbourg,  position  stratégique  d'un  immense 
avantage.  Les  parcs  d'huîtres  tant  artificiels  que  na- 
turels se  rencontrent  particulièrement  sur  la  côte 
occidentale  de  la  péninsule  et  dans  la  baie  du  Mont 
St. -Michel,  oii  Cancale  a  acquis  à  cet  égard  une  juste 
renommée. 

La  baie  de  Saint-Brieuc,  les  départements  des  Cô- 
tes du  Nord  et  du  Finistère,  ont  des  rivages  connus 
par  leur  caractère  âpre  et  sauvage.  Partout  des 
écueils  que  les  nombreux  phares  signalent  aux  navi- 
res, partout  des  rochers  de  granit,   des  falaises  sur 


l'océan  atlantique.  97 

le  sommet  desquelles  le  pilleur  d'épaves,  si  triste- 
ment célèbre,  faisait  jadis  promener,  par  les  nuits  de 
tempête,  la  lumière  que  les  vaisseaux  en  détresse 
prenaient  pour  le  fanal  d'un  navire,  et  dont  ils  n'ap- 
prochaient que  pour  se  briser  sur  les  rochers. 

Les  mêmes  caractères  se  retrouvent  sur  les  côtes 
occidentales  et  méridionales  de  la  Bretagne.  C'est  là 
que  se  trouvent  la  rade  de  Brest,  qui  offre  un  refuge 
certain,  et  la  baie  de  Douarnenez,  large  et  profonde, 
dans  laquelle  on  a  découvert  les  vestiges  d'anciennes 
constructions. 

La  rade  de  Brest  a  un  grand  nombre  d'huîtrières. 

L'embouchure  de  la  Loire,  quoique  large  et  bien 
ouverte,  est  de  plus  en  plus  envahie  par  les  sables. 
C'est  pourquoi  Saint-Xazaire,  de  fondation  récente, 
tend  à  l'avir  à  Nantes  son  importance  commerciale. 

Après  l'embouchure  de  la  Loire,  bordée  de  dunes, 
les  côtes  des  départements  de  la  Loire-Inférieure,  de 
la  Vendée  et  de  la  Charente-Inférieure  différent  to- 
talement des  précédentes.  C'est  ici  particulièrement 
que  l'on  peut  observer  le  comblement  des  golfes  et  la 
destruction  des  promontoires.  Aussi  la  côte  devient- 
elle  rectiligne,  de  découpée  qu'elle  était  auparavant. 
Ce  n'est  pas  tout;  cette  portion  des  rives  de  la  France 
semble  être  soumise  à  une  lente  émergence,  car  File 
de  Noirmoutiers  est  de  plus  en  plus  reliée  au  conti- 
nent, et  l'ancienne  île  de  Bouin,  dans  la  baie  de 
Bourgneuf,  fait  maintenant  partie  de  la  terre  ferme. 
Les  plages  sont  sablonneuses,  bordées  de  marais  sa- 
lants très-productifs  et,  en  quelques  lieux,  de  dunes; 
mais  les  ports  s'ensablent  et  le  commerce  va  en  décli- 
nant sur  la  côte,  tandis  que  les  estuaires  de  la  Ciia- 


98  l'océan  atlantique. 

rente  et  de  la  Gironde  sont  de  plus  en  plus  fréquen- 
tés par  les  vaisseaux. 

Delà  pointe  de  Grave,  sur  l'estuaire  delà  Gironde, 
à  l'Adour,  la  côte  française  a  un  aspect  uniforme. 
L'esprit  s'étonne  en  contemplant  ces  rivages  :  pas  de 
golfes  aux  contours  capricieux,  pas  de  ports,  pas 
même  de  villages,  mais  des  dunes  enchevêtrées  et  des 
forêts  de  pins  qui  gémissent  tristement  lorsque  le 
vent  de  l'Océan  fait  plier  leurs  longs  branchages.  Le 
voyageur  s'inquiète,  il  cherche  au  loin  sur  la  mer, 
mais  son  œil  ne  contemple  que  l'Océan  désert,  car  le 
vaisseau  marchand  s'éloigne  de  ces  plages  inhospita- 
lières sur  lesquelles  les  flots  sombres  ne  cessent  de 
déferler  avec  violence. 

Poussés  vers  les  côtes  françaises  par  le  courant  de 
Rennell  et  les  courants  côtiers,  les  sables  que  la  mer 
enlève  sans  cesse  aux  rivages  de  l'Espagne  s'accumu- 
lent sur  le  littoral  des  Landes  et  de  la  Gironde;  le 
vent  en  confectionne  des  dunes  qui  repoussent  vers 
l'intérieur  l'eau  pluviale  et  forment  des  marais 
côtiers  qui,  ne  pouvant  s'écouler  vers  la  mer,  de- 
viennent malsains.  Tels  sont  les  étangs  de  Carcans, 
de  Cazau,  de  Sanguinet,  du  Porge,  de  Saint-Julien, 
de  Léon.  Les  habitants  cependant  cherchent  par  tous 
les  moyens  possibles  à  défricher  ces  espaces  incultes. 
Déjà  sur  le  conseil  de  Brémontier,  ils  ont  arrêté  les 
dunes  au  moyen  de  semis  de  pins  maritimes  ;  mais  il 
se  passera  encore  de  longues  années  avant  que  le  pays 
soit  couvert  d'une  végétation  utile. 

Le  seul  port  de  toute  la  côte  est  La  Teste  deBuch, 
située  sur  le  bassin  d'Arcachon^,  vaste  golfe  qui  se 
trouve  à  mi-chemin  entre  la  Gironde  et  l'Adour.  Ce 
petit  port  et  l'établissement  voisin  des  bains  d'Arca- 


l'ockan  atlantique.  99 

clion  ont  assurément  une  grande  importance,  si  l'on 
considère  que  ce  sont  les  uniques  débouchés  de  toutes 
les  Landes.  Aussi  l'amélioration  de  leurs  conditions 
commerciales  a-t-elle  beaucoup  préoccupé  les  autori- 
tés; à  plusieurs  reprises,  le  gouvernement  a  ordonné 
des  études  concernant  surtout  la  sécurité  de  la  passe 
qui  donne  entrée  dans  le  golfe.  Ces  enquêtes  ont  con- 
staté qu'elle  s'ensable  rapidement,  et  qu'en  outre,  elle 
se  déplace  vers  le  Sud,  car  le  cap  Ferret,  qui  la  do- 
mine au  Xord,  s'allonge  sans  cesse.  A  ce  sujet  M.  de 
Beaumont  '  fait  remarquer  que  ce  déplacement  et  cet 
ensablement  ne  proviennent  pas  des  ap])orts  de  la  mer, 
mais  plutôt  des  sables  charriés  par  le  courant  qui  va 
du  golfe  à  l'Océan.  Les  eaux  de  la  Leyre,  dit-il,  le 
seul  affluent  du  bassin  d'Arcachon,  donnent  au  reflux 
une  force  plus  grande  que  celle  du  flux;  par  suite  un 
courant  limoneux  assez  fort  s'établit  par  intervalles, 
surtout  lors  des  fortes  marées.  Aussi  a-t-on  décidé 
qu'il  est  nécessaire  de  fixer  la  côte  sud  du  passage, 
afin  de  donner  au  reflux  une  direction  normale  de  telle 
sorte  qu'il  se  creuse  lui-même  un  lit  profond  où  la  na- 
vigation pourra  s'aventurer  sans  crainte. 

D'autre  part,  il  est  hors  de  doute  que  l'érosion  et 
l'aftaissement  unissant  leur  action,  les  eaux  de  la  mer 
s'avancent  au  sein  des  pays  qui  entourent  le  bassin. 
D'après  M.  Girard*,  le  fort  Cortin  est  actuellement 
sous  les  eaux,  et  la  forêt  de  Moulleau,  autrefois  éloi- 
gnée du  rivage,  en  est  aujourd'hui  très-rapprochée. 
Ces  phénomènes  s'observent  aussi  à  l'erabouchui'e  de 
la  Gironde  où,  en  90  ans,  la  pointe  de  Grave  a  dis- 
paru sur  une  longueur  de  1200  mètres. 

*  Le  Glohe,  1869,  livraisons  1  à  4;  1S72,  livraisons  1  et  2. 

*  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de  Paris,  septembre  1375. 


100  l'ockan  atlantique. 

Au  sud  de  l'Adour,  la  côte  française  change  d'as- 
pect. Bordée  de  falaises  et  de  bancs  de  rochers,  la 
mer  y  cause  souvent  des  naufrages,  et  les  sables  ob- 
struent l'embouchure  de  l'Adour  qui,  en  1500,  a  dû 
abandonner  son  lit  pour  se  creuser  une  nouvelle  issue. 
Des  travaux  l'ont  ramené  à  son  cours  primitif. 

A  l'embouchure  de  la  Bidassoa  commence  la  côte 
espagnole,  d'abord  rectiligne  jusqu'au  cap  Ortégal  '. 
Quoique  les  montagnes  des  Asturies  s'avancent  près 
de  la  rive,  la  mer  vieut  mourir  sur  une  plage  sablon- 
neuse et  agréable,  que  fréquentent,  surtout  à  l'Est, 
les  V03^ageurs  attirés  par  les  sites  charmants  et  les 
villes  gracieuses  qui  embellissent  le  fond  du  golfe  de 
Biscaye,  Malheureusement  le  sable  et  les  débris 
qu'apporte  le  courant  d'Ouest  tendent  à  combler  les 
baies  et  les  ports,  et  à  construire  des  flèches  sablon- 
neuses en  avant  des  détroits  par  lesquels  les  golfes 
communiquent  avec  la  haute  mer.  C'est  ainsi  que  la 
baie  de  Pasages,  malgré  sa  position  magnifique,  n'est 
plus  fréquentée  par  les  vaisseaux;  que  Fontarabie  et 
St. -Sébastien,  qui  pourraient,  grâce  au  voisinage  de 
la  France,  faire  un  grand  commerce,  sont  peu  impor- 
tants à  cause  de  leur  défaut  de  sûreté. 

A  cause  de  son  climat,  de  ses  montagnes,  de  ses 
fleuves  et  de  sa  côte  rocheuse,  la  région  océanique  de 
l'Espagne  du  Nord  est  comparée  avec  raison  par  M. 
Reclus  à  la  Bretagne  française  ;  cependant  la  côte  oc- 
cidentale de  la  Galice,  par  ses  longs  golfes  ramifiés, 
nommés  rias  en  espagnol,  rappelle  la  Norwége.  Ces 
rias  ont-ils  la  même  origine  que  les  fjords  norwé- 

*  Dans  la  description  des  côtes  espagnole  et  portugaise,  nous 
avons  particulièrement  pris  pour  guide  la  Géographie  universelle  de 
M.  Reclus. 


I,'()CÉA.\  ATLANTIQUE.  101 

gieiis?  Il  est  permis  de  le  supposer.  La  configuration 
de  la  contrée,  le  climat  et  même  la  présence,  dans  ces 
golfes,  d'espèces  septentrionales  d'animaux,  le  prou- 
vent suffisamment.  Ici,  comme  dans  le  Nord,  leur  uti- 
lité est  grande,  car  leur  position  à  l'angle  nord-ouest 
de  la  péninsule  en  fait  des  points  de  relâche  d'autant 
plus  importants  que  par  leur  grande  profondeur  et 
leurs  découpures,  ils  forment  des  ports  excellents. 

Les  autres  rivages  espagnols  baignés  par  l'Atlanti- 
cpie  ne  ressemblent  guère  aux  côtes  dont  nous  venons 
de  parler.  Le  long  de  la  courbe  gracieuse  que  décrit 
la  rive,  du  Guadiana  au  détroit  de  Gibraltar,  s'éten- 
dent des  territoires  bas  et  sablonneux,  bordés  en 
quelques  lieux  de  dunes,  et  découpés  de  loin  en  loin 
par  les  estuaires  du  Rio  Tinto,  du  Guadalquivir,  par 
la  rade  de  Cadix  et  le  cap  Trafalgar.  Les  alluvions 
des  rivières  emplissent  les  bras  xle  mer,  et  forment 
des  bancs  dangereux  qui  entravent  la  navigation. 
C'est  ainsi  que  Palos  a  vu  son  port  se  combler  peu  à 
peu,  et  que  rembouchure  du  Guadalquivir,  bordée  de 
maremmes  malsaines,  n'est  plus  accessible  qu'aux  ca- 
boteurs. Aussi,  le  commerce  de  cette  partie  de  la 
côte,  loin  de  s'arrêter  à  la  ville  de  San  Lucar  de  Bar- 
rameda,  à  l'embouchure  du  Guadalquivir,  a-t-il  choisi 
pour  centre  l'excellente  rade  de  Cadix,  sûr  refuge 
des  navires. 

A  l'exception  du  promontoire  de  Sagres,  de  l'es- 
tuaire du  Tage  et  de  celui  du  Rio  Sado^  les  plages 
■portugaises  s'allongent  partout  en  longues  lignes  sa- 
blonneuses. C'est  particulièrement  dans  le  Nord,  lors- 
qu'il a  quitté  les  montagnes  de  la  Galice  et  les  rias, 
que  l'aspect  de  ces  rivages  bas  et  sans  découpures 
frappe  l'imagination  du  voyageur.  Du  pont  du  navire 


102  I/OCÉAN  ATLANTIOUE. 

qui  longe  la  rive,  il  distingue  la  ligne  de  dunes  cou- 
verte de  forêts  de  sapins,  les  étangs  côtiers  où  vien- 
nent se  jeter  les  rivières,  les  estuaires  du  Minho  et 
du  Douro,  dont  les  passes  sont  de  faible  profondeur. 
Plus  au  Sud  il  voit  les  dunes  d'Aveiro^  et  il  apprend 
que  ce  petit  port  pourrait  avoir  une  plus  grande  im- 
portance sans  le  banc  de  sable  mobile  qui  obstrue 
Tenibouchure  du  Rio  Vouga.  Le  même  fait  se  présente 
pour  Figueira  da  Foz  sur  le  Mondego. 

De  ce  fleuve  au  cap  Carboeiro,  le  navire  côtoie  une 
côte  basse,  rectiligne,  et  franchit  bientôt,  en  doublant 
ce  cap,  le  banc  de  sable  qui  le  joint  aux  îles  Berlin- 
gas.  Alors  le  paysage  change.  Seul  au  milieu  des  plai- 
nes de  sable,  un  petit  chaînon  de  la  Sierra  d'Estrella 
vient  errer  jusqu'à  la  côte  en  longeant  le  Tage.  Trou- 
vant son  point  culminant  dans  le  promontoire  qui  se 
termine  par  le  cap  Saint-Roque,  cette  partie  de  la 
côte  devient  plus  élevée  ;  et  la  profondeur  de  la  passe 
qui  donne  entrée  dans  l'estuaire  atteint  partout  plus 
de  30  mètres.  Ce  grand  avantage  de  l'embouchure  du 
Tage  sur  celles  du  Douro  et  du  Minho  a  fait  de  Lis- 
bonne le  principal  port  du  Portugal.  Plus  au  Sud,  le 
passager  du  navire  double  le  cap  Elspichel  aux  riva- 
ges escarpés,  et  pénètre  dans  l'estuaire  du  Rio  Sado, 
position  magnifique,  à  l'abri  des  coups  de  vent.  Ce 
golfe  est  bordé  au  Nord  par  un  abrupt  chaînon  et  au 
Sud  par  une  plage  basse  et  des  dunes.  C'est  la  plus 
importante  des  rares  découpures  qu'on  rencontre  jus- 
qu'au promontoire  rocheux  de  Sagres,  à  partir  duquel 
la  côte  portugaise,  basse  quoique  longée  par  des  mon- 
tagnes, décrit  une  courbe  gracieuse  jusqu'au  cap 
Ste-Marie,  puis  se  relève  vers  le  Nord  jusqu'au  Gua- 
diana,  limite  du  Portugal  avec  l'Espagne  à  l'Est. 


l/OCÉAN  ATVANTIQUE.  103 

On  remarque  principalement  sur  ce  rivage  les  flè- 
ches sablonneuses  qui  s'étendent  à  peu  de  distance, 
particulièrement  près  de  Tavira,  où  elles  laissent 
entre  elles  et  la  terre  ferme  des  canaux  sillonnés  par 
les  barques  qui  y  bravent  le  vent  du  large,  ainsi  que 
la  houle,  dont  ces  bancs  amortissent  les  premiers  as- 
sauts. 


CHAPITRE  XXVII 
Côtes  d'Afrique. 

Le  détroit  de  Gibraltar,  point  de  réunion  de  deux 
mers,  n'a  probablement  pas  toujours  séparé  l'Europe 
de  l'Afrique,  car  il  y  avait  au  contraire  en  cet  endroit 
un  isthme  rocheux,  lorsque  la  Méditerranée  com- 
muniquait soit  avec  l'Océan  indien  par  Suez,  soit  avec 
rOcéan  glacial  au  moyen  de  la  dépression  qui  s'étend 
de  la  mer  Noire  à  la  mer  Caspienne  et  qui  se  con- 
tinue le  long  de  l'Obi. 

Dépassant  cette  large  porte  marine,  plutôt  pro- 
duite par  l'érosion  que  par  un  mouvement  volcanique 
du  sol,  nous  apercevons  les  plages  africaines^  dont 
nous  commencerons  la  description  succincte  par  quel- 
ques mots  sur  la  côte  du  Maroc. 

Longue  de  850  kilomètres  sur  l'Atlantique  et  pré- 
sentant de  nombreuses  sinuosités,  elle  se  trouverait 
dans  des  conditions  économiques  beaucoup  plus  avan- 
tageuses, si  l'administration  de  la  contrée  était  placée 
dans  des  mains  plus  libérales,  et  si  des  travaux  intel- 
ligents étaient  entrepris  pour  arrêter  l'ensablement 


104  l'océan  atlantique. 

de  ses  ports  et  des  estuaires  de  ses  fleuves.  Cette  der- 
nière condition  n'aurait  pas  seulement  pour  consé- 
quence le  développement  du  négoce  :  elle  empêcherait 
l'inondation  de  tous  les  rivages  pendant  la  saison  des 
pluies;  car  l'énorme  volume  d'eau  qu'amènent  alors 
les  toiTents  de  l'Atlas,  ne  pouvant  s'écouler  dans  l'O- 
céan, se  répand  sur  les  rivages  bas  et  sablonneux 
qu'il  transforme  en  marais  insalubres*.  Du  reste  le 
Maroc  ne  possède  pas  de  bons  mouillages;  le  seul 
port  de  Mazagan  pourrait,  au  moyen  de  quelques  tra- 
vaux indispensables,  devenir  une  place  maritime  im- 
portante et  très-sûre,  tandis  que  Mogador,  Saffi,  La- 
raclie,  Rabat  sont  trop  exposés  aux  tempêtes,  aux  cou- 
rants et  à  l'envahissement  des  sables.  Tanger  lui- 
même  ne  doit  son  existence  qu'à  la  place  forte  de 
Gibraltar  qu'elle  approvisionne. 

Les  rivages  sahariens  sont  plus  déserts  encore  que 
les  plages  marocaines.  Là,  le  voyageur  ne  rencontre 
aucun  port,  si  ce  n'est  le  comptoir  français  de  Porten- 
dik,  d'une  importance  minime;  mais  il  aperçoit  plutôt 
des  écueils  en  grand  nombre,  des  bancs  terribles,  tels 
que  celui  d'Arguin,  au  sud  du  cap  Blanc,  contre  le- 
quel sont  venus  s'échouer  tant  de  navires,  et  des  du- 
nes longues  et  tristes,  qui  s'élèvent  à  180  mètres  près 
du  cap  Bojador.  Ces  dunes  se  continuent  dans  la  Sé- 
négamhie,  dont  la  plage  basse  est  souvent  inondée. 
St. -Louis  lui-même,  débouché  de  tout  le  haut  pays, 
est  un  port  sans  importance,  car  les  navires,  ne  pou- 
vant pai'venir  à  l'îlot  de  sable  sur  lequel  la  ville  est 
bâtie,  s'arrêtent  à  Guet  N'Dar,  après  avoir  franchi 
des  brisants  redoutables,  et  ce  sont  des  canonnières 

'  Le  Maroc,  par  Barhié  du  lîocage.  —  Bulletin  de  la  Société  de 
géorirophic  de  Paris,  mai  et  juin  18G1. 


L'oCKAN  ATLAMIOL'E.  105 

qui,  à  travers  la  barre  souvent  dangereuse  du  Séné- 
gal, transportent  hommes  et  marchandises  dans  la  ca- 
pitale de  la  colonie  ' . 

De  la  Sénégambie  au  cap  Lopez  s'étend  la  côte  de 
Guinée  septentrionale,  qui  se  divise  suivant  le  genre 
de  commerce  qui  s'y  pratiquait,  en  côte  des  Gi'aines 
ou  du  Poivre,  d'Ivoire  ou  des  Dents,  côte  d'Or,  des 
Esclaves,  et  qui  comprend  en  outre  les  établissements 
anglais  de  Sierra  Leone,  le  royaume  de  Bénin,  la 
côte  de  Calabar,  et  entin  le  Gabon,  possession  fran- 
çaise. Qu'on  jette  les  regards  sur  une  carte  nautique 
détaillée  de  ces  parages,  et  l'on  s'apercevra  que  tou- 
tes ces  plages  rectilignes,  basses  et  couvertes  de  ma- 
récages, sont  bordées  de  bancs  redoutables  formés 
par  l'accumulation  des  sables  qu'apporte  le  courant 
côtier.  Aussi  l'établissement  de  ports  sûrs  est-il  diffi- 
cile; et  même,  la  chose  serait-elle  possible,  que  ces 
ports  seraient  inhabitables  par  suite  de  l'insalubrité 
de  la  contrée.  La  côte  d'Or  seule  fait  exception  :  elle 
est  rocheuse  et  saine. 

Au  sud  du  cap  Lopez  commence  la  Guinée  méri- 
dionale ou  Congo,  oiî  les  Portugais  possèdent  des  éta- 
blissements que  l'abolition  de  l'esclavage  a  presque 
ruinés,  mais  qui,  au  moyen  d'un  commerce  licite,  ver- 
ront s'agrandir  leur  importance.  La  région  littorale, 
basse  et  souvent  marécageuse,  présente  en  beaucoup 
de  points,  comme  dans  la  Guinée  septentrionale,  une 
exubérante  végétation.  Malheureusement  ces  lieux 
fertiles  sont  précisément  les  plus  malsains,  tandis  que 
les  rivages  déserts  sont  relativement  salubres  et  ha- 
bitables. 

'  La  Sénégambie  française,  par  Dournaux-Diipéré.  —  Bulletin 
de  la  Société  de  géographie  de  Paris,  juillet  1871. 


106  l'océan  atlantique. 

Brûlantes  et  malsaines,  les  îles  du  golfe  de  Guinée 
nous  arrêteront  peu,  quoique  leur  position  excellente 
puisse  en  faire  de  grands  centres  de  commerce.  Fer- 
nando-Po,  possession  espagnole,  a  de  bons  mouilla- 
ges^ mais  Corisco  et  Annobon,  qui  appartiennent  aussi 
à  l'Espagne,  sont  délaissées  parles  navires,  de  même 
que  les  colonies  portugaises  de  Prince  et  de  Saint- 
Thomé. 

Après  le  cap  Négro,  la  côte,  à  laquelle  on  donne 
souvent  le  nom  à'Amhébasie,  devient  déserte  et 
aride.  Elle  possède  quelques  bons  mouillages,  mais 
le  commerce  ne  peut  se  développer  dans  ces  parages 
dénués  de  toute  végétation.  L'embouchure  du  fleuve 
Orange  est  obstruée  par  des  sables  au  sein  desquels 
l'eau  se  perd  en  été. 

Le  pays  du  Cap  a  un  littoral  découpé  et  des  baies 
d'une  navigation  sûre;  la  principale  est  la  baie  de  la 
Table,  sur  laquelle  se  trouve  la  ville  du  Cap,  point  de 
relâche  des  navires  qui  vont  aux  Indes.  Cette  baie 
est  soumise  pendant  trois  mois  à  un  terrible  vent  du 
Sud-Est,  que  Le  Vaillant  s'est  plu  à  décrire  dans  le 
récit  de  ses  voyages. 

Quittant  les  rivages  continentaux,  le  vaisseau  qui 
nous  a  portés  le  long  des  côtes  orientales  de  l'Atlan- 
tique, va,  dans  une  rapide  excursion,  nous  faire  visi- 
ter le  littoral  américain  ;  mais  avant  d'entreprendre 
ce  voyage,  qu'il  nous  soit  permis  de  relâcher  dans  les 
rares  îles  qu'il  rencontrera  sur  sa  route,  du  cap  de 
Bonne-Espérance  au  (Troënland.  FA  d'abord,  faisant 
un  détour  que  les  voyageurs  autorisent,  il  nous  laisse 
jeter  un  coup  d'œil  aux  îles  de  Trisian  d'Acimha, 
points  de  ravitaillement  d'une  grande  importance  pour 
les  navires  qui  vont  en  Australie  ;  ce  qui  explique  le 


l'océan  atunïIijue.  107 

nom  d'ish'S  of  Befreshment  (îles  de  relâche)  que  leur 
out  donné  les  Anglais.  Montagneuses,  ces  îles  ont  de 
bous  ports. 

Le  cap  au  nord,  notre  navire  nous  conduit  à  lîie 
Sainte-Hélène  dont  nous  apercevons  de  loin  les  fa- 
laises hautes  de  300  à  400  mètres  ;  murailles  d'une 
illustre  prison,  elles  se  dressent  sur  tout  le  périmètre 
de  l'île  de  telle  manière  que  celle-ci  n'est  abordable 
qu'au  nord-ouest,  où  se  trouve  la  baie  de  Jamestown. 

Portés  vers  le  nord-ouest  par  le  courant  équatorial 
qui  se  fait  déjà  sentir,  nous  abordons  bientôt  à  l'île 
montagneuse  de  V Ascension  dont  le  bon  mouillage 
nous  abrite  contre  les  tornades,  puis,  malgré  les  ou- 
ragans et  les  calmes  de  la  région  équatoriale,  nous 
franchissons  l'espace  qui  sépare  cette  île  de  Tarchipel 
du  Ca2)  Vert,  aux  côtes  stériles  et  malsaines  et  nous 
jetons  l'ancre  aux  Canaries,  îles  chaudes  mais  salu- 
bres.  Les  unes,  celles  du  nord,  ne  sont  que  des  rocs  nus  ; 
les  autres,  quoique  montueuses  et  ceintes,  tantôt  de 
rochers  inaccessibles,  comme  dans  la  Grande-Cauarie, 
tantôt  de  côtes  basses  et  stériles,  sont,  en  quelques 
lieux,  fertiles  et  pourvues  de  bons  ports.  Plus  au  nord, 
le  climat  délicieux  de  Madère  nous  attire,  mais  sa  ca- 
pitale, Funchal,  a  un  port  détestable. 

Les  dernières  îles  qui  nous  arrêtent  encore  avant 
de  passer  de  Tancien  au  nouveau  continent,  sont  les 
Açores  dont  les  abords  dangereux  effraient  les  na- 
vires. Les  bons  ports  y  manquent,  et  cependant  cet 
archipel  est  un  des  rares  points  de  relâche  des  vais- 
seaux qui  fout  la  traversée  d'Europe  en  Amérique. 


108  l'océan  atlantique. 

CHAPITRE    XXVIII. 
Côtes  d'Amérique. 

k 

Le  Groenland  ou  Terre  Verte  ne  mérite  certaine- 
ment plus  cette  appellation  gracieuse  que  lui  avaient 
donnée  ses  découvreurs.  L'intérieur  est  inconnu  ;  quant 
aux  côtes,  on  ne  pourrait  guère  s'imaginer  un  pays 
plus  froid,  plus  stérile,  plus  désolé.  L'hiver,  elles 
sont  couvertes  d'une  épaisse  couche  de  glaces  qui, 
sans  disparaître  complètement  l'été,  laissent  apercevoir 
alors  les  découpures  du  littoral  qu'elles  encombrent 
de  leurs  cathédrales  transparentes  aux  formes. bi- 
zarres, de  leurs  tours  élevées,  de  leurs  aiguilles  élan- 
cées, de  leurs  montagnes  dont  la  masse  étonne  l'ima- 
gination. Ces  découpures,  plus  fréquentes  et  plus 
profondes  sur  la  côte  occidentale  que  sur  le  rivage 
oriental,  sont  souvent  bordées  de  montagnes  abruptes 
et  élevées  sur  lesquelles  se  forment  des  glaciers  d'une 
étendue  et  d'une  épaisseur  considérables,  dont  les 
énormes  blocs  qui  descendent  peu  à  peu  dans  les 
fjords,  sont  bientôt  portés  en  pleine  mer.  La  partie 
méridionale  du  Groenland,  moins  froide,  moins  dé- 
serte, est  terminée  par  le  cap  P'arewell  (cap  d'adieu) 
nom  que  lui  ont  donné  les  marins  anglais,  à  la  pensée 
qu'après  l'avoir  doublé  ils  laissaient  loin  d'eux  leur 
patrie,  et  entraient  dans  une  contrée  morne  et  désolée 
qu'ils  ne  connaissaient  point. 

La  baie  ou  mer  d'Hudson,  d'une  étendue  assez 
considérable,  est  bordée,  soit  par  de  hautes  falaises, 
soit  par  des  rivages  sinueux  et  dépourvus  de  végéta- 


l'océan  ATI.A.N(iuLK.  109 

tion.  Les  côtes  du  Lahrador,  du  Nouveau-Bruns- 
iridi  et  de  la  Xouveïïe- Ecosse  sont  sablonneuses  et  dé- 
coupées ainsi  que  celles  des  îles  voisines.  La  naviga- 
tion y  est  difficile  à  cause  des  brouillards  qui  les  re- 
couvrent souvent  et  des  ouragans  équatoriaux  dont 
les  dernières  rafales  viennent  y  expirer.  La  baie  de 
Fundy,  dans  le  Xou veau-Bruns wick,  est  si  favorable  à 
l'extension  de  la  marée  que,  lors  des  syzygies,  la  mer 
y  monte  de  plus  de  20  mètres. 

L'île  de  Terre-Neuve ^  exempte  de  brouillards,  est 
particulièrement  fréquentée  par  les  navires  lors  de  la 
pêche  de  la  morue,  époque  à  laquelle  ses  baies  abri- 
tent plus  de  3000  bâtiments.  La  pêche  se  fait  sur  le 
banc  de  Terre-Neuve,  «  plateau  sous-marin,  au  sud- 
est  de  l'île,  long  de  900  kilomètres,  large  de  300  à 
400,  sur  lequel  il  n'y  a  que  40  à  80  mètres  d'eau, 
tandis  que  tout  alentour  la  sonde  trouve  difficilement 
le  fond.  Il  est  couvert  de  brumes  épaisses,  causées 
par  la  rencontre  du  Gulf-Stream  avec  le  courant  du 
nord  qui  charrie  les  glaçons;  la  température,  plus 
douce  que  celle  des  mers  voisines,  attire  les  morues, 
à  l'époque  où  elles  doivent  déposer  leurs  œufs  ;  la 
pèche  qui  se  fait  en  avril,  mai  et  juin,  occupe  un 
grand  nombre  de  navires  français,  anglais,  améri- 
cains *.  » 

La  côte  des  Etats-  Unis,  baignée  par  l'Océan  Atlan- 
tique est,  dans  sa  partie  septentrionale,  importante 
au  point  de  vue  commercial.  Découpée  en  baies  pro- 
fondes et  fermées  dont  les  mille  petites  sinuosités 
peuvent  toutes  être  utilisées,  bordée  d"îles  qui  bri- 
sent le  premier  choc  de  la  lame  de  tempête,  dépour- 

^  L.  Grégoire,  Géographie  générale. 

MÉMOIRES,   T.    XVI,    1877.  8 


110  l'océan  atlantique. 

vue  de  lagunes  côtières,  de  bancs  dangereux,  elle  est 
favorable  à  l'établissement  de  ports  tant  militaires 
que  commerciaux.  La  baie  deDelaware  et  plus  encore 
celle  de  Chesapeake  sont  d'une  importance  incontes- 
table. On  ne  peut  malheureusement  faire  la  môme 
description  du  littoral  qui  s'étend  du  cap  Lookout  à 
la  presqu'île  de  la  Floride;  là.  basse  et  marécageuse, 
la  côte  devient  de  plus  en  plus  rectiligne,  et  cette 
tendance  s'accentue  encore  dans  la  Floride,  sur  la 
côte  occidentale,  bordée  de  lagunes  malsaines  qui 
communiquent  avec  l'Océan  par  des  canaux  imprati- 
cables. Du  reste,  le  sable,  le  gravier,  les  débris  qu'}- 
dépose  sans  cesse  le  Gulf-Stream  forment  des  flèches 
côtières  dangereuses. 

Mais  si  ces  côtes  sont  mauvaises,  que  dira-t-on  du 
littoral  du  golfe  du  Mexique?  Il  rappelle  les  côtes  de 
Guinée  par  son  insalubrité,  la  fièvre  qui  y  règne,  les 
étangs  immenses,  les  plages  basses,  noyées  et  brû- 
lantes. Ajoutons  à  cela  le  delta  marécageux  du  Mis- 
sissipi,  des  vents  d'une  grande  violence  et  la  concor- 
dance sera  complète. 

Cet  immense  pays  de  transition  entre  la  terre  et 
l'Océan,  ce  delta  du  Mississipi  qui,  depuis  la  Fourche 
des  passes  jusqu'à  la  mer,  mesure  plus  de  100  kilo- 
mètres de  longueur,  a  souvent  été  et  demeure  encore 
l'objet  d'études  importantes.  Il  s'agirait  d'abord  de 
rendre  cultivables  les  marais  fangeux  qui  bordent  le 
fleuve  à  une  grande  distance,  ou  au  moins  de  préve- 
nir les  inondations  terribles  qui  ont  lieu  lors  de  la 
crue,  de  janvier  à  mai;  inondations  qui  transforment 
une  grande  partie  du  delta  et  des  terres  habitées  en- 
vironnantes en  un  bras  de  l'Océan.  Des  ingénieurs 
d'un  grand  talent  ont  plusieurs  fois  proposé  des  plans 


l'océan  atlantique.  1 1 1 

qui  devaient  améliorer  les  conditions  économiques  de 
la  contrée,  car  il  est  hors  de  doute  que  les  digues 
qu'on  a  construites  n'opposent  souvent  qu'une  faible 
barrière  à  la  violence  des  débordements  du  fleuve  ; 
mais  malgré  leur  état  précaire,  on  les  préfère  à  des 
travaux  gigantesques  dont  la  réussite  serait  douteuse. 
Aussi,  en  1861,  MM.  Humphrej-s  et  Abott,  dans 
leurs  enquêtes,  ont-ils  particulièrement  appuyé  l'idée 
de  construire  de  nouvelles  levées  ou  d'agrandir  et 
d'entretenir  celles  qui  existent  actuellement.  Ils  pen- 
sent qu'avec  90  millions  de  francs,  ou  pourrait  rendre 
à  la  culture  400,000  hectares  de  terre  fertile.  M. 
Tliomassy,  en  1860,  prétendait  qu'il  fallait  établir 
deux  écluses  aux  bayous  de  Plaquemine  et  de  la 
Fourche,  et  que  l'aménagement  de  vastes  salines  au- 
rait pour  effet  d'assainir  sensiblement  le  pays. 

Les  nombreuses  études  faites  sur  le  delta  duMissis- 
sipi  ont  aussi  pour  but  de  tracer  un  plan  d'améliora- 
tion de  la  passe  sud-ouest  qui  donne  entrée  dans  le 
lit  du  fleuve,  et  qui,  tout  en  étant  la  plus  importante, 
n'en  est  pas  moins  obstruée  par  un  banc  de  sable  mo- 
bile que  recouvrent  seulement,  en  temps  ordinaire, 
4  à  6  mètres  d'eau-  On  comprend,  en  effet,  que  le 
limon  du  Mississipi,  qui  allonge  chaque  année  son 
delta  de  plus  d'un  kilomètre,  puisse  foimer  à  son  em- 
bouchure un  banc  puissant  dont  la  présence  enlève 
au  passage  toute  sécurité.  Un  des  moyens  qui  peuvent 
être  employés  pour  ouvrir  la  passe  aux  gros  navires 
consiste  à  entretenir,  par  le  dragage  constant  du  fond, 
l'eau  dans  un  état  permanent  d'agitation,  ce  qui  em- 
pêche la  formation  des  dépôts.  On  a  proposé  aussi  de 
diminuer  la  largeur  du  fleuve,  et  par  ce  fait,  d'accroître 
sa  puissance  de  telle  sorte  qu'il  emporte  lui-même  le 


112  l'océan  atlantique. 

limon  en  pleine  mer.  Ceijendant  on  objecte  à  cette 
mesure  qu'elle  occasionnerait  des  dépenses  considé- 
rables, qu'il  faudrait  renouveler  chaque  année,  puisque 
l'embouchure  s'avance  continuellement  dans  la  mer  et 
que  les  jetées  devraient,  par  suite,  être  sans  cesse 
prolongées. 

Les  lagunes  étendues  et  très-peu  profondes  qui 
empêchent,  avec  les  bancs  de  sable  situés  en  avant 
des  détroits,  l'approche  des  côtes  par  les  gros  navi- 
res, bordent  encore  une  grande  partie  du  golfe  du 
Mexique  ;  ailleurs  les  rivages  sont  bas  et  sablonneux  ; 
ils  sont  malsains  partout.  Aussi,  par  suite  du  manque 
de  bons  ports,  le  commerce  du  Ilexique,  qui  pourrait 
prendre  un  développement  considérable,  ne  s'accroit- 
il  que  lentement.  Tampico  et  Vera-Cruz  ne  sont  que 
des  foyers  de  lièvre  où,  selon  les  époques,  les  voya- 
geurs n'osent  pas  même  s'arrêter  un  jour.  La  pres- 
qu'île du  Yucatau,  terminée  au  Nord  par  le  cap  Ca- 
toche,  sépare  le  golfe  du  Mexique  de  la  mer  des  An- 
tilles. Le  détroit  de  Yucatan  entre  le  cap  Catoche  et 
l'île  de  Cuba  réunit  ces  deux  mers. 

La  côte  qui  borde,  à  l'Ouest,  la  mer  des  Antilles, 
est,  en  tous  points,  semblable  aux  rivages  du  golfe  du 
Mexique.  Chaque  baie  est  fermée  aux  navires  par  une 
flèche  sablonneuse  ou  par  un  banc  de  sable  mobile  ; 
chaque  fleuve  aboutit  à  une  lagune  dans  laquelle  les 
vaisseaux  ne  peuvent  pénétrer  ;  ce  n'est  pas  tout.  Tin- 
salubrité^  conséquence  naturelle  d'un  tel  état  de  cho- 
ses, et  les  ouragans  terribles  placent  les  républiques 
du  Honduras,  de  Nicaragua  et  de  Costa-Iiica,  dans 
des  conditions  économiques  désavantageuses  qui  re- 
tardent l'épanouissement  du  commerce. 

Les  seuls  ports  importants  se  trouvent  sur  le  golfe 


l'océan  ATLA.MIQUE.  Ho 

de  Honduras.  C'est  là  que  les  Anglais  possèdent  le 
bon  mouillage  de  Balize,  FEtat  de  Guatemala  celui 
de  St-Tliomas,  le  Honduras  Truxillo.  L'embouchure 
du  San- Juan  est  dangereuse  pour  les  navires. 

On  appelle  Indes  occidentales,  les  îles  qui  séparent 
la  mer  des  Antilles  de  l'Océan  Atlantique  et  du  golfe 
du  Mexique. 

Elles  se  divisent  en  trois  groupes  : 
•  1°  Les  Li(C(u/es,  possessions  anglaises,  qui  se  com- 
posent de  650  îles  parsemées  sur  le  Petit  et  sur  le 
Grand  Banc  de  Bahama  que  sépare  le  canal  de  la 
Providence.  De  formation  coralligène  ces  îles  sont 
stériles  et  peu  importantes.  Les  abords  sont  rendus 
difficiles  par  des  écueils  nombreux. 

2^*  Les  Grandes-Antilles,  qui  comprennent  : 

Ouha,  aux  rivages  bas,  sablonneux  et  bordés  de  ré- 
cifs de  polypiers. 

Haïti,  dont  les  baies  nombreuses  forment  des  ports 
excellents . 

Podo-Bico  et  la  Jamcuque,  où  les  navires  en  grand 
nombre  mouillent  dans  des  rades  sûres. 

S''  Les  Petites- Antilles,  dont  les  unes  exposées  aux 
vents  alizés  sont  appelées  pour  cette  raison  :  Iles  du 
vent,  et  les  autres,  protégées  contre  ces  courants  ré- 
guliers, sont  nommées  :  Iles  sous  le  vent. 

Parmi  les  Iles  du  vent  on  remarque  : 

La  Guadeloupe,  qui  se  compose  de  la  Grande-Terre, 
basse  et  formée  de  madrépores  et  de  la  Guadeloupe 
proprement  dite  plus  montueuse.  Ces  deux  îles  ont 
quelques  bons  ports. 

La  ^laiiinique,  dont  la  côte  occidentale  a  de  bons 
mouillages,  tandis  que  la  côte  orientale  est  mauvaise 
et  bordée  d'écueils. 


114  l'océan  atlantique. 

Les  Iles  sous  le  vent  sont  peu  importantes. 

On  donne  actuellement  le  nom  à^Mats-  Unis  de  Co- 
lombie, à  la  république  appelée  auparavant  Nouvelle- 
Grenade.  Ce  pays  a  un  littoral  découpé,  mais  malsain 
sur  plusieurs  points,  en  particulier  à  Porto-Bello, 
nommé,  à  cause  de  son  insalubrité,  le  tombeau  des 
Espagnols  ;  aussi  ce  port  n'a-t-il  aucune  importance. 
Le  centre  du  commerce  se  trouve  à  Aspinwall,  point 
de  départ  du  chemin  de  fer  qui  traverse  l'isthme  de 
Panama.  La  république  de  Venezuela  a  des  rivages 
féconds  en  golfes  dont  le  principal  est  celui  de  Vene- 
zuela. Il  reçoit  les  eaux  du  lac  de  Maracaïbo  aux  ri- 
ves marécageuses,  au  moyen  d'un  canal  étroit  par 
lequel  la  marée  pénètre  dans  le  lac.  A  l'Est  de  la  Ré- 
publique se  trouve  le  delta  de  l'Orénoque  de  200  kilo- 
mètres de  longueur  sur  300  de  largeur. 

Le  fleuve  a  une  telle  puissance  qu'il  cause  un  cou- 
rant qu'on  ressent  encore  à  plus  de  200  kilomètres 
en  mer. 

Au  Sud  du  delta  de  l'Orénoque  commencent  les 
Giiyanes,  aux  rivages  bas,  marécageux  et  malsains. 
Des  bancs  de  sable  en  rendent  l'approche  dangereuse, 
et  d'ailleurs,  la  rive  est  tellement  plate,  que  certaines 
parties  appartiennent,  tantôt  au  continent,  tantôt  à 
l'Océan. 

Le  courant  équatorial,uni  à  l'énorme  volume  d'eau 
qui  s'échappe  des  bouches  de  l'Amazone, se  fait  forte- 
ment sentir  au  large  de  ces  côtes.  Les  bons  ports 
manquent.  Cayenne  a  une  rade  assez  bonne  mais  ina- 
bordable pour  les  gros  vaisseaux,  et  la  fièvre  jaune  y 
cause  tant  de  victimes,  que  la  colonie  est  loin  d'être 
florissante. 

Cependant  la  région  littorale  est  d'une  exubérante 


l'océan  ATLANTKjUE.  H'i 

fertilité  ;  on  y  trouve  en  particulier  des  mangliers  qui 
se  plaisent  dans  les  endroits  marécageux.  Leurs  for- 
tes racines  plongent  sous  l'eau  et  gagnent  sans  cesse 
sur  l'Océan  ;  une  grande  portion  de  la  mer  a  été  de 
cette  manière  transformée  en  terre  ferme. 

Le  Brésil  contient  au  Nord  rembouchure  de  l'Ama- 
zone, le  plus  formidable  fleuve  du  monde.  Elle  mesure 
plus  de  250  kilomètres  de  largeur,  du  cap  Magoari,  à 
l'Est  de  l'île  Marajo,  au  cap  Raso  au  Nord, et  se  trouve 
partagée  par  les  îles  ]\Iexiana  et  Caviana  en  trois 
branches  dont  les  plus  importantes  sont  celle  du  Nord 
et  celle  du  Sud.  Du  reste,  à  partir  de  la  réunion  du 
Xingu  et  de  l'Amazone,  le  cours  de  ce  fleuve  est  obs- 
trué d'îles  et  d'îlots  sans  nombre,  qui  ont  été,  non  pas 
formés  par  lui,  mais  au  contraire  séparés  du  continent 
par  la  violence  du  courant. 

L'érosion  produite  par  le  fleuve  n'est  pas  la  seule 
à  redouter;  r(3céan  lui-même  ravine,  détruit  sans 
cesse  les  terres  contre  lesquelles  ses  flots  déferlent  ; 
ainsi  l'île  de  Caviana  a  déjà  été  séparée  en  deux  par- 
ties par  la  mer.  Elle  est  vouée  à  une  destruction  cer- 
taine. 

La  plus  importante  de  toutes  les  îles  qui  parsèment 
rembouchure  de  l'Amazone,  est  celle  de  Marajo,  sépa- 
rant le  Maranion  du  Para,  nom  que  prend  le  rio  des 
Tocantins  dans  sa  partie  inférieure.  Elle  a  240  kilo- 
mètres de  largeur  sur  270  de  longueur,  mais  ces  di- 
mensions tendent  sans  cesse  à  diminuer,  car  elle  est 
soumise  à  l'action  érosive  du  fleuve  et  des  marées. 
L'île,  en  beaucoup  d'endroits,  est  basse  et  maréca- 
geuse ;  les  lieux  élevés  sont  couverts  de  forêts  consi- 
dérables. 

L'Amazone  débite  69400  mètres  cubes  d"eau  par 


1 16  l'océan  atla.ntioue. 

seconde,  énorme  volume  qui  dessale  l'Océan  sur  un 
immense  espace  et  cause  un  courant  très-puissant. 
Mais  la  force  de  ce  courant  n'est  rien  auprès  de 
la  violence  des  ras  de  marée  qui  bouleversent  les 
rives  du  grand  fleuve.  Les  indigènes  ont  donné  à  ces 
terribles  phénomènes  le  nom  de  Prororoca,  nom  plein 
de  justesse  qui  imite  bien  le  grondement  sourd  des 
flots. 

Laissons  à  M.Durand  le  soin  de  décrire  cet  émou- 
vant spectacle  '  : 

«  La  Prororoca  n'a  lieu  que  pendant  les  trois  jours 
qui  précèdent  la  nouvelle  et  la  pleine  lune.  Alors  la 
mer,  brisant  la  digue  que  lui  opposent  les  eaux  du 
fleuve,  se  dresse  subitement,  les  repousse  vers  leur 
source  ;  elle  envahit  en  cinq  minutes  toute  l'embou- 
chure au  lieu  de  monter  en  six  heures. 

«  Une  crête  d'écume  apparaît  au  loin  par  le  travers 
du  Cap  Nord.  Elle  s'avance  avec  la  rapidité  d'une 
trombe  et  grandit^  en  se  déployant,  jusque  sur  les  ri- 
vages de  Marajo.  Un  bruit  sourd  semble  sortir  du 
fond  de  l'Océan  ;  on  dirait  le  roulement  lointain  du 
tonnerre  mêlé  aux  grondements  saccadés  d'un  oura- 
gan. La  Prororoca  arrive,  et  cette  lame  immense,  de 
6  mètres  de  hauteur^  tombe,  se  brise  sur  la  Ponta 
Grossa,  bondit  dans  la  plaine  et  rejaillit  dans  les  airs 
en  mille  gerbes  d'écume.  L'Araguari  se  gonfle  et  dé- 
borde. Elle  continue  sa  course  efl'rénée  entre  les  îles  : 
resserrée,  comprimée  par  leurs  détroits,  elle  semble 
redoubler  de  violence  ;  elle  saute  sur  les  hauts  fonds, 
secoue  sa  longue  et  blanche  crinière  que  la  brise  em- 
porte comme  un  nuage  de  neige,  s'abat  et  se  relève 

'  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  novembre  1871. 


l'océan  ATI-ANTKjUK.  117 

avec  plus  de  fureur  sur  les  rochers  qu'elle  semble 
pulvériser,  sur  les  îles  qu'elle  recouvre.  Rien  ne  lui 
résiste;  les  arbres  séculaires  sont  coupés,  tordus  et 
roulés  dans  les  Hots  au  milieu  des  rochers,  avec  des 
lambeaux  de  terre  arrachés  aux  flancs  des  îles  et 
recouverts  de  végétation.  Trois  lames  ou  plutôt  trois 
digues  gigantesques  d'eau  se  succèdent  ainsi  en  l'es- 
pace d'un  quart  d'heure.  Elles  sont  moins  fortes  l'une 
que  l'autre,  et  vont  se  perdre  ainsi  derrière  les  îles 
au  delà  de  la  ville  de  Macapa.  » 

Au  Sud-Est  de  l'embouchure  du  Para,  le  littoral 
n'est  qu'un  delta  immense  qui  se  continue  jusqu'à  San 
Luiz  de  Maranho. 

Dans  cette  vaste  région,  où  croissent  des  mangliers 
et  d'autres  arbres  énormes  dont  on  n'apei'coit  souvent 
que  le  sommet,  viennent  se  décharger  une  quantité 
de  rivières  aux  embouchures  parsemées  d'îles  qui  for- 
ment des  canaux  sans  nombre,  au  sein  desquels  la 
barque  la  plus  téméraire  n'oserait  s'aventurer.  A 
cette  contrée  étrange  succède  une  côte  rocheuse  qui 
s'étend  jusqu'au  cap  St-Iioque,  à  partir  duquel  le  ri- 
vage devient  sablonneux  et  plat,  tandis  que  parallèle- 
ment s'étendent  dans  l'intérieur  de  longues  chaînes 
de  montagnes  et  en  mer  des  bancs  de  polypiers.  Mais 
au  Sud  du  cap  Frio  la  côte  est  bordée  de  hautes  mu- 
railles de  rochers  qui  laissent  seulement  quelques 
échancrures  oii  les  ports  se  sont  établis.  Un  climat 
tempéré  rend  cette  côte  délicieuse.  Ce  caractère  ne 
s'étend  pas  jusqu'à  l'estuaire  du  Rio  de  la  Plata.  Au 
Nord-Est  de  ce  fleuve  se  trouvent  la  lagune  immense 
de  los  Patos  et  d'autres  plus  petites  sur  les  bords 
desquelles  aucun  port  ne  se  rencontre. 

L'embouchure  du  Rio  de  la  Plata  est  obstruée  par 


118  l'océan  ATLANTIQUE. 

des  bancs  de  sable;  aussi  les  navires,  au  lieu  de  s'ar- 
rêter à  Buenos-Ayres ,  capitale  de  la  RépuhUqiœ 
Argentine,  abordent-ils  à  trois  lieues  au-dessous  delà 
ville,  à  Barragon. 

Plates,  sablonneuses  et  peu  connues  à  cause  du 
peu  de  ressources  que  présente  un  pays  de  plaines, 
de  savanes,  souvent  froid  dans  le  Sud,  les  côtes  de  la 
République  Argentine  et  de  la  Patagonie  bordent  une 
mer  dangereuse  lorsque  souffle  le  pampero. 

Les  ports  manquent,  et  le  navire  qui  a  quitté  Bue- 
nos-Ayres va,  sans  relâche,  doubler  le  cap  Horn  aux 
rivages  élevés  de  600  mètres,  ou  traverser  le  détroit 
de  Magellan,  dont  les  baies  nombreuses  et  fermées 
l'abritent  pendant  les  jours  de  tempêtes. 

Les  îles  Falkland,  nombreuses  et  froides,  sont  fré- 
quentées par  les  matelots  qui  viennent  y  faire  des 
pêches  abondantes  de  plioques  et  de  baleines. 


l/OCÉAN  A  ILA.NTIOLE.  1 11> 


TROISIEME  PARTIE 


MARINE,  LIGNES  TÉLÉGRAPHIQUES  SOUS-MARINES,  TUNNEL 
DE  LA  MANCHE  ET  ISTHME  DE  PANAMA 


CHAPITRE  XXIX 

Marine  militaire  des  pays  riverains 
de  l'Atlantique. 

Si  les  gouveniemeiits  tendent  par  tous  les  moyens 
possibles  à  améliorer  la  situation  des  armées  de  terre_^ 
si  les  engins  destructifs  employés  sont  devenus  plus 
terribles  encore,  la  marine  militaire  a  aussi  reçu  dans 
l'époque  actuelle  des  perfectionnements  considéra- 
bles. Le  temps  n'est  plus,  où  Ton  se  battait  sur  mer 
avec  de  petits  croiseurs,  doués  d'une  faible  vitesse  et 
armés  de  quelques  canons  peu  dangereux,  où  la  vic- 
toire appartenait  au  plus  grand  nombre,  où  la  moin- 
dre tempête  dispersait  les  flottes  ennemies. 

Aujourd'hui  la  petitesse  des  navires  a  fait  place 
aux  dimensions  colossales,  le  nombre  à  la  qualité^ 
la  voile  à  la  vapeur.  La  vitesse  qu'on  réclame  d'eux 
est  grande,  les  canons  qui  surmontent  leurs  tourelles 
ont  une  force  irrésistible,  et  l'éperon  d'acier  dont  ils 
sont  armés  cause  aux  navires  ennemis  un  mal  pres- 
que irréparable. 

Comme  les  anciens  croiseurs  étaient  facilement  en- 
dommagés par  un  boulet  de  faible  poids^  on  a  recou- 
vert les  na\-ires  d'une  armure  d'acier  dont  l'épaisseur. 


120  l'océa.\  atlantique. 

d'abord  minime,  est  allée  sans  cesse  en  augmentant  ; 
c'est  alors  qu'a  commencé  la  fameuse  lutte  entre  la 
cuirasse  et  le  canon,  lutte  qui  n'est  pas  encore  termi- 
née. On  a  d'abord  construit  des  cuirasses  de  moins 
de  200  millimètres  d'épaisseur;  mais  les  canons  sortis 
des  usines  de  M.  Kru])p  et  de  Sir  William  Armstrong 
et  C°,  ont  promptement  eu  raison  de  ces  faibles  rem- 
parts. 

Les  ingénieurs  de  marine  augmentèrent  l'épaisseur 
de  la  cuirasse,  et  l'on  lit  la  Dévastation,  navire  an- 
glais dont  l'armure  de  fer  est  épaisse  de  305  millimè- 
tres ;  mais  Sir  William  Armstrong  ne  se  tint  pas  pour 
battu  ;  il  fondit  des  canons*  qui  trouèrent  de  part  en 
part  les  parois  du  vaisseau.  L'amirauté  anglaise  lit 
alors  construire  V Inflexible,  le  plus  formidable  bâti- 
ment qui  soit  sorti  de  ses  chantiers  et  dont  le  réduit  * 
est  revêtu  de  plaques  d'acier  de  610  millim.  d'épais- 
seur, et  le  gouvernement  italien  ordonna  la  création 
du  Dandolo  et  du  IJuïlio  qui  portent  des  armures  de 
560  millimètres.  Ces  cuirasses  sortent  des  ateliers  de 
MM.  Cammell  et  C°  de  Sheffield  qui  se  sont  même 
engagés  à  fournir  des  plaques  de  760  millimètres  à 
1  mètre  d'épaisseur,  dès  que  des  canons  assez  puis- 
sants pour  percer  une  armure  de  560  millimètres  au- 
ront été  construits.  En  réponse  à  cette  promesse, 
M.  Krupp,  au  moyen  d'un  canon  sortant  de  son  usine, 
a  traversé  une  cible  en  fer  de  60  centimètres.  Cepen- 
dant, comme  des  canons  de  cette  force  n'ont  pas  en- 
core été  installés  à  bord  des  navires,  la  victoire  est 
restée  à  la  cuirasse ,  mais  il  faut  s'attendre  à  de 
nouveaux  essais,  à  de  nouvelles  luttes  à  ce  sujet. 

'  On  appelle  réduit  la  partie  du  bâtiment  qui  contient  les  chau- 
dières, les  machines,  les  magasins  do  munitions,  etc. 


l'océan  a  «.antique.  1'2I 

Pour  résister  à  de  pareils  bâtiments  do  guerre,  les 
navires  sont  donc  obligés  de  posséder  des  canons 
d'une  force  extrême.  C'est  ainsi  que  V Inflexible  a  des 
pièces  de  100  tonnes,  de  même  que  le  Dandolo  et  le 
Biiilio.  Leur  longueur  est  de  9  mètres,  leur  calibre  de 
48  centimètres.  La  charge  de  poudre  qu'elles  néces- 
sitent pèse  136  kilogrammes,  et  elles  lancent  des  pro- 
jectiles du  poids  de  905  kilogrammes. 

Ces  canons  formidables,  au  nombre  de  quatre,  sont 
portés  par  deux  tours  fortement  blindées  situées  à 
l'intérieur  du  parapet  qui  surmonte  le  pont  du  navire. 
Ces  tours  sont  d'un  poids  énorme  ;  ainsi,  celles  de 
VlnflexiUe  pèsent  chacune  762  tonneaux,  et  comme 
il  faut  pouvoir  les  tourner  dans  tous  les  sens,  on  fait 
usage  d'un  appareil  hydraulique  inventé  par  Sir  Wil- 
liam Armstrong.  Les  tourelles,  sont  établies  dans  le 
plan  diamétral  pour  la  Dévastation  et  le  Thunderer, 
mais  on  a  moditié  cette  disposition  pour  V Inflexible. 
Ses  tours  sont  disposées  de  chaque  côté  du  navire, 
de  sorte  que  les  canons  dont  elles  sont  armées  peu- 
vent tirer  ensemble  sur  tous  les  points  de  l'horizon. 
Mais  uue  protection  suffisante  des  parties  vulnéra- 
bles d'un  navire  au  moyen  des  armures,  une  artille- 
rie puissante,  un  champ  de  tir  étendu  ne  sont  pas  les 
seules  conditions  réclamées  d'un  bon  cuirassé.  Il  faut 
en  outre  une  grande  vitesse.  Cette  question  a  été  vi- 
vement controversée.  M.  Brasey  ',  membre  du  Par- 
lement anglais,  se  basant  sur  le  fait  que  les  meilleurs 
croiseurs  d'Europe  pourraient  difficilement  acquérir 
uue  vitesse  de  plus  de  12  nœuds  à  l'heure,  et  que  l'ac- 
croissement de  la  rapidité  dans  la  marche  du  navire 

^  Revue  maritime  et  coloniale,  février  1S76. 


122  l'océan  atlantique. 

a  pour  conséquence  une  forte  augmentation  de  prix, 
prétendait  que  la  plus  grande  vitesse  désirable  devait 
être  13  nœuds  à  l'heure,  et  non  17,  comme  le  récla- 
ment les  ingénieurs  anglais.  Par  ce  fait  on  diminue- 
rait le  prix  de  chaque  bâtiment  et  l'on  pourrait  aug- 
menter le  nombre  des  navires.  Le  nombre,  disait-il, 
est  préférable  à  la  qualité. 

Sir  Spencer  Robinson,  ancien  contrôleur  général 
de  l'amirauté,  soutient  au  contraire  qu'il  vaut  mieux 
créer  un  puissant  cuirassé  que  plusieurs  mauvais  na- 
vires. «  Dans  les  actions  combinées,  ajoute-t-il,  la 
supériorité  de  vitesse  est  un  peu  moins  importante, 
mais  dans  un  duel  entre  deux  bâtiments,  ou  lorsqu'il 
s'agit  de  la  protection  du  commerce,  la  supériorité 
de  vitesse  est  une  condition  essentielle.  »  Sir  Robin- 
son  fut  appuyé  par  M.  Reed,  et  plus  tard,  dans  une 
nouvelle  lettre  au  Times,  M.  Brasey  convint  que  la 
vitesse  de  1 7  nœuds  pouvait  être  exigée  d'un  navire 
de  guerre,  mais  qu'il  fallait  examiner  si  l'on  ne  pour- 
rait pas  concilier  cette  vitesse  avec  une  réduction  no- 
table dans  le  prix  des  bâtiments. 

La  vitesse  des  cuirassés  de  construction  récente  ne 
s'obtient  qu'au  moyen  de  la  vapeur.  Ils  ne  portent  en 
général  que  des  bas-mâts  comme  mâts  de  signaux  ; 
cependant  V Inflexible  est  maté  et  voilé  en  temps  de 
paix,  afin  de  faire  la  plus  grande  économie  possible 
dans  la  consommation  du  charbon.  En  temps  de 
guerre,  Y Intlexihle  mOiidiQ  au  moyen  de  deux  hélices 
indépendantes  conduites  chacune  par  une  machine 
distincte.  La  force  des  deux  machines  réunies  est  de 
1000  chevaux.  Douze  chaudières  fournissent  la  va- 
peur nécessaire. 

Pour  leur  faire  supporter  le  poids  énorme  de  la 


l'océan  atlantique.  1^'{ 

cuirasse,  du  parapet,  des  tours,  des  canons,  on  a 
donné  aux  monitors  actuels  de  prodigieuses  dimen- 
sions. Leur  poids  est  immense  et  dans  quelques-uns 
on  n'a  augmenté  la  coque  que  pour  obtenir  le  dépla- 
cement indispensable.  On  peut  même  dire  qu'on  a 
presque  atteint  la  limite  de  poids  possible  et  que  tout 
accroissement  dans  la  grosseur  des  canons  ou  dans 
l'épaisseur  de  la  cuirasse  aurait  inévitablement  des 
conséquences  malheureuses  qui  enlèveraient  aux  bâti- 
ments toute  sécurité  ' . 

On  doit  comprendre  que  la  construction  de  ces  co- 
losses marins  doit  coûter  au  trésor  des  sommes  énor- 
mes*. Aussi  l'Amirauté  anglaise  a-t-elle  été  souvent 
blâmée  à  cause  des  immenses  capitaux  qu'elle  consa- 
cre à  la  construction  et  à  l'entretien  de  la  flotte. 
Comme  chaque  année  le  budget  de  la  marine  anglaise 
est  plus  élevé,  quelques  économistes  se  sont  préoccu- 
pés de  diminuer  ces  dépenses  excessives,  par  des 
soins  plus  vigilants,  une  économie  mieux  entendue,  et, 
en  ce  qui  concerne  la  construction  des  cuirassés,  on 

^  L'Aijanwmnon  mesure  79'"  de  long,  sur  20'"  de  larg. 
La  Dévastation  mes.  90'"  de  long,  sur  20  de  larg.  et  déplace  9,050  tou. 


Le  Diiilio           »    103'" 

3 

>    19 

10,600 

L'Inflexible        »      96'" 

] 

»    22 

11,407 

-  L\ichilîes             coûte 

11,755,750  fr. 

Le  Nortlmmberland 

» 

12,267,025  » 

L' Hercules 

» 

9,425,175  » 

Le  SuUan 

» 

9,369,425  » 

U  Andacious 

£ 

6,407,375  » 

Le  Vnngnard 

» 

6,802,500  » 

Le  Bellcroplion 

» 

9,103,175  » 

Le  Monarcli 

» 

9,285,375  » 

li' Inflexible 

- 

13,043,750  » 

Le  Dreadnowiht 

» 

12,709,875  » 

Le  Téméraire 

» 

9,350,000  » 

Le  Thundercr 

> 

8,350,000  . 

124  J^'OCÉAN   ATLANTIQUli. 

est  parvenu  à  faire  autant  avec  moins  de  frais  ;  mais 
d'autres  sont  allés  plus  loin  :  ils  ont  attaqué  le  fonde- 
ment de  la  marine,  les  monitors  pour  lesquels  on  sa- 
crifie tant  d'argent  ;  ils  ont  blâmé  sévèrement  la  créa- 
tion de  nouveaux  cuirassés  ;,  s'appuyant  sur  des  faits 
incontestables  dont  nous  allons  encore  parler  avant 
de  passer  à  l'examen  rapide  des  flottes  de  guerre  des 
divers  pays. 

Leur  raisonnement  est  basé  sur  trois  points  prin- 
cipaux: 1"  Le  rôle  que  doit  jouer  aujourd'hui  le  na- 
vire d'escadre;  2°  son  prix;  3"  sa  destruction  au 
moyen  du  canon  et  de  la  torpille. 

P  Le  rôle  réservé  au  navire  de  guerre  actuel  n'est 
plus  le  même  que  par  le  passé.  Autrefois  il  pouvait 
tenir  un  port  en  blocus,  donner  la  chasse  aux  croi- 
seurs et  arrêter  une  flotte  ennemie.  Ce  dernier  avan- 
tage seul  lui  est  réservé  de  nos  jours.  Les  gardes- 
côtes  modernes,  d'une  puissance  incontestable  et 
qu'on  tend  toujours  à  augmenter^  empêchent  le  cui- 
rassé de  bloquer  un  port  par  leurs  attaques  soudai- 
nes, multipliées  et  par  leur  connaissance  exacte  des 
lieux.  Les  batteries  de  terre  leur  aident  du  reste 
puissamment.  Le  monitor  ne  pourra  pas  davantage 
poursuivre  des  croiseurs,  des  corvettes  rapides,  non 
pas  que  sa  vitesse  soit  inférieure  à  celle  de  ces  bâti- 
ments, mais  parce  qu'il  est  forcé  d'interrompre  sou- 
vent sa  croisière  pout  renouveler  sa  provision  de 
houille.  En  effet,  comme  il  n'a  pas  de  voilure,  sa  mar- 
che ne  dépend  que  des  machines,  et  l'on  comprend 
que  pour  faire  mouvoir  des  navires  d'un  si  grand 
poids,  les  machines  font  une  telle  dépense  de  charbon 
que  les  soutes  ne  peuvent  en  emmagasiner  que  pour 
un  temps  restreint. 


l'océan  atlantique.  12o 

2*  Nous  avons  vu  que  le  prix  des  monitors  est 
énorme  et  qu'on  se  demande  sïl  ne  serait  pas  préfé- 
rable d'avoir  une  flotte  composée  de  navires  plus  fai- 
bles sans  doute,  mais  beaucoup  plus  nombreux.  En 
outre,  il  faut  aussi  prendre  en  considération  que  la 
perte  d'un  monitor  est  énorme,  tandis  que  celle 
d'un  croiseur  est  relativement  minime.  On  répond 
qu  un  cuirassé  tel  que  Vlnflexihle  peut  tenir  tête  à 
toute  une  flotte.  Ce  fait  est  invraisemblable.  Si  plu- 
sieurs vaisseaux,  munis  d'une  forte  artillerie,  entou- 
rent le  monitor,  le  poursuivent,  l'accablent,  il  sera 
vaincu. 

3**  Le  troisième  argument  est  le  plus  puissant. 
Nous  avons  déjà  parlé  de  la  lutte  entre  le  canon  et  la 
cuirasse  et  nous  avons  dit  que  l'avantage  est  actuel- 
lement du  côté  de  la  cuirasse.  Nul  doute,  cependant, 
que  dans  un  temps  peut-être  rapproché  la  victoire  ne 
reste  au  canon.  Les  expériences  qui  ont  été  faites 
récemment  dans  les  usines  prouvent  qu'on  peut,  en 
augmentant  faiblement  les  dimensions  et  le  poids  de 
la  pièce,  accroître  notablement  sa  puissance;  et  ces 
progrès  continuant  et  s'accentuant  de  jour  en  jour,  on 
arrivera  à  créer  un  canon  capable  de  percer  les  cui- 
rasses les  plus  épaisses. 

Cette  recherche,  pourtant  si  importante,  préoccupe 
beaucoup  moins  les  esprits  depuis  qu'on  a  découvert, 
dans  la  torpille,  un  canon  sous-marin  et  invisible,  qui 
éclate  sous  la  carène  même  du  navire  et  qui,  par  sa 
force  irrésistible,  brise  comme  du  verre  l'armure  la 
plus  formidable.  Cet  engin  si  simple  et  si  puissant 
est  appelé  à  produire  une  révolution  dans  la  marine 
actuelle.  Rien  ne  résiste  h  sa  violence.  Le  cuirassé, 
comme  le  simple  navire  de  commerce,  saute  cà  son 

MÉMOIKES,   T.   XXJ,    1877.  9 


126  l'océan  ATLAiNTIQUE. 

contact.  Les  expériences  les  plus  convaincantes  l'ont 
démontré.  Ainsi,  la  torpille  Harvey  a  été  essayée  à 
Spithead,  sous  la  direction  du  commandant  Harvey 
lui-même.  «  Le  Gamel  ',  qui  n'est  qu'un  remorqueur 
ordinaire  du  port  de  Portsmoutli,  mais  qui  a  été 
construit  à  Jarrow  pour  montrer  ce  que  doit  être  un 
remorqueur,  reçut  une  torpille  Harvey  avec  ses  ac- 
cessoires, et  partit  pour  Spithead  avec  ordre  d'atta- 
quer le  Eoyal  Sovereign  dont  les  instructions  étaient 
d'éviter  le  Camel.  Sur  douze  tentatives,  le  remor- 
queur réussit  dix  fois  à  mettre  sa  torpille  en  contact 
avec  le  fond  du  Royal  Sovereign,  la  torpille,  bien  en- 
tendu, n'étant  pas  chargée.  On  peut  juger  de  l'impor- 
tance de  ce  résultat,  puisqu'une  seule  explosion  de  la 
torpille,  si  elle  eût  été  chargée,  aurait  pu  couler  le 
Moycd  Sovereign.  » 

De  même  à  Portsmouth,  on  remit  à  flot  un  vieux 
vapeur  à  roues,  VOhéron,  et  on  le  soumit  à  l'action 
d'une  torpille  munie  d'une  charge  de  226  kilogr.  de 
coton  poudre.  Le  résultat  fut  instantané  ;  la  navire  fut 
partagé  en  deux  parties. 

De  ces  faits  et  d'autres  plus  incontestables  encore, 
on  a  conclu  que  le  cuirassé,  même  à  double  armure, 
est  mis  hors  de  combat  par  l'explosion  d'une  torpille. 

Les  torpilles  peuvent  être  utilisées  de  deux  ma- 
nières. Elles  servent  d'abord  à  la  défense  ;  alors  elles 
sont  fixées  solidement  au  fond  des  passes  qui  donnent 
entrée  dans  les  ports.  On  les  enflamme  en  général  au 
moyen  de  l'électricité,  mode  qui  présente  plusieurs 
avantages,  entre  autres  celui  d'être  sans  danger  pour 
les  navires  amis,  si  l'on  a  eul)  précaution  de  rompre 

^  Bévue  marilime  et  coloniale,  septembre  1871. 


l'océan  atlantique.  127 

le  courant  de  la  pile  ;  cependant  ces  torpilles  coûtent 
fort  cher,  et  il  faut  en  avoir  un  grand  soin,  car,  lors 
de  la  guerre  des  États-Unis,  le  Xeiv-Ironsides,  qui 
bombardait  le  fort  Sumter  à  Charlestown,  resta  une 
heure  au-dessus  d'une  torpille  électrique  qu'on  ne  put 
faire  éclater  par  suite  d'une  avarie  dans  les  fils.  On 
place  les  torpilles  à  9  mètres  les  unes  des  autres, 
mais,  malgré  cette  faible  distance,  elles  ne  consti- 
tuent pas  un  moyen  de  défense  suffisant  lorsque  la 
passe  est  large.  En  effet,  si  plusieurs  navires  veulent 
forcer  le  canal,  ils  se  rangent  en  ligne  de  file  ;  les 
premiers  sauteront  peut-être,  mais  les  autres  pour- 
ront passer. 

Le  lieutenant  de  la  Chauvinière  résume  ainsi  les 
avantages  et  les  inconvénients  des  torpilles  comme 
moyen  de  défense^  :  «  Elles  peuvent  être  placées 
dans  toute  espèce  de  chenal  ou  d'entrée  de  port  avec 
facilité  et  promptitude,  au  premier  moment  du  dan- 
ger et  avant  que  Ion  ait  eu  le  temps  de  construire 
toute  autre  défense.  Les  torpilles  coûtent  moins  cher, 
sont  plus  facilement  transportables,  à  terre  ou  dans 
des  chaloupes,  et  produisent  sur  les  navires  un  effet 
destructif  bien  supérieur  à  celui  de  la  plus  puissante 
pièce  d'artillerie  en  usage. 

Employées  conjointement  avec  d'autres  barrages, 
les  torpilles  rendent  impossible  le  forcement  d'une 
passe  sous  le  feu  de  batteries  judicieusement  placées 
à  terre;  elles  forcent  l'ennemi  à  s'avancer  avec  pré- 
caution, lui  faisant  perdre  un  temps  précieux. 

Cependant,  en  regard  de  tous  ces  avantages,  elles 
gênent  parfois  les  mouvements  des  navires  amis  ;  de 

^  Eevue  maritime  et  coloniale,  décembre  1868. 


128  l'océan  atlantique. 

plus,  on  ne  peut  jamais  être  certain  qu'elles  s'enflam- 
meront juste  au  moment  voulu.  » 

Le  second  but  que  peut  remplir  une  torpille,  c'est 
comme  arme  offensive.  On  emploie  alors  quelquefois 
des  torpilles  flottantes  que  les  courants,  les  vents 
conduisent  vers  la  flotte  ennemie.  Elles  sont  d'une 
faible  utilité,  parce  que,  sur  un  grand  nombre  de 
torpilles,  quelques-unes  d'entre  elles  seulement  at- 
teignent le  navire  ennemi  ;  souvent  même  le  résultat 
est  nul. 

Mais  les  bateaux-torpilles  présentent  beaucoup  plus 
d'avantages.  Ils  portent,  fixée  à  un  espar  en  bois, 
une  torpille  qui  s'enflamme  par  le  contact.  L'espar 
n'a  pas  besoin  d'être  très-long,  car  à  la  suite  d'expé- 
riences qui  se  sont  faites  à  Portsmouth,  on  a  reconnu 
qu'un  vapeur  porte-torpille  n'a  rien  à  craindre  de  l'ex- 
plosion lorsqu'il  en  est  éloigné  de  6'", 70. 

Le  bateau-torpille  Witeliead  peut  parcourir  un  cer- 
tain espace  sous  l'eau  avant  d'attaquer  la  carène  du 
navire,  de  manière  à  n'être  pas  aperçu.  Le  bateau- 
torpille  doit  être  doué  d'une  grande  vitesse,  sa  ma- 
chine marcher  sans  bruit  et  sans  fumée. 

Qu'on  l'emploie  comme  arme  offensive  ou  défen- 
sive, la  torpille  produira  une  révolution  dans  la 
marine  militaire,  car  elle  ne  tend  à  rien  moins  qu'à 
la  supprimer  tout  à  fait.  Aussi  comprend-on  que  les 
marins  cherchent  assidûment  à  trouver  un  remède 
efficace  à  ses  effets  ;  mais  tous  les  procédés  qu'on  a 
proposés  jusqu'ici  pour  rendre  les  torpilles  inoff'ensi- 
ves  sont  restés  insuffisants. 

Le  lieutenant  Charles  Lindsay  a  construit,  par 
exemple,  des  filets  dont  on  entoure  le  navire  en  dan- 
ger d'être  surpris  ;  ces  filets  se  continuent  sous  l'eau 


l'océan  atlantique.  129 

à  une  assez  grande  profondeur  pour  empêcher  le  ba- 
teau-torpille Witeliead  de  frapper  la  carène  du  navire. 

M.  Wild  a  employé  un  jet  puissant  de  lumière 
électrique,  afin  de  découvrir,  à  la  distance  d'un  mille, 
la  présence  des  chaloupes  torpilles. 

Lors  de  la  guerre  d'Amérique,  l'amiral  Dahlgreen 
faisait  draguer  le  fond  et  ramassait  dans  le  filet  les 
torpilles  placées  par  l'ennemi. 

Enfin  des  plongeurs  les  pèchent  au  péril  de  leur  vie. 

Faisons  maintenant  une  revue  rapide  des  marines 
militaires  des  diverses  nations  qui  bordent  l'Atlantique. 

L'Angleterre  est  sans  contredit  la  plus  forte  puis- 
sance navale  du  monde;  ses  flottes  nombreuses,  ses 
marins  d'élite,  la  possession  de  tous  les  passages  im- 
portants, une  sage  direction,  concourent  à  placer 
cette  contrée  à  la  tète  de  toutes  les  autres  nations 
maritimes.  Du  reste  les  sommes  que  les  Chambres 
britanniques  votent  pour  la  marine  sont  vraiment 
énormes,  et  il  n'est  pas  de  pays  au  monde  qui  lui  ac- 
corde de  pareils  capitaux.  Cependant  des  voix  autori- 
sées se  sont  souvent  élevées  dans  le  Parlement  anglais 
pour  combattre  l'opinion  exagérée  du  public  au  sujet 
de  la  marine  anglaise.  M.  Reed,  en  particulier,  dans 
la  séance  du  13  mars  1876  de  la  Chambre  des  com- 
munes, a  soutenu  que  l'Angleterre  avait  une  marine 
assez  faible  et  qu'elle  serait  battue  dans  le  cas  où  la 
Russie  et  la  France,  par  exemple,  s'allieraient.  Il  est 
vrai  que  M.  Hunt  a  répondu  que  les  chiffres  cités  par 
M.  Reed  étaient  trop  faibles  en  ce  qui  concerne  l'An- 
gleterre et  trop  élevés  pour  les  autres  puissances, 
mais  il  ne  ressort  pas  moins  du  débat  que  l'importance 
qu"on  donne  à  la  marine  anglaise  est  trop  grande.  Un 
certain  nombre  des  navires  qu'on  vante  tant  sont  en 


loO  l'océan  atlantique. 

réparation  sur  les  chantiers  et  incapables  de  tenir  la 
mer,  d'autres  sont  très-éloignés,  enfin  il  en  est  qui, 
excellents  dans  la  Méditerranée  ou  dans  la  Manche, 
seraient  sans  grande  utilité  en  plein  Atlantique.  On 
n'ignore  pas,  du  reste,  que  lors  de  la  visite  du  Shah 
de  Perse,  beaucoup  de  vaisseaux  dont  on  voulait  faire 
parade  ont  été  réparés  en  grande  hâte,  et  que  la  plu- 
part d'entre  eux  n'auraient  pas  pu  partir  pour  une 
campagne  navale  même  très-courte.  Aussi  la  Naval 
and  miUtary  Gazette  poussait-elle  un  cri  de  détresse, 
et  proclamait-elle  que  la  marine  anglaise  est  dans  un 
état  de  faiblesse  déplorable,  qui  a  surtout  pour  cause 
une  économie  mal  entendue. 

Cependant,  en  dépit  de  toutes  ces  plaintes,  M. 
Shaw  Lefebvre  a  publié  récemment  sur  l'état  de  la 
marine  anglaise  '  un  travail  dans  lequel  il  démontre 
que,  en  représentant  la  force  de  cette  marine  par 
1112,  celle  de  l'Europe  vaudrait  2011,  proportion  qui 
est  la  même  qu'en  1793. 

Il  y  a  actuellement  en  Angleterre  20  navires  pos- 
sédant une  cuirasse  épaisse  de  plus  de  205  millimè- 
tres, limite  au-dessous  de  laquelle  l'armure  n'est  que 
d'une  moins  grande  utilité.  \J Inflexible  tient  le  pre- 
mier rang,  puis  viennent  le  Breadnought ^  la  Dévasta- 
tion^ le  Tlmnderer,  le  Monarch,  le  Warrior,  tous 
d'une  puissance  formidable. 

V Inflexible  surtout  n'a  pas  son  égal  dans  le  monde, 
car  si  le  chiffre  100  représente  sa  force,  le  Ditilio 
(navire  italien)  sera  figuré  par  92,  le  Foudroijant 
(français)  par  72,  le  Pic rre-le- Grand  (russe)  par  71, 
le  7Wyd/<o//' (autrichien)  par  (31,  le  7vrt/se>' (allemand) 
par  48. 

*  Revue  maritime  et  coloniale,  avril  1877. 


l'océan  atlantique.  131 

Outre  ces  20  navires  de  première  classe  et  G  navires 
semblables  qui  sont  en  construction,  l'Angleterre  pos-- 
sède  encore  beaucoup  de  cuirassés  de  seconde  classe, 
plus  faibles, mais  qui  ont  aussi  leur  valeur,  beaucoup 
de  croiseurs  très-rapides,  de  corvettes,  de  sloops, 
de  canonnières,  de  gardes-côtes  redoutables,  dont  la 
réunion  forme  une  marine  colossale. 

M .  Shaw-Lefebvre  soutient  les  quatre  points  sui- 
vants :  «  1"  que  l'Angleterre  serait  en  état  de  faire 
aujourd'hui  ce  qu'elle  a  fait  en  1793  ;  2''  qu'une  coa- 
lition comme  celle  de  1796  est  actuellement  en  de- 
hors de  toute  prévision  raisonnable;  3'^  que  des  coa- 
litions hors  de  l'Europe  ne  sont  nullement  à  redouter; 
4*^  enfin,  que  la  situation  spéciale  de  la  Grande-Bre- 
tagne lui  permettrait  de  diviser  toute  coalition  et  de 
couper  en  deux  les  flottes,  de  façon  à  les  battre  en 
détail.  Ainsi,  par  exemple,  une  escadre  anglaise  sta- 
tionnée à  Gibraltar  suffirait  pour  empêcher  la  jonc- 
tion des  forces  navales  françaises  de  la  Méditerranée 
et  de  l'Océan.  Il  en  serait  de  même  des  forces  navales 
espagnoles  de  Cadix  et  de  Carthagène,  de  celles  de 
la  Russie,  venant  de  la  Baltique  et  de  la  mer  Noire, 
en  supposant  que  ces  dernières  aient  pu  franchir  les 
Dardanelles  ;  les  flottes  allemandes  elles-mêmes  se- 
raient aisément  tenues  séparées  par  une  escadre  an- 
glaise croisant  dans  le  Sund.  » 

Quant  à  la  marine  française,  M.  Paget,  dans  son 
travail  sur  les  Puissances  navales  et  leur  politique  ', 
soutient  qu'elle  est  actuellement  dans  un  état  d'aff"ai- 
blissement  complet.  «  Le  fait  d'un  grand  nombre  de 
navires  construits  sur  le  même  type,  dit-il,  donne  à  la 

^  Analysé  de  l'anglais  dans  la  Bévue  maritime  et  coloniale  par 
M.  A.  Pic-Paris,  juillet  1876. 


132  l'océan  atla.xtique. 

liste  de  la  flotte  française  une  apparence  de  symétrie, 
d'unité  qui  manque  aux  autres  marines.  Mais  cela  ne 
doit  pas  nous  aveugler  sur  sa  réelle  faiblesse,  et  la 
France,  jusqu'au  moment  où  les  puissants  navires 
qu'elle  a  sur  les  chantiers  seront  à  flot,  ne  possédera 
pas  une  marine  à  la  hauteur  de  la  situation  et  du  rang 
qu'elle  doit  tenir  parmi  les  puissances  maritimes  de 
l'Europe.  »  M.  Paget  sait  bien  qu'il  y  a  en  France 
plus  de  60  cuirassés,  mais  il  sait  aussi  que  le  plus 
grand  nombre  de  ces  navires  ne  sont  que  d'une  mé- 
diocre utilité  ;  du  reste  il  constate  avec  peine  cette 
faiblesse  de  la  flotte  française,  car  il  croit  qu'elle  aura 
pour  conséquence  de  placer  l'Allemagne  immédiate- 
ment après  l'Angleterre  comme  puissance  maritime. 

M.  Shaw-Lefebvre  ne  croit  pas  à  cet  amoindrisse- 
ment de  la  puissance  maritime  de  la  France,  car  il 
prétend  au  contraire  qu'elle  possède  12  cuirassés 
dont  l'armure  a  plus  de  205  millimètres  d'épaisseur, 
et  qu'en  outre  il  y  en  a  actuellement  en  construction 
10  qui  seront  de  cette  catégorie.  Du  reste,  depuis 
1872,  la  marine  française  a  fait  de  grands  progrès. 
Profitant  des  expériences  faites  en  Angleterre,  les 
constructeurs  français  ont  créé  des  bâtiments  du  type 
de  la  Dévastation,  tels  que  la  Dévastation,  le  Fou- 
droyant, le  Duperré.  En  1873  on  avait  déjà  construit 
le  BedoutaUc ,  cuirassé  de  première  classe.  Aussi,  en 
voyant  tous  les  eftbrts  que  fait  le  ministère  de  la 
marine,  envoyant  les  chantiers  occupés,  couverts  de 
bâtiments  en  construction,  les  découvertes  étrangères 
imitées  dans  ce  qu'elles  ont  d'utile,  peut-on  mettre  en 
doute  les  assertions  de  M.  Paget  et  affirmer  que  la 
France  est  la  seconde  puissance  maritime. 

D'ailleurs  l'Allemagne  n'a  que  5  cuirassés  de  pre- 


l'océan  atlantique.  133 

niière  classe,  et  encore  n'ont-ils  pas  été  construits  sur 
le  modèle  des  nouveaux  cuirassés  anglais.  Le  princi- 
pal, le  Kaiser,  est  de  force  médiocre.  C'est  pour- 
quoi le  gouvernement  a  mis  en  chantier  plusieurs  na- 
vires de  guerre.  En  187G  il  y  avait  en  construction 
2  frégates  cuirassées,  5  canonnières  cuii-assées,  4  cor- 
vettes à  hélice,  3  avisos  et  3  bateaux-torpilles.  On 
pense  qu'après  l'achèvement  de  ces  bâtiments  et  de 
ceux  qu'on  se  propose  encore  de  construire,  c'est-à- 
dire  en  1882,  l'Allemagne  occupera  le  troisième  rang 
comme  puissance  navale. 

La  Russie  possède  un  grand  nombre  de  navires  de 
guerre,  mais  il  n'y  en  a  que  3  qui  aient  un  cuirasse- 
ment plus  fort  que  205  millimètres.  L'un  d'entre  eux 
est  le  Plerre-le-Grami,  construit  sur  le  modèle  des 
cuirassés  anglais;  les  deux  autres  sont  des  navires 
circulaires  im  popoffJcas ,  appelés  ainsi  parce  gue  c'est 
l'amiral  Popoff  qui,  le  premier,  a  fait  consti-uire  des 
navires  de  ce  genre.  Ces  bâtiments  sont  formidables 
et  jouissent  de  l'avantage  de  n'exiger  qu'un  faible  ti- 
rant d'eau;  cependant  on  leur  reproche  leur  peu  de 
vitesse.  En  effet,  par  suite  de  leur  forme  circulaire, 
ils  n'avancent  qu'avec  une  rapidité  deux  fois  plus  fai- 
ble que  celle  des  cuirassés  anglais,  lors  même  que  les 
machines  sont  de  la  môme  force.  La  Russie,  ne  pré- 
tendant pas  faire  des  conquêtes  maritimes,  et  son  but 
étant  au  contraire  de  défendre  efticacement  ses  côtes, 
les  popoffkas  lui  sont  précieuses  à  cause  de  leur  faible 
déplacement,  tandis  que  la  lenteur  relative  de  leur 
marche  n'est  pas  un  inconvénient,  parce  que  leur  rôle 
de  gardes-côtes  les  empêche  de  lutter  de  vitesse  avec 
les  croiseurs. 

A  ces  navires  on  peut  joindre  d'autres  cuirassés. 


134  l'océan  atlantique. 

tels  que  le  Général- Neivski  et  le  Grand- Amiral,  dont 
l'armure  n'a  que  152  millimètres  d'épaisseur,  quel- 
ques vaisseaux  à  tourelles,  comme  VAmiral-Lasaref, 
enfin  7  frégates,  dont  4  ont  une  cuirasse  de  115  mil- 
limètres, et  les  trois  autres  en  ont  une  de  152  à  178 
millimètres. 

La  flotte  suédoise,  en  1876,  se  composait  de  4  mo- 
nitors,  dont  trois,  le  John  Ericsson,  le  Thordôn  et  le 
Torfing,  ont  une  cuirasse  de  223  millimètres,  et  l'au- 
tre, le  Loke,  une  cuirasse  de  150  millimètres.  Il  y 
avait  en  outre  10  canonnières  cuirassées,  2  frégates 
et  11  canonnières  non  cuirassées. 

La  Norvvége  a  une  dizaine  de  navires  à  tourelles 
de  seconde  classe. 

Le  Danemark  possède  6  navires  cuirassés.  Le  Pe- 
derskram  a  une  force  de  600  chevaux,  le  Donnehrog 
de  400.  h'Odin  a  une  cuirasse  de  203  millimètres  et 
une  vitesse  de  13  nœuds.  Les  autres  cuirassés  sont 
plus  faibles.  Il  y  a  en  outre  25  navires  sans  armure. 

La  Hollande  ayant  beaucoup  de  colonies,  doit 
avoir  une  marine  capable  de  les  garder.  Ainsi,  elle 
possède  2  navires  cuirassés  à  tourelles,  12  monitors 
et  2  canonnières  cuirassées.  Elle  a  en  outre  une  flot- 
tille nommée  :  la  marine  du  gouvernement  des  Indes, 
qui  se  compose  d'un  assez  grand  nombre  de  navires 
(plus  de  80)  non  cuirassés. 

Comme  puissance  navale,  le  Portugal  est  bien  dé- 
chu. On  ne  reconnaît  plus  dans  ce  royaume  l'ancienne 
nation  dont  les  flottes  couvraient  les  mers,  dont  les 
colonies  étaient  nombreuses  et  prospères  et  qui,  mal- 
gré l'exiguïté  de  son  territoire,  exerçait  presque 
l'hégémonie  en  Europe.  Cependant,  après  de  longues 
époques  d'inertie,  il  semble  que  l'ancien  génie  mari- 


I/OCÉAN  ATLANTIQUK.  135 

time  se  réveille  dans  le  pays  dont  les  marins  ont  dé- 
couvert la  route  des  Indes  ;  le  ministre  actuel  de  la 
marine  a  commencé  la  réorganisation  de  la  flotte,  en 
commandant  en  Angleterre  1  cuirassé,  2  corvettes,  3 
canonnières  et  1  transport.  Actuellement  le  Portugal 
possède  1  corvette  cuirassée,  le  Vasco  da  Gama,  6 
corvettes  à  vapeur  en  bon  état  et  10  canonnières. 

Les  Etats-Unis  n'ont  pas  une  flotte  aussi  forte  que 
celle  des  puissances  navales  de  l'Europe.  Ainsi, 
VArmi/  and  Navij  Journal  de  New- York  constate  que 
cet  Etat  a  actuellement  23  navires  cuirassés,  dont 
21  monitors  et  2  navires  porte-torpilles  en  fer.  Ce- 
pendant il  ne  faut  pas  croire  que  la  puissance  de  la 
flotte  soit  en  raison  du  nombre  de  ses  navires,  car  les 
navires  américains  n'ont  pas  une  cuirasse  bien 
épaisse,  et  d'ailleurs,  elle  se  compose  de  plaques  de 
métal  laminées  ensemble,  système  aujourd'hui  aban- 
donné comme  très-défectueux.  Les  pièces  d'artillerie 
sont  aussi  inférieures  à  celles  que  possèdent  actuelle- 
ment les  puissances  européennes.  Ce  sont  des  canons 
lisses  de  gros  calibre,  dont  la  force  est  relativement 
faible.  Il  y  a  en  outre  plus  de  40  croiseurs  en  bon 
état,  parmi  lesquels  on  remarque  le  WamjKinoag,  qui 
a  une  grande  vitesse. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  situation  de  la  flotte  améri- 
caine est  loin  d'être  satisfaisante,  et  c'est  pour  l'amé- 
liorer que  le  comité  naval  vient  de  proposer  au  Con- 
grès un  bill  par  lequel  la  question  de  la  réorganisa- 
tion de  la  flotte  serait  soumise  à  une  commission  qui 
rapporterait  en  particulier  sur  les  trois  points  sui- 
vants '  :  «  P  les  grands  navires  de  combat,  leur  nom- 

^  Bévue  maritime  et  coloniale,  mars  1877. 


136  l'océan  atlantique. 

bre,  leur  mode  de  construction,  leur  armement  et 
leur  matériel  ;  2°  les  croiseurs  :  il  est  indispensable 
que  la  flotte  américaine  compte  un  certain  nombre  de 
navires  de  cette  catégorie,  capables  de  détruire  le 
commerce  ennemi  et  de  tenter  les  entreprises  que 
leur  permettrait  leur  grande  marche  à  la  vapeur  ; 
3°  la  défense  des  ports  et  les  torpilles.  » 

Le  Brésil  a  des  forces  navales  assez  considérables. 
Il  possède  en  effet  16  navires  cuirassés,  4  navires  de 
ce  genre  en  construction  et  70  croiseurs  sans  cui- 
rasse. Cependant  cette  flotte  a  les  mêmes  défectuosi- 
tés que  celle  des  Etats-Unis.  L'armure  de  ses  moni- 
tors  est  assez  faible,  et  sur  les  268  canons  qui  les  ar- 
ment, 55  seulement  sont  rayés. 


CHAPITRE  XXX. 

Lignes  télégraphiques  sous-marines.  Isthme 
de  Panama.  Tunnel  de  la  Manche. 

Malgré  le  désir  que  doivent  éprouver  mes  lecteuî's 
de  voir  se  clore  promptement  une  notice  déjà  trop 
longue,  je  ne  puis,  en  terminant,  passer  sous  silence 
les  progrès  qu'a  réalisés  récemment  la  science,  en  vue 
d'accroître  encore  la  rapidité  des  communications  en- 
tre les  hommes. 

L'heureuse  immersion  des  câbles  télégraphiques 
sous-marins  est  pour  nous  le  fait  scientiflque  le  plus 
important  qui  se  soit  accompli  dans  les  temps  moder- 
nes, et  nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  l'enthou- 
siasme avec  lequel  les  populations  des  deux  rives  de 
l'Atlantique  ont  salué  la  nouvelle  de  la  libre  commu- 


l'océan  atlantique.  137 

nication  entre  l'FAirope  et  l'Amérique.  Mais  cette 
glorieuse  entreprise  ne  fut  pas  d'abord  couronnée  de 
succès,  et  sans  en  faire  ici  Ihistorique  complet,  nous 
voulons  mentionner  les  principales  époques  qui  font 
date  à  ce  sujet  '. 

C'est  en  1850  que  commencèrent  les  expériences 
relatives  à  la  pose  d'un  câble  télégraphique  à  travers 
un  large  espace  d'eau.  M.  Brett  relia  Douvres  et  Ca- 
lais. A  partir  de  cette  époque,  les  tentatives  ne  ces- 
sèrent plus.  Déjà  en  1854,  les  mers  d'Europe  étaient 
traversées  par  douze  lignes  sous-marines,  et  l'écho 
de  ces  entreprises  arrivant  en  Amérique,  les  Yankees 
s'enflammèrent  d'ardeur  pour  un  projet  si  bien  fait 
pour  captiver  leur  esprit. 

En  1857,  le  vaisseau  anglais  V Agamemnon  et  le 
Niagara,  navire  américain,  tentent  de  jeter  un  câble 
dans  les  profondeurs  de  l'Océan;  mais  le  câble  se 
rompt  et  on  l'abandonne. 

En  1858,  on  renouvelle  les  essais.  La  première 
fois,  une  tempête  entrave  la  manœuvre  ;  la  seconde 
fois,  on  réussit  à  immerger  le  câble,  et,  le  14  août 
1858,  la  première  dépêche  lancée  à  travers  l'Atlanti- 
que est  ainsi  conçue  :  Gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des 
deux. paix  sur  la  terre,  bienveillance  entre  les  hommes. 
Mais  une  nouvelle  déception  était  réservée  aux  infa- 
tigables pionniers  de  la  science.  Après  400  dépêches 
qui  avaient  passé  sans  encombre,  le  lil  se  tut  ;  il  s'é- 
tait rompu  dans  les  profondeurs. 

Ce  ne  fut  qu'en  1865  qu'on  entreprit  de  nouveau 

^  Nous  avons  particulièrement  consulté  là-dessus  la  notice  de 
M.  le  colonel  suisse  "SVilliam  Huber  sur  le  Réseau  télégraphique  du 
Globe,  insérée  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de 
Paris,  mai  1373. 


138  l'océan  atlantique. 

la  pose  d'un  câble.  L'immense  Great-Eastern  fut 
chargé  de  cette  œuvre  ;  le  câble  se  rompit  de  nou- 
veau. 

En  1866,  le  Great-Eastern  fit  une  nouvelle  tenta- 
tive qui,  cette  fois,  fut  couronnée  de  succès,  et  les 
communications  furent  définitivement  établies  entre 
les  deux  continents. 

Actuellement  quatre  câbles  relient  l'Angleterre  et 
Terre-Neuve.  Une  ligne  sous-marine  française  relie 
Brest  et  St-Pierre;  enfin  le  Portugal  et  le  Brésil  sont 
unis  par  un  fil  qui  passe  par  Madère  et  les  îles  du 
Cap  Vert. 

D'autres  lignes  télégraphiques  plus  nombreuses 
parcourent  la  Manche,  la  mer  du  Nord,  la  Baltique, 
le  golfe  du  Mexique  et  la  mer  des  Antilles. 

Si  la  pose  des  câbles  télégraphiques  sous-marins 
est  l'un  des  événements  les  plus  importants  accomplis 
dans  ce  siècle,  le  percement  de  l'Amérique  centrale 
par  un  canal,  et  le  tunnel  de  la  Manche,  qui  s'accom- 
pliront dans  un  avenir  rapproché,  marqueront  d'un 
sceau  inefïaçable  deux  dates  historiques  dont  l'impor- 
tance grandira  encore  en  raison  des  bienfaits  qu'ap- 
porteront ces  travaux. 

Le  percement  de  Fisthmc  de  Panama  est  loin  de 
s'accomplir  dans  les  mêmes  conditions  que  Topératiou 
semblable  exécutée  à  l'isthme  de  Suez.  Ici,  on  n'avait 
qu'à  retrouver  les  traces  de  l'ancien  canal  par  lequel 
la  Méditerranée  et  la  mer  Rouge  avaient  comnuniiqué 
dans  les  temps  pré-historiques,  tandis  que,  dans  l'A- 
mérique centrale,  on  a  des  obstacles  à  surmonter  : 
rendre  navigable  le  cours  d'un  fleuve,  percer  une 
montagne,  canaliser  un  lac,  difficultés  d'autant  plus 
grandes  que  la  condition  primordiale  du  canal  est 


l'océan  atlantique.  139 

d'être  saus  écluses,  sinon,  les  vaisseaux  de  gros  ton- 
nage préféreront  la  route  du  cap  Horn;  enfin  les  dé- 
penses occasionnées  seront  énormes.  Parmi  les  tracés 
proposés  actuellement,  il  y  en  a  peu  qui  remplissent 
cette  condition,  et  chacun  d'eux  demande  en  revanche 
l'accomplissement  de  travaux  si  grands  et  si  coûteux 
qu'il  faut  y  renoncer.  Il  s'est  formé  dernièrement  à 
Paris  un  comité  international  dont  le  but  est  de  tra- 
vailler au  percement  du  canal,  et  qui  a  choisi,  pour 
champ  des  explorations  qu'il  patronne,  l'isthme  peu 
connu  du  Darien,  où  l'on  espère  trouver  des  condi- 
tions plus  avantageuses.  L'œuvre  de  ce  comité  est 
excellente,  seulement  il  ne  faut  pas  oublier  que  l'ini- 
tiative doit  venir  des  États-Unis,  qui  sont  plus  di- 
rectement intéressés  que  l'Europe  à  la  construction 
du  passage. 

Xon-seulement  le  prix  de  ce  travail  sera  plus  élevé 
que  celui  accompli  à  Suez ,  parce  que  les  difficultés  à 
vaincre  sont  plus  grandes,  mais  on  doit  aussi  envisa- 
ger que  les  avantages  qui  en  résulteront  seront  bien 
moindres  ;  car  le  chemin  de  fer  qui,  dans  les  Etats- 
Unis,  relie  l'Atlantique  au  Pacifique,  absorbe  une 
grande  partie  du  commerce  venant  du  Xord,  et  l'on 
peut  constater  que  le  chemin  de  fer  construit  à  Pa- 
nama n'a  qu'une  importance  minime.  Les  navires, 
surtout  ceux  qui  vont  sur  la  côte  occidentale  de  l'x^- 
mérique  du  Sud,  préféreront  la  paisible  route  mari- 
time du  cap  Horn  au  passage  de  la  mer  des  Antilles, 
souvent  bouleversée  par  des  ouragans,  d'autant  plus 
que  le  prix  du  passage  au  canal  sera  extraordinaire- 
ment  élevé. 

L'utilité  actuelle  du  canal  est  donc  loin  d'être  com- 
plètement démontrée.  Espérons  que  de  nouvelles  étu- 


140  l'océan  atlantique. 

des  feront  découvrir  un  tracé  plus  facile,  et  que  les 
ressources  inépuisables  que  l'Amérique  renferme 
augmenteront  les  échanges  dans  une  proportion  sen- 
sible ;  c'est  alors  seulement  que  la  nécessité  d'un  ca- 
nal se  fera  plus  fermement  sentir. 

Le  tunnel  de  la  Manche  est  dans  de  tout  autres 
conditions.  Son  utilité  n'a  pas  besoin  d'être  démon- 
trée; aussi  se  préoccupe-t-on  beaucoup  de  sa  con- 
struction. Déjà  les  sondages  ont  été  exécutés  et  voici 
les  conclusions  d'une  conférence  que  M.  Lavallay,  di- 
recteur des  travaux  de  la  section  française,  a  faite  à 
la  Société  des  ingénieurs  civils  :  «  Les  bancs  inférieurs 
de  la  craie  se  continuent  sans  interruption  d'une  côte 
à  l'autre;  ces  bancs  sont  imperméables,  et  leur  allure 
est  dès  à  présent  connue  avec  assez  de  précision  pour 
que  le  tracé  du  tunnel  puisse  être  déterminé  de  façon 
à  satisfaire  aux  conditions  d'économie  dans  la  con- 
struction, de  facilité  de  raccordements  avec  les  che- 
mins existant  dans  l'un  et  l'autre  pays,  et  enfin,  de 
rapidité  et  de  commodité  dans  l'exploitation'.  » 

Grâce  aux  progrès  des  sciences,  l'on  peut  donc  es- 
pérer que,  dans  un  avenir  prochain,  le  continent  eu- 
ropéen sera  relié  avec  l'Angleterre  par  une  ligne 
non  interrompue  de  chemins  de  fer,  et  que  l'isthme  de 
Panama  ne  sera  pas  ta  toujours  un  obstacle  aux  com- 
munications directes  et  rapides  entre  l'Atlantique  et 
le  Pacifique.  L'homme  aura  ainsi  reculé  les  bornes  de 
son  empire  sur  le  globe,  comme  il  a  triomphé  de  l'es- 
pace par  l'établissement  de  la  ligne  télégrapliique  qui 
permet  à  sa  pensée  de  courir  en  un  instant  de  l'ex- 
trême orient  à  l'extrême  occident. 

'  L'Exploration  pai-  M.  Ch.  Ilorz,  l"  juillet  1S77. 


MÉMOIRES 


MÉMOIRES,  T.   XVI,   1877.  10 


PLAINES  ET  DÉSERTS 

DES 

DEUX     COlSrTINEjSrTS 


PREMIERE  PARTIE 

OÈSERT  DE  SAHARA.— ARABIE. —MÉSOPOTAMIE. 
TARTARIE.  —  MONGOLIE. 

«  Laissez  aux  autres  l'érudition  profonde  et 
minutieuse,  ne  soyez  qu'interprète  intelligent, 
simple  et  naïf,  agréable  s'il  est  possible.  Tâchez 
de  vous  faire  lire  et  comprendre  par  tout  le 
monde;  les  grands  succès  appartiennent  moins 
aux  savants  qu'aux  vulgarisateurs.  » 

(A.  FiRMix-DiDOT,  Journal  de  Genève  du 
30  décembre  1876.) 


INTRODUCTION. 

Les  espaces  étendus,  les  horizons  vastes  et  décou- 
verts ne  sont  pas  sans  influence  sur  l'esprit  des  hom- 
mes, et  ont  presque  toujours  exercé  sur  ceux  qui  sont 
en  rapport  avec  eux  un  charme  particulier.  Notre 
imagination  excitée  par  des  analogies  réelles  se  plaît 
à  les  peupler  de  troupeaux  et  de  pasteurs  qui  nous 
ramènent  par  la  pensée  au  temps  des  patriarches  et 
des  origines  de  l'humanité.  C'est  ce  qui  rend  leur 
étude  intéressante,  c'est  ce  qui  nous  pousse  à  nous 
en  occuper. 

Les  habitants  des  régions  de  montagnes,  comme 


144  PLAINES  F.T  DÉSERTS 

aussi  les  marins  parcourant  le  vaste  Océan,  justifie- 
raient notre  assertion,  et  les  descriptions  de  ces  deux 
extrêmes  dans  la  configuration  du  globe  quant  à  leur 
distance  du  centre  de  la  terre,  nous  les  font  abon- 
damment connaître.  Mais  pour  être  complet,  il  nous 
resterait  à  parler  des  océans  de  sables  et  des  vastes 
plaines  inhabitées  que  présentent  dans  leur  intérieur 
nos  principaux  continents. 

«  Dans  toutes  les  zones,  dit  Humboldt,  la  nature 
offre  de  ces  plaines,  de  ces  étendues  illimitées  et  soli- 
taires dont  la  physionomie  et  le  caractère  varient  en 
particulier  pour  chacune  d'elles  selon  la  hauteur  de 
ces  plaines  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  en  raison 
aussi  de  leur  latitude  plus  ou  moins  élevée,  en  raison 
enfin  des  particularités  de  leur  sol  et  de  leur  climat.  » 
Ces  traits  particuliers  qui  en  différencient  la  physio- 
nomie leur  ont  valu  des  noms  distincts. 

C'est  ainsi  qu'en  Europe  (France),  on  a  donné  à 
quelques-unes  le  nom  de  landes.  Ailleurs,  ces  plaines 
recouvertes  d'une  seule  espèce  de  plantes,  la  bruyère 
(Escault,  Jutland),  peuvent  être  considérées  comme 
des  steppes,  nom,  dit  Humboldt,  qu'on  donne  souvent 
et  surtout  aussi  aux  plaines  de  la  Haute- Asie.  L'Afri- 
que rappelle  l'idée  de  déserts  de  sable,  l'Amérique 
celle  de  savanes,  c'est-à-dire  de  pâturages  abondants 
en  graminées.  Mais  par  ces  distinctions,  on  établit 
des  contrastes  qui  ne  sont  pas  toujours  justifiés,  ni 
parfaitement  fondés  dans  la  nature. 

Cependant,  tandis  qu'en  thèse  générale,  le  nom  de 
steppe  rappelle  l'idée  de  troupeaux  et  d'herbages,  et 
présente  à  notre  imagination  les  incidents  et  toutes 
les  péripéties  variées  de  la  vie  pastorale,  telles  que 
nous  les  offrent  en  Asie  les  plaines  de  l'Arabie,  de  la 


DES  DEUX  CONTINF.NTS.  14S 

Mésopotamie,  de  la  Tartarie  et  de  la  Mongolie,  nous 
connaissons  en  Afrique  de  semblables  espaces  éten- 
dus sous  le  nom  de  déserts  ;  à  ce  nom  s'associent  tou- 
jours l'idée  de  sables  et  de  dépôts  salins,  comme  le 
désert  au  nord  de  Tombuctou  par  exemple,  puis  l'i- 
dée de  simoum  ou  veut  du  désert,  l'idée  enfin  de  hor- 
des pillardes  qui  les  affrontent  et  les  traversent. 

Les  vastes  plaines,  rivières  et  forêts  de  l'Améri- 
que, soit  entre  les  bassins  du  Colorado  et  du  Mis- 
souri, soit  entre  ceux  de  l'Orénoque  et  de  l'Amazone, 
comme^  plus  au  midi^  celles  qui  traversent  le  conti- 
nent sud-américain  d'un  océan  à  l'autre,  nous  seront 
encore  longtemps  connues  sous  les  noms  divers  de 
jyrairies,  savanes,  llanos  ti  pampas,  suivant  les  carac- 
tères qu'elles  présentent  et  les  phénomènes  qui  s'y 
produisent,  parce  qu'en  général  les  espaces  déserts 
couverts  de  graviers  et  dépouillés  de  végétaux  qui 
caractérisent  le  Sahara  leur  manquent  presque  entiè- 
rement. 

Si  sous  le  nom  de  Sahara  on  peut  concevoir  des  dé- 
serts de  sables  et  de  sel  sans  eaux  courantes,  et  qui 
furent  peut-être  autrefois  recouverts  par  la  mer,  où, 
entons  cas,  les  lits  de  fleuves  antérieurs  n'existent 
plus  qu"à  l'état  fossile  et  desséché  qu'on  désigne  au 
Sahara  sous  le  nom  de  fleuves  mo7is,  d'autre  part  on 
sera  frappé^  quand  nous  les  étudierons,  devoir  qu'en 
général  les  grandes  étendues  désertes  couvertes  d'her- 
bages et  désignées  sous  le  nom  de  steppes  occupent  des 
plateaux  élevés  au-dessus  de  la  mer  et  bornés  par  de 
grands  fleuves  qui  les  saignent,  qui,  destinés  quelque- 
fois à  disparaître  plus  bas  sous  les  sables,  y  conser- 
vent, aussi  longtemps  qu'ils  limitent  la  steppe,  un 
cours  puissant  et  régulier,  au  point  d'y  avoir  de  temps 


146  PLAINES  ET  DÉSERTS 

immémorial  sur  l'Euphrate  des  bateaux  de  poste  (Job). 
Par  exemple,  le  Nil  au  désert  Nubien,  l'Euphrate  au 
désert  de  Syrie  et  de  Mésopotamie,  l'Oxus  supérieur 
(Amu-Daria)  au  désert  de  Kliiva  ;  peut-être  aussi 
le  Missouri  et  ses  affluents  au  Kansas,  l'Orénoque  et 
ses  affluents  aux  llanos,  l'Uruguay,  le  Parana  et  leurs 
affluents  aux  pampas,  etc. 

Mais  quelles  que  soient  ces  diversités  de  noms  et 
de  caractères  dans  chaque  région,  presque  toujours 
on  devra  comprendre  sous  ces  dénominations  variées 
lande,  désert,  steppe,  prairie,  savane,  llanos,  pam- 
pas, etc.,  des  espaces  étendus  et  homogènes  pour  cha- 
cun d'eux,  où  les  habitants  sont  rares,  où  les  phéno- 
mènes climatériques  se  produisent  avec  une  énergie 
particulière,  où  la  culture  permanente  est  plus  ou 
moins  nulle,  et  où,  par  conséquent,  la  vie  de  l'homme 
est  exposée  à  des  luttes  et  souvent  à  de  vrais  dan- 
gers. Ces  dangers,  pour  être  différents,  ne  le  cèdent 
ni  à  ceux  provenant  des  précipices,  avalanches  et  ef- 
fondrements des  glaciers  alpestres  et  polaires,  ni  à 
ceux  non  plus  des  tempêtes  de  l'Océan. 

C'est  à  passer  rapidement  en  revue  ces  différentes 
étendues  désertes  et  planes  que  nous  consacrerons  cet 
essai. 

Nous  commencerons  par  le  Sahara  d'Afrique,  et 
nous  y  rattacherons  par  analogie,  dans  un  premier  li- 
vre ou  chapitre,  les  déserts  et  stejDpes  asiatiques  de 
l'Arabie,  de  la  Mésopotamie,  de  la  Tartarie  et  de  la 
Mongolie.  Puis,  dans  un  second  livre,  nous  étudie- 
rons en  Amérique^  sous  les  noms  de  prairies,  savanes, 
llanos  et  pampas,  des  espaces  étendus  et  homogènes, 
ayant  par  rapport  à  ceux  des  autres  continents  des 
analogies,  mais  aussi  des  diflérences  caractéristiques. 


DES  DEUX  Ca^TINENTS.  147 


I.  —  LE  SAHARA 

Berbères.  Maures.  Touaregs,  etc.  Le  Sahara 
ou  pays  de  la  Soif. 

Dessinées  à  gTaiids  traits,  ses  limites  sont  compri- 
ses entre  le  Nil  et  l'Océan  d'une  part,  entre  l'Afrique 
centrale  et  l'Afrique  septentrionale  baignée  par  la 
Méditerranée  de  l'autre. 

M.  D'Escayrac  (Désert  et  Soudan,  p.  3  et  suiv.) 
donne  au  Sahara  1600  milles  géographiques  de  lon- 
gueur de  l'Est  à  l'Ouest  et  800  milles  de  largeur  du 
Sud  au  Nord.  Plus  basses  en  général  que  le  niveau  de 
la  Méditerranée,  les  plaines  du  Sahara  sont  séparées 
de  ses  côtes  par  une  ligue  montagneuse  qui  s'étend  du 
Maroc  à  l'Egypte  ;  elle  atteint  sur  l'Atlas  sa  plus 
grande  élévation  et  sa  plus  grande  largeur.  Au  nord 
de  cette  chaîne  s'étend  le  Riff,  qui  en  Algérie  prend 
le  nom  de  Tell  ou  TeuU,  offrant  les  mêmes  caractères 
et  le  même  climat  que  l'Andalousie,  la  Sicile  et  la  Pa- 
lestine. Ses  produits  et  ses  cultures  naturelles  sont  le 
blé,  l'orge,  l'olivier,  le  mûrier,  la  vigne,  l'oranger,  le 
figuier,  le  liège  et  le  cactus  (ce  dernier  récemment 
importé  d'Amérique).  Le  dattier,  dont  nous  parle- 
rons bientôt,  n'y  est  qu'une  exception  et  y  est  en  gé- 
néral improductif. 

On  peut  diviser  l'Afrique  septentrionale  en  quatre 
zones  :  1°  Zone  des  pluies  hivernales^  de  la  côte  de  la 
Méditerranée  au  37Mat.  nord;  2"  Zone  sans  pluie  y 
Sahara  proprement  dit,  du  37'^  au  17°;  3°  Zone  des 
pluies  estivales,  du  17"  au  10°;  4\Z(9;2e  des  pluies  per- 
manentes, du  10°  à  l'équateur. 


148  PLAINES  ET  DÉSERTS 

Revenons  au  Sahara.  Voici  comment  M.  Largeau 
(p.  13)  nous  introduit  dans  ce  domaine  : 

«  Au  Sahara,  dit-il,  l'œil  étonné  embrasse  une 
plaine  immense  qui  se  déroule  vers  le  Sud  jusqu'au 
lointain  horizon;  cette  plaine  est  l'image  fidèle  de 
l'Océan  ;  il  serait  difficile  de  dire  exactement  quelles 
sont  ses  limites. 

*  Comme  l'Océan^  certaines  parties  de  cette  plaine 
sont  parsemées  d'îles  arrosées  et  fertiles,  lesquelles 
sont  les  points  de  relâche  des  caravanes  qui  la  tra- 
versent, et  ces  îles  sont  tantôt  isolées,  tantôt  grou- 
pées en  archipels.  Comme  l'Océan,  cette  plaine  a 
aussi  ses  calmes  énervants,  ses  tempêtes  horribles 
pendant  lesquelles  ses  flots  de  sable  s'élèvent  jusqu'aux 
nues;  elle  a  aussi  ses  parties  mj^stérieuses,  qui  sont 
encore  inexplorées.  Comme  pour  l'Océan  enfin,  ce 
qui,  pris  en  général,  y  porte  le  caractère  de  plaine, 
présente  toutefois  ici  et  là  et  sur  de  grands  espaces 
des  ondulations  de  sable  qui  rappellent  les  vagues, 
bien  entendu  que  ces  vagues  séparées  par  des  vallées 
profondes  peuvent  aller  de  dix  mètres  jusqu'à  mille 
mètres  de  hauteur. 

«  Cette  plaine  c'est  le  Sahara,  dont  le  nom  signifie 
désert  fauve  et  nu\  et  les  îles  dont  elle  est  parsemée 
s'appellent  oasîs  (en  arabe  :  el  ouahhat).  Famé  est 
bien  le  mot  propre,  si  la  comparaison  du  Sahara  avec 
une  peau  de  panthère,  comparaison  qu'on  trouve  chez 
les  Romains  (Duveyrier,  p.  88),  est  juste.  Sa  vaste 
étendue  avec  ses  ondulations  et  ses  plaines,  avec  ses 
oasis  foncées,  parsemées  sur  son  sol  sablonneux  de  cou- 
leur ardente,  doit  bien  figurer  la  robe  bigarrée  de  la 
bête  fauve.  Le  peintre  Fromentin,  de  son  côté,  s'ex- 
prime ainsi  :  «  La  plaine  autour  d'El  Agouat  n'est 


DES  DEUX  CONTINENTS.  149 

d'un  bout  à  l'autre,  aussi  loin  que  la  vue  peut  s'éten- 
dre, ni  rouge,  ni  jaune,  ni  bistré,  mais  exactement 
fauve,  c'est-à-dire  couleur  ([q  peau  de  Mon.  » 

On  appelle  aussi  le  Sahara  pai/s  de  la  soif,  de  même 
que  les  plaines  de  la  Mongolie  se  nomment  pays  des 
herbes  ou  la  terre  des  herbes.  Il  n'est  donc  pas  éton- 
nant que,  dans  ses  conditions  actuelles,  le  Sahara 
présente  l'image  d'une  profonde  solitude.  M.  Largeau 
y  a  souvent  voyagé  dix  jours  de  suite  sans  y  rencon- 
trer un  homme,  une  tente  ou  des  chameaux. 

M.  le  capitaine  de  Bonnemain  dit  (  Voyage  à  Gha- 
damès,  1856):  La  plupart  des  caravanes  ont  l'habi- 
tude de  déposer  entre  El-Ouad  et  Ghadamès^,  à  ciel 
ouvert,  une  partie  des  provisions  du  voyage  pour  les 
reprendre  au  retour;  il  n'y  a  pas  à  craindre  que  d'au- 
tres voyageurs  s'en  emparent.  Sur  d'autres  lignes,  j'ai 
trouvé  (18G0)  des  marchandises  ainsi  coutiées  à  la 
garde  de  Dieu.  De  même  sur  la  route  de  Moursouk  à 
Rhat;  faute  de  bêtes  de  rechange,  quand  lim  des  cha- 
meaux d'une  caravane  vient  à  périr  en  route,  on  laisse 
sa  charge  sur  la  route  pour  la  reprendre  au  retour; 
on  est  sûr  de  l'y  retrouver  intacte,  attendit-on  une 
année  (Duveyrier,  Exploration  du  Sahara,  p.  259). 

Cependant,  hatons-nous  de  le  dire  avec  Humboklt. 
depuis  qu'on  a  mieux  appris  à  connaître  les  déserts  de 
l'intérieur  de  l'Afrique  si  longtemps  et  si  vaguement 
réunis  sous  la  dénomination  de  désert  du  Sahara,  on 
a  observé  que,  dans  l'Est  de  ce  continent,  il  y  a. 
comme  aussi  en  Arabie,  de  véritables  savanes  propres 
à  la  demeure  des  hommes,  c'est-à-dire  des  pâturages 
enclavés  au  milieu  de  terrains  nus  et  arides. 

Le  caractère  dominant  du  désert,  c'est,  dit  Ch.  Di- 
dier, son  uniformité  ajoutée  à  son  immensité;  mais  ne 


130  PLAINES  KT  DÉSERTS 

croyons  pas  que  le  désert  soit  monotone,  au  contraire: 
tous  ceux  qui  y  ont  séjourné  ou  seulement  voj^agé,  sa- 
vent quelle  variété  infinie  présente  cette  apparente 
uniformité  et  avec  quelle  rapidité  les  heures  s'y  en- 
fuient. Et  quel  silence!  comparé  au  bruit  des  villes! 
En  mettant  le  pied  dans  le  désert,  on  éprouve  un  sai- 
sissement involontaire,  une  mélancolie  grave  et  aus- 
tère inséparable  des  grandes  solitudes  ;  mais  on  s'ac- 
climate vite  dans  ce  redoutable  empire  des  sables,  on 
s'y  sent  roi  de  l'espace,  on  y  respire  avec  délices  cet 
air  libre,  on  s'y  sent  vivre  d'une  vie  nouvelle  ;  elle  a 
tant  de  charmes  qu'on  ne  s'en  arrache  qu'à  grand'peine 
une  fois  qu'on  l'a  connue,  et  qu'on  la  regrette  toujours  » 
(Ch.  Didier,  Cinquante  jours  au  désert,  p.  305-308). 
Après  le  poète  Didier,  écoutons  le  peintre  Fromen- 
tin :  «  Cependant,  dit-il,  si  la  nature  du  désert,  ici 
très-simple  et  très-beau,  est  peu  faite  pour  charmer, 
il  est  capable  d'émouvoir  fortement,  autant  que  n'im- 
porte quelle  contrée  du  monde  ;  c'est  une  terre  sans 
grâce,  sans  douceur,  sévère,  dont  le  premier  effet  est 
de  rendre  sérieux,  eftet  et  influence  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  l'ennui.  Déjà  on  y  pressent  les  dunes, 
pays  de  collines  expirant  dans  un  pays  plus  grand  en- 
core, plat,  baigné  d'une  éternelle  lumière,  assez  vide, 
assez  désolé  pour  donner  l'idée  de  ce  phénomène  in- 
connu, mystérieux,  appelé  le  désert,  où  le  ciel  est  tou- 
jours à  peu  près  semblable,  avec  du  silence  et  de 
tous  côtés  des  horizons  tranquilles;  placez  au  centre 
une  sorte  de  ville  perdue,  El  Agouat,  par  exemple, 
environnée  de  solitude,  puis  un  peu  de  verdure  alter- 
nant avec  des  îlots  sablonneux,  entin  quelques  récifs 
de  calcaire  blanchâtre  ou  de  schistes  noirs,  au  bord 
d'une  étendue  (]ui  ressemble  à  la  mer,  pour  tout  épi- 


UKS  DEUX  CONTINENTS.  lol 

sode,  ou  bien  un  soleil  qui  se  lève  sur  le  désert  et  va 
se  coucher  derrière  les  collines,  toujours  calme,  dé- 
vorant, sans  rayons,  ou  bien  des  bancs  de  sable  qui 
ont  changé  de  place  et  de  forme  aux  derniers  vents 
venus  du  Sud.  De  courtes  aurores,  des  midis  plus 
longs  et  plus  pesants  qu'ailleurs,  presque  pas  de  cré- 
puscule, puis  un  retour  des  vents  brûlants  qui  domient 
momentanément  au  paysage  une  physionomie  mena- 
çante et  qui  peuvent  produire  alors  des  sensations 
accablantes,  mais  plus  ordinairement  une  immobilité 
radieuse  et  une  sorte  d'impassibilité  qui.  du  ciel,  sem- 
ble être  descendue  dans  les  choses,  et  des  choses  dans 
les  hommes  et  dans  leurs  sentiments.  La  première 
impression  qui  résulte  de  ce  tableau  ardent  et  ina- 
nimé, composé  de  soleil,  d'étendue  et  de  solitude,  est 
poignante  et  ne  peut  être  comparée  à  aucune  autre  ;  à 
l'heure  de  midi,  le  désert  se  transforme  en  une  plaine 
obscure  ;  le  soleil,  à  son  centre,  l'inscrit  dans  un  cercle 
de  lumière,  dont  les  rayons  égaux  le  frappent  en  plein^ 
dans  tous  les  sens  et  partout  à  la  fois.  Ce  n'est  plus 
ni  de  la  clarté  ni  de  l'ombre,  la  perspective  cesse  à 
peu  près  de  mesurer  les  distances;  ce  sont  15  ou  20 
lieues  de  pays  uniforme  et  plat  comme  un  plancher  ; 
il  semble  que  le  plus  petit  objet  saillant  y  devrait  ap- 
paraître, pourtant  on  n"y  découvre  rien  ;  on  ne  saurait 
même  dire  ce  qui  est  sable,  terre  ou  rocher_,  et  l'im- 
mobilité de  cette  mer  solide  devient  alors  encore  plus 
frappante.  On  se  demande,  en  la  voyant  commencera 
ses  pieds,  puis  s'étendre,  s'enfoncer  vers  le  Sud,  vers 
l'Est,  vers  l'Ouest,  sans  chemin  tracé,  sans  courbe  ni 
intlexion,  que  peut  être  ce  pays  silencieux-,  revêtu  de 
la  couleur  du  vide,  d'où  personne  ne  vient,  oîi  per- 
sonne ne  s'en  va,  et  qui  se  termine  par  une  raie  droite 


In2  PLAINES  ET  DÉSERTS 

et  nette  sur  le  ciel!  On  sent  qu'il  ne  finit  j)as  là,  et 
que  ce  n'est,  pour  ainsi  dire,  que  l'entrée  de  la  haute 
mer.  » 

Et  quelles  nuits  admirables  !  calmes,  chaudes, 
ardemment  étoilées ,  comme  une  nuit  de  canicule. 
C'est,  depuis  l'horizon  jusqu'au  zénith,  le  même  scin- 
tillement partout  et  comme  une  sorte  de  phosphores- 
cence confuse,  au  milieu  de  laquelle  étincellent  les 
grands  astres  blancs  et  courent  d'innombrables  mé- 
téores ;  «  quelques-uns  avaient  tant  d'éclat,  dit  Fro- 
mentin, que  mon  cheval  secouait  la  tête,  inquiété  par 
ces  traînées  de  feu.  Il  n'y  avait  dans  l'air  immobile 
ni  mouvement,  ni  bruit,  mais  Je  ne  sais  quel  mur- 
mure indéfinissable  qui  venait  du  ciel,  et  qu'on  eût 
dit  produit  par  la  palpitation  des  étoiles.  » 

L'aspect  du  désert,  l'immensité  de  ses  horizons, 
son  uniformité,  son  silence  impressionnent  vivement 
celui  qui  le  contemple  pour  la  première  fois;  l'Océan, 
les  glaces  du  pôle,  les  Alpes  supérieures  produisent 
seuls  sur  notre  âme  une  impression  semblable;  le  sen- 
timent de  la  solitude  dans  laquelle  nous  nous  trou- 
vons, la  conscience  de  notre  faiblesse,  l'admiration 
que  nous  inspire  une  scène  aussi  grandiose,  tout  agit 
sur  nous  et  donne  à  notre  esprit  et  à  nos  pensées  une 
plus  grande  concentration  ;  l'homme  religieux  le  de- 
vient davantage,  l'imagination  du  poète  s'exalte,  etc. 
(D'Escayrac,  Désert  et  Soudan). 

Le  peintre  Fromentin  nous  initie  ainsi  au  désert 
du  Sahara  :  «  Ce  désert,  dit-il,  prélude  au  Nord  par 
des  étendues  vagues,  oîi  poussent  au  hasard  quelques 
maigres  herbages  sur  un  sol  que  la  charrue  n'a  point 
remué;  ce  sont,  déjà  au  delà  de  Blida,  des  champs 
d'oignons  sauvages  mêlés  à  des  palmiers  nains,  d'ar- 


DES  DEUX  CONTINENTS.  153 

tichauts  sauvages  aussi,  qui  étalent  à  la  vue  leur  tige 
incolore  et  leur  fruit  barbelé  ;  ce  sont  encore  des  ro- 
marins, des  lavandes,  des  genêts  à  la  fleur  jaune,  en- 
fin des  broussailles  épineuses  a3^ant  la  couleur  de  la 
poussière  qui  les  recouvre  et  maigre  pâture  pour  les 
ciiameaux  épuisés.  Telle  est  cette  zone,  avant-garde 
du  désert,  où  l'été  ne  laisse  pas  une  herbe  vivace, 
tantôt  battue  par  les  grandes  pluies,  écrasée  par  le 
poids  des  eaux,  tantôt  durcie,  gercée,  brûlée  par  cinq 
mois  de  sécheresse  et  de  soleil  à  peu  près  continus. 
Ces  grands  espaces  vides  sont  d'un  parcours  aussi 
doux  au  pas  des  chevaux  qu'un  pré  fauché  ou  que  les 
chaumes  d'un  champ  coupés  très-courts.  On  en  voit 
sortir  de  grands  chardons  à  haute  tige  tous  couronnés, 
comme  la  hampe  des  drapeaux  arabes,  d'une  boule 
blanche  composée  d'un  duvet  soyeux.  Le  vent  d'été 
passe  sans  y  occasionner  le  plus  petit  murmure  ;  il  en 
disperse  les  soies  brillantes  et  projette  leur  graine 
inutile  sur  des  lieues  de  pays  abandonné.  Puis  vien- 
nent des  terrains  plus  maigres  où  la  marne  est  encore 
plus  nue;  puis  de  loin  en  loin  des  enfoncements,  des 
dépressions  où  se  produit  et  verdoie  la  triste  et  silen- 
cieuse végétation  des  marais.  L'insignifiance  du  dé- 
tail disparaît  dans  cet  ensemble  vaste  et  baigné  de  lu- 
mière et  d'air,  et  les  accidents  s'évanouissent  dans  ce 
grand  vide.  Quand,  par  hasard,  un  arbre  apparaît 
sur  cet  horizon  plat  où  la  vue  se  fatigue  à  vouloir  pé- 
nétrer l'azur,  où  le  vent  manque,  où  l'ombre  est  nulle, 
c'est  tantôt  un  vieil  olivier  oublié,  protégé  par  les 
superstitions  locales,  où  les  femmes  voisines  vont  sus- 
pendre en  ex  voto  des  lambeaux  de  guenilles,  tantôt 
un  groupe  inattendu  de  dattiers  poussant  sur  la  même 
souche  comme  pour  se  protéger  Tun  l'autre,  et  mar- 


lo4  PLAINES  ET  DÉSERTS 

tyrisés  par  les  intempéries  d'un  climat  qui  n'est  pas 
encore  le  leur.  » 

En  effet,  nous  ne  sommes  ici  qu'aux  abords  et  non 
au  sein  du  désert  même.  Cependant  s'évanouissent 
bientôt  dans  les  brumes  du  Nord,  les  dernières  habi- 
tations où  quelques  restes  de  civilisation  rappellent 
au  voyageur  l'Europe  qu'il  a  quittée.  Au  loin,  dans 
cette  direction,  interrompant  à  de  longs  intervalles 
une  ligne  buissonneuse,  un  point  blanc,  de  forme  in- 
décise, indique  encore  la  ferme  isolée  d'un  colon  ; 
plus  rarement  une  série  de  taches  agglomérées  dans 
un  certain  ordre  et  légèrement  arrondies  comme  des 
tas  d'herbes  consumées  trahissent  un  douar. 

Le  Sahara  peut  se  diviser  :  V  en  Fiafl,  c'est-à- 
dire  plaine  habitée,  oasis  entourant  les  sources  et  les 
puits  ombragés  de  palmiers  et  autres  arbres  frui- 
tiers, abritant  du  soleil  et  du  simoum;  2^  en  Kifar, 
c'est  la  plaine  sablonneuse  et  vide,  mais  qui,  fécon- 
dée momentanément  par  les  pluies  de  l'hiver,  se  cou- 
vre au  printemps  d'herbes  où  paissent  alors  les  trou- 
peaux nomades  ;  3'^  en  Falat,  c'est-à-dire  la  plaine 
immense,  stérile  et  nue,  mer  de  sable,  dont  les  vagues 
éternelles  agitées  aujourd'hui  par  le  simoum,  seront 
demain  amoncelées,  immobiles  et  sillonnées  par  les 
caravanes  et  les  chameaux,  vaisseaux  du  désert  (Dau- 
mas). 

Au  Sahara  s'associent,  avons-nous  dit,  avec  Tidée 
de  sables  sans  limites,  celles  de  mirage,  d'oasis,  de 
simoum  ou  vent  du  désert,  et  de  caravanes.  Ces  ca- 
ravanes du  Sahara  mettent  cinquante  jours  à  le  tra- 
verser. Rien  de  plus  imposant  que  ces  plaines  immen- 
ses ;  elles  font  j)artie,  dit  Hiimboldt,  d'une  mer  de 
sable  qui  sépare  des  régions  fertiles  ou  qui  les  en- 


DES  DEUX  GUM'INENTS.  l.*)5 

toure  comme  des  îles.  Aucune  rosée,  aucune  pluie  ne 
viennent  humecter  cette  surface  désolée,  ni  féconder 
le  germe  de  la  vie  des  plantes  dans  le  sein  brûlant  de 
cette  terre,  d'où  s'élèvent  des  colonnes  d'air  embrasé 
qui  absorbent  les  vapeurs  et  dissipent  les  nuées  em- 
portées rapidement. 

Dans  la  partie  du  Sahara  entre  ïuggurth  et  Rha- 
damès  toutefois,  il  ne  faudrait  pas  prendre  à  la  lettre 
cette  description  ;  ni  la  rosée,  ni  les  pluies  n'j'  font 
défaut  constamment,  du  moins  pendant  l'hiver,  au 
rapport  de  M.  Largeau,et  les  nuages  y  séjournent  par- 
fois assez  longtemps.  Mais  cette  peinture  tracée  par 
Humboldtse  vérifie  à  mesure  qu'on  pénètre  plus  avant 
dans  l'intérieur. 

Entre  le  32°  et  le  17°  de  latitude  Nord,  de  légères 
troupes  d'autruches  et  de  gazelles,  parfois  des  ban- 
des altérées  de  lions  et  de  panthères,  remplissent  ces 
solitudes  du  bruit  de  leurs  rugissements  et  de  leurs 
combats.  Plus  au  Nord,  ils  sont  remplacés  au  Sahara 
par  l'antilope,  les  scorpions  qui  y  pullulent,  et  diver- 
ses sortes  de  vipères,  sans  parler  des  lézards  de  tou- 
tes dimensions. 

Quelques  groupes  de  ces  îles  que  nous  avons  dési- 
gnées, d'après  les  Arabes,  sous  le  nom  d'oasis,  parce 
qu'elles  sont  pourvues  de  sources,  émergent  de  cette 
mer  de  sable,  et  servent,  depuis  des  miniers  d'années, 
de  ligne  de  communication  invariable  aux  tribus  no- 
mades et  au  commerce  dont  les  nombreuses  carava- 
nes franchissent  l'espace  de  Tafilet  à  Tombuctou,  ou 
du  Fézan  au  Darfour. 

La  population  du  Sahara  est  essentiellement  no- 
made, mélangée  de  sang  berbère,  nègre  et  arabe,  dont 
le  docteur  Barth  et  M.  H.  Duveyrier  ont  récemment, 


156  PLAINES  ET  DÉSERTS 

par  leurs  études  faites  sur  place,  commencé  à  retra- 
cer riiistoire. 

Les  nomades  de  ia  partie  Sud  et  Ouest  du  Sahara 
sont  désignés  plus  spécialement  sous  le  nom  de  Toua- 
regs. Le  Touareg  porte  un  voile  sur  la  tête  et  sur  le 
visage  ;  d'oii  son  nom,  qui  signifie  voilé.  Les  uns  re- 
connaissent la  suprématie  de  l'empereur  du  Maroc, 
les  autres  celle  du  sultan  de  Constantinople.  Ils  sont 
maris  d'une  seule  femme,  et  celle-ci  occupe  dans  la 
famille  un  rang  bien  supérieur  à  celui  des  femmes 
chez  les  Arabes  dont  nous  parlerons  bientôt. 

Pour  les  nomades  du  Sahara,  l'immensité  de  l'es- 
pace occupe  et  dévore  tout  leur  temps  ;  malgré  cette 
immensité,  la  rapidité  delà  transmission  des  nouvel- 
les y  est  incroyable.  Les  établissements  sédentaires 
où  le  nomade  habite  des  maisons  proprement  dites, 
quoique  précaires  et  construites  en  fascinage  et  en 
roseaux,  y  sont  l'exception,  à  côté  des  stations  et 
campements  qui,  au  Nord  et  au  Sud,  comme  à  l'Est 
et  à  l'Ouest,  se  composent  de  tentes  portatives  que  les 
chefs  surtout  affectent  d'habiter  exclusivement. 

Les  nomades  en  général,  les  Touaregs  en  particu- 
lier, dit  M.  H.  Duveyrier,  n'y  sont  ni  agriculteurs, 
ni  artisans;  ils  ne  sont  que  pasteurs,  et  leur  ten.ps 
est  exclusivement  consacré  à  leurs  courses  et  à  leurs 
transports.  La  surveillance  de  l'immense  territoire, 
sa  garde,  et  l'abreuvage  des  troupeaux  aux  puits  pro- 
fonds, les  voyages,  les  déplacements  exigés  par  la 
transhumance  absorbent  un  temps  et  des  forces  qui 
supposent  chez  ces  peuples  un  tempérament  excessi- 
vement robuste. 

Notre  imagination  nous  retrace,  à  côté  de  cette 
existence  pastorale,  nomade  et  commerçante,  celle 


DES  DEUX  CUNTINENTS.  157 

des  tribus  vivant  plus  ou  moins  de  pillage,  l'idée  de 
rares  puits  abreuvant  les  voyageurs,  et  surtout  l'im- 
posante et  dramatique  tigure  du  chameau,  surnommé 
le  vaisseau  du  désert,  qui,  depuis  les  temps  du  pa- 
triarche Abraham  jusqu'à  nos  jours,  en  est  la  per- 
sonnitication  la  plus  vivante,  comme  elle  en  est  la  res- 
source la  plus  indispensable  et  la  plus  constante.  Sans 
son  chameau,  l'Arabe  ne  pourrait  voyager  au  désert; 
l'homme  et  l'animal  semblent  faits  pour  y  vivre  en- 
semble. 

Le  chameau,  dit  M.  H.  Duveyrier  {Exxioration  du 
Sahara,  p.  218j,  est  le  destructeur  de  la  distance,  le 
combattant  de  l'espace,  ce  grand  ennemi  de  l'habitant 
du  désert.  Le  chameau  est  aussi  son  grand  pour- 
voyeur ;  son  lait  est  le  principal  aliment  des  familles 
pendant  la  saison  des  pâturages  ;  sa  viande  est  l'élé- 
ment des  festins  et  de  l'hospitalité  oiïerte  à  l'hôte 
qu'on  veut  distinguer;  le  cuir  du  chameau  entre 
(comme  celui  du  cheval  chez  l'habitant  de  la  pampa 
de  l'Amérique  du  Sud)  dans  la  confection  de  tous  les 
meubles  et  ustensiles  de  ménage,  tels  que  selles, 
bâts,  coffres,  chaussures,  etc.  ;  son  poil  fournit  les 
cordages,  étoffes,  tapis  indispensables;  sa  hente  (Var- 
jol  des  Mongols)  récoltée,  sert  d'engrais  au  dattier 
et  de  combustible  au  ménage. 

Que  deviendrait  le  voyageur  dans  ces  déserts  pri- 
vés d'eau,  sans  le  chameau,  qui,  supportant  longtemps 
la  soif,  porte  sur  ses  épaules  les  outres  pleines  desti- 
nées à  étancher  celle  de  l'homme,  plus  vite  altéré  ? 
Au  Sahara,  pendant  les  grandes  chaleurs  de  l'été,  le 
chameau  restera  huit  à  dix  jours  sans  boire,  mais  lors 
des  pluies  d'hiver,  il  reste,  sans  peine,  un  mois  et 
plus  sans  boire  d'eau.    L'Arabe  nomade  lui-même 

MÉMOIRES,    T.    XVI,    1877.  11 


158  PLAINES  ET  DÉSERTS 

peut  marcher  deux  longues  journées  sans  satisfaire  sa 
soif. 

«  Les  Arabes,  »  dit  Moltke  (  Voyage  en  Orient),  «  ont 
en  i3erspective  dans  leurs  expéditions  de  pillage,  de- 
vant eux  l'espoir  du  butin,  derrière  eux  la  certitude 
d'une  retraite.  Eux  seuls  connaissent  les  pâturages 
du  désert  et  les  puits  ignorés;  eux  seuls,  peuvent  vi- 
vre dans  de  telles  régions,  et  ils  ne  le  peuvent  que 
grâce  à  leurs  chameaux.  Cet  animal  qui  porte  un 
poids  de  500  à  600  livres,  transporte  tout  leur  avoir, 
femmes,  enfants,  vieillards,  tente,  provisions  et  eau, 
d'un  endroit  à  l'autre  ;  le  chameau  fait  6,  8  et  même 
20  journées  de  marche  sans  boire;  bien  plus,  un  cin- 
quième estomac  procure  à  son  maître  de  quoi  se  dés- 
altérer en  cas  d'extrême  nécessité  ;  son  poil  donne  à 
l'Arabe  de  quoi  faire  l'étoffe  de  ses  vêtements  et  celle 
de  ses  tentes  ;  on  extrait  du  sel  de  son  urine  ;  son  crot- 
tin sert  de  combustible  et  l'Arabe  en  retire  le  salpê- 
tre dont  il  fabrique  sa  poudre  de  guerre.  Le  lait  de 
chamelle  nourrit  non-seulement  les  enfants, mais  aussi 
les  juments  qu'il  amaigrit  et  fortifie  en  même  temps. 
Sa  chair  est  saine  et  savoureuse  et  son  cuir  trouve 
maint  emploi.  Le  plus  maigre  fourrage,  l'herbe  la 
plus  dure,  les  épines  et  les  broussailles  suffisent  à  la 
nourriture  de  cet  animal  inappréciable,  patient,  ro- 
buste et  inoffensif.  » 

Que  deviendrait-il,  ce  voyageur,  sans  les  rares 
puits  échelonnés  de  distance  en  distance  sur  cette 
longue  route,  et  qui  alimentent  et  renouvellent  la 
charge  précieuse  des  chameaux  '?  A  cette  charge  vient 
s'ajouter  celle  des  dattes,  qui,  avec  le  lait  de  cha- 
melle, donnent  pendant  la  traversée  du  désert  une 


DES  DEUX  CONTINENTS.  loî) 

nourriture  succulente  au  nomade  épuisé  et  au  voya- 
geur haletant. 

Les  puits  sont  les  pères  nourriciers  de  ces  oasis  de 
dattiers  porteurs  d'un  fruit  bienfaisant  ;  nous  revien- 
drons plus  loin  sur  le  rôle  du  chameau  et  des  dattes 
au  désert.  Disons  ici  un  mot  des  puits  arabes  creusés 
artificiellement  dans  le  Sahara. 

L'énorme  quantité  d'eau  qui,  dit  M.  Largeau,  des- 
cend des  plateaux  du  Sahara  central,  circule  alors  en 
une  large  nappe  souterraine  et  justitierait,  semble-t- 
il,  l'entreprise  et  l'exécution  de  ces  sondages  et  de  ces 
puits  en  grand  nombre.  Ce  n'est  que  depuis  quelques 
années  que,  grâce  à  eux,  l'abondance  de  l'eau  a  per- 
mis ici  et  là  au  Sahara  la  culture  de  l'orge. 

Rien  de  plus  primitif  ici  que  l'opération  du  fo- 
rage d'un  puits;  deux  troncs  de  dattiers  dressés  l'un 
contre  l'autre  au-dessus  de  l'ouverture  projetée,  et 
reliés  entre  eux  par  une  traverse  de  bois  dur  au-des- 
sous de  leur  point  de  rencontre  ;  au  sommet ,  un  seau 
de  cuir  remplacé  quelquefois  par  un  panier  en  feuilles 
de  palmier  et  une  corde  faite  de  l'écorce  du  même 
végétal  qui  s'y  rattache,  voilà,  avec  une  houe  à  creu- 
ser le  sable,  tout  l'appareil.  Approchons-nous  !  c'est 
le  nouveau  puits  qu'on  est  en  train  de  creuser.  Déjà 
la  tête  du  travailleur  descendu  dans  l'ouverture  n'é- 
merge plus  à  la  surface  ;  voyez-vous  cet  autre  se  dés- 
habiller auprès  d'un  feu  allumé  tout  à  côté  de  l'ou- 
verture, où,  à  son  tour,  il  va  descendre  et  remplacer 
son  compagnon  ?  Il  y  trouvera  déjà  l'eau  qui  com- 
mence à  jaillir  au  travers  des  couches  plus  profondes. 
Pour  cela,  il  s'enduit  de  graisse  les  oreilles  qu'il  bou- 
che ensuite  avec  de  la  terre,  se  mouille  le  visage  et  la 
poitrine^fait  une  courte  prière  et  disparait  dans  le  puits. 


160  PLAINES  ET  DÉSERTS 

Un  signal  de  la  corde  qu'il  agite,  au  bout  de  deux  à  trois 
minutes  au  plus,  indique  que  le  seau  est  rempli  de  sa- 
ble, et  on  le  remonte  aussitôt  en  manœuvrant  au 
treuil.  Ce  travail  pénible  sous  l'eau  se  poursuit  par 
l'un  des  plongeurs  alternativement,  jusqu'à  ce  qu'à  la 
profondeur  de  30  à  40  mètres  environ,  la  nappe  jail- 
lissante soit  atteinte.  Le  creusage  et  le  coffrage  du 
puits  prennent  d'ordinaire  six  mois  pour  s'accomplir;  il 
donnera  240  litres  d'eau  par  minute  si  l'opération  a 
bien  réussi;  l'eau  est  de  22°  à  24°  centigrades. 

Les  nomades  sahariens  s'associent  pour  les  frais  du 
creusage  (2  à  3000  fr.  par  puits).  Il  peut  arriver 
aussi  qu'un  riche  Arabe,  marchand  ou  santon,  entre- 
prenne le  forage  d'un  puits,  comme  œuvre  méritoire 
faite  à  ses  frais,  mais  au  profit  de  la  communauté. 
Toutefois,  si  les  puits  assurent  seuls  la  possibilité  et 
la  sécurité  des  communications  dans  le  désert,  il  ar- 
rive parfois  que  cette  sécurité  même  engage  les  tri- 
bus du  désert  à  les  dissimuler,  parfois  même  à  les 
combler  pour  couper  aux  tribus  hostiles  une  voie  par 
laquelle  elles  viendraient  exercer  leurs  déprédations. 

Les  puisatiers  existent  de  temps  immémorial  au 
Sahara;  ils  y  forment  aujourd'hui  une  corporation  esti- 
mée. Excités  à  jalousie  par  les  foreurs  de  puits  arté- 
siens de  l'administration  militaire  française,  le  désert, 
sous  Faction  commune  des  travailleurs  des  deux  na- 
tions, tend  à  se  transformer  peu  à  peu  entre  Tug- 
gurth  et  Rhadamès,  et  se  couvrira  bientôt  et  succes- 
sivement de  belles  et  fraîches  oasis  de  dattiers  (Lar- 
geau,  p.  100). 

Dans  le  désert,  chaque  ruisseau,  chaque  étang, 
provenant  des  pluies  de  l'hiver  que  le  soleil  n'a  pas 
absorbées  totalement,  donne  naissance  à  l'une  de  ces 


DES  DEUX  CONTINENTS.  l()l 

oasis  ou  Uots  de  verdure;  entourée  de  tous  côtés  par 
l'océan  de  sable,  l'oasis  est  isolée,  et  ses  habitants  y 
forment  une  petite  république  indépendante  dont  la 
force  et  la  richesse  correspond  au  nombre  de  ses  dat- 
tiers (D'Escayrac,  Désert  et  Soudan,  p.  4). 

Dans  l'Oued-Rhir  seulement,  dit  M.  H,  Duvey- 
rier,  325  puits  arrosent  600,000  dattiers.  Un  dat- 
tier, dit  un  proverbe  arabe,  doit,  pour  produire  du 
fruit,  avoir  la  tête  dans  le  feu  et  les  pieds  dans  Veau. 
Le  soleil  se  charge  du  feu  sur  la  tête,  les  puits  se 
chargent  dliumecter  les  pieds  du  dattier.  Enfin  il  faut 
.3000  livres  de  crottin  de  chameau  tous  les  dix  ans, 
soit  300  livres  de  fumure  annuelle  au  moins  par  ar- 
bre. 

La  limite  de  la  patrie  du  dattier  est  entre  le  12* 
et  le  37*  parallèle.  Rien  ne  peut  donner  une  idée  de 
la  fraîcheur  et  de  la  beauté  d'une  oasis  ;  au-dessous 
des  dattiers  plantés  en  quinconce  à  une  douzaine  de 
pieds  les  uns  des  autres,  se  groupent  les  abricotiers, 
pêchers,  grenadiers  aux  belles  fleurs  rouges,  les 
orangers  aux  fruits  d'or  et  le  henné  aux  petites  bou- 
les rougeâtres  ;  d'un  arbre  à  l'autre  grimpe  la  vigne  ; 
le  maïs,  le  blé,  l'orge,  le  trèfle  ou  le  tabac  remplis- 
sent tous  les  vides  ;  pas  un  pouce  de  terrain  suscepti- 
bl  e  d'arrosage  n'est  perdu  (D'Escayrac,  Bésert  et  Sou- 
dan, p.  16). 

Le  dattier  est  en  effet,  nous  Ta  vous  dit,  la  res- 
source capitale  de  l'habitant  du  désert  ;  nous  devrons 
bientôt,  en  conséquence,  dire  un  mot  de  son  fruit  et 
faire  connaissance  avec  la  datte.  Mais  avant  de  nous 
transporter  sur  un  marché  d'Arabie  où  ce  fruit  est 
exposé  dans  toutes  ses  variétés,  nous  prendrons  congé 
du  Sahara  en  achevant  le  tableau  du  spectacle  qu'il 


1()2  PLAINES  ET  DÉSERTS 

présente.  «On  a  beau,  dit  Fromentin, d'El  Agouat  par 
exemple,  regarder  tout  autour  de  soi,  près  ou  loin, 
on  ne  distingue  rien  qui  bouge  ;  quelquefois  pourtant 
et  comme  par  hasard,  un  petit  convoi  de  chameaux 
chargés  apparaît  comme  une  file  de  points  noirâtres, 
montant  avec  lenteur  les  pentes  sablonneuses;  on 
l'aperçoit  seulement  quand  il  aborde  au  pied  des 
collines.  Ce  sont  des  voyageurs,  qui  sont-ils?  d'où 
viennent-ils?  Ils  ont  traversé  sans  qu'on  les  ait  aper- 
çus tout  l'horizon  en  vue.  Nous  marchions  depuis  une 
heure  silencieusement,  dit  Fromentin  {Eté  au  Sa- 
hara, p.  235),  et  déjà  appesantis  par  l'action  du  so- 
leil qui  nous  embrasait  les  épaules,  quand  une  bouf- 
fée de  vent  venant  du  large  nous  apporta  le  son  loin- 
tain d'une  musique  arabe.  A  ce  bruit  inattendu  dans 
ce  pays  solitaire,  nous  regardâmes  dans  la  direction 
du  vent  ;  une  ligue  de  poussière  commençait  à  se  des- 
siner au-dessus  de  la  plaine  entre  Tadjemout  et  nous. 
C'était  une  tribu  qui  se  déplaçait. 

«  En  effet,  le  bruit  se  rapprochant,  on  put  bientôt 
reconnaître  l'aigre  fanfare  des  cornemuses  jouant  un 
air  aussi  bien  approprié  à  la  marche  qu'à  la  danse  : 
la  mesure  était  marquée  par  des  coups  réguliers  frap- 
pés sur  des  tambourins;  on  entendait  aussi  par  mo- 
ments des  aboiements  de  chiens.  Puis  la  poussière 
sembla  prendre  une  forme  et  l'on  vit  se  dessiner  une 
longue  file  de  cavaliers  et  de  chameaux  chargés  qui 
s'api)rochaient  de  nous  ;  enfin  il  nous  fut  possible  de 
distinguer  l'ordre  de  marche  et  la  composition  de  la 
caravane.  Elle  était  nombreuse,  et  se  développait  sur 
une  ligne  étroite,  et  longue  d'au  moins  un  grand  quart 
de  lieue.  Les  cavaliers  venaient  en  tête,  en  peloton 
serré,  escortant  un  étendard  aux  trois  couleurs,  rouge, 


1G3 


DES  bEUX  (»)NT1NENTS. 

vert  et  jaune,  avec  trois  boules  de  cuivre  et  le  crois- 
sant à  l'extrémité  de  la  hampe.  Au  delà,  et  sur  le  dos 
des  dromadaires  blancs  ou  d'un  fauve  très-clair,  on 
voyait  se  balancer  quatre  ou  cinq  ataticbes  de  cou- 
leur éclatante  ;  puis  arrivait  un  bataillon  tout  brun 
de  chameaux  de  charge  poussés  par  des  piétons  qui 
suivaient  ;  enlin,  tout  à  fait  à  l'arrière,  accourait,  pour 
suivre  le  pas  allongé  des  dromadaires,  un  énorme 
troupeau  de  moutons  et  de  chèvres  noires  divisé  par 
petites  bandes  dont  chacune  était  conduite  par  des 
femmes  ou  par  des  nègres,  surveillée  par  un  homme 
à  cheval  et  flanquée  de  chiens.  C'était  une  tribu  des 

Arba. 

«  Les  cavaliers  étaient  armés  en  guerre,  et  costu- 
més, parés, équipés  commepour  un  carrousel  ;tousavec 

leurs  longs  fusils  à  capucines  d'argent,  ou  pendus  par 
la  bretelle  en  travers  des  épaules,  ou  posés  horizon- 
talement sur  la  selle,  ou  tenus  de  la  main  droite,  la 
crosse  appuyée  sur  le  genou.  Quelques-uns  portaient 
le  chapeau  de  paille  conique  empanaché  de  plumes 
noires,  d'autres  avaient  le  burnous  rabattu  jusqu'aux 
yeux,  le  haïk  relevé  jusqu'au  nez  ;  et  ceux  dont  on 
ne  voyait  pas  la  barbe,  ressemblaient  ainsi  à  des 
femmes  maigres  et  basanées.  D^autres,  plus  étrange- 
ment coiffés  de  hauts  kolbacks  sans  bord,  en  toison 
d'autruche  mâle,  nus  jusqu'à  la  ceinture,  avec  le  haïk 
roulé  en  écharpe,  le  ceinturon  garni  de  pistolets  et  de 
couteaux,  et  le  vaste  pantalon  de  forme  turque,  en 
drap  rouge,  orange,  vert  ou  bleu,  soutaché  d'or  ou 
d'argent,  paradaient  superbement  sur  de  grands  che- 
vaux habillés  de  soie  comme  au  moyen  âge,  et  dont 
les  longs  chelils  ou  caparaçons  rayés  et  tout  garnis  de 
grelots  de  cuivre,  bruissaient  au  mouvement  de  leur 


164  PLAINES  KT  DÉSERTS 

croupe  et  de  leur  queue  flottante.  Il  y  avait  là  de  fort 
beaux  chevaux;  j '3'  reconnus  ces  chevaux  noirs  à  re- 
flets bleus  que  les  Arabes  comparent  au  pigeon  dans 
l'ombre;  ces  chevaux  couleur  de  roseau,  ces  chevaux 
écarlate  «  comme  le  premier  sang  d'une  blessure  ;  »  les 
blancs  étaient  couleur  de  neige,  et  les  alezans  couleur 
d'or  fin.  D'autres  d'un  gris  foncé,  sous  le  lustre  de  la 
sueur,  devenaient  exactement  violets;  d'autres  en- 
core, d'un  gris  très-clair  et  dont  la  peau  se  laissait 
voir  à  travers  leur  poil  humide  et  rasé,  se  A^einaient 
de  tons  de  chair  et  auraient  pu  s'appeler  hardiment 
des  chevaux  roses. 

«  Au  centre  de  ce  brillant  état-major,  à  quelque  pas 
en  avant  de  l'étendard,  chevauchaient,  l'un  près  de 
l'autre  et  dans  la  tenue  la  plus  simple,  un  vieillard  à 
barbe  grisonnante  et  un  tout  jeune  homme  sans  barbe, 
lie  vieillard  était  vêtu  de  grosse  laine,  et  n'avait  rien 
qui  le  distinguât,  que  la  modestie  même  et  l'irrépro- 
cliable  propreté  de  ses  vêtements,  sa  grande  taille,  la 
majesté  de  sa  tournure,  l'ampleur  extraordinaire  de 
ses  burnous,  surtout  le  volume  de  sa  tête  coiffée  de 
trois  ou  quatre  capuchons  superposés.  Enfoui  plutôt 
qu'assis  dans  sa  vaste  selle  en  velours  cramoisi  brodé 
d'or,  ses  larges  pieds  chaussés  de  babouches  enfoncés 
dans  des  étriers  damasquinés  d'or  et  les  deux  mains 
posées  sur  le  pommeau  étincelant  de  la  selle,  il  me- 
nait à  petits  pas  une  jument  grise,  à  queue  sombre, 
avec  les  naseaux  ardents  et  un  bel  œil  doux  encadré 
de  crins  noirs.  Un  cavalier  nègre,  eu  livrée  verte, 
conduisait  en  main  son  cheval  de  bataille,  superbe 
animal  à  la  robe  de  satin  blanc,  vêtu  de  brocard  et 
tout  harnaché  d'or,  qui  dansait  au  son  de  la  musique, 
et  faisait  fièrement  résonner  les  grelots  de  son  capa- 


DES  DEUX  COdTINE.N TS.  105 

raçon,  les  amulettes  de  son  poitrail  et  Torfévrerie 
splendide  de  sa  bride.  Un  autre  écuyer  portait  son 
sabre  et  son  fusil  de  luxe. 

«  Le  jeune  homme  était  habillé  de  blanc  et  montait 
un  cheval  tout  noir,  énorme  d'encolure,  à  queue  traî- 
nante, la  tête  à  moitié  cachée  dans  sa  crinière.  Il 
était  fluet,  assez  blanc,  très-pâle,  et  c'était  étrange  de 
voir  une  si  robuste  bête  entre  les  mains  d'un  adoles- 
cent si  délicat.  Il  avait  l'air  efféminé,  rusé,  impérieux 
et  insolent.  Il  ne  portait  aucun  insigne,  pas  la  moin- 
dre broderie  sur  ses  vêtements  ;  et  de  toute  sa  per- 
sonne soigneusement  enveloppée  dans  un  burnous  de 
fine  laine,  on  ne  voyait  que  l'extrémité  de  ses  bottes 
sans  éperons  et  sa  main  qui  tenait  la  bride,  une  petite 
main  maigre  ornée  d'un  gros  diamant.  Il  était  ren- 
versé sur  le  dossier  de  sa  selle  en  velours  violet  brodé 
d'argent,  escorté  de  deux  lévriers  magnifiques  qui 
bondissaient  entre  les  jambes  de  son  cheval. 

«  Les  musiciens  venaient  ensuite  frappant ,  sur  des 
tambours  et  des  timbales  de  diverses  formes  ou  souf- 
flant dans  des  musettes  et  des  hautbois;  puis  arri- 
vaient, sur  deux  de  front,  les  grands  chameaux  por- 
teurs de  pavillons  ou  litières  de  voyage  (atatiches) 
marchant  du  pas  noble  de  Fautruche,  comme  disent 
les  Arabes  ;  ils  avaient  des  mouchoirs  de  satin  noir 
passés  au  cou,  et  des  anneaux  d'argent  aux  pieds  de 
devant.  Ces  atatiches  sont  une  sorte  de  corbeilles  en- 
veloppées d'étoffes,  avec  un  fond  plat  garni  de  coussins 
et  de  tapis,  dont  les  extrémités  retombent  en  manière 
de  rideaux  sur  les  deux  flancs  du  dromadaire.  Elles 
sont  de  toute  espèce  d'étoftes  précieuses,  et  forment 
un  assemblage  de  toutes  les  couleurs,  par  exemple, 
damas  citron  rave  de  satin  noir,  avec  des  arabesques 


16(5  PLAINES  ET  DÉSERTS 

d'or  sur  le  fond  noir,  et  des  fleurs  d'argent  sur  le  fond 
citron;  ou  bien  soie  où  l'écarlate,  l'olive,  l'orangé, 
le  violet,  le  rose,  le  bleu,  le  vert  s'entre-croisent  et  se 
mêlent.  On  n'entrevoyait  rien  des  voyageuses  de  dis- 
tinction suspendues  dans  ces  somptueux  berceaux  ; 
mais  un  nègre  à  pied,  qui  se  tenait  au-dessous  de 
chaque  litière,  était  à  leur  service  et  à  leur  disposi- 
tion pour  recevoir  leurs  ordres  à  travers  les  tapisse- 
ries hermétiquement  closes.  Enfin  venaient  les  cha- 
meaux de  charge  portant  les  tentes,  le  mobilier,  la 
batterie  de  cuisine  de  chaque  famille,  accompagnés 
par  des  femmes,  des  enfants  et  quelques  serviteurs  à 
pied  et  les  plus  pauvres  de  la  tribu  ;  parmi  ces  usten- 
siles divers  étaient  suspendus  des  douzaines  de  pou- 
lets liés  ensemble  par  les  pattes  et  qui  battaient  des 
ailes  en  criant.  Les  chameaux  de  transport  pour  les 
bagages  et  les  maisons  de  poil  de  cette  petite  cité  no- 
made en  déménagement  étaient  au  nombre  de  150  à 
200.  Ajoutez-y  de  jeunes  garçons  assis  tout  à  fait  à 
l'arrière  des  bêtes,  juste  au-dessus  de  la  queue,  qui 
jetaient  des  cris  quand  les  animaux  trop  rapprochés 
s'embarrassaient  l'un  dans  l'autre,  ou  bien  de  petits 
enfants  tout  nus  suspendus  à  Textrémité  de  la  charge, 
quelquefois  couchés  dans  un  grand  plat  de  cuisine  et 
s'y  laissant  balancer  comme  dans  un  berceau. 

«  A  l'exception  du  harem,  qui  voyageait  en  litière 
fermée,  toutes  les  femmes  venaient  à  pied  sur  les 
deux  flancs  de  la  caravane,  sans  voile,  leur  quenouille 
à  la  ceinture  et  filant.  Les  petites  filles  suivaient  en 
traînant  ou  portant,  attachés  dans  leur  voile,  les  plus 
jeunes  et  les  moins  alertes  de  la  bande.  De  vieilles 
femmes,  exténuées  par  l'âge,  cheminaient  appuyées 
sur  de  longs  bâtons,  tandis  que  de  grands  vieillards 


DES  DEUX  GONllNENTS.  J67 

se  faisaient  porter  par  de  tout  petits  ânes,  leurs  jam- 
bes traînant  à  terre.  Il  y  avait  des  nègres  qui,  dans 
leurs  bras  d'ébène,  tenaient  de  jolis  nourrissons  coif- 
fés de  la  c/<ec/im  rouge;  d'autres  menaient  par  la  longe 
des  juments  couvertes  depuis  le  poitrail  jusqu'à  la 
queue  de  djeUale  à  grands  ramages,  suivies  de  leurs 
poulains;  d'autres  conduisaient,  les  tenant  par  les 
cornes,  des  béliers  farouclres,  comme  s'ils  les  traî- 
naient aux  sacrifices.  «  C'était  aussi  beau,  dit  Fro- 
mentin, qu'an  bas-relief  antique.  »  Des  cavaliers  ga- 
loppaient  au  milieu  de  la  foule  et  donnaient  de  loin 
des  ordres  à  ceux  qui,  tout  à  fait  à  l'arrière,  ame- 
naient le  troupeau  des  chameaux  libres  et  des  mou- 
tons. C'était  là  que  se  tenait  la  meute,  hurlant, 
aboyant,  harcelant  sans  cesse  la  queue  du  troupeau. 
Pendant  une  heure  encore  après  la  rencontre,  on  en- 
tendait le  bruit  des  cornemuses  et  on  continuait  de 
voir  la  poussière  dans  la  direction  de  l'Est.  '> 

Mais  cette  poussière  provient  aussi  parfois  d'une 
trombe  de  sable,  prélude  du  mirage  et  des  dunes,  qui 
tout  à  coup  se  détache  du  sol  comme  une  mince  fu- 
mée, s'élève  en  spirale,  parcoui-t  un  certain  espace, 
inclinée  sous  le  vent,  puis  s'évapore  au  bout  de  quel- 
ques secondes. 

Nous  retrouvons  dans  le  phénomène  du  mirage  qui 
se  produit  fréquemment  au  désert  l'effet  de  l'absence 
de  végétation  sur  l'homme,  et  l'ardeur  avec  laquelle 
l'attente  d'arriver  à  l'oasis  plantée  d'arbres  transforme 
pour  lui,  dans  certaines  conditions  et  sous  certaines 
prédispositions,  le  désert  aride  en  jardins  merveil- 
leux. 

Le  mirage  vient,  avec  ses  illusions,  aggraver  poul- 
ies hommes  le  sentiment  de  la  soif:  de  là  le  nom. 


1()8  PLAINES  ET  DÉSERTS 

expressif  de  désir  de  V antilope,  c'est-à-dire  so//,  donné 
à  ce  phénomène  dans  la  langne  sanscrite.  Non-seule- 
ment nous  trouvons  des  allusions  aux  effets  magiques 
du  mirage,  cette  poésie  du  désert,  dans  les  poètes  in- 
diens, persans,  arabes,  et  dans  les  peintures  si  frap- 
pantes des  vastes  solitudes  où  ils  l'ont  puisée  (de 
Humboldt),  mais  tout  récemment  le  voyageur  au 
Sahara  déjà  cité,  M.  Largeau,  nous  en  donne,  comme 
témoin  oculaire,  des  descriptions  oiî  nous  allons  pui- 
ser nous-mêmes. 

«  La  nuit  même  a  ses  beautés,  quand  la  lune  éclaire 
les  plaines  du  Sahara.  L'homme  du  Nord  ne  pourra 
s'en  faire  une  idée  ;  ces  nuits  sont  pleines  de  fraî- 
cheur, de  lumière  et  de  silence  ;  elles  portent  à  la 
rêverie  et  à  l'adoration. 

«  Demandons,  dit-il,  à  l'Arabe  ce  qu'il  pense  de 
ces  nuits  sous  la  tente  au  désert,  ce  qu'il  pense  aussi 
de  cette  fata  morgana,  de  ces  horizons  enflammés,  de 
ces  mirages,  qui  ont  bien  pu  être  l'origine  de  ces  mer- 
veilleux contes  arabes  murmurés  la  nuit  autour  des 
feux  et  à  la  lueur  des  étoiles,  et  qui  ont  passé  à  la 
postérité  sous  le  titre  à  jamais  connu  et  célèbre  des 
Mille  et  une  nuits. 

«  Le  17  décembre  1874,  dit  M.  Largeau,  je  fus 
témoin  d'un  mirage  dans  les  circonstances  suivantes  : 
Il  ventait  fortement  du  Sud -Est;  le  thermomètre  mar- 
quait 15"  centigrades  au-dessus  de  0;  sur  le  ciel  pur 
et  vaporeux  se  dessinait  à  l'horizon  une  immense  fo- 
rêt d'arbres  gigantesques  dont  la  forme  ne  rappelait 
pas  des  palmiers  ;  ce  n'était  pas  proprement  des  ar- 
bres que  j'avais  en  face  de  moi,  mais  plutôt  des  fan- 
tômes d' arbres;  ils  avaient  plus  ou  moins  l'apparence 
de  peupliers  gigantesques,  mais  sans  feuilles,  Der- 


DKS  DEUX  CONTINENTS.  1()9 

rière  et  entre  ces  troncs,  ici  isolés,  là  en  groupes, 
ailleurs  en  massifs  serrés  comme  une  forêt,  apparais- 
sait quelque  chose  de  brillant  et  même  d'éblouissant, 
comme  seraient  les  eaux  d'un  lac  ou  de  la  mer  lors- 
que le  soleil  s'y  réfléchit.  Tranchant  sur  le  fond  va- 
poreux de  cette  forêt,  j'apercevais  sur  la  gauche  comme 
deux  collines  couronnées  de  hauts  palmiers  vert-fon- 
cés; peu  à  peu,  en  avançant  vers  eux,  les  branches 
des  arbres  s'évanouirent  et  il  n'en  resta  plus  que  les 
troncs.  Le  lac  aussi  s'était  effacé  ;  enfin  les  troncs  dis- 
parurent à  leur  tour,  et  il  ne  resta  plus  que  les  deux 
collines  couronnées  de  palmiers,  qui  n'étaient  en  réa- 
lité, en  approchant,  que  des  monticules  de  sable  de  2 
à  3  mètres  de  hauteur,  surmontés  de  quelques  touffes 
de  palmiers  nains.  Cependant  il  me  sembla  voir  en- 
core quelques  collines  onduler  à  l'horizon,  mais  elles 
s'évanouirent  comme  le  reste,  et  il  ne  resta  bientôt 
plus  rien  qu'un  horizon  aussi  uni  que  celui  de  la 
mer. 

«  Arrivé  à  l'endroit  où  la  vision  s'était  produite,  je 
me  trouvai  sur  un  sol  sablonneux,  humide  et  couvert 
d'une  épaisse  couche  de  salpêtre.  Quelques  roseaux 
d'un  mètre  et  demi  de  hauteur  poussaient  çà  et  là, 
couronnant  avec  quelques  autres  plantes  de  petits 
mamelons  de  sable  isolés  les  uns  des  autres  de  3  à  4 
mètres,  et  dont  les  proportions  dépassent  rarement 
celles  d'une  grosse  taupinière.  Telle  est  la  figure  or- 
dinaire de  la  plaine  déserte  où  se  produisent  les  mi- 
rages. » 

«  Le  7  janvier,  continue  M.  Largeau,  au  bord  du 
Chott  Melrhir,  par  34°  lat.  nord,  se  dessine  au  loin 
devant  moi,  vers  le  Sud,  une  longue  ligne  sombre 
bordant  l'horizon  et  sur  laquelle  ondulent  des  collines 


170  PLAINES  ET  DÉSERTS 

qui  paraissent  boisées  ;  on  dirait  de  beaux  et  hauts 
l^almiers  dont  les  cimes  touchent  le  ciel.  Sur  la  gau- 
che s'avance  une  presqu'île  allongée,  toute  couverte 
de  beaux  arbres  garnis  d'un  épais  feuillage,  formant 
des  bouquets  isolés  sur  les  eaux  éblouissantes  d'un 
beau  lac,  dont  les  eaux  calmes  et  unies  s'étendent  vers 
l'Orient  ;  mais  en  m'avançant,  je  vois  les  troncs  dispa- 
raître successivement,  leur  feuillage  s'efface  ensuite; 
bientôt  je  n'aperçois  plus  que  quelques  têtes  d'arbres 
qui  surnagent  encore;  enfin  tout  s'engloutit,  et  le  lac 
lui-même  s'évanouit  derrière  d'épais  nuages  qui  vien- 
nent intercepter  le  soleil.  «  C'est  un  fantôme,  »  me 
dit  mon  guide  arabe;  oui,  répondis-je,  un  joli  fan- 
tôme. 

«  Notre  vie  n'est  elle-même  trop  souvent  qu'un  mi- 
rage ;  chacun  s'avance  et  marche  vers  celui  qui  l'at- 
tire; mais,  au  moment  de  le  saisir,  que  trouve-t-il  à 
sa  place?  Hélas!  ce  que  l'on  trouve  au  désert,  la  soif 
dévorante,  la  souffrance,  le  désespoir  trop  souvent, 
la  mort  quelquefois. 

«  La  nuit  suivante  fut  admirablement  belle,  les  étoi- 
les scintillaient  sous  la  voûte  bleue  du  ciel,  le  calme  le 
plus  parfait  régnait,  pas  un  cri  de  chacal  ne  troublait 
au  loin  \e  silence  majestueux  du  désert;  seule  l'eau 
qui  coulait  dans  le  ruisseau  voisin  faisait  entendre  un 
léger  murmure,  douce  musique  à  mes  oreilles,  comme 
si  quelque  génie  caché  dans  les  roseaux  eut  voulu 
cliarmer  ma  rêverie  en  jouant  sur  son  instrument 
champêtre  l'air  le  plus  doux  et  le  plus  mélancolique 
en  harmonie  avec  le  silence  de  la  nuit. 

«  Le  matin  suivant,  à  7  heures,  cheminant  dans  le 
bassin  desséché  du  Cliott  (marais),  le  phénomène  le 
plus  surprenant,  le  plus  merveilleux  s'offre  devant 


DES  DEUX  CONTINENTS.  17  1 

moi.  A  l'Orient  s'étend  un  beau  lac  argenté,  uni  comme 
une  glace,  d'où  surgissent  deux  îlots  de  verdure  ;  un 
peu  à  gauche,  une  ligne  sombre  de  petites  collines 
semble  nager  au-dessus  des  eaux  brillante?;  à  droite, 
sur  la  ligne  vaporeuse  de  l'horizon  ondulé,  trois  grou- 
pes d'arbres  se  détachent;  au  fur  et  à  mesure  que  le 
soleil  approche  et  que  le  jour  grandit,  la  vision  se  mo- 
ditie,  les  collines  de  gauche  s'isolent  des  îles  de  ver- 
dure qui  se  multiplient  alors  en  diminuant  de  propor- 
tion; puis,  comme  dans  la  vision  de  la  veille,  ces  îles 
2)longent  lentement  et  disparaissent  au  sein  des  ondes 
qui  s'effacent  à  leur  tour.  Bientôt  le  soleil  se  montre 
au-dessus  d'une  bande  de  nuages  noirs  qui  s'étend  à 
l'Orient  comme  un  sombre  rideau  ;  à  peine  le  disque 
de  l'astre  du  jour  commence-t-il  à  poindre  au-dessus 
des  nuages,  qu'une  immense  cascade,  étincelante  de 
mille  feux,  se  précipite  d'en  haut  dans  une  mer  qui 
surgit  comme  par  enchantement,  en  s'embrasant  des 
mêmes  feux  dont  mes  yeux  éblouis  ne  peuvent  sup- 
porter l'éclat.  ^lais  comment  pourrais-je  décrire  ce 
que  je  vis  alors?  Ni  peintre,  ni  poète  ne  sauraient  le 
rendre et  je  serais  impuissant  à  en  donner  la  des- 
cription. Quiconque  n"a  pas  été  témoin  d'un  pareil 
spectacle  ne  peut  se  faire  une  idée  de  sa  grandeur, 
de  sa  majesté;  et  quiconque  aussi  en  aura  été  témoin 
ne  pourra  le  raconter.  Dieu  est  grand  et  magnitique 
dans  ses  œuvres.  » 

Il  n'existe  pas  de  voyageur  en  Orient  ou  en  Afri- 
que qui  n'ait  vu  le  mirage  d'eau  ;  on  est  en  quelque 
sorte  tenu  de  le  voir,  comme  les  voyageurs  dans  les 
Alpes  voient  des  chamois  et  des  avalanches  ;  on  se  fait 
un  programme  en  partant,  et  il  faut  qu'il  se  réalise  ; 
on  contemple  les  prodigieux  effets  de  ce  mirage,  dont 


172  PLAINES  ET  DÉSERTS 

la  descriptiou  n'exigera  que  quelques  frais  d'enthou- 
siasme: «  Nous  vîmes  alors  devant  nous,  disent  les 
voyageurs,  une  vaste  nappe  d'eau;  elle  semblait  s'é- 
loigner à  mesure  que  nous  nous  en  rapprochions, 
etc.  »  Je  fais  grâce  au  lecteur  des  exclamations  admi- 
ratives  qui  ne  manquent  jamais  de  suivre  la  mention 
du  phénomène. 

Le  mirage  d'eau  existe  cependant,  comme  les  ava- 
lanches et  les  chamois  dans  les  Alpes,  témoin  M.  Lar- 
geau,  que  nous  venons  de  citer;  M.  D'Escayrac,  au- 
tre témoin  oculaire,  en  donne  une  description  qui 
concorde  de  point  en  point  avec  celle  de  M.  Largeau. 
«  Le  mirage,  dit  D'Escayrac  (p.  54),  ne  trompe  ja- 
mais les  chameaux,  mais  pour  les  hommes  l'illusion 
est  complète.  Venant  un  jour  de  traverser  dans  le  dé- 
sert une  suite  de  monticules  assez  élevés,  j'aperçus 
une  grande  flaque  d'eau  k  une  certaine  distance  ;  c'est 
le  mirage,  me  dit  mon  guide  ;  au  bout  d'un  instant 
cependant,  les  chameaux,  très-altérés,  commencèrent 
à  accélérer  leur  marche  et  à  donner  des  signes  non 
équivoques  d'impatience.  C'est  de  l'eau,  dis-je  de  nou- 
veau au  guide,  les  animaux  la  sentent  ;  le  guide  ayant 
mis  sa  chamelle  au  trot,  ne  tarda  pas  à  se  rendre  à 
l'évidence;  c'était  effectivement,  véritablement  de 
l'eau,  à  laquelle  nos  chameaux  firent  largement  hon- 
neur. » 

Ainsi  l'eau  et  le  mirage  d'eau  présentent  une  telle 
ressemblance  que,  si  le  mirage  peut  être  pris  pour 
l'eau,  Teau  peut  tout  aussi  bien  être  prise  pour  un 
mirage  par  l'œil  le  plus  exercé.  «  Je  citerai  encore, 
dit  D'Escayrac,  un  de  mes  domestiques  nubiens,  qui 
n'ayant  jamais  vu  la  mer  Rouge,  la  prit  de  loin  pour 
un  effet  de  mirage.  » 


DES  DEUX  CONTINENTS.  173 

C'est  ainsi  que  le  désert,  en  apparence  pays  de  la 
monotonie  et  de  ^uniformité,  se  transforme  de  deux 
manières  :  soit  accidentellement  par  l'illusion  momen- 
tanée des  mirages  fréquents  et  passagers ^soit  par  une 
modification  lente  et  continue  du  relief  de  sa  surface, 
dont  les  vents  abaissent  ou  rehaussent  constamment 
les  dunes,  véritables  montagnes  de  sable  que  nous 
avons  comparées  aux  vagues  de  l'Océan,  ôtant  à  cel- 
les-ci pour  donner  à  celles-là,  mais  dont  il  est  diffi- 
cile, aujourd'hui  encore,  de  proposer  une  explication 
scientifique  satisfaisante.  Ce  sable  du  Sahara  pro- 
vient-il d'ailleurs  et  y  serait-il  apporté  par  les  vents, 
ou  n'est-il  qu'un  effet  et  un  produit  du  sol  local  lui- 
même,  soumis  à  une  lente  désagrégation  et  tritura- 
tion sous  l'action  combinée  de  forces  diverses? 

D'après  M.  Largeau  {Glohe,  1877,  Bull.,  p.  130- 
132)  les  dunes  se  forment  originairement  autour  de 
certains  obstacles  dont  les  plus  agissants  sont  sans  nul 
doute  les  végétaux  et  VliumkUté.  11  cite  à  l'appui  une 
montagne  de  sable  en  voie  de  formation  autour  d'un 
bosquet  de  dattiers  tout  près  de  l'oasis  de  Tuggurth 
(bosquet),  dont  l'étendue  était  autrefois  bien  plus  con- 
sidérable qu'aujourd'hui.  «  11  est  bien  certain,  n'est-ce 
pas,  dit  M.  Largeau,  qu'à  l'époque  où  ces  dattiers 
ont  été  plantés,  il  n'existait  point  de  dune  à  cet  en- 
droit. Il  est  tout  aussi  certain  que  ces  dattiers  n'ont 
pas  été  plantés  sur  une  colline  de  pierres,  mais  bien 
au  milieu  d'une  surface  plane  et  susceptible  d'irriga- 
tion ;  il  faut  donc  que  les  sables  qui  se  sont  accumulés 
autour  d'eux,  au  point  de  former  une  dune  qui  a  déjà 
huit  mètres  d'altitude,  y  aient  été  apportés,  et  ap- 
portés par  les  vents  du  Sud-Est.  La  dune  continue  de 
grossir  et  continuera  jusqu'à  ce  que  les  vents  ne  char- 

MÉMOIRES,   T.    X\T,    1877.  12 


174  PLAINES  ET  DÉSERTS 

rient  plus  de  sable,  c'est-à-dire  jusqu'à  ce  que  le  foyer 
d'alimentation  soit  éteint. 

«  Ce  qui  se  passe  ici,  continue  M.  Largeau,  se  passe 
ailleurs  pour  y  former  des  dunes  de  150  mètres.  » 

Ce  sable  charrié  par  les  vents  serait-il  la  cause  ou 
l'une  des  causes  qui  ont  contribué  au  dessèchement 
superficiel  des  grands  fleuves,  en  comblant  partielle- 
ment ou  complètement  leurs  lits? 

On  s'est  demandé  aussi  comment  les  Romains  s'y 
prenaient  pour  le  mouvement  de  leurs  armées  et  pour 
ouvrir  au  travers  du  Sahara,  sans  eau,  de  grandes 
routes  militaires,  dont  on  croit  retrouver  ici  et  là  des 
traces.  Les  historiens  y  font-ils  mention  du  chameau, 
et  sans  cet  animal  comment  abreuver  des  multitudes 
sur  cette  terre  déshéritée?  Faut-il  en  conclure  que  ses 
conditions  géologiques  et  hydrographiques  auraient 
changé?  On  le  voit,  une  étude  du  désert  saharien  se- 
rait illusoire  et  incomplète  si,  avant  tout,  elle  ne  se 
portait  pas  sur  la  constitution  géologique  du  sol,  sur 
le  régime  de  ses  eaux,  et  surtout  sur  le  phénomène 
caractéristique  de  ses  sables  mouvants,  modifiant  sans 
cesse  son  relief  sur  certaines  parties,  et  le  rendant 
peut-être  stable  et  définitif  dans  d'autres.  On  a  cru 
reconnaître  dans  le  fleuve  mort  de  Tlgharghar  le 
fleuve  Triton  des  anciens.  Le  fait  que  les  Carthaginois 
employaient  l'éléphant  dans  leurs  caravanes  de  com- 
merce et  dans  leurs  armées  ferait  supposer  un  pays 
plus  boisé  et  mieux  arrosé  que  le  Sahara  de  nos  jours  ; 
on  a  des  raisons  de  croire  que  le  crocodile  y  vivait^ 
s'il  ne  s'y  trouve  plus  aujourd'hui. 

Cette  étude  du  Sahara  est  donc,  je  le  répète, 
fort  incomplète.  C'est  un  tableau ,  tableau  bien  im- 
parfait lui-même,  puisqu'il  indique  sans  l'expUquer 


DES  DEUX  CUNTINKNTS.  175 

cette  étrange  transformation,  par  une  cause  locale  ou 
par  les  vents,  des  dunes  du  désert,  qu'on  voit  alors  fu- 
mer à  leur  sommet  comme  on  voit  fumer  par  certains 
vents  les  neiges  du  sommet  du  Mont-Blanc. 

«  Les  vents,  dit  M.  le  professeur  W.  Rosier,  ac- 
complissent une  œuvre  géologique  fort  importante: 
ils  sont  en  même  temps  constructeurs  et  destructeurs, 
ce  sont  eux  qui  portent  au  loin  dans  l'intérieur,  pour 
en  former  des  dunes,  les  sables  du  rivage  qu'ils  dé- 
gradent ;  ils  vaporisent  d'immenses  étendues  d'eau  et 
transforment  en  lacs  et  eu  mers  des  plaines  très -éten- 
dues »  {Globe,  t.  XV,  liv.  4-6,  1876). 

A  l'appui  de  ces  lignes,  on  devrait  citer  l'opinion 
de  quelques  géologues  relativement  à  l'existence  ac- 
tuelle du  désert  de  Sahara,  qui  aurait  été  précédem- 
ment un  bassin  que  remplissait  la  mer,  et  que  des  pro- 
jets gigantesques  proposeraient  de  restituer  à  son 
primitif  élément.  N"osant  m'aventurer  à  la  suite  de 
M.  Largeau  sur  ces  domaines  qui  me  sont  étrangers, 
j'avais  raison  de  dire  que  mon  tableau  du  Sahara  n'é- 
tait qu'ébauché,  et  que  cette  esquisse  imparfaite  aurait 
réclamé  une  main  plus  ferme  et  plus  sûre. 

Je  ne  discuterai  pas  non  plus,  à  l'occasion  des  sa- 
bles mouvants,  le  motif  qui  a  inspiré  l'érection  des 
fameuses  p3Tamides  de  Giseh,  et  l'opinion  qui  consi- 
dère ces  monuments  gigantesques  comme  un  boule- 
vard et  une  digue  destinés  à  rompre  et  à  contenir 
leurs  envahissements;  mais  nous  dirons  un  mot,  en 
passant,  des  trombes  de  sable  du  désert  nubien,  et 
c'est  au  voyageur  Bruce  que  nous  devons  ce  qui  suit  : 

«  Le  14  novembre,  dit-il,  nous  fûmes  tout  à  la  fois 
surpris  et  épouvantés  par  un  des  spectacles  les  plus 
magnifiques  ;  nous  vîmes  s'élever  à  l'Ouest  et  au  Nord- 


170  PLAINES  ET  DÉSERTS 

Ouest,  du  sein  de  l'immense  désert,  d'énormes  colon- 
nes de  sable  qui  tantôt  couraient  avec  une  prodi- 
gieuse rapidité,  et  tantôt  s'avançaient  avec  une  ma- 
jestueuse lenteur.  Quelquefois  nous  tremblions  qu'elles 
ne  fondissent  sur  nous,  et  nous  en  ressentîmes  en  ef- 
fet quelque  peu  les  conséquences,  sous  la  forme  d'une 
pluie  de  sable  ;  mais  ensuite  nous  les  perdîmes  à  peu 
près  de  vue  ;  elles  s'élevaient  à  une  si  grande  hauteur 
qu'elles  se  perdaient  dans  les  nuages,  ou  bien  elles  se 
brisaient  et  se  dispersaient  dans  les  airs.  Quelquefois 
elles  se  rompaient  par  le  milieu  avec  un  bruit  sem- 
blable à  l'explosion  d'une  pièce  d'artillerie.  Vers  midi 
nous  comptâmes  onze  de  ces  colonnes  à  3  milles  de 
distance,  poussées  sur  nous  par  un  violent  vent  du 
Nord.  Le  diamètre  de  la  plus  grosse  de  ces  colonnes 
paraissait  d'environ  dix  pieds.  Heureusement  le  vent 
sauta  au  Sud-Est  et  les  coloniïes  s'éloignèrent;  mais 
elles  me  laissèrent,  dit  Bruce,  sous  une  impression 
mêlée  d'étonnement,  de  terreur  et  d'admiration.  Le 
cheval  le  plus  rapide  et  le  vaisseau  le  meilleur  voilier 
n'égalent  point  la  célérité  de  la  marche  du  phéno- 
mène, et  la  persuasion  où  j'étais  de  ne  pouvoir  lui 
échapper,  me  fit  rester  longtemps  immobile,  occupé  à 
le  contempler.  Nous  revîmes,  le  15,  des  colonnes  de 
sable  mouvant;  au  lever  du  soleil,  le  ciel  en  était 
obscurci  ;  puis  le  soleil  les  pénétrant,  elles  prirent 
l'apparence  de  véritables  colonnes  de  feu;  c'était,  di- 
saient nos  Arabes,  un  présage  de  l'approche  du  si- 
moum  (les  voyageurs  étaient  alors  à  quelques  jour- 
nées de  Syene,  venant  du  Sennaar).  Ce  phénomène  du 
simoum,  quoique  prévu,  nous  jeta  tous  dans  le  plus 
grand  accablement,  et  nous  en  ressentîmes  longtemps 
les  effets.  S'il  avait  duré,  nous  n'y  eussions  pas  ré- 


DES  DEUX  CONTINENTS,  177 

sisté  ;  lieureusement  un  vent  du  nord  se  leva  qui  y  mit 
fin  pour  cette  fois,  mais  ce  n'était  pas  pour  long- 
temps. En  effet,  le  20,  à  11  heures  du  matin,  reten- 
tit dans  la  caravane  le  cri  :  le  simoum!  le  simoum! 

«  Ma  curiosité  ne  me  permit  pas  de  me  jeter  à  terre, 
avant  d'avoir  auparavant  regardé  derrière  moi  ;  je  vis 
alors  au  Sud-Est  un  nuage  rouge-bleuâtre  comme  le 
précédent,  alors  que  le  simoum  nous  avait  frappés  la 
dernière  fois.  Nous  tombâmes  tous  le  visage  contre 
terre  et  nous  sentîmes  passer  le  simoum.  » 

«  Toutes  les  fois  que  s'apercevaient  des  colonnes  de 
sable  un  peu  matinales,  c'était,  dit  Bruce,  un  signe 
assuré  de  chaleur  et  de  vent  du  Nord  jusqu'à  midi. 
Ce  vent  se  calmait  alors,  et  bientôt  après  le  simoum 
empoisonné  se  faisait  sentir  pendant  deux  heures  de 
temps,  et  nous  le  redoutions  bien  plus  encore  que  les 
colonnes  de  sable.  Ces  colonnes  nous  offrirent,  le  21, 
un  spectacle  vraiment  magnifique:  elles  étaient  plus 
grosses  que  celles  des  jours  précédents  et  le  soleil  les 
frappait  de  manière  que  les  plus  rapprochées  de  nous 
semblaient  être  couvertes  d'étoiles  d'or;  elles  étaient 
alors  à  deux  milles  de  distance  (Bruce,  Voyage  aux 
sources  du  Ml,  vol.  VIII,  p.  398).  » 

«  Voyageant  ])ar  une  belle  nuit  de  juin  dans  le  dé- 
sert de  Bycharas,  raconte  D'Escayrac,  à  trois  jour- 
nées environ  de  Suakem,  aucun  nuage  ne  me  déro- 
bait une  seule  étoile  et  le  ciel  était  admirablement 
pur;  je  jouissais  du  calme  profond  de  l'atmosphère, 
quand  tout  à  coup  la  scène  changea  ;  un  nuage  noir 
se  montra  brusquement  à  l'Est,  et,  s'élevant  avec  une 
effrayante  rapidité,  eut  en  quelques  instants  envahi 
la  moitié  du  ciel.  Une  l'afale  subite  et  d'une  excessive 
violence  vint  nous  couvrir  de  sable  ;  des  graviers  de  la 


178  PLAINES  KT  DÉSERTS 

grosseur  d'un  pois  nous  battaient  la  figure;  le  vent  venait 
directement  de  l'Est.  Les  chameaux,  peu  disposés  à 
lutter  contre  lui,  eussent  voulu  louvoyer,  et  il  nous 
devint  difficile  de  les  maintenir  dans  la  bonne  route. 
Le  ciel  envahi  bientôt  tout  entier  par  l'immense  nuée 
de  sable,  nous  plongea  dans  une  profonde  obscurité 
qui  ne  nous  permettait  d'ailleurs  plus  de  retrouver 
cette  route.  Nous  nous  étions  couvert  avec  soin  le  vi- 
sage, mais  nous  ne  pouvions  entr'ouvrir  les  yeux  sans 
qu'ils  se  remplissent  de  sable.  L'irritation  qu'il  y 
causait  revêtait  tout  ce  que  nous  pouvions  encore  dis- 
tinguer d'une  teinte  rougeâtre  particulière.  Les  cha- 
meaux grognaient  et  s'agenouillaient  à  chaque  pas  : 
je  réussis  avec  peine  à  réunir  mes  hommes  que,  dans 
l'obscurité,  l'indocilité  des  chameaux  avaient  écartés 
un  peu  les  uns  des  autres  ;  quoique  les  plus  éloignés 
ne  fussent  qu'à  quelques  pas,  ils  couraient  le  plus 
grand  danger  de  se  perdre  et  entendirent  à  peine  ma 
voix,  que  j'avais  élevée  le  plus  qu'il  m'était  possible. 
Nous  nous  arrêtâmes.  Les  chameaux  s'étendirent  si 
bien  sur  le  sable  et  les  hommes  étaient  tellement  gê- 
nés par  la  grêle  qui  les  fouettait,  leur  remplissait  les 
yeux,  le  nez  et  la  bouche,  que  je  m'abstins  de  faire 
décharger  les  ettets.  Je  m'adossai  à  mon  hcdj'ni  dont 
la  selle  élevée  me  protégeait  un  peu,  je  m'enveloppai 
la  tête  avec  le  long  châle  de  Tripoli  qui  formait  ma 
ceinture,  et  n'osant  m'étendre  de  peur  de  reder  eme- 
veli  sous  ce  déluge  de  sable,  je  me  laissai  cependant 
aller  au  sommeil  et  mes  gens  imitèrent  bientôt  mon 
exemple. 

«  Lorsque  je  me  réveillai  au  point  du  jour,  le  calme 
était  revenu;  le  ciel  avait  repris  sa  pureté;  jetant  les 
yeux  autour  de  moi,  je  vis  les  chameaux  enfoncés  jus- 


DES  DEUX  CONflNENTS.  179 

qu'au  cou  daus  le  sable  ;  un  de  mes  chameliers  en  était 
entièrement  recouvert;  sa  tête  seule  ne  se  trouvait  en- 
sevelie que  jusqu'aux  oreilles;  il  dormait  encore,  je  le 
réveillai  avant  de  l'avoir  aperçu,  en  marchant  sur  ses 
jambes,  et  je  ris  beaucoup  de  sa  surprise  ;  il  avait  2  à 
3  pouces  de  sable  sur  le  ventre  et  sur  la  poitrine.  Je 
ne  vis  plus  mou  sabre  que  j'avais,  avant  de  m'endor- 
mir,  placé  près  de  moi;  il  me  fallut  fouiller  longtemps 
pour  le  retrouver.  »  M.  D'Escayrac  conclut  en  disant 
que  le  danger,  en  telles  circonstances,  consiste  non 
dans  la  chance  de  demeurer  enseveli  ou  englouti  sous 
le  sable  (et  il  nie  formellement  que  ce  sort  ait  jamais 
pu  atteindre  ni  voyageur  ni  encore  moins  des  cai'a- 
vanes  ou  des  armées);  le  danger  couru,  ce  sont  les 
dunes  formées  et  soulevées  par  louragan;  «  il  est  évi- 
dent, dit-il,  que  si  le  coup  de  vent  nous  eût  surpris 
au  milieu  de  ces  dunes,  abandonnés  de  nos  chameaux 
que  rien  n'eût  pu  décider  à  continuer  leur  route,  nous 
eussions  perdu  la  direction  qu'il  fallait  suivre  et  pa- 
taugé à  l'aventure  sur  ce  sol  qui  nous  eût  infaillible- 
ment engloutis.  Tel  a  dû  être  lé  sort  de  ces  carava- 
nes et  de  ces  troupes  soi-disant  ensevelies  sous  le  sa- 
ble, et  qui  perdirent  tout  simplement  leur  route,  tra- 
hies peut-être  par  des  guides  inlidèles,  et  qui  succom- 
bèrent aux  lentes  tortures  de  la  soif.  » 

Combien  de  tels  voyages  ne  doivent-ils  pas  renché- 
rir les  articles  d'exportation  qui,  pour  alimenter  les 
marchés  de  la  Méditerranée,  ont  à  transiter  au  tra- 
vers du  Sahara  à  dos  de  chameau  !  Ce  sont  en  parti- 
culier, avec  les  dattes  dont  nous  allons  reparler,  la 
laine  brute  et  ouvrée  (bournous,  etc.),  le  tabac,  les 
peaux  (gazelle,  antilope,  tigre),  les  plumes  d'autru- 
che, lïvoire,  le  musc,  le  miel,  la  cire,  l'encens,  les 
cornes  et,  hélas!  aussi  les  esclaves. 


180  PLAIiXES  ET  DÉSERTS 

Ecoutons  comment  M.  Soleillet  {V Afrique  occiden- 
tale, p.  7)  nous  initie  à  la  physionomie  du  désert. 

«  Voulez -vous  jouir  du  panorama  complet  de 
l'oasis  et  du  désert  au  sud  de  Lagliouat  dans  sa 
sévère  beauté  ?  Montez  sur  la  terrasse  de  son  hôpital 
et  regardez  dans  la  direction  du  Midi;  vous  aurez 
sous  les  yeux,  à  perte  de  vue,  une  plaine  uniforme 
toute  grise  ;  ses  mouvements  la  font  ressembler  à  une 
mer  agitée  qui  se  serait  subitement  solidifiée.  Cette 
immensité  immuable  et  silencieuse  du  désert  paraît 
plus  grande  encore  que  celle  de  la  mer,  son  horizon 
est  plus  vaste,  et  l'espace  qu'il  renferme  est  d'une 
seule  couleur,  sans  mouvement  et  sans  bruit.  » 

Voici,  du  reste,  comment  le  même  voyageur  {Ibid. 
p.  lOG)  déiinit  le  Sahara. 

«  L'Afrique  nord-méridionale  se  partage  d'après 
sa  constitution  physique  en  trois  zones  bien  distinctes. 
L'une,  que  j'appellerai  la  région  méditerranéenne, 
est  formée  par  le  Tell,  ou  plaine  du  Maroc,  de  l'Al- 
gérie, de  la  Tunisie  et  de  la  Tripohtaine;  c'est  le 
Magrch  ou  Occident  des  géographes  arabes  ;  c'est 
l'Atlantide  des  anciens,  région  limitée  au  nord  par 
la  mer  Méditerranée,  et  au  sud  par  le  Sahara  qui 
commence  aux  pentes  méridionales  de  l'Atlas.  Dans 
la  région  méditerranéenne  se  rencontrent  tous  les 
animaux  et  plantes  de  l'Europe  méridionale. 

«  Le  Sahara  s'étend  à  partir  du  sud  de  l'Atlas  jus- 
qu'à la  région  des  pluies  tropicales  ;  il  est  limité  au 
nord  par  l'Atlas,  à  l'est  par  la  Méditerranée  et  le  dé- 
sert libyque,  à  l'ouest  par  l'Océan.  Au  sud  du  Sahara 
et  avec  les  pluies  tropicales,  commence  la  Nigritie 
proprement  dite  (le  Soudan). 

La  Nigritie  et  le  Magreb  {Mauritanie)  sont  ainsi 


DES  DEUX  CONTINENTS.  181 

séparés  comme  ils  pourraient  l'être  par  une  mer,  et 
ils  forment  deux  régions  parfaitement  distinctes  ayant 
chacune  leur  faune,  leur  flore  et  leur  climat.  Le  Sa- 
hara qui  les  unit  participe  des  deux. 

Le  SaUara,  ainsi  que  cliacun  le  sait,  est  un  pays 
de  pâturages  ;  il  s'y  trouve  cependant  de  grands 
massifs  montagneux,  tels  que  le  Djébel-Hoggar,  etc., 
qui  constituent  pour  la  contrée  de  véritables  alpes 
(Oberland).  Le  sol  du  Sahara  est  si  fertile  qu'il  suffit 
qu'il  y  pleuve  tous  les  deux  ou  trois  ans  pour  l'entre- 
tien des  pâturages.  Le  Sahara  nourrit  ainsi,  outre  des 
troupeaux  en  grand  nombre,  des  oasis  habitées  et 
cultivées,  qui  produisent  des  céréales,  des  fruits  et 
des  légumes.  La  culture  des  céréales  et  l'élève  du 
bétail  pourraient  y  atteindre  des  proportions  très- 
considérables. 

Les  particularités  du  sol  aux  environs  d"Ain-Çala. 
occupé  par  les  Touaregs,  rappellent  celles  queWallin 
a  observées  dans  l'Arabie  septentrionale  et  dont  nous 
reparlerons  :  ce  sont  des  haniada.  c'est-à-dire  des  in- 
tervalles exclusivement  pierreux  et  dénudés,  recou- 
verts parfois  de  pierres  noires  ou  rouges.  Ces  pierres, 
de  diverse  grosseur,  sont  toujours  brillantes  et  lui- 
santes comme  du  jais  taillé  et  poli.  Elles  n'adhèrent 
pas  au  sol,  et  forment  parfois,  dit  M.  Soleillet,  une 
couche  si  régulière  qu'on  les  dirait  étendues  avec  un 
râteau.  La  terre  qu'elles  recouvrent  est  d'une  nature 
différente  ;  on  est  au  milieu  de  ce  fantastique  terrain 
le  jouet  des  mirages  les  plus  singuliers.  Une  pierre 
d'une  couleur  tranchante,  un  bâton  perdu  par  quelque 
chamelier  d'une  caravane^  prennent  de  loin  l'aspect 
d'un  arbre  ou  d'un  chameau.  «  J'y  ai  vu,  dit-il,  des 
gens  familiarisés  avec  ce  pays  dès  leur  naissance, 


182  PLAINES  ET  DÉSERTS 

trompés  tout  comme  moi,  et  discuter  entre  eux  si  les 
cinq  cavaliers  qui  venaient  vers  nous  montés  sur  des 
mehara  (dromadaires)  étaient  vêtus  de  noir  ou  de 
blanc  :  ces  cinq  cavaliers  étaient  en  réalité  cinq 
pierres  grises,  de  quelques  centimètres  de  hauteur.  » 

Les  sables  mouvants  du  Sahara  ne  sont,  selon 
l'opinion  de  M.  Soleillet,  que  l'exception  ;  et  dans 
cette  contrée,  qui  est  grande  comme  la  moitié  de 
l'Europe,  «  ces  sables  n' occupent  peut-être  pas  le  tiers 
delà  surface  qu'ils  couvrent  en  Europe.  Le  Sahara  en 
effet  n'est  pas,  surtout  à  Fouest,  comme  le  désert  de 
Libye,  une  série  continue  de  dunes  de  sables  mouvants 
séparées  entre  elles  par  des  mers  de  ce  même  sable.  » 

La  faune  du  Sahara,  en  dehors  de  certains  scor- 
pions et  du  céraste  (vipère  à  cornes) ,  ne  renferme  au- 
cun animal  dangereux  ;  dans  l'ordre  des  mammifères 
et  des  oiseaux,  le  Sahara  est  caractérisé  par  la  gazelle 
l'antilope  et  l'autruche. 

En  gros,  on  peut  dire  que  la  partie  déserte  du  Sa- 
hara est  renfermée  entre  les  lignes  irrégulières  et 
brisées  que  déterminent,  au  nord,  les  centres  habités 
de  Moursouk ,  Rhadamès,  Le  Touat,  Ain-Çala, 
Fighig  et  le  Tatilet  ;  au  sud,  les  villes  d'Agadès  et  de 
Tombouctou.  C'est  aussi  là,  pour  l'Afrique,  le  champ 
parcouru  par  l'autruche,  la  gazelle  et  la  grande  an- 
tilope. La  girafe  se  montre  surtout,  sur  et  au  sud 
de  cette  seconde  ligne  (D''  Barth). 

On  retrouve  l'autruche,  en  Asie,  dans  l'immense 
désert  situé  entre  le  Xedjed  arabe  et  le  llauran 
syrien.  La  femelle  de  l'autruche  pond  pendant  l'hiver 
de  douze  à  vingt  œufs,  déposés  en  cercle  et  à  moitié 
enterrés  dans  le  sable.  La  femelle  et  le  mâle  les  cou- 
vent alternativement  ;  celui  (pii  n'est  pas  sur  les  œufs 


DKS  DEUX  CONTINENTS.  183 

fait  le  guet  du  haut  de  quelque  émineiice  voisine,  ce 
qui  trahit  leur  présence  et  les  lait  bien  vite  découvrir. 
—  L'œuf  d'autruche  est  une  nourriture  saine,  mais 
un  peu  indigeste.  —  En  Afrique,  le  nomade  force 
l'autruche  à  cheval,  ou  bien  la  tire  à  l'affût;  en  Asie 
on  tend  souvent  un  piège  aux  abords  d'un  nid. 

Dès  qu'on  entre  dans  le  Sahara  par  le  nord,  on  a 
devant  soi  d'immenses  plaines  couvertes  d'a//h. 
«  Cette  plante,  »  dit  M.  Soleillet  (p.  11 4),  «forme  de 
vastes  champs  qui  couvrent  de  grands  espaces  du  Sa- 
hara non  cultivé,  sur  une  largeur  de  300  kilomètres 
environ  et  sur  une  longueur,  de  l'ouest  à  l'est,  de 
plusieurs  milliers  de  kilomètres,  puisqu'ils  s'étendent 
du  Maroc  à  la  Tripoli taine.  De  tout  temps  cette  plante 
sous  le  nom  de  sparte,  a  servi  en  Espagne  à  faire  des 
cordages  et  divers  ouvrages  qui  reçurent,  de  là,  le 
nom  de  spartetie  ;  mais  elle  n'a  été  réellement  une 
richesse  que  du  jour  où  l'on  a  trouvé  le  moyen  de  faire 
avec  elle  de  la  pâte  de  papier. 

«  Les  papiers  obtenus  avec  la  fibre  de  cette  plante 
sont  d'excellente  qualité  ;  ils  servent  à  l'impression  du 
Times  et  de  plusieurs  autres  grands  journaux  de 
l'Europe  et  de  l'Amérique;  l'alfa  ne  servirait  qu'à 
cette  fabrication  toujours  croissante  du  papier,  qu'il 
serait  une  source  inépuisable  de  prospérité  pour  le 
Sahara  ;  mais  l'industrie  a  su  aussi  l'utiliser  pour 
d'autres  usages  :  on  en  a  obtenu  un  fil  très-résistant 
qui  a  servi  à  tisser  des  toiles  à  sacs  et  autres  étoffes 
demandant  une  grande  résistance.  Ce  fil  est  égale- 
ment employé  pour  former  la  chaîne  de  divers  tissus. 
Dernièrement  un  Américain  prenait  un  brevet  pour 
un  carton  fait  avec  de  l'alfa,  et  qui  peut  se  débiter  et 
se  travailler  comme  le  bois.  Avec  ce  carton,  il  a  con- 


184  PLAINES    ET   DÉSERTS 

fectioniié  des  boîtes,  des  caisses  et  même  des  ton- 
neaux qui,  tout  en  étant  très-légers,  offrent  la  plus 
grande  solidité. 

«  L'alfa,  donc,  cette  plante  précieuse,  pour  le 
transport  de  laquelle  s'équipent  aujourd'hui  des  na- 
vires en  Europe  et  en  Amérique,  qui  fait,  dans  les 
deux  mondes,  marcher  de  nombreuses  usines,  aux 
préparations  de  laquelle  des  milliers  d'ouvriers  sont 
employés,  qui  fait  construire  des  chemins  de  fer  dans 
le  Sahara  et  des  ports  dans  la  Méditerranée,  n'était, 
il  n'}^  a  pas  vingt  ans,  qu'une  mauvaise  herbe 
appréciée  du  seul  chameau  du  désert.  » 

C'est  dans  le  champ  parcouru  par  l'autruche  que 
se  meuvent  les  populations  nomades,  adonnées  à  sa 
chasse  et  à  la  vie  du  désert  en  général.  J'ai  déjà 
nommé  pour  sa  partie  la  plus  méridionale  du  côté  de 
l'ouest,  après  les  Arabes,  les  Touaregs.  La  tribu  des 
Cliâmba,  intermédiaire  entre  les  uns  et  les  autres, 
mais  qui  se  rattache  aux  premiers  par  le  langage, 
doit  aussi  }•  être  mentionnée. 

Ce  sont  ces  tribus,  d'origine  diverse,  dont  l'exis- 
tence présente  le  type  patriarcal  le  plus  simple,  le 
plus  grand  et  le  plus  poétique  à  certains  égards.  — 
«  Le  chef,  entouré  de  tout  ce  qui  lui  est  cher,  de  ses 
enfants,  de  ses  frères,  de  ses  femmes,  de  ses  servi- 
teurs nègres  ou  blancs,  de  ses  clients,  porte,  »  nous 
dit  M.  Soleillet,  «  aux  cantons  dont  il  est  le  souverain 
incontesté,  le  même  amour,  malgré  leur  aridité  com- 
parative, qu'un  paysan  normand  ressent  i)Our  ses 
vertes  campagnes.  Une  vaste  plaine  qui  peut,  comme 
le  Sahara  entre  Metlili  et  Kl-Goléa,  fournir  toute 
l'année  de  gras  herbages,  paraît  aux  nomades  le  plus 
beau  pays  du  monde.  Dans  les  circonstances  ordi- 


DES   DEUX   CONTINENTS.  185 

naires,  le  Cheikh  y  passe  doucement  son  existence  ; 
tantôt  couché  devant  ses  tentes,  occupé  à  regarder 
paître  ses  troupeaux,  tantôt  se  livrant  à  des  parties 
de  chasse  dont  le  gibier  est  l'antilope  ou  l'autruche, 
tantôt  à  des  voyages  ayant  pour  but  les  intérêts  de 
sa  famille  ou  de  sa  tribu,  ou  la  conduite  des  caravanes. 
Dans  les  circonstances  plus  exceptionnelles,  ses 
voyages  ont  pour  objet  la  conclusion  d'alliances  en 
vue  d'un  danger  commun,  d'une  guerre  à  soutenir,  ou 
d'une  razzia  à  exécuter  sur  ses  ennemis.  » 

Cependant,  malgré  les  avantages  d'une  demeure 
aussi  champêtre  et  aussi  transportable  que  la  tente, 
celui  qui  l'habite  doit  savoir  faire  maigre  chère  à 
l'occasion  ;  car  la  chasse  n'est  ])as  en  tout  temps  pos- 
sible ni  toujours  heureuse.  Alors  on  est  réduit  aux 
dattes  de  l'oasis  et  au  lait  des  troupeaux,  peut-être 
aussi  aux  sauterelles  séchées,  grillées  et  frites  au 
beurre.  Le  lait  surtout  forme,  en  certains  moments 
de  Tannée^  l'unique  nourriture  des  nomades,  et  les 
chevaux  eux-mêmes  alors  n'en  ont  pas  d'autre. 

«  Toutefois,  »  dit  le  voyageur  que  nous  suivons, 
«  toute  séduisante  et  pittoresque  que  puisse  paraître 
la  vie  nomade,  quelque  degré  de  civilisation  qu'attei- 
gne la  vie  de  pasteur  comparée  à  celle  de  simple 
chasseur,  cette  vie  paraît  destinée  à  s'effacer  et  dis- 
paraître au  contact  d'une  civilisation  plus  avancée  ; 
cette  civilisation-là  ne  peut  se  développer  qu'avec 
une  demeure  lixe  pour  l'homme  et  avec  la  culture  du 
sol,  qui  favorise  et  permet  une  plus  grande  population 
sur  le  même  espace  de  terrain.  Il  faut  au  contraire 
aux  nomades  de  vastes  espaces  incultes  pour  nourrir 
leurs  troupeaux  et  beaucoup  de  bras  exclusivement 
occupés  à  les  garder  et  à  les  défendre,  et  c'est  autant 


18B  PLAINES  i:t  déserts 

d'enlevé  aux  travaux  de  l'industrie  et  des  arts  ou  aux 
spéculations  de  l'esprit,  tels  qu'ils  se  rencontrent  chez 
les  peuples  plus  civilisés.  Sans  doute  certains  traits 
de  mœurs  rappellent  cette  civilisation,  là  où  l'on  s'y 
attendrait  le  moins  :  je  veux  parler  entre  autres  des 
mœurs  des  Touaregs,  parmi  lesquels  la  femme  occupe 
un  rang  et  jouit  de  privilèges  qu'on  ne  rencontre 
guère  que  chez  les  Européens  et  dans  leurs  colonies 
des  autres  portions  du  globe. 

II.  —  ARABIE 
Pays  des  dattes,  Arabes  bédouins,  etc. 

Continuons  le  voyage  ;  du  Sahara  gagnons  l'Arabie 
par  la  ligne  de  puits  et  d'oasis  dont  nous  avons  parlé  ; 
nos  provisions,  renouvelées  au  Caire,  sont  épuisées. 

Transportons-nous  sur  un  des  grands  marchés  de 
la  Mecque  ou  de  Médine.  Nous  sommes  arrivés  à  la 
suite  du  grand  concours  des  pèlerins.  C'est  ici  que 
brille  dans  tout  son  éclat  et  que  s'étale  dans  toutes 
ses  variétés  le  merveilleux  fruit  du  désert.  Consul- 
tons à  cet  égardBurkhardt,  Hue,  Gabet,  Vanbéry. 

Le  dattier,  qui  proclame  de  loin  l'oasis  à  la  cara- 
vane haletante  et  épuisée,  est  un  bienfait  pour  les 
hommes  et  pour  leurs  chameaux  ;  cet  arbre  annonce 
d'une  manière  certaine  la  pi'ésence  de  l'eau  ;  il  offre 
en  outre  dans  ses  feuilles  un  ombrage,  dans  son  fruit 
une  nourriture  aux  hommes  et  aux  animaux;  son 
noyau,  soit  broyé,  soit  ramolli  pendant  deux  jours 
dans  l'eau,  est  un  aliment  favori  des  bestiaux  et  du 
chameau,  qui,  dit-on,  le  préfère  même  au  grain. 

La  datte  forme  avec  la  jujube  l'aliment  principal 


DES    DEUX   CONTINENTS.  187 

des  populations  du  désert  ;  celle  de  ^lédine.  où  nous 
sommes,  est  d'une  qualité  supérieure  et  jouit  d'une 
grande  célébrité  dans  toute  l'Arabie,  surtout  celle 
qui  provient  d'arbres  du  désert  non  arrosés  artifi- 
ciellement. 

Les  dattiers  d'Egypte,  croissant  sur  un  sol  gras, 
riche  et  bien  arrosé,  sont  plus  féconds,  mais  donnent 
un  fruit  moins  estimé,  moins  sucré  et  moins  savou- 
reux, quoique  plus  flatteur  à  l'œil  ;  dans  certaines  bou- 
tiques de  ^lédine  on  ne  vend  que  des  no^'aux  de  dat- 
tes ;  les  mendiants  ne  font  autre  chose  que  ramasser 
dans  les  rues  les  plus  fréquentées  ces  noyaux  qu'on  y 
jette  pendant  l'affluence  des  pèlerins. 

On  compte  cent  trente  espèces  de  dattes,  rien  que 
pour  le  territoire  avoisinaut  Médine  ;  chaque  localité 
du  désert  a  sa  variété  spéciale.  Voici,  à  notre  droite, 
la  datte  DJeheli  ;  elle  compte  parmi  les  variétés  les 
plus  communes  et  les  moins  chères,  c'est  le  Djeheli  du 
Hedjaz  ;  puis  voici ,  à  gauche ,  le  Héloud ,  puis  le 
Héleia,  dont  le  fruit  n'est  pas  plus  gros  qu'une  mûre  ; 
sa  douceur  extraordinaire  égale  celle  des  meilleures 
figues  de  Smyrne;  sèche,  elle  se  recouvre,  comme  la 
figue,  d'un  vernis  sucré. 

Les  Médinois  racontent  que  Mahomet  planta  un 
noyau  de  datte  Héleia,  qui  prit  aussitôt  racine,  poussa 
des  feuilles  et  en  quelques  minutes  devint  un  arbre 
couvert  de  fruits.  Un  autre  dattier,  JSl  S'iliani,  adressa 
au  prophète  qui  passait  devant  lui  le  Salam  Aleikum 
d'une  voix  très-distincte.  Voici  aussi  le  Birni.  Le 
Birni  passe  pour  la  variété  de  dattes  la  plus  saine. 
Mahomet  conseillait  aux  Arabes  d'en  manger  chaque 
jour  sept  avant  le  déjeuner.  Le  Djelehl,  qu'il  ne  faut 
pas  confondre  avec  le  Djeheli  cité  plus  haut,  est  la 


188  PLAINES  ET  DÉSERTS  DES  DEUX  CONTINENTS. 

plus  rare  et  la  plus  grosse  ;  elle  a  trois  pouces  de  lon- 
gueur et  un  de  large  ;  on  ne  connaît  guère  plus  de  cent 
dattiers  de  ce  nom  dans  tout  le  territoire  de  Médine 
et  d'Ijambo-el-Nackel,  et  ils  sont  moins  féconds  que 
les  autres  dattiers  ;  mais  huit  dattes  DJelebis  valent 
cent  vingt  dattes  Blrnis.  On  en  rapporte  les  noyaux, 
au  retour  de  la  Mecque,  comme  souvenir  de  la  ville  du 
prophète  ;  voici  des  boites  qu'on  fabrique  dans  ce  but 
à  Médine,  elles  contiennent  juste  cent  noyaux. 

Des  fêtes  et  réjouissances  publiques  signalent  la 
récolte  des  dattes  dans  tout  l'Orient;  c'est  la  ven- 
dange cm  désert .  Quand  les  sauterelles  ont  nui  à  la 
récolte  des  dattes,  c'est  un  deuil  général. 

Les  premiers  fruits,  la  datte  Bot  ah,  que  vous  voyez 
dans  cette  corbeille  en  feuilles  de  dattier,  se  mangent 
en  juin;  cuites  dans  du  lait  ou  frites  au  beurre  et 
grillées,  elles  sont  un  mets  recherché  ;  on  en  fait  aussi 
des  compotes  en  y  mêlant  du  miel.  Voyez  à  côté  la 
boutique  de  ce  marchand  ;  si  sa  femme  est  une  bonne 
maîtresse  de  maison,  elle  saura  lui  servir,  un  mois 
durant,  des  dattes  accommodées  chaque  fois  d'une 
manière  différente  et  jamais  il  ne  s'en  lassera. 

Une  grande  friandise  est  d'enlever  le  noyau  de  la 
datte  et  de  le  remplacer  soit  par  une  amande,  soit  par 
un  morceau  de  beurre  frais.  Employée  avec  des  œufs, 
la  datte  fournit  à  la  cuisine  arabe  trois  ou  quatre  de 
ses  meilleurs  plats. 

A  l'époque  de  sa  récolte,  tout  le  monde  peut  entrer 
dans  les  jardins  et  satisfaire  son  appétit,  à  la  seule 
condition  de  ne  rien  emporter  (Deut.  XXIII,  24). 

F.  DE  MORSIF.R. 

(A  suivre,) 


BULLETIN 


DK   LA 


SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 

DE  GENÈVE 


TOME  SEIZIEME 


SECONDE  SÉRIE.  —  TOME  III 


GENÈVE 

SOCIÉTÉ   DE    GÉOGRAPHIE,   ATHÉNÉE 

1877 

Tous  droits  réservés. 


EXTRAIT 

DES  PROCÈS-VERBAIJX  DES  SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

SESSION    1876-1877 


Séance  du  24  novembre  1876. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

M.  le  Président  ouvre  la  séance  par  un  rapport  sur  les  tra- 
vaux (lu  Bureau  depuis  la  dernière  réunion  de  la  Société. 

La  Société  a  reçu  une  communication  relative  à  la  fonda- 
tion du  Comité  international  pour  les  études  à  faire  dans 
risthme  du  Darien,  et  une  demande  à  la  Société  de  géogra- 
phie de  s'associer  à  ces  études.  Le  bureau,  en  témoignant  de 
sa  sympathie  pour  cet  intéressant  objet,  a  sollicité  des  ren- 
seignements plus  déinillés  que  ceux  de  la  circulaire  primi- 
tive. 

Quant  aux  dernières  nouvelles  géographiques,  M.  le  Pré- 
sident rappelle  en  quelques  mots  l'expédition  arctique  de  Na- 
res,  partie  le  29  mai  187o  el  i-entrée  le  29  octobre  1876, 
après  avoir  poussé  jusqu'au  83°  20'  27"  de  latitude  N.  Il 
attire  l'attention  de  l'assemblée  sur  l'expédition  italienne  en 
Afrique,  k  laquelle  le  gouvernement  égyptien  paraît  susciter 
des  difficultés  ;  puis  sur  celle  que  projette,  dans  la  direction 
de  Timbuctu,  M.  Largeau,  membre  de  la  Société,  encouragé 
par  les  Sociétés  de  géographie  de  Paris,  de  Lyon,  de  Ge- 
nève, etc. 


4  BULLKTI.X, 

F^a  Société  a  l'eçii  le  procès-verbal  du  Congi'ès  géograplii- 
qiie  réuni  à  Bruxelles  par  les  soins  du  roi  des  Belges,  pour 
coordonner  les  moyens  les  meilleurs  et  les  plus  actifs,  en 
vue  d'explorer  l'Afrique  centrale,  de  civiliser  les  régions  en- 
core sauvages  du  continent  africain  et  do  réprimer  la  traite 
des  esclaves. 

La  délibération  sur  cet  important  sujet  est  renvoyée  à  la 
prochaine  séance. 

M.  le  Président  paie  ensuite  un  juste  ti'ibut  de  regrets  à  la 
mémoire  de  MM.  Ch.  Eynard,  W.  Turrettini,  Salomonet  Coin- 
det,  docteur,  que  la  Société  a  perdus  depuis  sa  dernière  séance. 
M.  le  docteur  Coindet  a  donné  par  son  testament  à  la  Société 
une  aquarelle  de  grandes  dimensions  représentant  un  pay- 
sage du  Kamtchatka,  et  peinte  par  un  des  compagnons  de 
Cook.  M.  Malan-Sillem  a  également  fait  don  de  quelques 
grandes  cartes  murales  de  de  Fer,  intéressantes  au  point  de 
vue  de  la  cartograpliie. 

Parmi  les  dons  d'ouvrages,  il  en  est  deux  qui  méiitent  une 
mention  spéciale  :  l'opuscule  de  M.  le  pasteur  15.  Tournier 
sur  les  Ascensions  de  Rochebrune,  dans  les  Alpes  du  Dau- 
phiné,  et  la  brochure  de  M.  Gogorza,  établissant  la  possibilité 
d'un  canal  sans  tunnel  ni  écluses  à  travers  l'isthme  américain 
par  la  Tuyra  et  le  Cacarica. 

M.  le  professeui'  de  Laharpe  a  rapporté  d'un  voyage  en 
Angleterre  des  extraits  d'un  ouvrage  de  Miss  E.-L.  Bird,  qui 
a  fait  le  tour  du  monde  et  a  séjourné  aux  Iles  Sandwich. 
Dans  ces  extraits  il  a  réuni  les  principaux  renseignements 
sur  les  volcans  de  Hawaii,  dont  Miss  Bird  a  fait  l'ascension  à 
une  époque  où  l'un  d'eux,  le  Ivilauéa,  était  en  éruption.  Les 
obseivations  de  l'auteur  sont  rendues  par  M.  de  Laharpe 
dans  un  sl\le  coloré  et  très-pittoi-esquc  et  M.  le  Président  le 
remercie  vivement  au  nom  de  la  Société. 


PROCES-VERBAl  X.  5 

Séance  du  8  décembre  1876. 
PrésiclLMice  (le  M.  H.  Bouthillier  de  Bealmont. 

A  l'ouverlure  de  la  séance  M.  le  Présideiil  communique 
deux  lettres  annonçant  la  fondation  des  Sociétés  de  géogra- 
l)liie  de  Marseille  et  de  Bruxelles,  et  le  désir  exprimé  parées 
Sociétés  d'entrei'  en  l'appoi't  de  travaux  et  de  publications 
avec  celle  de  Genève.  Cette  communication  est  i-eçue  avec 
sympathie  et  reconnaissance. 

M.  Alfred  Pictet  lit  ensuite  un  rapport  sur  Y  Atlas  topogra- 
phique  de  G.-  M.  Wlieeler,  dont  l'auteur  nous  a  fait  pi'ésent, 
et  qui  est  destiné  à  faire  connaître  les  explorations  entrepri- 
ses sui-  le  territoire  des  Étals-Unis  d'Amérique,  à  l'ouest  du 
100'  méridien.  Le  territoire  exploré  a  été  divisé  en  93  rec- 
tangles, embrassant  chacun  2  degrés  45  minutes  de  longi- 
tude, et  J  degré  40  minutes  de  latitude.  Ces  rectangles  ont 
été  tracés  d'après  la  méthode  de  projection  dite  polijconique, 
à  partir  et  de  chaque  côté  du  111'  méridien  et  du  39'  paral- 
lèle, pris  comme  lignes  centrales  servant  de  points  de  dé- 
part. Chacun  d'eux  forme  une  feuille  de  l'atlas,  à  l'échelle  de 
1  p(uice  (anglais)  i)0ur8  milles.  L'atlas  que  la  Société  a  i-eçu 
contient  les  feuilles  49,  oO,  37  à  39,  63  à  67.  outre  la  carte 
d'ensemble  indiquant  les  93  divisions  et  une  autre  carte  retra- 
çant les  principaux  fleuves  à  l'ouest  du  Mis.sissipi.  Ces  feuilles 
contiennent  des  portions  des  États  ou  territoires  de  Califor- 
nie, Utah,  Nevada,  Arizona.  Elles  indiquent  les  lignes  télé- 
graphiques, les  chemins  de  fer  projetés,  les  routes  suivies 
par  les  wagons  d'éraigrants,  les  districts  miniers,  les  terrains 
sablonneux,  alcaUns,  salins,  etc.  Les  dates  des  explorations 
sous  les  ordres  du  lieutenant  Wheeler  vont  de  1869  à  1874, 
et  les  routes  parcourues  dans  dilTérentes  directions  jusqu'à  la 
lin  de  1873  donnent  une  longueur  totale  de  23924  mille.s. 


()  BULLKTIN. 

M.  Pictel  recommande  à  ratlention  de  la  Société  ce  travail, 
précieux  à  bien  des  points  de  vue,  poui'  la  science,  le  com- 
merce et  la  colonisation. 

Il  fait  remarquer  la  beauté  et  le  fini  de  l'exécution  carto- 
graphique de  cet  atlas,  œuvre  des  plus  intéressantes  et  méri- 
toires, qui  fait  honneur  à  son  habile  directeur.  Il  félicite  la 
Société  de  posséder  ce  document,  et  espère  que  la  suite  hv 
en  sera  envoyée  à  mesure  de  la  publication  ^\e^  dillerentes 
portions  de  cet  impoilanl  relevé. 

M.  Faure  communique  ensuite  la  traduction  d'un  morceau 
de  l'ouvrage  de  M.  le  professeur  A.  Guyot  :  tfie  Earth  and 
Mail  (la  Terre  et  l'Homme),  dans  lequel  l'auteur,  après  avoir 
exposé  la  loi  de  distribution  des  vents,  étudie  successivement 
les  circonstances  qui  favorisent  la  précipitation  des  vapeurs, 
les  pluies  de  la  zone  tropicale,  celles  des  régions  des  mous- 
sons, la  quantité  annuelle  de  Teau  de  pluie  qui  tombe  sous 
les  tropiques,  la  distribution  et  la  quantité  annuelle  de  la 
pluie  dans  les  régions  tempérées  ;  puis  les  modifications  des 
lois  générales  de  distribution  des  pluies,  la  décroissance  des 
quantités  d'eau  de  pluie  et  de  jours  pluvieux  des  bords  de  la 
mer  en  avançant  dans  l'intérieur  des  continents,  les  excep- 
tions et  leurs  causes;  l'inHuence  des  montagnes  et  des  pla- 
teaux dans  les  deux  mondes,  la  distribution  des  pluies  dans 
l'Amérique  du  Sud,  dans  l'Amérique  du  Nord,  en  Afiique. 
en  Europe,  en  Asie  et  en  Austi'alie;  enfin  le  cai-actère  liydrc»- 
métrique  spécial  à  chaque  continent. 

M.  le  docteur  Lombard  confirme  les  données  de  31.  le  pro- 
fesseur Guyot  sur  Mahabulesliwur,  Goïmbre.  Bergen,  ïol- 
mezzo,  et  lappellel'étonnement  de  Kiemps  eu  voyant  débou- 
cher des  gorges  des  Alpes  des  masses  de  nuages  qui,  au  lieu 
de  tomber  en  pluie  sur  l'Italie,  étaient  absorbées  par  l'atmos- 
phère échauffée  de  la  plaine. 

M.  le  Président  jjcnse  (|u"aux  causes  indi(piées  par  .M.  h- 


PROCÈS-VERBAUX.  7 

pi-ofesseur  Guyol,  la  tlirection  des  cliaines  de  montagnes  et 
leur  altitude,  il  faut  ajouter  les  circonstances  électriques  de 
l'atmosphère,  (|ui,  avec  les  montagnes,  influent  aussi  sur  la 
condensation  des  vapeurs;  c'est  à  elles  que  nous  devons  les 
orages,  les  pluies  d'été,  la  grêle.  Il  explique  les  chutes  énor- 
mes d'eau  par  la  considération  du  secteur  géométrique  cor- 
respondant dans  l'atmosphère  à  chaque  point  de  la  terre. 
Dans  la  suite  de  cette  intéressante  exposition,  M.  le  Président 
introduit  quelques  détails  sur  l'action  des  violentes  détona- 
tions sur  l'atmosphère,  (}ui  peuvent  aussi  servir  à  expliquer 
les  effets  de  l'électricité  dans  la  condensation  des  pluies.  Il 
cite  et  traduit  quelques  parties  d'un  opuscule  sur  ce  sujet  de 
M.  le  capitaine  L.  Gatta  :  La  rjuerra  e  la  meteorologia,  dans 
lequel  l'auteur  signale  entre  autres  les  orages  qui  eurent  lieu 
en  Crimée  pendant  le  siège  de  Sébastopol  et  en  Italie  pen- 
dant la  bataille  de  Solféiino ;  il  a  constaté,  par  des  observa- 
lions  faites  à  Gênes,  à  Bruxelles  et  à  Londres,  une  baisse  du 
baromètre  pendant  les  journées  des  grandes  batailles  de  la 
guerre  franco-allemande. 

M.  Briquet  rappelle  qu'un  ascensionniste  qui  se  trouvait 
au  sommet  de  l'Aletschhorn  le  jour  de  la  bataille  de  Solfé- 
rino,  ne  constata  aucune  baisse  barométrique  en  Suisse,  où 
le  ciel  était  parfaitement  serein  ;  en  échange  un  violent 
orage  éclatait  sur  Solférino.  M,  Briquet  rappelle  encore,  à 
l'appui  des  données  de  M.  le  professeur  Guyot,  le  phénomène 
du  drapeau,  souvent  visible  au  sommet  du  Cervin,  où,  par  la 
bise,  se  remarque  une  immense  nappe  de  neige  chassée  à 
une  certaine  hauteur,  puis  absorbée  par  l'atmosphère  échauf- 
fée sous  l'action  des  rayons  du  soleil. 

M.  le  professeur  de  Laharpe  fait  ensuite  un  rapport  oral 
relatif  à  l'expédition  arctique  de  Nares  et  Stephenson,  dont  les 
navires,  YAlert  et  la  Discovenj,  ont  hiverné  à  60  milles  l'un 
de  l'autre,  sans  communications  possibles  pendant  des  mois, 


8  BULLETIN. 

diins  les  régions  polaires,  où  ils  onl  trouvé  une  glace  com- 
pacte sans  aucun  passage  vers  le  Nord.  Le  climat  tle  la  région 
où  hiverna  VAlert  ne  présente  plus  aucune  végétation  ni  au- 
cune vie  animale  ;  c'est  la  limite  des  migrations  des  oiseaux. 
L'écjuipage  a  passé  142  jours  dans  une  obscurité  complète, 
sauf  les  nuits  où  le  ciel  était  pur  et  où  l'on  Jouissait  du  clair 
de  lune.  Les  hommes  ont  beaucoup  soutïert  du  scorbut.  La 
température  étant  descendue  à  —  iîV)°  C,  le  mercure  a  été 
gelé  pendant  plus  d'un  mois.  A  la  station  où  hiverna  la  Dis- 
covery,  il  y  avait  de^  bœufs  musqués.  Les  obstacles  offerts  par 
les  glaces  ont  été  excessifs  cette  année.  On  ne  peut  cheminer 
dans  ces  régions  (ju'avec  des  traîneaux,  quelquefois  attelés 
de  chiens;  encore  est-il  aussi  difficile  de  faire  avancer  ces 
traîneaux  qu'il  le  serait  sur  les  glaciers  de  la  Suisse;  il  y  a 
des  crevasses,  des  montées  et  des  descentes  à  angles  très- 
forts;  à  buil  hommes  par  traîneau,  on  faisait  souvent  moins 
d'un  mille  de  chemin  par  Jour.  Ce  ne  fut  qu'au  printemps 
que  les  deux  navires  purent  tle  nouveau  échanger  des  com- 
munications. M.  Archer,  parti  de  la  Discovery,  visita  le  Fiord 
de  Lady  Franklin,  entre  la  terre  de  Grant  et  celle  de  Griii- 
nel  ;  MM.  Fulford  et  Coppinger  reconnurent  le  Fiord  Peter- 
mann.  De  VAlert,  M.  Markham  se  dirigea  vers  le  Nord  jus- 
qu'à 83°  20'  27";  mais  il  ne  constata  que  l'existence  d'une 
étendue  compacte  de  glace  et  pas  la  moindre  apparence 
d'eau.  —  MM.  Beaumont  et  Rawson  longèrent  en  traîneau 
la  côte  du  Groenland  Jus(|u'à  82°  20'  de  lat.  nord  ;  à  l'Est,  ils 
trou\èrent  des  glaces  puissantes  et  un  certain  nombre  de 
petits  fiords.  A  l'Ouest,  M.  Aldrich  a  fait  le  relevé  de  la  terre 
de  Grant  sur  une  longueur  de  200  milles.  En  somme,  c'est 
l'expédition  présente  qui  a  atteint  le  maximum  de  latitude 
septentrionale,  par  83°  20'  27",  et  qui  a  stationné,  pendant 
l'hiver,  le  plus  au  Nord, 

M.  le  (h»rleur  Lomi)ard  ajoute  que  l'expédition  a  conslalé 


PROGÈS-VERBAL'X.  9 

(les  épaisseurs  de  glace  de  plus  de  100  pieds.  Quant  au  scor- 
but, on  a  essayé  de  le  prévenir  par  de  la  nourriluie  fraîche, 
des  conserves,  l'usage  du  jus  de  citron,  etc.  On  attend  encore 
des  renseignements  sur  les  causes  de  son  intensité  imprévue 
et  exceptionnelle  parmi  les  membres  de  cette  dernière  expé- 
dition. 


Séance  du  22  décembre  1876. 
Pi'ésidence  de  M.  H.  Boutiiillier  de  Beaimo.nt. 

Après  la  lecture  du  procès-verhal  de  la  pi'écédenle  séance, 
M.  le  Président  présente  à  la  nomination  de  la  Société  MM, 
.MetclinikolT  et  Clément,  qui  sont  reçus  membres  eiïectifs  à 
l'unanimilé. 

M.  le  Président  attire  ensuite  l'attention  de  la  Société  sur 
les  conférences  géograpliiques  de  Bruxelles,  et  sur  le  projet 
qui  y  a  été  présenté,  discuté  et  voté,  de  la  ci'éation  d'une  asso- 
ciation internationale  pour  l'exploration  el  la  civilisation  de 
l'Afrique  centi-ale  ;  il  donne  lecture  des  parties  les  plus  im- 
portantes des  nomlireux  documents  i-eçus  sur  ce  sujet  par 
notre  Société  (discours  du  roi,  procès-verbaux,  rapports  des 
divers  délégués  présents,  l'ésolutions  de  la  conférence).  Il 
propose  au  vote  de  l'assemblée  l'adliésion  à  cette  association 
internationale  el  la  formation,  par  l'intermédiaire  et  sous  les 
auspices  de  la  Société  de  géographie  de  Genève,  d'un  Comilé 
national  suisse. 

L'adhésion  est  votée,  avec  des  remerciements  au  l'oi  des 
Belges  pour  son  initiative  de  cette  grande  œuvre,  philanthro- 
pique et  humanitaire  avant  tout,  et  sa  présidence  en  per- 
sonne des  séances  de  la  conférence.  Le  Bureau  est  chargé 
des  démarches  à  faire  pour  atteindre  le  but  pioposé. 


10  BULLETIN. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  MelcIinikolT  (jui  lait, 
comme  suit,  sa  communication  à  Tordre  du  jour  sur  «  les 
origines  et  riiistoire  de  la  nationalité  japonaise,  » 

Des  rapports  de  plus  en  plus  actifs  établis  depuis  une 
vingtaine  d'années  avec  le  Japon,  ont  fait  connaître  à  l'Eu- 
rope la  civilisation  de  ce  pays,  jusiju'aloi's  assez  mal  connue, 
et  ti'op  assimilée  à  la  civilisation  chinoise,  dont  elle  se  dis- 
tingue manifestement,  sinon  par  son  origine,  du  moins  par 
son  tléveloppement  ;  elle  est  l'apanage  de  toutes  les  classes 
de  la  société  au  Japon,  même  des  plus  infimes  ;  l'instruction 
y  est  très-générale,  et  ce  n'est  que  dans  certains  districts 
montagneux  que  l'on  rencontre  des  gens  alisolument  illettrés, 
et  encoi'e  parmi  les  femmes  seulement. 

Pour  bien  comprendre  la  civilisation  japonaise,  U  faut 
l'étudier  non  pas  seulement  par  l'observation  directe,  immé- 
diate, mais  en  y  joignant  l'étude  de  l'histoire  de  ce  pays,  et 
celle  delà  foimalion  de  la  race  qui  Ta  peuplé.  Les  Japonais 
ont,  comme  tous  les  peuples,  cherché  à  rattacher  leur  origine 
à  celle  du  monde,  et  ont  créé  <à  cet  effet  tout  un  système 
théogonique  et  cosmogonique  particulier;  les  premiers  re- 
pi'ésentants  de  la  série  de  leurs  souverains  sont  des  divini- 
tés ou  des  génies,  (jui  par  dérivation  et  dégénérescence,  sont 
peu  à  peu  descendus  à  l'état  d'êtres  humains;  (juant  au  peu- 
ple, il  naît  à  un  ceilain  moment  comme  appendice  à  la  per- 
sonne royale.  Mais  toutes  ces  légendes  relatives  aux  origines 
otl'renl  de  si  grandes  difficultés  lorsqu'on  veut  en  tirer  des 
conjectures  et  les  éléments  d'une  tliéorie  quehpie  peu  déter- 
minée, qu'il  vaut  mieux  ne  pas  s'y  avenlurei'. 

Les  premiers  essais  de  coordination  et  de  condensation 
chronologi(|ues  ne  datent  (|ue  du  YIP  siècle  deT' notre  ère. 
t't  sont  empreints  d'inllurnces  chinoises  et  bouddhiques. 
C'est  à  |)artii'  du  célèbre  Zin-mou  Tenue,  descendant  direct 
des  divinités,  mais  liumain,  (|ue  l'élément  surnaturel  dispa- 


PROCÈS-VERBAUX.  1 1 

rail  de  riiistuire  du  Jupon,  el  qu'au  dire  des  Japonais,  lelle- 
•  i  repose  sur  des  documents  certains.  Le  fait  est  qu'ils  four- 
nissent à  partir  du  règne  de  ce  pei'sonnage  une  liste  com- 
plète et  non  interi'ompue  de  leurs  souverains. 

Après  avoir  rapporté  certaines  données  touchant  l'arrivée 
dans  une  des  îles  qui  forment  le  Japon  de  conquérants 
étrangers,  M.  Melclinikolf  discute  la  question  d'où  ceux-ci 
sont  venus?  On  avait  été  porté  à  croire,  en  se  fondant  prin- 
cipalement sur  des  considérations  linguistiques,  qu'ils  étaient 
d'origine  mongolique.  et  qu'on  doit  leur  assigner  leur  plact; 
dans  le  groupe  ouralo-altaïen  ou  touranien;  c"est  douteux. 

La  langue  japonaise  présente  quelques  caractères  communs 
à  toute  cette  famille  de  langues,  comme  par  exemple  l'har- 
monie vocale,  les  post-positions  et  l'emploi  du  délerminatif  ; 
mais  l'élément  important  de  la  conjugaison  posse.ssive  .se 
[•résentant  non-seulement  poui-  les  verbes,  mais  pour  les 
substantifs  et  les  adjectifs,  fait  défaut  dans  la  langue  japo- 
naise, dont  les  éléments  phonétiques  aussi  n'oll'rent  aucune 
analogie  avec  ceux  des  langues  mongoliques.  La  langue  japo- 
naise n'a  que  peu  de  rapports  avec  le  coi'éen,  non  i)lus  (pi'a- 
vec  l'aïno  :  quant  à  ses  rapports  avec  la  langue  chinoise,  ils 
sont  dus  unicjuement  à  l'adoption  postérieure  de  la  même 
écriture. 

En  somme,  la  linguistique  ne  nous  fournit  pas  d'argu- 
ments tendant  à  montrer  que  les  fondateurs  de  la  nationalité 
japonaise  doivent  leur  origine  au  continent  asiatique. 

Si  des  inductions  tirées  de  la  linguistique  on  passe  aux 
données  fournies  par  l'anthropologie,  on  trouve  là  encore  la 
conûrmation  de  la  même  opinion. 

Les  études  qui  ont  pu  être  faites  à  ce  point  de  vue  sont 
récentes  et  peu  nombreuses,  tout  au  moins  pour  l'intérieur 
du  pays,  puisque  ce  n'est  que  de  peu  d'années  que  datent 
les  rapports  avec  ces  populations.  Siebold  et  Dixon,  le  second 


12  BULLETIN. 

.siu'tout,  les  ont  triiilées  les  premiers  d'une  manière  sérieuse 
et  suivie.  Dixoii  reconnaît  dans  la  population  deux  types  assez 
(lilïérents  :  l'un  celui  des  nobles,  des  daïmios,  oflVanl  une 
tèle  et  un  visage  allongés,  ovales;  l'autre  celui  du  peuple 
proprement  dit,  du  paysan,  de  l'ouvrier,  type  mongol,  au  vi- 
sage carré,  avec  les  pommettes  saillantes  et  les  yeux  hridés. 
Ces  deux  types  se  l'etrouvent  dans  les  i-eprésentations  artisti- 
ques des  Japonais.  —  M.  Metclinikoiï  met  sous  les  yeux  des 
membres  de  la  Société  des  reproductions  diverses  de  ces 
deux  types.— Le  type  aristocratique, japonais,  très-ressemblant 
à  celui  des  lialtitants  des  îles  Riou-Kiou  ou  Lou-Tcliou,  pré- 
sente des  caractères  polynésiens  non  équivoijues,  et  poi-le  à 
croire  que  les  conquérants  venus  avec  Zin-mou  ap[)arte- 
naient  à  ces  tribus  de  pirates  malayo-polynésiens,  dont  l'ap- 
parition sur  les  côtes  du  Japon  est  constatée  plus  d'une  fois 
dans  l'bistoire,  et  qui,  encoi-e  de  nos  jours,  jouent  dans  les 
îles  du  Pacifique  un  rôle  assez  analogue  à  celui  des  Nor- 
mands dans  l'Europe  du  moyen  <âge.  Du  mélange  de  ces 
nouveaux  \enus  avec  un  fonds  de  population  mongole  se 
serait  formée  la  nationalité  japonaise,  telle  (pic  nous  la 
voxons  aujoui'd'bui. 

Si  nous  considérons  l'iiistoirc  de  cette  nationalité  dans  les 
jihases  successives  qu'elle  a  parcourues,  nous  lui  trouvons 
(le  grands  i-apporis  avec  l'bistoire  féodale  de  notre  Europe. 
L'organisation  à  pai'lir  de  la  conquête  de  Zin-mou-Tennô 
(vei's  Tan  (550  avant  notre  ère)  est  celle  d'une  monarcliie 
féodale.  Ce  caractère  s'explique  par  le  fait  de  la  conquête  du 
pays  par  des  bandes  successives  de  ces  émigrants  de  môm: 
origine,  arrivant  à  des  intervalles  plus  ou  moins  rapprochés 
et  i-estant  (juehjuefois  longtemps  indépendantes  les  unes  des 
antres. 

La  i)ériode  de  conquête  va  de  l'an  (îoO  avant  J.-d.  à  l'an 
200  onvii-on  de  noire  ère.  présentant    un  caractère  d'assez 


('ROCKS- VK[\BALX.  \'i 

grande  aiUlieiilicilé  et  reposant  sur  des  documents  passable- 
ment certains,  complétés  d'ailleurs  en  partie  par  l'etlinogra- 
phie  chinoise  telle  que  nous  la  donnent  les  auteui-s  diinois. 
et  entre  autres  Ma-tliuan-lin,  dont  M.  F.  ïuriettini  publie 
présentement  en  français  un  intéressant  ouvi-age. 

Pentlant  cette  péi'iode,  il  est  fait  mention  de  plusieurs  in- 
vasions coréennes  et  de  visites  de  pirates  venant  des  îles  de 
la  Polynésie,  mais  loiUes  sont  victorieusement  repoussées. 
D'autre  part,  il  n'est  pas  (|uestion  d'invasions  chinoises. 

Vers  le  IIP  siècle  de  notre  ère,  la  con(piéte  de  rarchii)(d 
étant  achevée,  les  Japonais  font  à  leur  tour  des  invasions,  soit 
en  Corée,  entre  autres  sous  l'impératrice  Zim-zoù,  la  Sémi- 
ramis  du  Japon,  soit  dans  les  îles  du  Noiil,  sous  plusieui's 
empereurs.  Dui'ant  cette  période  féodale,  le  trône  était 
héréditaire;  mais  la  notion  d'hérédité  est  d'un  genre  bien 
dilTérent  au  Japon  de  ce  ipi'elle  est  pour  nous,  l'adoption 
jouant  là  un  l'Ole  beaucoup  plus  grand  même  (pie  la  pai-enlé 
de  sang. 

Une  seconde  période  de  l'histoire  japonaise  commence 
sous  l'empereur  0-Zin,épo(pie  où  un  lettré  chinois,  ou  plulôl 
coréen,  importa  les  livres  sacrés  et  les  doctrines  de  Confu- 
cius;  l'écriture  idéographique  chinoise  ainsi  introduite  fut 
adoptée  en  particulier  par  les  classes  élevées  de  la  société 
japonaise,  et  avec  l'écriture  les  .Japonais  se  sont  peu  à  peu 
assimilé  les  idées  et  les  institutions  chinoises.  Les  empe- 
reui's,  par  politique,  ont  poussé  à  la  diffusion  du  bouddhisme 
dans  le  pays.  Le  système  qui  existait  auparavant,  et  qu'on  a 
qualifié  de  religion,  sous  le  nom  de  Sintoïsme,  n'est  pas  à 
proprement  parler  une  religion,  mais  un  composé  de  coutu- 
mes et  de  légendes;  aussi  l'établissement  du  bouddhisme  n'a 
pas  rencontré  une  bien  vive  résistance. 

Si  la  première  période  se  caractérise  par  la  conquête  du 
territoire  qui  forme  l'empire  du  Japon,  et  la  seconde  par  une 


14  BULLETIN. 

transfonnatioii  morale,  la  li"oisième  est  polituiue  et  marquée 
par  le  commencement  des  luttes  entre  le  pouvoir  central  des 
Tennôs  ou  Mikados  et  les  grands  seigneurs  féodaux,  les  daï- 
raios,  certaines  familles  de  ceux-ci  s'élant  mises  en  opposi- 
tion avec  le  pouvoir  central;  ainsi,  celles  des  Naka-torai,  des 
Monobé,  des  Soga,  etc.  Ces  luttes  se  terminaient  le  plus  sou- 
vent par  des  compromis  qui,  peu  à  peu,  amenèrent  ce  résul- 
tat, tpie  le  pouvoir  centi'al  passa  aux  mains  des  familles  féo- 
dales. 

Alors  commencent  des  i'ivalilés  entre  ces  ([uelques  familles, 
particulièrement  entre  les  Heï  et  les  Guen  ;  elles  aboutirent, 
après  de  nombreuses  péripéties,  à  la  création  du  siogomiat 
(taïcounat),etpar  là  à  l'inauguration  de  la  dualité  du  pouvoir, 
régime  ijui  a  existé  au  Japon  jusqu'en  1868.  C'est  alors  une 
quatrième  période,  qui  a  duré  de  l'an  1200  jusqu'à  nos  jours, 
et  que  M.  Metchnikolf  se  réserve  de  traitei'  dans  une  pro- 
cbaine  séance. 

M.  le  Président  le  l'emercie  de  cette  première  communica- 
tion et  lui  expi'ime  le  plaisir  que  la  Société  aura  à  en  enten- 
dit' la  suite. 


Séance  du  12  janvier  1877. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  J3eau.mo.nt. 

Après  l'adoption  du  procès-verbal  el  le  rapport  de  M.  le 
Président  .sur  l'augmentation  de  la  bibliotlièque  et  sui'  les 
premiers  travaux  du  Bureau  pour  la  formation  du  Comité 
national  suisse,  la  parole  est  donnée  à  iM.  MetchnikolT  ipii 
continue  sa  communication  sur  les  origines  et  l'iiisloire  île 
la  nationalité  japonaise. 

A\aiit  rappelé  en  quelques  mois  les  traits  pi-incipaux  de  la 
première  partie  de  cette  histoire,  qu'il  a  divisée  en  trois  pério- 


PROCÈS-VERBAUX.  lo 

(les  :  1°  la  coïKiuêle,  depuis  Zin-moù  jusqu'à  Zim-zoù  (200 
ans  après  J.-C);  2°  la  civilisalion  chinoise,  depuis  0-ziii  jus- 
qu'à Tend-zi  (672  de  notre  èi-e);  li"  la  décadence  impériale, 
jusqu'à  Toha  (en  1180);  M,  MelchnikofT  passe  à  l'étude  de 
Tépoque  qu'on  peut  désigner  du  nom  d'époque  siogounale 
ou  laïcounale.  parce  (|ue  son  trait  principal  consiste  dans  la 
formation  d'un  second  pouvoir  central  indépendant  de  celui 
des  empereurs  ou  Mikados,  et  représenté  par  les  Siogoûns 
ou  Sei-i-taï-siogoûns,  dont  les  Européens  ont  fait,  sous  le 
nom  inexact  de  Taïcouns,  des  souverains  temporels  du  Ja- 
pon. 

La  création  de  ce  pouvoir  date  de  Tori-tomo,  chef  de  la 
maison  des  (iuen  ou  Mina-moto,  qui  sous  le  règne  des  empe- 
reurs An-to-kou  et  Toha  II  (en  1192)  vainquit  la  famille  l'i- 
vale  des  Heï  ou  Teïra,  et  devint  de  fait  régent  tout-puissant  et 
imontesté  de  l'empire,  faisant  ployer  devant  son  autorité 
toute  militaire,  et  la  cour  de  Kioto,  et  la  noblesse  féodale.  Il 
se  construisit  une  capitale,  Kama-Koura,  dans  le  voisinage  de 
l'emplacement  où  se  trouve  maintenant  Yokohama,  et  l'im- 
posa au  pays  pai-  la  force  des  armes.  Son  fils,  Tori-gué,  ne 
lui  succéda  point;  il  fut  déposé  par  son  grand-père  maternel, 
Hozio-Yoki-maçà,  et  le  pouvoir  effectif  tomha  alors  entre  les 
mains  de  la  famille  des  Hozio,  qui  le  posséda  pendant  neuf 
générations.  Pendant  cette  période  le  siogounat  fut  tout- 
puissant;  il  déposait  à  son  gré  les  empereurs-Mikados;  ceux- 
ci  entraient  habituellement  dans  les  ordres  houddhiques.  Il  y 
avait  Itien.  à  côté  du  pouvoir  siogounal,  un  conseil  de  l'em- 
pire qui  était  censé  assister  l'empereur  dans  le  gouverne- 
ment, mais  son  autorité  était  d'ordinaire  purement  nominale 
et  annulée  par  celle  des  Siogoùns. 

Mais  par  suite  des  luttes  qui  se  succédaient  entre  les  famil- 
les rivales  pour  la  possession  du  pouvoir,  le  siogounal  perdit 
de  son  prestige  et  tomha  en  décadence,  étant  souvent  entre 


1()  BULLETIN. 

(les  mains  peu  dignes  de  l'exercer,  ce  qui  permit  à  l'empe- 
reur Daï-go  II  d'organiser  une  coalition  des  nobles  conti'e 
les  Hozio  pour  recouvrer  son  indépendance.  Mais  le  Siogoùn 
Taka-toki  le  chassa  de  sa  capitale,  le  forçant  de  se  réfugier  à 
Socino,  et  les  insignes  du  pouvoir  impérial  furent  remis  à  un 
cousin  de  Daï-go.  Il  y  eut  donc  simultanément  deux  souve- 
rains ,  et  lieux  cours,  l'une  au  Nord,  l'autre  au  Sutl,  et  cela 
ilura  50  ans;  mais  vu  la  faiblesse  inhérente  dont  était  frappé 
le  pouvoir  impérial,  on  ne  peut  attribuer  à  ce  fait  qu'une 
importance  secondaire. 

La  coalition  des  nobles  sous  un  certain  Acinaga-Taka- 
ousi,  parvint  à  i-enverser  la  famille  des  Hozio;  Acinaga  se 
saisit  de  l'autorité  siogounale,  et  ses  descendants  la  conser- 
vèrent pendant  treize  générations;  mais  la  décailence  conti- 
nua, si  bien  que  vers  le  commencement  du  XYI"*  siècle,  le 
.lapon  se  trouvait  dans  une  complète  anarchie. 

Ce  fut  alors  que,  vers  l'an  I."i60,  un  guerrier  nommé  Ola- 
Nabou-naga  parvint  à  pacifier  le  pays  et  à  ramener  à  la  sou- 
mission une  partie  de  la  noblesse.  Malheureusement  pour 
lui,  outre  l'opposition  persistante  du  reste  des  nobles,  il  ren- 
contra celle  des  moines  bouddhistes  devenus  très-nombi-eux 
et  très-influents,  avec  lesquels  il  entra  en  lutte.  Attaqué 
à  l'improviste  par  un  de  ses  généraux,  Akelsi-Milsou-hida,  il 
se  suicida  dans  un  temple  de  Kioto,  laissant  son  entreprise 
inachevée. 

Ce  fut  sous  Nabou-naga  qu'arrivèrent,  en  1543,  les  pre- 
miers Portugais  conduits  par  Mendez  Pinto  ;  c'est  la  décou- 
verte réelle  du  Japon  par  les  Européens.  Peu  après  ces  pre- 
miers trafiquants,  vinrent  les  missionnaires  chrétiens,  avec 
François  Xavier  à  leur  tète.  Ils  furent  il'aliord  fort  mal  ac- 
cueillis; mais  un  des  principaux  daïmios,  le  piince  d'Ai'imo, 
s'étant  déclaré  pour  le  christianisme  et  ayant  piésenté  les 
missionnaires  à   Nabou-naga,  celui-ci   les  recul  liès-favoi-a- 


PROCÈS-VERBAUX.  17 

blemenl,  dans  la  pensée  toute  politique  de  s'en  faire  un  ap- 
pui dans  sa  lutte  contre  les  bonzes  bouddhiques.  Le  peuple 
aussi  les  vit  dès  l'abord  avec  faveur,  attiré  surtout  par  les  cé- 
rémonies du  culte.  Il  apprit  d'eux  l'usage  du  pain,  du  tabac, 
du  verre,  etc.,  toutes  choses  jusque-là  inconnues  au  Japon. 
Le  nombre  des  chrétiens  s'éleva  bientôt  à  250,000,  et  l'on 
compta  parmi  eux  plusieurs  daimios,  entre  autres  le  prince 
d'Arimo.  Une  ambassade  fut  envoyée  par  le  gouvernement 
japonais  à  Philippe  II  et  au  pape  Sixte-Quint.  Mais  l'accord 
des  seigneurs  et  des  missionnaires  s'évanouit  bientôt  à  la 
suite  de  contestations  fréquentes  pour  des  questions  de  pré- 
éminence ;  les  prétentions  ambitieuses  des  missionnaires 
froissèrent  les  daïmios  et  amenèrent  les  persécutions  dont 
ils  furent  dès  lors  l'objet. 

Nabou-naga  eut  pour  successeur  un  de  ses  généraux, 
nommé  Kino-Sita  ou  HiJé-yoci,  et  plus  connu  sous  le  nom 
de  Taïko-Sama,  d'où  les  Hollandais,  venus  au  Japon  après 
les  Portugais  et  les  Espagnols,  firent  le  nom  générique  de 
Taïkoun.  Ce  fut  sous  son  règne  qu'eurent  lieu  les  persécu- 
tions les  plus  violentes  contre  les  chrétiens,  à  l'instigation 
surtout  de  la  noblesse  féodale.  Pour  faire  diversion  à  l'esprit 
remuant  de  celle-ci,  Taïko-Sama  entreprit  une  guerre  contre 
la  Corée,  dans  laquelle  il  infligea  aux  Chinois  et  Coréens 
réunis  plusieurs  défaites  sanglantes. 

Après  avoir  imposé  au  général  chinois  un  traité  humiliant 
pour  l'Empire  du  Milieu,  Taïko  retourna  à  Osaka,  sa  capi- 
tale, où  une  ambassade  chinoise  le  suivit  bientôt.  Mais  celle- 
ci  lui  ayant  apporté  de  la  part  de  l'empereur  de  la  Chine,  au 
lieu  de  la  reconnaissance  stipulée  de  la  suzeraineté  du  Japon 
sur  la  Chine,  le  titre  d'empereur  du  Japon  que  l'empereur 
chinois  daignait  lui  octroyer,  à  lui  Taïko,  celui-ci,  irrité,  ou- 
vrit une  seconde  expédition  contre  la  Chine  ;  mais  il  mourut 
sur  ces  entrefaites.  Les  dissensions  recommencèrent  bientôt 

BULLETIN,  T.   XVI,    1877.  2 


18  BULLETIN. 

entre  les  chefs  japonais  ;  le  prince  de  Hiogo,  Kato-Kiomâça, 
abandonné  par  les  autres  daïmios,  dut  subir  en  Corée  de  du- 
res épreuves,  mais  il  s'en  tira  avec  gloire,  et  rentra  victo- 
rieux au  Japon,  où  il  joua  un  rôle  important  sous  l'impéra- 
trice Mio-Sio,  lors  de  la  seconde  persécution  des  chrétiens 
(1630j.  Il  est  même  resté  un  des  héros  favoris  du  peuple  ja- 
ponais. 

Le  fils  cadet  de  Taïko-Sama  (il  avait  fait  mourir  son  fils 
aîné)  fut  déposé  par  son  tuteur,  ancien  compagnon  d'armes 
de  Nabou-naga  et  de  Hidé-yoci,  nommé  Tokoun-gara-Seya- 
çou,  célèbre  dans  l'histoire  japonaise  sous  son  surnom  post- 
hume de  Gonghen-Sama.  Celui-ci,  après  avoir  vaincu  la 
coalition  des  daïmios  à  la  bataille  de  Sekigawara,  se  proclama 
Siogoùn,  titre  tombé  en  désuétude  et  inusité  depuis  les  Aci- 
naga.  Il  inaugura  ainsi  la  dernière  période  de  la  deuxième 
époque  de  l'histoire  japonaise,  celle  de  la  restauration  du 
siogounat,  qui  resta  dans  sa  famille  jusqu'en  18G8,  o^  il  prit 
fin  à  l'arrivée  de  la  flotte  américaine  sous  le  commandement 
du  Commodore  Parry.  L'état  actuel  du  Japon  fera  l'objet 
d'une  communication  subséquente,  que  M.  MetchnikofT  pro- 
met à  la  Société. 

M.  le  professeur  de  Laharpe,  en  exprimant  l'intérêt  avec 
lequel  il  a  entendu  les  communications  de  M.  MetchnikofT, 
signale  qu'elles  présentent  une  lacune  sur  un  point  qui  lui 
paraît  important,  savoir  qu'elles  n'ont  guère  traité  que  de 
l'histoire  politique  du  pays,  et  surtout  de  ses  princes,  et  n'ont 
pas  parlé  du  peuple  proprement  dit,  de  son  état  social, 
de  sa  vie,  pendant  ces  périodes  successives. 

M.  MetchnikofT  répond  que  le  rôle  du  peuple  a  été  très- 
effacé,  relégué  à  l'arrière-plan,  comme  cela  est  toujours 
le  cas  avec  une  organisation  toute  féodale,  comme  l'était 
celle  du  Japon  ;  de  plus  il  ne  possède  de  données  vraiment 
sérieuses  et  un  peu  cei-taines  sur  ce  sujet  que  pour  la  der- 


PROCÈS-VERBAUX.  19 

nière  période,  celle  qu'il  se  propose  de  traiter  ultérieure- 
ment devant  la  Société. 

M.  de  Laliarpe  communique  à  la  Société  des  nouvelles 
toutes  récentes  qu'il  a  extraites  du  journal  anglais  Galignaui, 
sur  l'état  actuel  de  la  question  du  percement  de  l'isthme  cen- 
tral américain.  11  s'agit  maintenant,  d'après  ce  journal,  du 
projet  mis  en  avant  et  recommandé  par  le  gouvernement 
des  Étals-Unis,  d'ouvrir  ce  canal  en  utilisant  le  fleuve  San- 
Juan  et  le  lac  de  Nicaragua*,  avec  neutralisation  d'un  espace 
latéral  de  largeur  convenable  sur  tout  le  parcours  du  canal, 
et  d'un  rayon  correspondant,  en  mer,  devant  chaque  embou- 
chure. Le  canal  même  aurait,  suivant  ce  projet,  environ  153 
milles  de  longueur. 

M.  le  Président  rappelle  que  la  Société  avait  été  nantie  dans 
le  temps  d'une  invitation  à  prendre  part  à  la  formation  d'un 
Comité  international  pour  la  poursuite  de  ce  grand  travail, 
et  que  le  Bureau,  chargé  d'y  répondre  et  de  demander  des 
renseignements  plus  circonstanciés,  a  reçu  dès  lors  une  let- 
tre de  M.  de  Lesseps,  alors  l'un  des  promoteurs  de  rentre- 
prise. 

M.  Elisée  Reclus  donne  des  détails  topographiques  et 
techniques  relativement  à  l'étabhssement  de  ce  canal  projeté  •_ 
il  rappelle  que  le  nivellement  du  lac  de  Nicaragua  est  à  39 
mètres  au-dessus  du  niveau  de  l'Océan,  et  que  le  seuil  le  plus 
bas  qu'il  faudrait  couper,  est  encore  de  16  mètres  plus  élevé  ; 
ce  projet  offre  donc  de  formidables  difficultés  d'exécution,  et 
une  perspective  de  rendement  peu  encourageante.Quantaux 
autres  projets,  visant  à  effectuer  le  percement  soit  au  Da- 

*  On  sait  qu'il  a  été  proposé  divers  tracés  du  même  genre  :  Le 
canal  du  projet  analogue  de  M.  Belly,  utilisant  le  lac  de  Nicaragua 
et  le  fleuve  San- Juan,  aboutirait  d'une  part  à  la  baie  de  Satinas,  sur 
l'Océan  Pacifique,  et  de  l'autre  à  Greytown,  sur  l'Atlantique. 
L'isthme  à  percer  à  l'ouest,  entre  le  lac  et  la  mer,  n'aurait  que  22 
ou  24  kilomètres  de  largeur,  avec  un  seuil  de  36  ou  38  mètres. 


20  BULLETIN. 

rien,  soit  à  l'isthme  de  Panama,  un  ingénieur  russe,  qui  s'est 
occupé  du  premier  de  ces  projets,  a  émis  Topinion  que,  au 
Darien,  les  collines  s'abaissent  assez  pour  ne  présenter  plus 
qu'un  seuil  de  hauteur  praticable  ;  h  l'isthme  de  Panama  ce 
seuil  ne  serait  que  de  40  mètres,  ce  qui  est  l)ien  encore  un 
chiffre  assez  notable,  lorsqu'il  s'agit  de  creuser  un  canal  de 
60  mètres  de  largeur. 

Mais  l'objection  principale  à  l'exécution  de  tous  ces  projets 
sera  toujours,  aux  yeux  de  M.  Reclus,  le  rendement  insuffi- 
sant de  ces  entreprises,  en  regard  des  frais  énormes  qu'elles 
entraînent.  Le  canal  de  Suez,  il  est  vrai,  a  pu  être  établi,  ou 
plutôt  rétabli,  et  paraît  maintenant  devoir  être  une  entre- 
prise  rémunératrice.  Mais  les  conditions  seraient  bien  diffé- 
rentes pour  le  canal  américain.  Le  canal  de  Suez  a  été  creusé 
dans  des  sables,  tandis  qu'au  Darien  et  à  Panama  il  devra 
l'être  dans  des  couches  essentiellement  rocheuses.  Le  climat 
qui,  cà  Panama  surtout,  est  insalubre  au  plus  haut  point  même 
pour  les  travailleurs  nègres,  est  un  grand  obstacle.  Enfin  le 
trafic  sera  trois  fois  moins  considérable  que  pour  le  canal  de 
Suez  ;  le  grand  commerce  continuera  cà  se  faire  beaucoup 
par  le  Cap  Horn,  et  le  commerce  local  sera  toujours  à  peu 
près  nul. 

Il  y  aurait  encore  l'isthme  de  Tehuantepec,  auquel  on 
pourrait  songer,  et  auquel  on  a  songé  en  effet,  pour  le  per- 
cement du  canal.  Là  le  climat  est  bien  différent  qu'à  Panama. 
La  vallée  de  l'Atrato  offrirait  aussi  certains  avantages  pour 
une  plus  grande  facilité  de  travaux;  mais  outre  l'objection 
générale  qui  vient  d'être  signalée  quant  au  trafic  peu  rému- 
nérateur, laquelle  s'applique  à  tous  les  projets,  il  y  a  celle 
autre,  que  la  contrée  à  traverser  est  on  ne  peut  moins  con- 
nue, et  que  l'établissement  et  la  poursuite  des  travaux  en  se- 
raient rendus  Irès-difficiles  et  peut-être  même  impossibles. 

A  la  question  d'un  des  membres  sur  ce  qu'il  est  advenu 


PROCÈS-VERBAUX.  21 

du  projet  de  M.  Belly,  dont  celui-ci  avait  lui-même  entretenu 
notre  Société  il  y  a  quelques  années,  et  qui  utiliserait  le  lac 
de  Nicaragua  et  le  San-Juan  avec  une  de  ses  embouchures 
à  la  baie  de  Salinas  et  l'autre  à  Greytown,  M.  Reclus  observe 
que  ce  projet  avait  peu  de  chances  de  réussir,  l'endroit 
choisi  pour  le  débouché  du  canal  dans  le  lac  de  Nicaragua 
étant  dans  la  partie  sud  de  celui-ci,  où  le  seuil  est  le  plus 
élevé,  tandis  que  le  plus  facile  à  franchir,  comme  étant  le 
moins  élevé,  est  au  nord  du  lac,  là  où  le  proposait  un  autre 
projet,  abandonné  aussi,  celui  de  M.  de  Sonnenstern. 

M.  Metchnikofï  ne  partage  pas  l'opinion  de  M.  Reclus 
quant  au  peu  de  trafic  qu'offrirait  le  canal  en  question  ;  il  bé- 
néficierait certainement  de  celui,  assez  important,  de  la  Cali- 
fornie ;  puis  le  pays  lui-même  renferme  de  grandes  ressour- 
ces, en  forêts^  en  mines,  etc.,  qui  ne  sont  pas  exploitées  faute 
de  voies  de  communications,  mais  le  seraient  aussitôt  qu'il 
en  aurait  été  créé  une  aussi  importante.  Pour  le  grand  com- 
merce, doubler  le  Cap  Horn  est  toujours  un  inconvénient. 

M,  Reclus  tout  en  admettant  que  l'entreprise  présente  cer- 
tainement quelques  avantages,  qui  l'ont  fait  mettre  en  avant, 
insiste  sur  les  considérations  qu'il  a  énoncées  et  rappelle 
qu'outre  le  Cap  Horn,  il  y  a  encore  d'autre  voies  de  commu- 
nication contre  la  concurrence  desquelles  le  canal  projeté  au- 
rait à  lutter  :  ainsi  pour  le  commerce  avec  la  Cahfornie  et 
avec  les  pays  du  nord  de  l'Asie,  outre  le  cbemin  de  fer  de 
Panama  déjà  en  exploitation,  ceux  qui  traversent  les  États- 
Unis;  il  y  en  aura  bientôt  deux,  et  peut-être  un  troisième, 
projeté  à  travers  le  Mexique.  Dans  l'Amérique  du  Sud,  il  y 
aura  celui,  projeté  aussi,  à  travers  les  Andes. 

En  résumé,  M.  Reclus  pense  que  si  l'entreprise  arrive  à 
s'exécuter,  ce  ne  sera  que  dans  un  temps  encore  assez  éloi-. 
gné,  et  non  sans  de  grandes  difficultés  et  une  dépense  consi- 
dérable, peu  en  rapport  avec  les  profits  à  en  retirer. 


22  BULLETIN. 

Quant  à  un  détail,  les  écluses,  dont  parle  le  projet  en  ques- 
tion, sont  un  obstacle  à  la  navigation  des  gros  navires  qui 
équivaut  bien  aux  inconvénients  des  débarquements  et  trans- 
bordements des  marcbandises,  l'objection  principale  aux 
moyens  actuellement  en  usage  pour  la  traversée  de  l'isthme 
interocéanique. 

M.  de  Beaumont  fait  ressortir  les  avantages  d'un  tel  canal, 
mais  sans  écluses,  pour  l'assainissement  du  pays  et  de  son 
climat,  par  la  régularisation,  par  ce  moyen,  des  cours  d'eau 
qu'on  utiliserait  sur  l'un  et  l'autre  vei'sant. 

M.  Reclus  mentionne  encore  un  obstacle  aux  travaux  qu'il 
n'a  pas  signalé  d'abord,  c'est  l'envahissement  rapide  de  la 
végétation  dans  ces  contrées  tropicales,  aussitôt  qu'il  y  a  une 
interruption  un  peu  prolongée  dans  les  travaux,  comme  cela 
est  arrivé  à  la  plupart  de  ceux  qui  ont  été  entrepris  jusqu'ici, 
excepté  pour  le  chemin  de  Panama  et  pour  un  autre  établi 
dans  l'intérieur  de  l'État  de  Gosta-Rica,  Il  cite  comme  exem- 
ple le  chemin  des  Boucaniers,  autrefois  très-fréquenté,  entre 
Porto-Bello  et  Panama,  maintenant  tout  à  fait  abandonné;  il 
n'y  a  plus  maintenant  de  communications  entre  ces  deux 
points,  entre  lesquels  se  faisait  précédemment  un  commerce 
important. 

M,  de  Laharpe  ajoute  que,  d'après  le  journal  d'où  il  a  ex- 
trait les  détails  qu'il  a  donnés,  le  Président  des  États-Unis 
paraît  attacher  une  très-grande  importance  k  l'exécution  du 
projet  en  question,  et  a  adressé  à  ce  sujet  aux  gouverne- 
ments européens  une  communication  à  laquelle  plusieurs  ont 
déjà  répondu  favorablement. 


PROCÈS-VERBAUX.  23 

Séance  du  26  janvier  1877. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

A  l'ouverture  de  la  séance,  M.  le  Président  communique 
ce  que  le  Bureau  a  fait,  depuis  la  dernière  réunion,  pour  la 
formation  du  Comité  national  suisse  qui  devra  entrer  en 
rapport  avec  la  Commission  internationale  d'exploration  et 
de  civilisation  de  l'Afrique  centrale.  Une  circulaire  a  été 
adressée  à  tous  les  membres  de  la  Société,  et  un  certain 
nombre  d'adhésions  sont  déjà  parvenues  entre  les  mains  du 
Président.  Les  obligations  des  membres  du  Comité  national 
n'ont  rien  d'onéreux  ;  les  comités  sont  créés  pour  faire  con- 
naître l'œuvre  et  stimuler  le  zèle  patriotique  par  des  sous- 
criptions, des  dons,  des  travaux,  etc. 

M.  le  Président  expose  ensuite  les  motifs  qui  rendent  né- 
cessaire une  augmentation  de  la  contribution  annuelle  des 
membres,  principalement  pour  l'extension  et  l'entretien  de 
la  bibliothèque  et  la  publication  des  Mémoires  et  Bulletins  de 
la  Société.  —  Il  émet  aussi  le  vœu  de  voir  la  Société  s'éten- 
dre toujours  plus  en  Suisse,  par  l'adhésion  de  nouveaux 
membres  dans  les  autres  cantons. 

Plusieurs  membres  prennent  successivement  la  parole 
pour  appuyer  fortement  ce  désir.  M.  Aloïs  Humbert  estime 
qu'il  faudrait  accorder  à  ces  membres  les  mêmes  droits 
qu'aux  membres  ordinaires,  ainsi  que  le  font  les  Sociétés 
vaudoises  ou  autres  qui  comptent  des  membres  à  Genève. 
Quand  ceux-ci  vont  a  Lausanne,  ils  peuvent  assister  aux 
séances  et  voter  comme  ceux  qui  résident  dans  le  can- 
ton de  Vaud.  La  Société  géologique  de  France  n'a  pas  le 
tiers  de  ses  membres  résidant  à  Paris  ;  tous  paient  la  même 
contribution  et  reçoivent  également,  qu'ils  soient  à  Genève 
ou  à  St-Pétersbourg,  les  belles  publications  de  la  Société.  Le 
Bureau  est  invité  à  donner  suite  à  cet  objet.     • 


24  BULLETIN. 

M.  le  Président  présente  à  la  Société  une  carte  géologique 
du  département  de  la  Gironde,  don  de  la  Société  de  Bor- 
deaux, beau  travail,  sur  une  grande  échelle,  dont  les  don- 
nées sont  très-intéressantes  pour  la  formation  des  landes  ;  et 
une  carte  concernant  l'hydrographie  de  la  Suisse,  de  M.  Lau- 
terburg. 

M.  de  Morsier  lit  ensuite  une  notice  sur  les  pampas  de 
l'Amérique  méridionale.  Cette  étude  se  rattache  à  un  travail 
beaucoup  plus  étendu  sur  les  grandes  plaines,  déserts,  lan- 
des, steppes,  Uanos,  pampas,  savannes,  du  Sahara,  de  la  Nu- 
bie, de  l'Arabie,  de  la  Mésopotamie,  de  la  Tartarie,  des  Kir- 
ghises,  de  la  Mongolie,  etc.  Les  documents  sur  le  Nouveau 
Monde  sont  les  plus  rares;  cette  rareté  les  rend  plus 
précieux  ;  c'est  ce  qui  engage  M.  de  Morsier  à  entretenir  au- 
jourd'hui la  Société  des  pampas  de  l'Amérique  du  Sud. 

La  superficie  de  la  pampa  de  Buenos-Ayres  est  immense: 
elle  est  bornée  d'un  côté  par  des  bouquets  de  palmiers,  de 
l'autre  par  les  neiges  éternelles.  Ce  qui  la  caractérise,  c'est 
l'étendue  sans  limites,  ce  sont  les  perspectives  fuyantes  et 
incertaines,  qui  donnent  l'idée  de  la  mer.  L'habitant  de  la 
République  Argentine  se  meut  au  milieu  d'impressions 
étranges: il  n'aperçoit  rien  à  l'horizon;  la  solitude, le  danger 
invisible,  l'Indien,  la  mort  l'entourent  de  toutes  parts. 

Dans  la  pampa  des  Andes,  les  guides  consultent,  de  jour 
le  soleil,  de  nuit  les  étoiles.  Si  le  ciel  est  voilé,  les  carcasses 
d'animaux  qui  ont  péri  en  traversant  le  désert  jalonnent  la 
route  de  la  caravane. 

Au  N.  et  au  S.  sont  les  Indiens  pillards,  toujours  prêts  à 
assaillir  les  voyageurs,  que  d'autres  dangers,  les  piqûres  des 
vipères,  la  rencontre  des  tigres,  du  tigre  sebado  (qui  a  goûté  le 
sang  humain)  en  particulier,  menacent  encore.  Cette  insécu- 
rité donne  à  l'Argentin  une  résignation  calme  qui  n'exclut 
pas  la  poésie;  cette  disposition  est  au  contraire  très-déve- 


PROCÈS-VERtfAUX.  25 

loppée  dans  le  peuple;  le  pays  y  contribue,  par  les  pliénomè- 
nes  physiques  qu'il  présente. 

M.  de  Morsier  passe  en  revue  certains  types  particuliers  à 
cette  contré^:  le  Rostreador,  dépisteur,  chez  lequel  l'organe 
de  la  vue  est  développé  d'une  manière  étonnante,  à  ce  point 
qu'il  est  capable  de  retrouver  la  piste  des  coupables  que  re- 
cherche la  justice,  très-longtemps  après  la  consommation 
d'un  déUt  ou  d'un  crime;  —  le  Bachuano,  doué  d'une  con- 
naissance géographique  qui  en  fait  un  auxiliaire  très-précieux 
pour  les  généraux  qui  doivent  conduire  leurs  troupes  dans 
ces  solitudes  sans  bornes  ;  —  le  Gaucho,  maquignon  ;  —  le 
Cantor,  sorte  de  rhapsode  auquel  tout  le  monde  fait  place 
dans  les  fêtes,  où  il  improvise  des  poésies  charmantes,  iieu- 
reux  mélange  de  l'histoire  nationale  et  de  la  célébration  des 
us  et  coutumes  du  pays. 

M.  le  Président  ajoute  quelques  mots  sur  les  steppes  de  la 
Russie  méridionale,  et  M.  de  Laharpe  caractérise  les  Gau- 
chos comme  de  véritables  Centaures,  qui  vivent  sur  leurs 
montures  et  se  font  un  jeu  de  dompter  les  chevaux  sauvages 
les  plus  rebelles. 

M.  Lecoultre  donne  lecture  de  la  traduction  d'un  morceau 
de  Weyprecht  contenant  des  observations  sur  les  glaces  po- 
laires. La  glace  des  contrées  arctiques  revêt  les  deux  formes 
de  montagnes  de  glace  et  de  bancs.  Les  premières  sont 
fournies  par  le  sol,  les  bancs  le  sont  par  la  mer.  La  neige 
s'accumule  dans  les  vallées,  se  transforme  en  glace  poreuse, 
puis  obéissant  lentement,  mais  constamment,  à  la  loi  de  la 
pesanteur,  elle  descend  vers  la  mer.  Chaque  vallée  est  rem- 
plie par  un  glacier;  parfois  plusieurs  se  réunissent  ;  ils  n'en 
poursuivent  pas  moins  leur  marche  pouce  par  pouce.  Arri- 
vés au  bord  de  la  mer,  ils  continuent  à.  avancer  quelque 
temps  sous  l'eau,  où,  par  suite  de  leur  légèreté  relative,  ils  se 
détachent  du  sol  ;  l'équiUbre  est  rompu.  Le  glacier  se  brise 


26  BULLETIN. 

avec  fracas.  Le  vent  et  les  courants  en  entraînent  les  masses 
vers  le  sud.  Les  icebergs  qui  viennent  échouer  au  S.-O.  du 
Spitzberg«peuvent  provenir  de  la  Terre  de  François-Joseph. 
—  La  montagne  de  glace  n'est  que  l'exception  ;  la  règle, 
c'est  le  banc  :  son  berceau  se  rencontre  partout  où  la  mer 
se  prend,  et  son  étendue  est  immense.  En  1873,  d'une  hau- 
teur de  70  pieds,  Weyprecht  ne  put  découvrir  les  limites  du 
champ  de  glace  qui  l'avait  enveloppé.  Autour  de  ces  bancs, 
la  mer  est  tranquille.  Mais  dans  la  haute  mer,  le  vent  de 
tempête  fait  des  bords  du  banc  de  glace  le  théâtre  de  sa  fu- 
reur; les  glaçons  deviennent  le  jouet  des  vagues,  et  présen- 
tent des  scènes  grandioses  de  destruction.  Les  glaçons 
se  rapprochent  ou  s'écartent,  et  forment  les  champs  de  glace 
tlottante  dans  le  voisinage  de  la  glace  compacte,  qui  elle- 
même  n'est  jamais  immobile.  Sa  superficie  est  tantôt  lisse, 
tantôt  couverte  d'aspérités.  Le  vent  exerce  en  maître  sa 
puissance  sur  les  icebergs,  sur  la  glace  flottante,  sur  la  glace 
compacte.  La  montagne  de  glace  jouit  relativement  d'un  re- 
pos plus  assuré. 

Weyprecht  décrit  ensuite  les  phénomènes  observés  de  la 
fin  de  septembre  (1871)  époque  où  commencent  les  tour- 
mentes de  neige,  en  février  (1872)  moment  où  s'établit  le 
froid  rigoureux,  pendant  lequel  le  mercure  se  maintient  du- 
rant des  semaines  à  l'état  de  congélation. 

En  avril,  le  soleil, par  son  action  croissante,  développe  l'éva- 
poration  sur  une  grande  échelle  ;  en  mai,  il  commence  à  tra- 
vailler la  glace  ;  en  juin,  le  thermomètre  monte  au-dessus  de 
zéro  ;  alors  se  forment  des  lacs  d'eau  douce,  le  tapis  de  neige 
s'amincit  ;  au  milieu  d'août,  la  neige  a  disparu,  la  couche  de 
glace  forme  une  bouillie,  les  flaques  d'eau  s'étendent  davan- 
tage, surtout  dans  la  dii-ection  du  sud.  Mais  bientôt,  avec  le 
mois  de  septembre,  le  froid  l'eparaît,  et  les  champs  de  neige 
et  de  glace  commencent  à  se  reformer  de  nouveau. 


PR0CÉS-VERB4UX.  27 

Après  cette  intéressante  communication,  M.  de  Saussure 
présente  à  la  Société  des  cartes  préparées  par  M.  le  colonel 
de  Mandrot  sur  les  minutes  de  l'État-major  français  ;  une 
carte  hydrographique  de  l'est  de  la  France,  et  deux  caries  du 
département  du  Doubs,  à  l'échelle  de  -g-o"ooôi7>  à  lumière  obli- 
que ;  le  relief  y  est  donné  au  moyen  de  courbes  ombrées 
dont  M.  de  Mandrot  a  été  l'initiateur.  L'exécution  en  est  ju- 
dicieuse ;  les  plateaux  y  sont  bien  dessinés. 


Séance  du  9  février  1877. 

Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

M.  le  Président  met  en  discussion  la  proposition  d'augmen- 
tation de  la  contribution  présentée  dans  la  précédente  séance. 
La  contribution  serait  portée  à  20  francs,  moyennant  quoi 
chacun  des  membres  recevi-ail  gratuitement  le  Globe.  Cette 
proposition  est  adoptée  à  l'unanimité,  après  des  remercie- 
ments votés,  sur  la  proposition  de  M.  Aloïs  Humbert,  au  Co- 
mité de  rédaction  du  Globe  pour  les  sacrifices  personnels 
faits  jusqu'à  ce  jour  en  faveur  de  la  publication. 

Le  Bureau  et  les  Commissions  sont  ensuite  réélus  pour  un 
an.  —  MM.  Camille  Favre,  Grivel  et  Beaujelois  sont  nommés 
membres  de  la  Commission  de  la  bibUothèque. 

M.  Frey-Gessner,  conservateur  du  musée  entomologique, 
est  admis  comme  membre  à  l'unanimité. 

M.  G.  Rochette,  trésorier,  présente  le  compte  rendu  de  l'é- 
tat des  finances,  et  la  Société  lui  vote  des  remerciements. 

M.  le  Président  fait  part  d'une  invitation  du  Club  scientifi- 
que de  Tienne  à  ceux  de  nos  membres  qui  se  rendraient 
dans  cette  ville,  à  assister  aux  séances  du  Club.  Des  remer- 
ciements sont  adressés  aux  Directeurs  pour  leur  aimable  in- 
vitation. 


28  BULLETIN. 

Il  communique  ensuite  une  lettre  de  la  Société  de  géogra- 
phie d'Anvers,  annonçant  sa  fondation  et  offrant  l'échange 
de  ses  publications  avec  la  nôtre.  —  Des  assurances  de  sym- 
pathie et  l'acceptation  de  l'échange  sont  votées  par  l'assem- 
blée. —  Cette  Société  a  déjà  décerfté  à  M.  Alex.  Lombard, 
notre  vice-président,  le  titre  de  membre  correspondant. 

M.  le  Président  fait  rapport  sur  le  travail  du  Bureau  en 
vue  de  la  formation  du  Comité  national  pour  l'œuvre  afri- 
caine. La  circulaire  a  été  envoyée  à  une  centaine  de  nos 
concitoyens  en  dehors  de  la  Société  de  géographie.  Il  est  déjà 
parvenu  une  trentaine  d'adhésions. 

M.  W.  Rosier  lit  la  suite  de  son  mémoire  sur  l'Atlanti- 
que ;  cette  partie  comprend  les  îles  et  les  rivages,  particuhè- 
rement  les  îles  construites  par  les  polypes  sur  les  côtes  du 
nouveau  continent,  sur  celles  du  Brésil,  dans  la  mer  des  An- 
tilles, dans  le  canal  de  Yucatan,  la  Floride,  composée  de 
bancs  de  ces  formations,  ainsi  que  dans  l'archipel  des  îles 
Bahama,  des  Bermudes,  etc.  —  (Voir  aux  Mémoires.) 

Cette  communication  fournit  à  MM.  le  docteur  Lombard, 
Rochette,  Humberl  et  de  Beaumonl  l'occasion  d'ajouter  quel- 
ques détails  sur  les  roches  nummulitiques  de  Biarritz  et  sur 
les  sables  des  landes  et  de  la  côte  de  l'Océan  en  France. 


Séance  du  23  février  1877. 

Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

M.  le  Pi'ésident  fait  rapport  sur  les  travaux  du  Bui'eau  de- 
puis la  dernière  séance.  La  circulaire  pour  la  formation  du 
Comité  national  suisse  a  été  envoyée  à  un  grand  nombre  de 
nos  confédérés  dans  tous  les  cantons  ;  il  continue  d'ai-river  en 
retour  un  certain  nombre  d'adhésions. 

M.  de  Beaumont  donne  leclur«  d'une  lettre  de  M.  le  baron 


PROCÈS-VERBAUX.  29 

Greindl,  secrétaire  général  de  la  Commission  executive  à 
Bruxelles,  annonçant  que  :  «  S.  M.  le  roi  des  Belges  sera 
«  heureuse  de  recevoir,  en  qualité  de  Président,  les  délégués 
«  du  Comité  national  suisse  au  sein  de  l'Association  interna- 
«  tionale.  » 

M.  de  Saussure  présente  à  la  Société  M.  Samson,  ingé- 
nieur, auquel  M.  le  Président  donne  la  parole  pour  une  com- 
munication sur  un  voijage  en  Chine,  de  M.  Léon  Rousset. 
Appelé  en  1868,  par  le  marquis  d'Aiguebelle,  à  aller  en 
Chine  enseigner  à  des  élèves  chinois  les  sciences  physiques 
et  naturelles,  et  attaché  à  l'arsenal  de  Fou-Tscheou,  M. 
Rousset  y  a  professé,  depuis  1868  à  1874,  avec  une  distinc- 
tion qui  lui  a  valu  les  félicitations  du  directeur  de  l'arsenal  et 
des  autorités  chinoises,  le  brevet  et  les  insignes  de  mandarin 
de  quatrième  rang  et  la  décoration  de  seconde  classe  de  l'or- 
dre du  Mérite. 

M.  Léon  Rousset  s'appliqua  en  même  temps  à  l'étude  de  . 
la  langue,  des  mœurs  et  des  usages  des  Chinois,  et  reconnut 
que  la  Chine  n'est  pas  ce  qu'on  la  voit  en  parcourant  super- 
ficiellement les  ports  ouverts  aux  étrangers.  Avant  de  quitter 
ce  pays  pour  revenir  en  France,  il  résolut  d'y  faire  avec  un 
ami  un  voyage  dans  l'intérieur,  et  prit  pour  prétexte  une  vi- 
site à  un  mandarin  intelligent,  fondateur  de  l'arsenal  de  Fou- 
Tscheou,  envoyé  peu  auparavant  à  l'extrémité  N.-O.  de  la 
Chine,  dans  les  provinces  de  Chen-si  et  de  Kan-sou,  pour  y 
combattre  l'insurrection  musulmane,  et  résidant  alors  à  Lan- 
Tscheou  sur  les  bords  du  Hoang-Ho  (fleuve  jaune),  à  quel- 
ques journées  de  marche  du  Khou-khou-Noor  (lac  bleu).  — 
Vêtus  en  chinois,  les  deux  voyageurs  quittèrent  Hang- 
Tscheou  le  13  mars  1874,  remontèrent  le  cours  du  Han- 
Kiang,  jusqu'à  Siang-Tang,  traversèrent  la  province  de  Ho- 
nan,  parcourant  des  contrées  où  aucun  Européen  ne  les  avait 
précédés.  Après  un  séjour  de  deux  semaines  à  Si-Ngan,  capi- 


30  BULLETIN. 

taie  du  Chen-si,  ils  reprirent  le  chemin  de  Lan-Tscheou,  où 
ils  arrivèrent  le  18  mai,  et  où  ils  furent  reçus  par  le  vice-roi 
Tso,  qui  leur  accorda  toutes  les  facilités  désirables  pour  visi- 
ter le  pays  environnant. —  Dans  le  voyage  de  retour  à  Hang- 
Tscheou^  ils  s'écartèrent,  tantôt  à  droite  tantôt  à  gauche,  de 
la  roule  qu'ils  avaient  suivie  précédemment,  en  vue  de  faire 
des  observations  physiques,  géographiques  et  géologiques 
sur  cette  contrée.  De  retour  en  France,  M.  Léon  Roussel  a 
rédigé  une  relation  de  son  voyage. 

M.  Samson  en  fait  connaître  à  la  Société  deux  ou  trois 
fragments.  D'abord  sur  la  ville  de  Han-Keou,  et  sur  les  au- 
tres villes  chinoises  en  général,  dans  lesquelles  on  distingue 
la  ville  proprement  dite,  fortifiée,  et  les  faubourgs. 

La  première,  tschaug  (town,  cité),  sert  d'habitation  aux 
représentants  des  autorités,  à  la  bourgeoisie  lettrée  et  à  l'in- 
dustrie de  luxe;  les  seconds,  essentiellement  commerçants, 
*  sont  souvent  plus  considérables  que  la  cité,  plus  libres,  plus 
bruyants,  mais  moins  sûrs  par  le  fait  qu'ils  sont  en  dehors 
des  remparts  et  de  la  zone  où  s'exerce  l'efficace  protection 
de  l'autorité. 

La  cité  paraît  froide  et  comme  déserte  ;  les  rues  en  sont 
larges  et  bien  pavées,  mais  l'herbe  y  croît  entre  les  dalles  ; 
les  maisons  en  sont  clair-semées  au  milieu  des  jardins;  la  vie 
du  foyei'  domestique  s'y  cache  derrière  de  hautes  murailles 
sans  fenêtres.  Dans  les  faubourgs,  au  contraire,  déborde  la 
vie  bruyante,  souvent  grossière;  disputes, vices,  malpropreté, 
débauche,  tout  s'y  trouve  et  s'y  étale.  —  La  ville  de  Han- 
Keou  est  située  au  conlluent  du  Han-Kiang  et  du  Yang-tse- 
Kiang  (fleuve  bleu),  confluent  qui  forme  un  T  renversé;  dans 
un  de  ses  angles  se  trouve  la  ville  de  Han-Keou,  dans  l'autre 
celle  de  Han-Yang,  et  au  delà  du  fleuve,  vis-à-vis,  celle  de 
Hoan-Tschang,  capitale  de  la  province  de  Hu-pé,  et  rési- 
dence du  vice-roi  qui  gouverne  les  deux  provinces  de  Hu-pé 


PROCÈS-YEBBAUX.  31 

et  de  Hu-nan.  L'embouchure  du  Han-Kiang  a  été  choisie 
comme  fournissant  aux  navires  un  excellent  mouillage.  Des 
centaines  de  bateaux  de  toutes  formes  et  de  toutes  gran- 
deurs y  sont  alignés  côte  à  côte  :  tous  les  types  de  bateaux 
chinois  s'y  rencontrent.  La  rive  est  bordée  de  maisons  sus- 
pendues au-dessus  de  l'eau  sur  de  hauts  pilotis,  avec  une 
hardiesse  voisine  de  la  témérité.  Dans  les  grandes  crues, 
l'eau  en  emporte  souvent  quelques-unes  avec  leurs  habitants, 
ce  qui  n'empêche  pas  qu'on  n'en  rebâtisse  aussitôt  sur  l'em- 
placement même  de  celles  qui  viennent  de  disparaître. 

M.  Samson  parle  ensuite  du  voyage  de  M.  L.  Rousset  de 
Han-Keou  à  Lan-Tscheou,  dont  la  distance,  à  vol  d'oiseau, 
est  de  400  lieues,  et  avec  les  détours  de  la  route,  de  500 
lieues,  ce  qui  fait  mille  lieues  pour  l'aller  et  le  retour.  Les 
seuls  Européens  qu'on  rencontre  sont  les  missionnaires  ita- 
liens établis  à  Si-Ngan,  aux  deux  tiers  de  la  route  à  partir  de 
Han-Keou.  Pour  se  rendre  à  Si-Ngan,  il  faut  remonter  le 
Han-Kiang  jusqu'à  la  grande  place  de  commerce  de  Han- 
Tschung,  puis  suivre  en  voiture  la  route  qui  contourne  les 
derniers  sommets  de  la  chaîne  des  Thsing-Ling,  jusque  dans 
la  vallée  du  Hoang-Ho.  Le  Han-Kiang  forme  un  grand  Z.  Il 
prend  sa  source  dans  les  hautes  régions  du  Chen-si,  et  coule 
d'abord  de  l'Ouest  à  l'Est  entre  de  longues  chaînes  de  colli- 
nes ;  dans  sa  partie  supérieure,  les  rapides  sont  nombreux. 
Dans  son  cours  moyen,  de  80  lieues  environ,  il  coule  du 
Nord  au  Sud  dans  une  vallée  qui  s'élargit  et  dont  la  pente 
est  peu  sensible.  Dans  la  partie  inférieure,  de  33  lieues,  il  re- 
prend sa  direction  primitive  de  l'Ouest  à  l'Est,  dans  une 
plaine  basse^  marécageuse,  d'alluvions  abondantes.  Ses  eaux 
ne  sont  pas  boueuses  comme  celles  de  beaucoup  de  rivières 
du  sud  de  la  Chine,  ce  qui  provient  de  la  nature  des  terrains 
traversés.  Au  S.-E.  on  trouve  un  granit  grossier  qui  se  dé- 
compose aisément  et  qu'entraînent  les  eaux  de  pluie;   au 


32  BULLETIN. 

Nord  sont  des  roches  métamorphiques  ou  calcaires.  Les  dé- 
pôts du  Han-Kiang  ont  l'air  d'un  sable  calcaréo-siliceux  légè- 
rement micacé,  réduit  à  un  état  d'extrême  ténuité;  cette 
poussière  donne  à  l'eau  une  légère  teinte  opaUne. 

Au  point  de  vue  géologique,  M.  L.  Roussel  distingue  en 
Chine  deux  régions  :  celle  du  midi  et  du  centre,  où  les  l'o- 
ches  appartiennent  à  l'époque  carbonifère,  et  celle  du  nord, 
où  ces  mêmes  roches  sont  recouvertes  d'un  épais  diluvium 
récent,  le  loess.  Il  en  résulte  de  grandes  difïérences  de  cli- 
mat, de  culture,  d'alimentation,  de  langage  même.  Au  sud 
règne  une  humidité  persistante,  au  nord  une  sécheresse 
presque  continue  ;  au  sud,  le  riz  est  la  principale  culture, 
au  nord,  c'est  le  blé,  le  maïs,  le  millet;  au  sud,  les  con- 
structions sont  toutes  en  bois,  au  nord,  elles  sont  toutes  en 
terre,  etc. 

Le  voyage  se  poursuit  le  long  d'une  route  qui  emprunte  le 
lit  desséché  de  petites  rivières;  la  poussière  devient  très-fati- 
gante ;  le  vent  la  soulève  en  tourbillons  épais  ;  elle  s'atta- 
che à  tout,  recouvre  tout;  le  nuage  qu'elle  forme  est  telle- 
ment opaque  qu'il  permet  d'apercevoir  en  plein  midi  le  dis- 
que du  soleil  privé  de  ses  rayons.  J^e  loess  paraît  spécial  au 
nord  de  la  Chine  et  au  bassin  du  Hoang-Ho.  Ce  n'est  plus  de 
la  terre,  ce  n'est  pas  encore  une  roche,  c'est  une  sorte  de 
pierre  en  voie  de  formation^  ou  qui  n'a  pas  eu  le  temps  de 
se  durcir;  il  en  a  la  cohésion,  mais  non  la  densité  ni  la  du- 
reté; friable  et  tendre,  sa  résistance  à  l'outil  est  insignifiante. 
Sa  légèreté  rend  le  labour  très-aisé;  sa  fertilité  fournit  d'a- 
bondantes moissons. 

Les  ondulations  du  sol  primitif  ont  disparu  sous  cette  cou- 
che, qui  a  nivelé  collines  et  vallées  pour  former  une  immense 
plaine  légèrement  concave. 

Les  ruisseaux  et  les  rivières  l'ont  facilement  entamée 
et  y  ont  creusé  de  profonds  sillons  ;  aussi  la  plaine  de  loess 


PROCÈS-VEEIBAUX.  33 

est-elle  entrecoupée  en  tous  sens  par  de  nombreuses  mais 
étroites  crevasses  à  parois  verticales,  qui  n'apparaissent  guère 
que  lorsqu'on  arrive  sur  leur  bord. 

Les  Chinois  font  circuler  leurs  routes  au  fond  de  ces  tran- 
chées, où  la  chaleur  est  étouffante  ;  le  sol  broyé  par  les  roues 
des  voitures  y  est  transformé  en  un  lit  de  poussière  que  sou- 
lèvent les  pieds  des  mules  ;  la  tristesse,  la  fatigue,  s'emparent 
du  voyageur  qui,  pendant  des  lieues  entières,  ne  voit  que  les 
parois  de  la  tranchée.  La  monotonie  du  pays  est  affreuse  ; 
peu  ou  point  de  végétation  arborescente,  de  l'herbe  qui  se 
cache  et  se  perd  sous  une  couche  de  poussière,  voilà  le  ta- 
bleau sur  lequel  se  pose  le  regard  allangui. 

Les  éboulements  qui  se  produisent  dans  ces  tranchées  n'en 
altèrent  pas  l'aspect  général,  car  le  loess  a  une  tendance  au 
clivage  par  plans  rectangulaires  verticaux.  Les  blocs  qui  se 
détachent  ont  toujours  la  forme  de  grands  prismes  rectan- 
gulaires, en  sorte  que  les  surfaces  mises  à  nu  sont  toujours 
la  contre-partie  de  celles  qu'elles  remplacent.  —  Les  rencon- 
tres, dans  ces  tranchées,  ne  sont  ni  agréables  ni  sans  dangers 
et  ne  se  terminent  pas  toujours  sans  quelque  rixe,  comme 
celle  par  laquelle  finit  la  communication  des  notes  de  M.  L. 
Rousset  sur  son  voyage  jusqu'à  Si-Ngan. 

M.  le  Président  remercie,  au  nom  de  l'assemblée,  M.  Sam- 
son  des  intéressants  détails  qu'il  a  bien  voulu  lui  donner. 

M.  de  Saussure  joint  ses  remerciements  à  ceux  du  Prési- 
dent, en  faisant  observer  plus  particulièrement  que  ce  récit 
fait  connaître  la  Chine,  ses  mœurs  et  sa  constitution  géologi- 
que, mieux  que  beaucoup  d'autres  ouvrages. 

M.  Aloïs  Humbert  fait  remarquer  que  la  distinction  entre 
la  ville  commerciale  et  la  ville  bourgeoise  riche,  signalée  par 
M.  L.  Rousset,  existe  dans  tout  l'orient,  de  l'Adriatique  au 
Japon  ;  partout  le  bazar  est  séparé  de  la  ville  d'habitation.  A 

BULLETIN,  T.   XVI,    1877.  3 


34  BULLETIN'. 

Scutari,  le  bazar  est  grand  comme  une  ville,  mais  personne 
n'y  demeure. 

A  propos  du  loess,  M.  Elisée  Reclus  cite  l'opinion  de  Richt- 
hofen  qui  pense  que  le  loess  n'est  pas  de  formation  aqueuse; 
il  serait  dû  à  la  poussière  du  désert  de  Gobi,  portée  par  les 
vents  qui  en  auraient  graduellement  couvert  la  contrée,  pen- 
dant que  les  travaux  du  sol,  en  particulier  les  irrigations^  lui 
auraient  donné  sa  consistance  actuelle. 

M.  Humbert  rappelle  encore  à  ce  sujet  les  formations  aré- 
nacées  des  Bermudes,  dont  le  sable  est  durci  comme  de  la 
roche. 

M.  le  Président  donne  ensuite  la  parole  à  M.  Alb.  Petil- 
pierre  pour  l'exposition  de  sa  méthode  d'enseignement  de 
la  géographie  pour  l'école  primaire.  Il  s'agit  du  premier  en- 
seignement, intuitif,  important  comme  tous  ceux  qui  doi- 
vent poser  les  fondements  de  nos  connaissances.  Il  est  né- 
cessaire de  faire  voir  aux  enfants,  dans  leur  propre  horizon, 
des  points  de  comparaison  avec  les  types  dont  on  devra  les 
entretenir  dans  la  suite.  Genève  est  tout  particulièrement 
favorisé  à  cet  égard,  puisqu'il  présente  tous  les  types  géo- 
graphiques désirables.  Il  suffit  de  savoir  observer  et  lire  dans 
la  nature,  et  d'apprendre  aux  enfants  à  y  Ure  à  leur  tour. 

La  première  leçon  commence  par  la  salle  d'école,  dont  on 
trace  le  plan  sur  la  planche  noire.  Puis  viennent  des  exer- 
cices propres  à  familiariser  les  enfants  avec  les  représenta- 
tions verticales  d'un  pays  qu'ils  sont  accoutumés  à  voir  en 
sens  horizontal.  Quand  le  jeune  élève  sait  son  orientation,  le 
maître  l'exerce  à  nommer  la  direction  des  objets  dans  la 
salle  d'école.  Après  quoi  l'on  passe  au  plan  du  quartier  dans 
lequel  est  située  l'école.  M.Pelitpierre  a  dressé  celui  du  quar- 
tier de  l'Athénée,  de  la  promenade  du  Pin,  des  terrasses  de 
Beauregard,  de  St-Victor,  tous  objets  bien  connus  des  élè- 
ves. Quand  ceux-ci  ont  appris  à  indiquer  correctement  la  di- 


PROCÈS-VERBAUX.  35 

rection  de  ces  objets,  ils  sont  bien  préparés  à  recevoir  l'en- 
seignement géographique  et  à  lire  les  cartes. 

M.  Petitpierre  passe  alors  à  un  rayon  plus  étendu,  au  plan 
de  la  ville,  au  moyen  duquel  il  fait  faire  à  ses  enfants  de 
nombreux  exercices  pour  leur  apprendre  à  s'orienter  dans 
tous  les  quartiers  et  dans  toutes  les  directions.  Ces  exercices 
sont  accompagnés  de  dictées  et  d'un  questionnaire,  afin  que 
les  élèves,  de  très-bonne  heure,  après  avoir  fait  de  l'analyse, 
soient  obligés  de  faire  de  la  synthèse. 

Après  la  ville  et  les  types  géographiques  qu'elle  fournit, 
vient  l'étude  du  pays  dans  l'horizon  des  élèves.  Les  maté- 
riaux manquant,  M.  Petitpierre  a  dressé,  dans  ce  but,  une 
carte  au  5-5-Î-00  ;  il  l'a  éclairée  comme  celle  de  Dufour,  en 
traduisant  par  la  lumière  oblique  la  lumière  verticale  de  la 
carte  de  l'état-major  français.  Sa  carte  est  avant  tout  physi- 
que ;  elle  n'est  politique  que  pour  le  canton  de  Genève  ;  en 
dehors  du  canton,  elle  est  très-sobre  de  détails.  Les  environs 
de  Genève  fournissent  tous  les  types  géographiques  :  plaines, 
coteaux,  collines,  vallées,  montagnes,  cols,  lac,  falaises,  dé- 
troits, presqu'îles,  même  des  dunes,  entre  Sciez  et  Exce- 
nevez.  Le  bois  de  la  Bâtie  mériterait  une  carte  spéciale,  pour 
la  presqu'île  qu^il  présente,  la  triple  jonction  de  l'Arve,  du 
Rhône  et  de  l'Aire,  l'isthme  de  la  queue  d'Arve,  la  plaine  au 
niveau  du  fleuve,  le  plateau  au-dessus  du  bois,  la  vallée  d'éro- 
sion du  Rhône,  etc. 

Au  quatrième  degré  de  l'enseignement,  M.  Petitpierre  fait 
connaître  à  ses  élèves  la  Suisse,  trouvant  bon  qu'ils  étudient  la 
géographie  de  leur  pays  avant  celle  de  la  Chine  et  de  l'Aus- 
tralie. La  Suisse  offre,  en  outre,  des  types  géographiques  que 
l'on  ne  rencontre  pas  ailleurs.  —  Sa  méthode  n'est  que  l'ap- 
plication à  la  géographie  des  principes  de  Pestalozzi  ;  le  père 
Girard  a  fait  pour  ses  élèves  de  Fribourg  ce  que  M.  Petit- 
pierre fait  pour  les  siens  à  Genève.  Karl  Ritter  voulait  qu'on 


36  BULLETIN. 

étudiât  son  pays  avant  tout.  M.  A.  Guyot  travaille  sur  le 
même  plan  en  faveur  des  élèves  des  Etats-Unis. 

Il  ne  faut  cependant  pas  s'arrêter  trop  longtemps  à  la 
Suisse,  pour  ne  pas  priver  indéfiniment  l'enfant  de  la  con- 
naissance des  autres  pays  de  l'Europe  et  des  autres  conti- 
nents. La  construction  de  la  carte  de  la  Suisse  présente  des 
facilités  si  l'on  se  souvient  que  toutes  les  chaînes  composent 
un  éventail  dont  les  lignes  convergent  à  Culoz.  Les  points  de 
repère  suivants  permettent  de  faire  le  tracé  de  la  carte  à 
coup  sûr  : 

La  première  ligne  va  de  Culoz  au  Mont-Blanc,  à  Lugano  et 
aux  Alpes  de  Bergame. 

La  seconde,  de  Culoz  à  Annecy,  puis  aux  Alpes  bernoises 
jusqu'au  Calanda. 

La  troisième,  de  Culoz  par  St-Gingolph,  Thoune,  Lucerne, 
Zoug,  etc. 

La  quatrième,  de  Culoz  à  Thonon,  Fribourg,  Langenthal, 
Brugg,  Scbatïbouse. 

La  cinquième,  de  Culoz  à  Genève,  Neuchàtel  et  Bàle. 

La  sixième,  au  Jura,  avec  le  Locle,  le  Doubs,  Porrentruy, 
comme  points  de  repère. 

Quant  à  l'emploi  à  faire  de  la  carte,  les  enfants  ne  doivent 
pas  pouvoir  y  lire  les  noms. — M.  Petitpierre  a  rédigé  de  plus 
un  manuel  pour  son  enseignement,  qui  jusqu'ici  lui  a  permis 
de  constater  de  bons  résultats. 

M.  le  Président,  en  remerciant  M.  Petitpierre  de  son  ex- 
posé, exprime  l'intérêt  qu'il  a  éprouvé  à  voir  le  professeur 
prendre  ses  élèves  dès  le  début,  pour  leur  faire  gravir  suc- 
cessivement les  degrés  de  l'enseignement,  et  à  apprendre 
que  notre  pays  réunit  dans  son  horizon  tous  les  éléments  né- 
cessaires pour  conduii-e  à  l'étude  de  la  géographie  dans  ses 
degrés  supérieurs. 

M.  L.  Brocher  estime  que  la  marche  suivie  par  M.  Petit- 


PROCÈS-VERBAUX.  37 

pierre  est  la  meilleure.  Il  fait  ressortir  l'utilité  de  procéder 
en  allant  du  connu  à  l'inconnu,  au  point  de  vue  des  plans, 
et  attire  aussi  l'attention  sur  l'importance  de  bien  faire 
comprendre  aux  élèves  ce  que  c'est  qu'une  échelle,  et  quel 
en  est  l'usage. 

M.  A.  Humbert  appuie  spécialement  sur  cette  dernière  re- 
commandation. 

M.  Faure  ajoute  que  la  méthode  exposée  par  M.  Petit- 
pierre  est  celle  que  pratiquent  depuis  de  longues  années  nos 
confédérés  des  cantons  allemands,  de  Zurich,  de  Lucerne, 
d'Uri,  de  Schwytz,  d'Unterwalden,  etc.,  tous  les  instituteurs 
allemands  depuis  Karl  Ritter,  et  ceux  des  Etats-Unis,  grâce 
aux  manuels  et  aux  cartes  de  notre  compatriote  M.  le  pro- 
fesseur Arnold  Guyot. 

M.  Humbert  signale  à  l'attention  de  la  Société  la  pubUca- 
tion  des  voyages  de  Bruce  en  Algérie  et  en  Tunisie  par  M. 
Playfair,  consul  général  d'Angleterre  en  Algérie. 


MÉLAÎ[GES  ET  NOUVELLES 


Conférence  de  Bruxelles 

en  vue  de  l'exploration  et  de  la  civilisation  de 

l'Afrique  centrale. 

Au  sortir  des  guerres  du  premier  empire,  les  puissances 
de  l'Europe,  représentées  à  Vienne,  inauguraient  l'ère  de 
paix,  si  ardemment  souhaitée,  par  une  déclaration  solennelle 
dans  laquelle  leurs  délégués  prenaient  en  considération  la 
traite  des  nègres  d'Afrique  qui  répugnait  aux  principes  d'hu- 
manité et  de  morale  universelle;  et  prêtant  l'oreille  à  la  voix 
publique  qui,  dans  tous  les  pays  civilisés,  s'élevait  pour  de- 
mander qu'elle  fût  supprimée  le  plus  tôt  possible,  ils  rappe- 
laient que  plusieurs  des  gouvernements  européens  avaient 
pris  la  résolution  de  la  faire  cesser,  que  successivement  tou- 
tes les  puissances  possédant  des  colonies  dans  les  différentes 
parties  du  monde,  avaient  reconnu,  soit  par  des  actes  légis- 
latifs, soit  par  des  traités  et  autres  engagements  formels, 
robligalion  et  la  nécessité  de  l'abolir. 

Au  nom  des  puissances,  leurs  représentants  émettaient  le 
vœu  de  mettre  un  terme  à  ce  fléau  qui  depuis  si  longtemps 
désolait  l'Afrique,  dégradait  l'Europe  et  affligeait  l'humanité. 
Ils  délibéraient  sur  les  moyens  d'accomplir  une  œuvre  aussi 
salutaire,  et  proclamaient  leur  désir  sincère  de  concourir  à 
l'exécution  la  plus  prompte  et  la  plus  efficace  de  cette  mesure 
par  tous  les  moyens  à  leur  disposition,  et  d'agir  dans  l'em- 
ploi de  ces  moyens  avec  tout  le  zèle  et  la  persévérance  qu'ils 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  39 

devaient  à  une  aussi  grande  et  belle  cause.  Cependant,  par 
ménagement  pour  des  intérêts,  des  habitudes  et  des  préven- 
tions particulières,  ils  laissaient  aux  négociations  entre  les 
puissances  le  soin  de  déterminer  l'époque  où  ce  commerce 
devrait  universellement  cesser;  bien  entendu,  disaient-ils,  que 
Ton  ne  négligera  aucun  moyen  propre  à  en  assurer  et  à  en 
accélérer  la  marche,  et  que  l'engagement  contracté  ne  sera 
considéré  comme  rempli  qu'au  moment  où  un  succès  com- 
plet aura  couronné  les  efforts  des  gouvernements.  «  Le 
triomphe  de  cette  cause  devait  être  un  des  plus  beaux  mo- 
numents du  siècle  qui  l'avait  embrassée  et  qui  l'aurait  si  glo- 
l'ieusement  terminée.  » 

Ainsi  s'exprimaient,  cà  Vienne,  le  8  février  1815,  les  repré- 
sentants de  l'Angleterre,  de  la  Russie,  de  la  Suède,  de  l'Au- 
triche, de  l'Espagne,  du  Portugal,  de  la  Prusse  et  de  la 
France. 

Sept  ans  plus  tard,  cinq  des  mêmes  puissances  représen- 
tées au  Congrès  de  Vienne,  étaient  obligées  de  constater  que, 
en  dépit  des  mesures  législatives  et  des  différents  traités  con- 
clus entre  les  puissances  maritimes,  ce  commerce  solennelle- 
ment proscrit  avait  continué,  qu'il  avait  même  gagné  en  in- 
tensité ce  qu'il  avait  perdu  en  étendue,  et  qu'enfin  il  avait 
pris  un  caractère  plus  odieux  et  plus  funeste  par  la  nature 
des  moyens  auxquels  ceux  qui  l'exerçaient  étaient  forcés 
d'avoir  recours. 

Elles  voyaient  les  causes  d'un  abus  aussi  révoltant  dans  les 
pratiques  frauduleuses  moyennant  lesquelles  les  entrepre- 
neurs de  ces  spéculations  condamnables  éludaient  les  lois  de 
leur  pays,  déjouaient  la  surveillance  des  bâtiments  employés 
pour  arrêter  le  cours  de  leurs  iniquités,  et  couvraient  les 
opérations  criminelles  dont  des  milliers  d'êtres  devenaient, 
d'année  en  année,  les  innocentes  victimes. 

Les  puissances  se  sentaient  appelées  par  leurs  engage- 


40  BULLETIN. 

ments  antérieurs,  autant  que  par  un  devoir  sacré,  à  chercher 
les  moyens  les  plus  efficaces  pour  prévenir  un  trafic  que  les 
lois  de  la  presque  totalité  des  pays  civilisés  avaient  déclaré 
illicite  et  coupable,  et  pour  punir  rigoureusement  ceux  qui  le 
poursuivaient  en  contravention  manifeste  de  ces  lois;  et  dé- 
clarant qu'elles  persistaient  dans  les  principes  manifestés  le 
8  février  1815,  elles  répétaient  qu'elles  ne  cesseraient  de  re- 
garder le  commerce  des  nègres  comme  un  fléau  qui  avait 
trop  longtemps  désolé  l'Afrique,  dégradé  l'Europe  et  affligé 
l'humanité,  et  qu'elles  étaient  prêles  à  concourir  à  tout  ce 
qui  pourrait  assurer  et  accélérer  l'abolition  complète  et  défi- 
nitive de  ce  commerce.  Elles  voulaient  amener  un  résultat 
constatant  aux  yeux  du  monde  la  sincérité  de  leurs  vœux  et 
de  leurs  efforts  en  faveur  d'une  cause  digne  de  leur  sollici- 
tude commune. 

Dès  lors,  cinquante-cinq  années  se  sont  écoulées  et  malgré 
les  efforts  des  gouvernements  et  des  particuliers,  c'est  la 
traite  qui  s'oppose  aux  progrès  de  la  civilisation  dans  l'Afrique 
centrale,  et  qui  rend  si  difficile  l'exploration  un  peu  complète 
d'immenses  étendues  de  son  sol. 

Sans  doute,  les  explorateurs  l'attaquent  de  tous  les  côtés, 
de  Tripoli  au  Nord,  de  la  Nubie  et  de  Zanzibar  à  l'Est,  de  la 
Gambie  et  de  Loanda  à  l'Ouest,  et  les  résultats  des  voyages 
de  Mungo  Park,  de  Caillé,  du  Chaillu,  H.  Duveyrier,  Rohlfs, 
Clapperton,  Nachtigal,  Burton,  Speke,  Grant,  Baker,  Piaggia, 
Antinori,  Schweinfurth,  Livingstone,  Cameron  et  Stanley  ont 
jusqu'à  un  certain  point  levé  le  voile  épais  qui,  pour  nous, 
recouvrait  le  continent  africain.  Mais  aussi  longtemps  que  la 
traite  s'y  poursuivra^  les  explorateurs  eux-mêmes  ne  s'y  ha- 
sarderont pas  sans  danger,  et  les  relations  commerciales  à 
l'intérieur  ne  pourront  pas  s'y  établir  sûrement. 

Mais  si  la  science  et  le  commerce  peuvent  faire  désirer  la 
suppression  de  la  traite,  l'humanité  la  prescrit  comme  un 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  4é1 

devoir.  Il  semblerait  que  depuis  l'abolition  de  l'esclavage  en 
Amérique  et  depuis  la  proscription  officielle  de  la  traite  par 
tous  les  peuples  civilisés,  cet  infâme  trafic  ait  dû  disparaître 
ou  du  moins  se  réduire  à  des  proportions  insignifiantes.  Il 
n'en  est  rien.  Le  trafic  des  esclaves  existe  •  il  a  ses  marchés 
réguliers  d'approvisionnement  et  de  vente,  comme  les  voya- 
geurs africains  l'ont  constaté,  et  l'on  ne  peut  qu'être  navré 
par  la  lecture  de  récits,  tels  que  ceux  de  M.  Berlioux  :  «  la 
traite  orientale  »  et  de  M.  J.  Cooper  :  «  The  lost  continent,  » 
où  sont  résumés,  avec  autant  de  science  que  de  cœur,  les  dé- 
tails de  cet  abominable  trafic  *. 

Si  les  croisières  ont  à  peu  près  réussi  à  l'éteindre  sur  la 
côte  occidentale,  il  prospère  d'autant  mieux  dans  les  États  du 
Soudan,  dans  la  vallée  du  Haut-Nil  et  sur  le  plateau  central. 

Dans  le  Soudan,  les  princes  indigènes  sont  eux-mêmes  les 
pourvoyeurs  des  marchands  d'esclaves.  Disciples  du  Coran, 
et  considérant  les  populations  païennes  comme  dépourvues 
de  tout  droit  vis-à-vis  des  croyants,  ils  organisent,  sur  de 
vastes  territoires,  des  razzias  auxquelles  ils  intéressent  les 
chefs  et  les  soldats  de  leurs  armées.  Elles  entourent  et  in- 
cendient les  villages,  dit  M.  Banning,  tuent  tout  ce  qui  paraît 
impropre  à  la  marche,  au  travail,  au  plaisir,  et  emmènent  le 
reste;  des  provinces  entières  sont  ravagées,  et  telle  d'entre 
elles  qu'on  avait  vue  naguère  populeuse  et  prospère  se  re- 
trouve au  bout  de  quelques  années  déserte  et  aride.  Les  pro- 
duits de  ces  chasses  sont  amenés  sur  les  marchés  de  l'inté- 
rieur. L'un  des  principaux,  Kouka,  reçoit  chaque  semaine 
6000  esclaves.  Les  marchands  arabes  les  achètent  et  les  ache- 
minent à  travers  le  désert,  sous  un  soleil  ardent,  vers  Mour- 
zouk.  La  grande  caravane  de  Kouka  en  emmène  à  elle  seule 
environ  4000. 

^  Ch.-E.  Banning ,  L^ Afrique  et  la  Conférence  géographique  de 
Bruxelles,  1877. 


42  BULLETIN. 

Les  lignes  suivantes  de  M.  Rohlfs  peuvent  donner  une  idée 
des  privations  et  des  tortures  qu'éprouvent  ces  malheureux 
dans  cette  marche  de  12  à  1500  kilomètres.  «  Des  deux  côtés 
de  la  route,  dit-il,  nous  voyons  les  ossements  blanchis  des 
esclaves  morts.  Quelques  squelettes  ont  encore  le  vêtement 
des  nègres.  Celui  qui  ne  connaît  pas  le  chemin  du  Bornou 
n'a  qu'à  suivre  les  ossements  dispersés  à  gauche  et  à  droite 
de  la  voie,  il  ne  se  trompera  point,  » 

Dans  la  vallée  du  Haut-Nil,  la  chasse  à  l'homme  se  pour- 
suit sur  une  si  grande  échelle  qu'une  seule  battue  amena  une 
fois  la  capture  de  8000  esclaves.  Ils  sont  dirigés  sur  Khar- 
toum,  où  ils  arrivent  par  les  affluents  du  Nil,  serrés,  en- 
tassés comme  du  bétail  dans  des  bateaux,  où  sévissent  d'or- 
dinaire la  petite  vérole  et  la  peste.  De  là,  on  les  conduit  à 
Massaoua  et  sur  les  marchés  de  l'Orient. 

Mais  nulle  part  ce  trafic  abominable  n'exerce  de  plus  cruels 
ravages  que  sur  le  plateau  central  de  l'Afrique.  L'entrepôt 
général  des  traitants  araljes  se  trouve  à  quelque  cent  lieues 
de  la  rive  orientale  du  Tanganyka.  M.  Berlioux  s'exprime 
ainsi  :  «  Du  plateau  à  la  mer,  du  point  où  la  razzia  s'est  faite 
au  port  où  l'on  s'embarque,  la  route  ne  comptera  plus  de 
longues  semaines.  Mais  il  faut  aller  vite,  car  derrière  les  ro- 
chers, dans  la  profondaur  des  taillis,  peuvent  se  cacher  des 
embuscades.  L'indigène  n'épargne  pas  l'Arabe,  s'il  trouve 
l'occasion  favorable.  Marcher  rapidement,  c'est  l'ordre  répété 
aux  esclaves  enchaînés;  mais  quand  l'ordre  n'est  plus  en- 
tendu, quand  le  bâton  n'a  plus  d'action  sur  le  malheureux 
que  la  fatigue  abat,  sans  pitié  on  l'abandonne  au  milieu  delà 
solitude.  »  M.  Baker  nous  parle  d'un  convoi  ramené,  non  par 
des  Arabes,  mais  par  des  Turcs  :  les  vieilles  femmes  enlevées 
dans  la  razzia  ne  marchaient  pas  assez  vile.  Dès  que  la  fatigue 
en  faisait  tomber  une,  on  l'assommait;  un  coup  de  massue 
sur  la  nuque^  et  il  ne  restait  qu'un  cadavre  agité  par  la  mort- 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  43 

Le  chemin  était  marqué  par  ces  jalons  effroyables.  Lorsque 
la  mer  est  proche^  lorsque  le  danger  semble  un  peu  éloigné, 
alors  l'intérêt  du  marchand  conseille  un  peu  plus  de  précau- 
tion. S'il  reste  dans  la  troupe  des  hommes  que  la  faim  et  la 
fatigue  aient  un  peu  épargnés,  on  les  charge  de  porter  leurs 
compagnons  affaiblis.  Il  y  a  quelque  chose  d'horrible  et  qui 
soulève  le  cœur  dans  la  vue  d'une  semblable  caravane.  La 
troupe  ne  marche  plus  réunie  ;  les  malheureux  sont  échelon- 
nés par  groupes  le  long  du  sentier,  chancelants^  semblables 
à  des  squelettes  :  leur  visage  n'a  plus  d'autre  expression  que 
celle  de  la  faim,  leurs  yeux  sont  ternes  et  enfoncés,  les  joues 
sont  devenues  osseuses.  Il  est  temps  d'arriver  au  terme  de 
la  course.  Mais  que  va-t-il  donner  aux  malheureux,  ce  terme 
du  voyage  ?  Les  noirs  bateaux  sont  là,  avec  leur  cale  sombre, 
étroite,  fétide,  pour  la  marchandise  humaine.  Voilà,  dans 
toute  sa  laideur  physique,  le  commerce  des  esclaves  ;  il  serait 
plus  effrayant  encore,  s'il  pouvait  étaler  à  nos  yeux  les  plaies 
morales,  les  vices,  la  dégradation  hideuse  que  l'esclavage  pro- 
duit chez  le  maître  comme  chez  l'esclave. 

Et  Livingstone,  peu  avant  sa  mort,  écrivait  :  «  Quand  j'ai 
essayé  de  rendre  compte  de  la  traite  de  l'homme  dans  l'Est 
de  l'Afrique,  j'ai  dû  rester  très-loin  de  la  vérité,  de  peur 
d'être  taxé  d'exagération  ;  mais,  à  parler  franchement,  le  su- 
jet ne  permet  pas  qu'on  exagère.  En  surfaire  les  calamités 
est  une  pure  impossibilité.  Le  spectacle  que  j'ai  eu  sous  les 
yeux^  incidents  communs  de  ce  trafic,  est  tellement  révoltant 
que  je  m'efforce  sans  cesse  de  l'effacer  de  ma  mémoire.  Je 
parviens  à  oubUer  avec  le  temps  les  souvenirs  les  plus  pé- 
nibles ;  mais  les  scènes  de  la  traite  se  représentent  malgré 
moi,  et,  au  milieu  de  la  nuit,  me  réveillent  en  sursaut,  frappé 
d'horreur  par  leur  vivacité.  »  En  1851,  il  avait  pour  la  pre- 
mière fois  visité  les  rives  du  Tanganyka,  y  avait  trouvé  une 
population  nombreuse,  livrée  aux  travaux  de  l'agriculture, 


44  BULLETIN. 

initiée  aux  premiers  arts  de  la  civilisation.  Le  climat  lui  parut 
si  beau,  la  terre  si  féconde,  les  hommes  si  bienveillants,  qu'il 
conçut  le  projet  de  fonder  une  colonie  dans  ces  parages. 
Lorsqu'il  repassa  dans  les  mêmes  lieux  dix  ans  plus  lard,  en 
1861,  il  ne  les  reconnut  plus;  dans  l'intervalle  la  traite  y  avait 
pénétré.  Les  plantations  avaient  disparu;  les  villages  étaient 
incendiés,  les  habitants  dispersés,  emmenés,  tués.  Les  taillis 
étaient  remplis  de  cadavres  sanglants  ;  les  rivières  en  étaient 
obstruées  ;  aux  branches  des  arbres  pendaient  des  femmes 
que  le  chef  de  la  bande  avait  condamnées  à  périr,  quand 
l'épuisement  de  leurs  forces  les  empêchait  de  suivre  plus 
longtemps  le  convoi,  afin  d'intimider  leurs  compagnes  d'es- 
clavage ou  de  se  venger  de  ses  pertes. 

Le  nombre  des  nègres  que  la  traite  enlève  à  l'Afrique 
s'élève  à  une  centaine  de  mille,  mais  ce  n'est  qu'une  fraction 
d'une  perte  bien  autrement  considérable.  Livingstone  affirme 
que  la  quantité  des  esclaves  qui  atteignent  la  côte,  ne  repré- 
sentent que  la  cinquième  partie ,  dans  certaines  régions 
même,  où  la  résistance  est  la  plus  énergique,  que  la  dixième 
partie  des  victimes  réelles  de  la  traite.  Les  autres  succombent 
dans  l'attaque  des  villages,  dans  les  massacres^  dans  les  in- 
cendies qui  les  accompagnent,  ou  périssent  le  long  des  rou- 
tes, pendant  la  marche  des  convois  et  à  bord  des  bateaux. 
Le  supérieur  de  la  mission  catholique  de  l'Afrique  centrale 
évalue  à  un  million  d'hommes  le  chiffre  des  pertes  que  le 
trafic  des  esclaves  inflige  annuellement  aux  populations  afi'i- 
caines.  Ce  chiffre  n'a  rien  d'étonnant  pour  qui  songe  que  la 
traite  sévit  sur  un  territoire  aussi  étendu  que  toute  l'Europe, 
habité  par  environ  quatre-vingt  millions  de  nègres. 

Et  aussi  longtemps  qu'elle  y  régnera,  toute  tentative  de 
l'explorer  régulièrement  et  d'y  faire  pénétrer  la  civilisation 
et  le  commerce  honnête,  sera  infructueuse. 

C'est  pourquoi,  après  que  les  efforts  des  gouvernements 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  4o 

ont  été  reconnus  impuissants  pour  la  réduire  par  l'emploi 
de  la  force,  le  roi  des  Belges  a  eu  la  pensée  généreuse  de 
convoquer  à  Bruxelles  des  représentants  des  principales  So- 
ciétés de  géographie  de  l'Europe,  MM.  de  Richthofen,  de 
Hochsletter,  l'amiral  deLaRoncière  le  Noury,  Sir  Rutherford 
Alcock,  C.  Negri,  T.  de  Semenow,  les  grands  voyageurs 
G.  Nachtigal,  Rohlfs,  Schweinfurth,  H.  Duveyrier,  le  marquis 
de  Compiègne,  J.  A.  Grant,  Lovett  Cameron,  pour  leur  ex- 
poser le  plan  d'une  croisade  d'un  nouveau  genre  en  vue 
d'explorer  et  de  civiliser  l'Afrique  centrale. 

Voici  le  discours  que  prononçait  S.  M.  à  l'ouverture  de  la 
Conférence,  le  12  septembre  i876  : 
«  Messieurs, 

Permettez -moi  de  vous  remercier  chaleureusement  de 
l'aimable  empressement  avec  lequel  vous  avez  bien  voulu 
vous  rendre  à  mon  invitation.  Outre  la  satisfaction  que  j'au- 
rai à  entendre  discuter  ici  les  problèmes  à  la  solution  des- 
quels nous  nous  intéressons,  j'éprouve  le  plus  vif  plaisir  à 
me  rencontrer  avec  les  hommes  distingués  dont  j'ai  suivi 
depuis  des  années  les  travaux  et  les  valeureux  efforts  en  fa- 
veur de  la  civilisation. 

Le  sujet  qui  nous  réunit  aujourd'hui  est  de  ceux  qui  mé- 
ritent au  premier  chef  d'occuper  les  amis  de  l'humanité.  Ou- 
vrir à  la  civilisation  la  seule  partie  de  notre  globe  où  elle 
n'ait  point  encore  pénétré,  percer  les  ténèbres  qui  envelop- 
pent des  populations  entières,  c'est,  j'ose  le  dire,  une  croi- 
sade digne  de  ce  siècle  de  progrès  ;  et  je  suis  heureux  de 
constater  combien  le  sentiment  public  est  favorable  à  son  ac- 
comphssemenl  ;  le  courant  est  avec  nous. 

Messieurs,  parmi  ceux  qui  ont  le  plus  étudié  l'Afrique,  bon 
nombre  ont  été  amenés  à  penser  qu'il  y  aurait  avantage  pour 
le  but  commun  qu'ils  poursuivent,  à  ce  que  l'on  pût  se  réu- 
nir et  conférer  en  vue  de  régler  la  marche,  de  combiner  les 


46  BULLETIN. 

efforts,  de  tirer  parti  de  toutes  les  ressources,  d'éviter  les 
doubles  emplois. 

Il  m'a  paru  que  la  Belgique,  État  central  et  neutre,  serait 
un  terrain  bien  choisi  pour  une  semblable  réunion  et  c'est 
ce  qui  m'a  enbardi  à  vous  appeler  tous,  ici,  chez  moi,  dans 
la  petite  Conférence  que  j'ai  la  grande  satisfaction  d'ouvrir 
aujourd'hui.  Ai-je  besoin  de  vous  dire  qu'en  vous  conviant 
à  Bruxelles,  je  n'ai  pas  été  guidé  par  des  vues  égoïstes?  Non, 
Messieurs,  si  la  Belgique  est  petite,  elle  est  heureuse  et  satis- 
faite de  son  sort;  je  n'ai  d'autre  ambition  que  de  la  bien  ser- 
vir. Mais  je  n'irai  pas  jusqu'à  affirmer  que  je  serais  insensible 
à  l'honneur  qui  résulterait  pour  mon  pays  de  ce  qu'un  pro- 
grès important  dans  une  question  qui  marquera  dans  notre 
époque  fût  daté  de  Bruxelles.  Je  serais  heureux  que  Bruxel- 
les devînt  en  quelque  sorte  le  quartier  général  de  ce  mouve- 
ment civilisateur. 

Je  me  suis  donc  laissé  aller  à  croire  qu'il  pourrait  entrer 
dans  vos  convenances  de  venir  discuter  et  préciser  en  com- 
mun, avec  l'autorité  qui  vous  appartient,  les  voies  à  suivre, 
les  moyens  à  employer  pour  planter  définitivement  l'éten- 
dard de  la  civilisation  sur  le  sol  de  l'Afrique  centrale  ;  de 
convenir  de  ce  qu'il  y  aurait  à  faire  pour  intéresser  le  public 
à  votre  noble  entreprise  et  pour  l'amener  à  y  apporter  son 
obole.  Car,  Messieurs,  dans  les  oeuvres  de  ce  genre,  c'est  le 
concours  du  grand  nombre  qui  fait  le  succès,  c'est  la  sympa- 
thie des  masses  qu'il  faut  solliciter  et  savoir  obtenir. 

De  quelles  ressources  ne  disposerait-on  pas,  en  effet,  si 
tous  ceux  pour  lesquels  un  franc  n'est  rien  ou  peu  de  chose, 
consentaient  à  le  verser  à  la  caisse  destinée  à  supprimer  la 
traite  dans  l'intérieur  de  l'Afrique? 

De  grands  progrès  ont  déjà  été  accomplis,  l'inconnu  a  été 
attaqué  de  bien  des  côtés  ;  et  si  ceux  ici  présents  qui  ont  en- 
richi la  science  de  si  importantes  découvertes,  voulaient  nous 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  47 

en  retracer  les  points  principaux,  leur  exposé  serait  pour  tous 
un  puissant  encouragement. 

Parmi  les  questions  qui  seraient  encore  à  examiner,  on  a 
cité  les  suivantes  : 

1"  Désignation  précise  des  bases  d'opération  à  acquérir, 
entre  autres,  sur  la  côte  de  Zanzibar  et  près  de  l'embouchure 
du  Congo,  soit  par  conventions  avec  les  chefs,  soit  par  achats 
ou  locations  à  régler  avec  les  particuliers; 

2°  Désignation  des  routes  à  ouvrir  successivement  vers 
l'intérieur  et  des  stations  hospitalières,  scientifiques  et  pacifi- 
catrices à  organiser  comme  moyen  d'abolir  l'esclavage,  d'éta- 
blir la  concorde  entre  les  chefs,  de  leur  procurer  des  arbitres 
justes,  désintéressés,  etc.  ; 

3°  Création,  l'œuvre  étant  bien  définie,  d'un  comité  inter- 
national et  central  et  de  comités  nationaux  pour  en  pour- 
suivre l'exécution,  chacun  en  ce  qui  le  concernera,  en  expo- 
ser le  but  au  public  de  tous  les  pays  et  faire  au  sentiment 
charitable  un  appel  qu'aucune  bonne  cause  ne  lui  a  jamais 
adressé  en  vain.  ^ 

Tels  sont.  Messieurs,  divers  points  qui  semblent  mériter 
votre  attention;  s'il  en  est  d'autres,  ils  se  dégageront  de  vos 
discussions  et  vous  ne  manquerez  pas  de  les  éclaircir. 

Mon  vœu  est  de  servir  comme  vous  me  l'indiquerez  la 
grande  cause  pour  laquelle  vous  avez  déjà  tant  fait.  Je  me 
mets  à  votre  disposition  dans  ce  but  et  je  vous  souhaite  cor- 
dialement la  bienvenue.  » 

Après  ce  discours  qui  déterminait  la  pensée  et  le  but  de  la 
Conférence,  la  présidence  fut  décernée  par  acclamation  au 
roi,  et  la  vice-présidence  aux  présidents  des  diverses  Sociétés 
de  géographie  présents  à  la  réunion. 

Le  roi  annonça  que  M""^  Heine-Furtado  mettait  à  la  dispo- 
sition de  la  Conférence  une  somme  de  20,000  francs  pour  la 
fondation  de  stations  scientifiques  et  internationales.  S.  M. 


48  BULLETIN. 

adressa  ensuite  des  remerciements  à  Sir  Rutherford  Alcock 
pour  les  cartes  spéciales  qu'il  avait  fait  dresser  à  l'usage  de 
la  Conférence.  Puis,  elle  communiqua  une  lettre  du  président 
de  la  Société  de  géographie  de  New-York,  M.  le  juge  Daly, 
offrant  de  seconder  de  tout  son  pouvoir  l'œuvre  de  la  Con- 
férence. 

Sur  l'invitation  du  roi,  les  voyageurs  étrangers  résumèrent 
leurs  travaux  en  Afrique.  M.  Nachtigal  donna  une  esquisse 
de  son  voyage  de  Tripoli  à  Kouka,  de  ses  explorations  dans  le 
bassin  du  lac  Tschad,  dont  il  a  découvert  le  canal  de  déchar- 
gement dans  le  Bahr-el-Ghazal,  et  de  son  retour  par  le  Wadaï, 
le  Darfour  et  le  Kordofan. 

M.  Schweinfurth  retraça  ses  voyages  entrepris,  le  premier, 
en  1863,  dans  la  Nubie,  le  second,  en  1869,  dans  le  bassin  du 
Haut-Nil,  jusqu'au  3"^  degré  de  latitude  dans  le  royaume  des 
Monbuttu.  Cette  région,  soumise  aujourd'hui  à  la  domination 
égyptienne,  a  subi  une  transformation  complète. 

M.  Rohlfs  rappela  ses  voyages  dans  le  Maroc  et  la  partie 
méridionale  de  l'Algérie,  son  expédition  de  Tripoli  par  Kouka 
jusqu'à  Lagos,  ses  explorations  en  Al)yssinie,  dans  la  Cyré- 
naïque  et  dans  le  désert  de  Libye. 

M.  Lux  parla  de  l'expédition  allemande  sur  la  côte  de 
Loango  dans  le  but  d'atteindre  Nvangwé,  la  route  la  plus 
directe  pour  arriver  dans  les  États  de  Muala  Yamvo,  le  chef 
le  plus  puissant  de  l'Afrique  centrale,  dont  Kabelé  est  la  ca- 
pitale. Il  a  traversé  le  Goango  et  le  Kassabi  qu'il  croit  être  la 
branche  originaire  du  Congo. 

M.  Cameron  rendit  compte  de  son  expédition  de  Zanzibar 
à  Benguela.  Après  avoir  traversé  le  Tanganyka,  dont  il  a  dé- 
couvert l'issue  occidentale,  le  Loukouga,  il  s'est  dirigé  vers 
Nyangwé,  puis  est  redescendu  au  Sud-Ouest,  a  exploré  le 
bassin  méridional  du  Congo,  a  passé  dans  celui  du  Zaml)èze^ 
a  traversé  le  fleuve  à  une  altitude  de  oGOO  pieds,  et  a  atteint 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  49 

la  côte  occidentale  à  travers  les  possessions  portugaises.  Il  a 
reconnu  l'existence  de  forêts  renfermant  de  grandes  riches- 
ses végétales,  et  constaté  la  présence  de  mines  de  charbon  et 
de  cuivre. 

M.  Grant,  après  avoir  rappelé  la  première  expédition  de 
Burton  et  de  Speke  aux  grands  lacs,  retraça  celle  qu'il  entreprit 
avec  ce  dernier  de  Zanzibar  au  lac  Victoria,  où  ils  reconnu- 
rent, à  rOuest,  des  montagnes  de  oOOO  pieds  de  hauteur. Re- 
montant au  N.-E.,  ils  atteignii-ent  le  cours  d'eau  qui  sort  du 
lac  Victoria  et  forme  la  branche  primitive  du  Nil;  résultat 
confirmé  par  les  explorations  de  Gordon  et  de  Stanley. 

Le  commandeur  Negri  donna  quelques  détails  sur  l'expé- 
dition du  marquis  Antinori  ;  le  baron  de  Hofmann  commu- 
niqua des  renseignements  sur  celle  de  Gordon  et  de  Piaggia, 
qui  ont  remonté  le  Nil  Blanc  depuis  Magungo  jusqu'au  point 
où  il  sort  du  Victoria.  Dès  à  présent,  il  existe  dans  cette  ré- 
gion dix-neuf  stations  égyptiennes. 

Après  avoir  remercié  les  auteurs  de  ces  diverses  commu- 
nications, Sa  Majesté  proposa  d'examiner  la  question  de  Tuti- 
lité  de  la  fondation  en  Afrique  de  stations  scientifiques  et  hos- 
pitalières. 

M.  de  Semenow  constata  que  ce  point  était  acquis,  que  les 
voyageurs  auraient  pu  pénétrer  généralement  en  Afrique  k 
de  plus  grandes  distances  que  celles  qu'ils  ont  atteintes,  s'ils 
avaient  rencontré  sur  leur  chemin  des  stations  où  ils  eussent 
pu  trouver  secours  et  appui.  D'autre  part,  Tabsence  de  toute 
espèce  d'entente  dans  l'organisation  des  expéditions  en  ac- 
croît les  difficultés.  Aussi  i\l.  de  Semenow  se  rallia-t-il  au 
projet  de  stations  qui  seraient  établies  sur  la  côte  d'abord, 
pour  pénétrer  ensuite  dans  l'intérieur  du  continent. 

M.  de  Laveleye,  d'accord  sur  l'utilité  de  ces  stations,  de- 
manda dans  quelles  conditions  il  faudrait  les  organiser  pour 
en  obtenir  des  résultats  pratiques. 

BULLETIN,  T.   XVI,    1877.  4 


50  BULLETIN. 

M.  Rolilfsi-appela  que  l'utilité  et  la  possibilité  d'en  créei- sont 
prouvées  par  le  fait  de  l'existence  de  stations  semblables.  Les 
Anglais,  en  eflet,  ont  déjà  organisé  trois  établissements  de 
cette  nature,  à  Rhadaniès,  à  Mourzouk  et  à  Lokaja.  Avant  la 
conquête  égyptienne,  Kiiartoum  était  aussi  une  station  de  ce 
genre. 

Sir  Henry  Rawlinson,  très-favorable  au  projet,  exprima  la 
pensée  que  ces  stations  devraient  devenir  des  centres  de 
renseignements,  des  postes  bospitaliei's,  des  foyers  de  civili- 
sation. Le  colonel  Gordon^  dans  son  expédition  actuelle  sur 
le  Haut-Nil,  a  établi  une  série  de  postes  placés  à  des  distances 
de  20  à  50  milles  et  communiquant  entre  eux.  Un  établisse- 
ment a  été  créé,  sans  aucun  élément  militaire,  sur  le  lac 
Nyassa,  gur  lequel  un  bateau  à  vapeur  a  été  lancé.  La  même 
chose  poui'rait  être  faite  sur  le  Tanganyka.  De  là,  on  pourrait 
gagner,  par  le  Congo,  la  côte  occidentale  de  l'Afrique.  La 
réalisation  de  ce  projet  pourrait  être  entreprise  sous  les  aus- 
pices de  Sa  Majesté. 

M.  le  vice-amiral  de  La  Roncière  le  Noury  s'est  rallié  en 
principe  à  l'établissement  de  stations  scientifiques  en  Afrique. 
Elles  contribueraient  efficacement  à  restreindre  le  commerce 
des  esclaves;  les  missions  religieuses,  qu'il  ne  faudrait  pas 
organiser  directement,  mais  qui  suivraient  les  stations,  se- 
raient d'un  utile  concoui's.  Les  relations  commerciales,  qu'il 
est  d'un  intérêt  général  de  créer  et  de  développer,  tendraient 
au  même  but.  Elles  sont  entravées  aujourd'lmi  par  l'absence 
de  routes  et  de  communications  fluviales.  La  première  chose 
à  faire  à  ce  point  de  vue,  sei-ait  de  transpoiter  en  Afrique  le 
bateau  à  vapeur,  comme  l'Anglelerre  vient  de  le  faire  sur  le 
lac  Nyassa.  Le  bateau  à  vapeur  serait  l'instrument  indispen- 
sable pour  faire  vivre  et  fructifier  la  station.  Il  faudrait  seule- 
ment réserver  à  un  coniité  le  soin  de  dêteiMniiicr  les  em- 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  51 

placements  des  stations  futures  et  de  recueillir  les  fonds  né- 
cessjiires. 

Sir  Harry  Verney  est  entré  dans  quelques  détails  sur  le 
commerce  de  l'ivoire,  considéré  comme  une  des  causes  de 
l'extension  de  la  traite.  Il  signala  l'existence,  au  centre  de 
l'Afrifjue,  d'un  État  impoi'tant  (Lunda)  dont  la  population  est 
favorable  à  l'établissement  d'un  commerce  régulier  avec  la 
côte  occidentale.  Mais  il  demanda  si  l'établissement  de  sta- 
tions serait  utile  sans  la  création  de  routes. 

M.  Xachtigal  constata  qu'il  s'agissait  avant  tout  d'ouvrir  l'A- 
frique. A  ce  point  de  vue,  l'établissement  de  stations  sera  très- 
utile  ;  et  quant  aux  routes,  elles  existent.  Tous  les  voyageurs 
qui  ont  pénétré  en  Afiique,  ont  suivi  les  routes  tracées  par 
le  commerce.  L'emploi  des  bateaux  à  vapeur  ne  pourra  être 
qu'une  exception,  à  cause  des  obstacles  naturels  dont  les 
fleuves  africains  sont  hérissés.  Quant  à  la  traite,  la  fermeture 
des  débouchés  du  littoral  ne  suffira  pas  à  la  supprimer.  Par- 
tout où  pénètre  l'Islam,  l'esclavage  s'installe  avec  lui;  celui-ci 
se  maintiendra  donc  à  l'intérieur,  même  dans  les  États  rela- 
tivement civilisés  du  Soudan  central.  C'est  dans  Tislamisme, 
qui  est  sa  source,  qu'il  faut  combattre  le  commerce  des  es- 
claves ;  or  les  États  du  Soudan  sont  très-accessibles  à  l'in- 
fluence européenne.  C'est  par  le  commerce  qu'on  civilisera 
le  mieux  l'intérieur  de  l'Afrique. 

Sir  Fowell  Buxton  donna  quelques  explications  sur  les  sta- 
tions établies  ou  en  voie  de  formation.  Entre  les  deux  grands 
lacs  Albert  et  Victoria  Nyanza,  les  missionnaires  en  ont  fondé 
une  ou  deux.  Une  auti-e  va  s'établir  au  bord  du  lac  Nyassa. 
Il  conviendrait  d'en  établir  également  une  sur  le  lac  Tanga- 
nyka.  Une  expédition  s'organise  pour  prendre  position  à  Ujiji, 
sur  le  lac.  Six  ou  sept  stations  seront  fondées  au  courant  de 
Tannée  1877.  L'intérêt  qu'on  porte  en  Angleterre  à  cette 
entreprise  est  tel,  qu'on  a  déjà  souscrit  plus  de  40,000  liyres 


52  BULLETIN. 

Sterling  pour  en  hâter  la  réalisation.  Nul  doute  que  les  mê- 
mes sympathies  ne  se  manifestent  sur  le  continent. 

Sir  Rutherford  Alcock  attira  l'attention  sur  la  base  d'opé- 
ration, qui  devrait  nécessairement  être  sur  une  côte.  Mais  sur 
quelle  côte  ?  Une  lettre  du  colonel  Gordon  donne  des  détails  # 
peu  encourageants  pour  ceux  qui  voudraient  opérer  par  le 
Nord.  Les  annexions  réalisées  récemment  par  TÉgyple  ont 
jeté  l'alarme  et  la  méfiance  parmi  toutes  les  populations  de 
cette  partie  du  continent.  Du  côté  de  l'Ouest,  il  reste  bien  des 
recherches,  bien  des  dépenses  à  faire.  Il  faudrait  créer  à  Ujiji 
une  grande  station,  qui  serait  le  point  centi-al.  Sa  Majesté 
pourrait  y  établir  une  autorité  consulaire.  Que  l'on  fasse  un 
appel  au  public  et  l'on  parviendra  à  civiliser  de  vastes  et  fer- 
tiles régions,  en  y  introduisant  le  commerce  et  en  y  suppri- 
mant la  traite.  L'Afrique  centrale  s'ouvrira  alors  tout  entière. 

L'amiral  Sir  Leopold  Heath  proposa  k  Sa  Majesté  de 
s'adresser  aux  gouvernements  français  et  anglais,  qui  enver- 
raient une  expédition  pour  reconnaître  les  côtes.  Une  fois  le 
port  choisi,  on  en  ferait  un  territoire  européen  sous  un  dra- 
peau quelconque.  De  nombreux  émigrants  ne  manqueraient 
pas  d'affluer  sui-  ce  point.  Il  y  a  à  Zanzibar  3000  ou  4000  su- 
jets indiens  qui  s'empresseraient  d'y  accourir. 

Sir  Bartle  Frère  a  présenté  les  deux  manières  de  pénétrer 
en  Afrique  :  la  douceur  ou  la  violence.  Ce  n'est  pas  la  force 
matérielle  dont  il  dispose,  qui  fait  le  prestige  du  voyageur 
européen  en  Afrique  ;  c'est  la  supériorité  de  l'homme  blanc 
qui  fait  de  lui  une  puissance,  un  centre  de  civilisation.  C'est 
un  des  traits  caractéristiques  des  peuples  de  l'Afrique,  que 
d'affluer  partout  où  existe  un  tel  centre.  Toute  la  côte,  de- 
puis le  neuve  Djouba  jusqu'à  la  baie  de  Delagoa,  se  prête  ad- 
mirablement à  la  création  de  ports.  On  pourrait  partir  de 
l'un  de  ces  ports  et  établir,  en  avançant  dans  l'intérieur,  des 
stations  pour  les  explorateurs,  les  commerçants  et  les  mis- 
sionnaires. 


MÉLANGES  ET  NOm'ELLES.    *  53 

Sa  Majesté,  après  avoir  constaté  runanimité  de  la  Confé- 
rence sui-  l'utilité  de  la  création  de  stations  scientifiques  et 
hospitalières  en  Afrique,  désigna  ensuite  le  second  point  à 
examiner,  à  savoir  le  choix  des  emplacements  qui  pourraient 
le  mieux  convenir  à  l'établissement  des  stations,  et  les  re- 
présentants des  divers  Étals,  réunis  en  groupes  nationaux, 
furent  chargés  d'élaborer  un  plan  précis  à  cet  égard  et  de 
faire  rapport  dans  la  séance  du  lendemain. 

Le  13  septembre,  en  effet,  la  Conférence  reçut  de  M.  de 
Semenow  la  communication,  que  certaines  nations  n'étant 
représentées  que  par  une  seule  personne,  les  éléments  étran- 
gers s'étaient  fusionnés  en  deux  groupes,  formés  l'un  par  les 
membres  anglais,  français  et  italien,  l'autre  par  les  membres 
allemands,  autrichiens  et  l'usse. 

Sir  Henry  Rawlinson  fit  connaître  les  vues  du  groupe  an- 
glo-franco-ilalien  dans  un  rapport  dont  voici  le  résumé  : 

Le  but  que  l'on  se  propose  dans  l'intérêt  de  la  civilisation, 
de  la  science  et  du  commerce, serait  atteint  le  plus  facilement 
par  l'établissement  d'une  ligne  continue  de  communication 
entre  les  côtes  orientale  et  occidentale  du  continent  au  Sud 
de  Téquateur,  avec  des  lignes  subsidiaires  traversant  les  ré- 
gions des  lacs,  qui  rattacheraient  l'artère  principale  au  bassin 
du  Nil  et  au  cours  inférieur  du  Congo,  au  Nord,  et  à  la  région 
du  Zambèze,  au  Midi,  et  qui  déboucheraient  sur  des  points 
convenables  du  littoral. 

L'appui  que  l'entreprise  trouverait  chez  les  nations  repré- 
sentées à  la  Conférence,  servirait  de  réponse  à  la  question  de 
savoir  si  l'artère  prmcipale  serait  maintenue  par  l'établisse- 
ment d'une  suite  de  stations  permanentes  sous  une  surveil- 
lance européenne,  ou  bien  s'il  suffirait  de  désigner  des  agen- 
ces indigènes  étabUes  sur  des  points  intermédiaires  détermi- 
nés, et  de  compter  sur  les  efforts  des  voyageurs  isolés  et  sur 
rinfluence  du  trafic  local  pour  maintenir  une  communication 
régulière  le  long  de  la  ligne. 


54  BULLETIN. 

Mais  il  faudrait,  tout  d'aboi'd  prendre  en  considération  : 

l"Le  clioix  par  une  autorité  navale  compétente  des  points 
d'entrée  les  mieux  appropr-iés  sur  les  côtes  orientale  et  occi- 
dentale, dans  le  voisinage  de  Zanzihar  d'une  part  et  de  St-Paul 
de  Loanda  de  l'autre. 

2"  Le  placement  de  petits  bateaux  h  vapeur  sur  les  lacs  Vic- 
toria et  Tanganyka,  et  l'ouverture  d'une  voie  commerciale, 
d'abord  entre  ces  lacs  et  ensuite  entre  les  lacs  Tanganyka  et 
Nyassa,où  il  y  a  déjà  un  bateau  cà  vapeur,  de  manière  à  avoir 
une  communication  continue  par  terre  et  par  eau  entre  le 
Zambèze  et  le  Nil. 

3°  Le  placement,  sur  le  Congo,  d'un  bateau  à  vapeur  dont 
on  assemblerait  les  pièces  au-dessus  de  la  chute  de  Yellali, 
et  qui  serait  assez  fort  pour  résister  à  une  attaque  de  la  part 
des  tribus  indigènes  le  long  du  cours  de  ce  fleuve. 

4°  S'il  fallait  établir  des  stations  permanentes,  le  groupe 
indiquerait  Ujiji,  et  Nyangwé  sur  le  Lualaba,  comme  les  pre- 
miers endroits  à  occuper,  en  prenant  des  arrangements  avec 
les  autorités  locales.  Viendraient  ensuite  des  établissements 
semblables  dans  les  États  respectifs  de  Cazembé,  de  Kassongo 
et  de  Muata-Yamvo. 

5°  Le  groupe  recommanderait  en  outre,  qu'après  l'établis- 
sement de  l'artère  principale  à  travers  le  continent,  tous  les 
efforts  possibles  fussent  faits  par  les  expéditions  scientifiques 
à  l'effet  d'ouvrir  la  l'égion  au  Nord  du  Lualaba,  de  manière  à 
mettre  en  communication  l'Afrique  équatoriale  avec  le  Dar- 
four,  le  lac  Tscbad  et  la  vallée  de  l'Ogowé. 

M.  de  Semenow  fit  ensuite  rapport  au  nom  du  groupe 
austro-germano-russe.  Tout  en  constatant  que  le  but  pour- 
suivi est  identique,  ouvrir  l'Afrique  aux  elTorts  de  la  civilisa- 
tion européenne,  établir  des  routes  vers  l'intérieur  de  ce 
continent,  supprimer  la  traite,  il  fit  ressortir  la  divergence 
qui  existe  quant  à  la  détermination  du  but  inunêdiat  à  attein- 


MÉLANGES   ET   iNOCVEI.LES.  OO 

(Ire.  Le  .iïroiipe  au  nom  duquel  il  rapportait  avait  cru  devoir 
assigner  la  priorité  à  Tinlérêt  scientifique,  sauf  à  compter 
pour  les  autres  progrès  sur  la  marclie  naturelle  des  événe- 
ments, et  il  proposait  : 

1°  D'organiser  sur  un  plan  commun  et  international  l'ex- 
ploration des  parties  inconnues  de  l'Afrique,  en  limitant  la 
région  de  l'exploration  du  côté  de  l'Est  par  les  grands  lacs, 
du  côté  du  Midi  par  la  l'oute  du  commandant  Cameron,  et  du 
côté  du  Nord  par  les  États  de  Bagliermi  et  de  Wadaï. 

2»  Pour  effectuer  cette  exploi-ation,  le  moyen  le  plus  ap- 
proprié consisterait  :  a)  dans  l'envoi  d'un  nombre  suffisant 
de  voyageurs  isolés,  partant  de  différentes  hases  d'opération^ 
vers  l'intérieur  du  continent,  et  b)  dans  la  fondation,  comme 
point  d'appui  de  ces  voyageui's  dans  leurs  explorations,  d'un 
certain  nombre  de  stations  scientifiques  et  hospitalières,  tant 
sur  les  côtes  de  l'Afrique  que  dans  l'intérieur  du  continent. 

Quant  à  l'envoi  des  voyageurs,  le  territoire  dominé  par  S. 
A.  le  Khédive  d'Egypte  est  exclu  du  plan  de  l'organisation 
projetée;  mais  il  est  désirable  d'entrer  en  relations  avec  S.  A. 
le  Khédive,  pour  engager  le  gouvernement  égyptien  à  orga- 
niser des  expéditions  sur  des  bases  d'opération  égyptiennes. 
En  i-evancbe,  la  ligne  de  l'itinéraire  (he  Camei'on  est  recom- 
mandée comme  une  base  bien  appropriée,  mais  non  unique, 
des  entreprises  de  voyageurs  isolés. 

Relativement  aux  stations  scientifiques  et  hospitafières,  le 
groupe  a  reconnu  qu'il  serait  désirable  d'en  établir  deux  ca- 
tégories :  a)  Les  unes,  en  nombre  très-restreint,  sur  les  côtes 
orientale  et  occidentale  de  l'Afrique,  dans  les  endroits  où  la 
civilisation  européenne  se  trouve  déjà  représentée,  par  exem- 
ple à  Bagamoyo  et  à  Loanda.  Ces  stations,  ayant  un  caractère 
d'entrepôts  destinés  k  procurer  aux  voyageurs  des  moyens 
d'existence  et  d'exploration,  peuvent  être  fondées  à  peu  de 
frais;  la  charge  en  serait  confiée  à  des  Européens  résidant 


56  BULLETIN. 

dans  ces  endroits,  b)  Les  autres,  sur  les  points  de  l'intérieur 
du  continent  les  plus  appropriés  pour  servir  de  base  immé- 
diate aux  explorations.  On  commencerait  par  établir  ces  sta- 
tions sur  les  points  reconnus  dès  aujourd'hui  comme  les  plus 
favorables  sous  ce  rapport,  par  exemple  Ujiji,  Nyangwé,  Mos- 
sumbé  (résidence  actuelle  de  Mutajambo),  et  on  laisserait 
aux  voyageurs  le  soin  d'indiquer  plus  lard  d'autres  points  où 
il  conviendrait  d'établir  des  stations  de  ce  genre. 

Il  n'y  aurait  pas  à  songer  actuellement  à  établir  des  com- 
munications régulières  entre  les  stations;  ces  communications 
pourront  être  organisées  plus  tard,  lorsque  les  stations  scien- 
tifiques auront  concentré  autour  d'elles  assez  d'intérêts  com- 
merciaux et  religieux  pour  qu'elles  se  transforment  en  de 
véritables  factoreries  européennes. 

Sa  Majesté  ayant  prié  la  Conférence  de  faire  connaître  ses 
vues  sur  les  deux  projets  dont  elle  était  saisie,  M.  le  vice- 
amiral  de  la  Ronciére  le  Noury  fit  remarquer  que  la  diver- 
gence entre  les  deux  projets  ne  portait  que  sur  des  questions 
accessoires:  l'établissement  déroutes  reliant  entre  elles  les 
stations  extrêmes  et  la  création  de  ports  nouveaux  sur  la 
côte  orientale  ;  ce  dernier  point  n'offre  lui-même  qu'une  im- 
portance relative.  On  pourrait  se  contenter  provisoirement 
du  port  de  Bagamoyo.  Ce  n'est  pas  tant  le  port  qui  est  l'élé- 
ment essentiel,  c'est  plutôt  la  route  dont  il  est  le  point  de 
départ. 

Quant  à  la  jonction  des  stations,  si  elle  offre  de  grandes 
difficultés,  elle  n'en  est  pas  moins  indispensable  ;  mais  dans 
cet  ordre  d'idées,  il  faut  évidemment  compter  sur  les  progrès 
ultérieurs  de  l'entreprise  qu'il  s'agit  aujourd'hui  de  fonder. 
Dès  à  présent  l'on  est  d'accord  sur  les  éléments  essentiels  de 
l'œuvre,  cà  savoir:  rétablissement  de  stations  scientificjues,  et 
le  choix  des  emplacements  principaux  où  il  convient  de  les 
établii-.  Il  reste  à  trouver  les  vovageurs  et  les  ressources 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  O/ 

financières.  Les  premiers  se  trouveront  probablement.  Quant 
aux  secondes,  il  faut  faire  un  appel  à  l'Europe,  et  se  servir  à 
cette  fin  de  la  presse,  dont  la  coopération  est  indispensable. 
11  y  a  lieu  d'espérer  que  les  gouvernements  viendront  en  aide 
à  l'entreprise,  parfois  même  ils  pourraient  prendre  l'initia- 
tive. M.  le  vice-amiral  conclut  en  proposant  de  constituer  à 
Bruxelles,  sous  la  présidence  du  roi  des  Belges,  une  com- 
mission internationale  qui  arrêterait  le  plan  détaillé  de  l'en- 
treprise et  en  dirigerait  l'exécution. 

M.  Nachtigal  croit  que  ce  serait  dépasser  le  but  que  de  vou- 
loir créer  d'emblée  des  stations  navales  et  des  voies  de  com- 
munication régulières  et  permanentes.  Il  faut  beaucoup  at- 
tendre de  l'action  du  temps,  du  progrès  naturel  de  l'œuvre. 
Les  stations  scientifiques  ne  doivent  pas  précéder  l'explora- 
tion, elles  doivent  la  suivre.  Elles  seront  pour  les  voyageurs 
des  points  d'appui  et  de  refuge  sur  lesquels  ils  pourront  se 
rabattre  à  l'occasion,  non  des  points  déterminés  qu'ils  auront 
à  atteindre. 

M.  le  baron  de  Hofmann,  estimant  qu'il  serait  possible  de 
concilier  les  deux  projets  en  présence  et  de  les  fusionner 
dans  un  système  transactionnel,  proposa  de  réunir  dans  ce 
but  les  délégués  des  deux  groupes  en  un  comité  et  de  sus- 
pendre provisoirement  la  séance. 

Au  bout  d'une  beure  d'interruption,  la  séance  ayant  été 
reprise,  M.  de  Semenow  communiqua  au  nom  des  deux 
groupes,  qu'une  entente  parfaite  s'était  établie  sur  l'objet 
soumis  à  leurs  discussions,  et  M.  Maunoir  fut  chargé  de  lire 
le  rapport  exprimant  leurs  vue,s  communes. 

Ce  rapport  expose  que,  pour  explorer  scientifiquement  les 
parties  inconnues  de  l'Afrique,  faciliter  l'ouverture  de  voies 
qui  fassent  pénétrer  la  civilisation  dans  l'intérieur  du  conti- 
nent africain,  et  rechercher  des  moyens  pour  la  suppression 
de  la  traite  des  nègres  en  Afrique,  il  faut  : 


58  BULLETIN. 

1°  Organiser  sur  un  plan  internalional  commun  l'explora- 
tion (les  pai-ties  inconnues  de  l'Afiique,  en  limitant  la  région 
à  explorer,  à  l'Orient  et  à  l'Occident,  par  les  deux  mers,  au 
Midi, parle  bassin  du  Zambèze,au  Nord,  par  les  frontières  du 
nouveau  territoire  égyptien  et  du  Soudan  indépendant.  Le 
moyen  le  mieux  approprié  à  celte  exploration  sera  l'emploi 
d'un  nombre  suffisant  de  voyageurs  isolés,  partant  de  diver- 
ses bases  d'exploration. 

2°  ÉtaJjlir,  comme  bases  de  ces  explorations,  un  certain 
nombre  de  stations  scientifiques  et  hospitalières,  tant  sur  les 
côtes  de  l'Afrique  que  dans  l'intérieur  du  continent. 

De  ces  stations,  les  unes  devront  être  établies  en  nombre 
très-restreint,  sur  les  côtes  oiientale  et  occidentale  d'Afrique, 
aux  points  où  la  civilisation  européenne  est  déjà  représentée, 
à  Bagamoyo  et  à  Loanda  par  exemple.  Ces  stations  auraient 
le  caractère  d'entrepôts  destinés  à  fournil-  aux  voyageurs  des 
moyens  d'existence  et  d'exploration.  Elles  pourraient  être 
fondées  à  peu  de  frais,  car  elles  seraient  confiées  à  la  charge 
des  Européens  résidant  sur  ces  points. 

Les  autres  stations  seraient  établies  sur  les  points  de  l'in- 
térieur les  mieux  appropriés  pour  servir  de  base  immédiate 
aux  explorations.  On  commencei"ait  l'établissement  de  ces 
dernièi-es  stations  par  les  points  qui  se  recommandent  dès 
aujourd'hui  comme  les  plus  favorables  au  but  proposé.  On 
pourrait  signaler,  par  exemple,  Ujiji,  Nyangwé,  la  résidence 
du  roi,  ou  un  point  quelconque  situé  dans  les  domaines  de 
Muata-Yamvo.  Les  explorateurs  pourraient  indiquei"  plus  tard 
d'autres  points  où  il  conviendrait  de  constituer  des  stations 
du  même  genre. 

Laissant  à  l'avenir  le  soin  d'établir  des  communications 
sûres  entre  les  stations,  la  Conférence  exprime  surtout  le 
vœu  qu'une  ligne  (autant  que  possible  continue)  de  commu- 
nications s'établisse  de  l'un  à  l'autre  Océan,  en  suivant  ap- 


MÉLANGES   ET   NjQL'VELLES.  S9 

proximativement  l'itinéraire  du  commandant  Cameron.  La 
Conférence  exprime  également  le  vœu  que,  dans  la  suite, 
s'établissent  des  lignes  d'opération  dans  la  direction  Nord- 
Sud. 

La  Conférence  fait  appel  dès  aujourd'hui  au  bon  vouloir 
et  à  la  coopération  de  tous  les  voyageurs  qui  enti-eprendront 
des  explorations  scientifiques  en  Afrique,  qu'ils  voyagent  ou 
non  sous  les  auspices  de  la  Commission  internationale  insti- 
tuée par  ses  soins. 

M.  le  vice-amiral  de  La  Roncière  le  Noury  fit  obsei'ver 
qu'il  serait  utile  que  la  Conférence,  en  arrêtant  la  formule  de 
ses  résolutions,  n'exclût  pas  toute  action  autre  que  la  sienne, 
et  qu'elle  acceptât  le  concours  de  toutes  les  initiatives  publi- 
ques ou  privées  qui  seraient  de  nature  à  seconder  fexécution 
de  ses  desseins. 

L'accord  unanime  sur  le  but  à  poursuivre  et  sur  les  moyens 
à  employer  ayant  été  constaté,  M.  de  Semenow  proposa  la 
création  d'un  comité  international  qui  aurait  pour  mission  de 
préciser  l'œuvre  et  d'en  organiseï'  l'exécution  ;  poui-  sur- 
monter les  dififlcultés,  il  accepterait  le  concours  de  toutes  les 
institutions  publiques,  de  toutes  les  initiatives  privées  qui 
pourraient  le  seconder  dans  son  entreprise.  Il  devrait  aider, 
diriger,  coordonner  les  efforts  sans  en  supprimer  aucun.  La 
formation  du  comité  international  fut  fixée  au  lendemain 
après  que  Sa  Majesté  eut  invité  les  membres  de  la  Confé- 
rence à  se  concerter  préalablement  sur  ce  sujet,  et  annoncé 
à  cet  effet  une  réunion  préparatoire  au  Palais  Royal  dans  le 
cours  de  l'après-midi. 

Le  14  septembre,  à  la  demande  de  sir  Rutherford  Alcock 
et  de  sir  Fowell  Buxton,  la  Conférence  décida  de  substituer 
dans  tous  les  actes  et  comptes  rendus  de  ses  travaux  les  ter- 
mes de  «  suppression  de  la  traite  des  Nègres  »  à  ceux  de 
«  abolition  de  resclavage.  »  Puis  M.  de  Semenow,  rapporteur 


60  BULLETIN. 

du  comité  chargé  de  formuler  un  projet  de  résolutions  sur 
la  formation  d'une  commission  internationale,  exposa  les  hases 
de  l'institution  qui  aurait  elle-même  à  régler  plus  tard  les 
détails  de  son  organisation. 

Voici  le  texte  des  résolutions  adoptées  après  discussion  du 
projet  du  Comité  : 

1°  Il  sera  constitué  une  Commission  internationale  d'explo- 
ration et  de  civilisation  de  l'Afrique  centrale,  et  des  comités 
nationaux  qui  se  tiendront  en  rapport  avec  la  Commission 
dans  le  hut  de  centraliser,  autant  que  possihle,  les  efforts  faits 
par  leurs  nationaux  et  de  faciliter,  par  leur  concours,  l'exé- 
cution des  résolutions  de  la  Commission. 

2"  Les  comités  nationaux  se  constituent  d'après  le  mode 
qui  leur  paraîtra  préférahle. 

3°  La  Commission  sera  composée  des  présidents  des  prin- 
cipales Sociétés  de  géographie  qui  sont  repi'ésentées  à  la  Con- 
férence de  Bruxelles  ou  qui  viendraient  à  adhérer  à  son  pro- 
gramme, et  de  deux  memhres  choisis  par  chaque  comité 
national. 

4°  Le  président  aura  la  faculté  d'admeltre  dans  l'associa- 
tion les  pays  qui  n'étaient  pas  représentés  à  la  Conférence. 

5°  Le  président  aura  la  faculté  de  compléter  la  Commis- 
sion internationale  en  y  ajoutant  des  memhi'es  effectifs  et  des 
memhres  d'honneur. 

()°  La  commission  centrale,  après  avoir  fait  son  règlement, 
aura  poui-  mission  de  diriger,  par  l'organe  d'un  comité  exé- 
cutif, les  entreprises  et  les  travaux  tendant  à  atteindre  le  hut 
de  l'association,  et  de  gérer  les  fonds  fournis  parles  gouverne- 
ments, par  les  comités  nationaux  et  par  des  particuliers. 

7"  Le  comité  exécutif  sera  constitué  auprès  du  président 
et  composé  de  trois  ou  quatre  memhres  désignés  préalahle- 
ment  par  la  Conférence  actuelle  et,  plus  tard,  par  la  Commis- 
sion internationale. 


MÉLANGES    ET   NOUVELLES.  61 

8°  Les  membres  du  comité  se  tiendront  prêts  à  répondre 
à  l'appel  du  président. 

9°  Le  président  désigne  un  secrétaire  général  qui,  par  le 
fait  même  de  sa  nomination,  deviendra  memijre  de  la  Com- 
mission internationale  et  du  comité  exécutif,  ainsi  qu'un  tré- 
sorier. 

Sur  la  proposition  de  sir  Bartle  F^;ere,  la  Conférence  dé- 
cerna avec  acclamation  au  roi  des  Belges  la  présidence  de  la 
Commission  internationale.  Sa  Majesté  accepta  la  mission  qui 
lui  était  confiée  et  promit  d'y  apporter  le  plus  entier  dévoue- 
ment, mais  Elle  exprima  la  pensée  qu'à  raison  du  caractère 
international  de  l'œuvre,  il  serait  désirable  que  la  présidence 
ne  fut  pas  exercée  indéfiniment  par  la  même  personne.  En 
l'acceptant  pour  le  terme  d'un  an,  Elle  forma  le  vœu  de  voir 
alternativement  les  représentants  des  autres  pays  remplir 
ces  hautes  fonctions. 

M.  le  baron  de  Hofmann  proposa  ensuite  de  passer  à  la 
nomination  des  membres  du  comité  exécutif,  et  indiqua  à  cet 
effet  au  choix  de  l'Assemblée  : 

Sir  Bartle  Frère,  pour  la  Grande  Bretagne  ;  M.  Nachtigal, 
pour  l'Allemagne  ;  M.  de  Quatrefages,  pour  la  France.  Ces 
choix  furent  admis  à  l'unanimité  par  l'Assemblée. 

Avant  de  clôturer  les  travaux  de  la  Conférence,  Sa  Majesté 
invita  les  voyageurs  français,  MM.  H.  Duveyrier  et  le  marquis 
de  Compiègne,  présents  à  la  séance,  à  communiquer  à  l'As- 
semblée un  aperçu  de  leurs  explorations  en  Afj-ique.  M.  Du- 
veyrier retraça  à  grands  traits  ses  voyages  dans  le  Sahai'a 
algérien  et  tunisien;  M.  de  Compiègne  donna  une  esquisse 
de  ses  explorations  sur  les  bords  du  Gabon  et  de  l'Ogawaï. 

Puis  M.  le  vice-amiral  de  La  Roncière  le  Noury  exprima 
les  sentiments  de  reconnaissance  de  l'Assemblée  envers  le 
roi  des  Belges  pour  la  noble  hospitalité  que  Sa  Majesté  lui 
avait  otTerte.  Il  La  félicita  de  sa  généreuse  initiative  et  Lui 


62  BULLETIN. 

promit  le  concours  le  plus  actif  de  tous.  Le  développement 
des  explorations  géograpliiques  en  Afrique,  la  suppression 
de  la  traite  et  l'ouverture  d'une  vaste  contrée  aux  pi'oduits 
de  la  civilisation,  ajouta-t-il,  sont  des  aspirations  qui  répon- 
dent aux  sentiments  de  toutes  les  nations  représentées  à  la 
Conférence.  Le  concours  d'aucune  d'elles  ne  saurait  leur  être 
refusé,  et  le  roi,  en  precaant  ces  aspirations  sous  son  patro- 
nage, a  bien  mérité  de  la  science  et  de  l'humanité. 

Répondant  à  ces  paroles,  S.  M.  déclara  qu'Elle  était  très- 
flattée  des  sentiments  qui  venaient  d'être  exprimés  à  son 
égard.  Elle  ajouta  que  son  dévouement  le  plus  absolu  était 
acquis  à  l'œuvi-e  que  la  Conférence  venait  de  fonder,  mais 
qu'à  cette  dernière  appartenait  tout  l'honneur  des  services 
que  cette  œuvr-e  peut  être  appelée  i\  rendre  tant  à  la  science 
qu'à  la  civilisation. 

Dès  lors,  les  Sociétés  de  géographie  des  divers  pays  se  sont 
empressées  de  répondre  aux  vœux  de  la  Conféi'ence  de 
Bruxelles  et  du  comité  exécutif  de  l'Association  internatio- 
nale. —  Le  roi  de  Suède,  le  roi  de  Saxe,  le  grand-duc  de 
Saxe-Weimar,  le  grand-duc  de  Bade,  le  grand-duc  Constantin 
de  Russie,  l'archiduc  Cliarles-Louis  d'Autriche,  le  prince  hé- 
ritier de  Danemark  ont  été  nommés  membres  d'honneur 
de  l'Association. 

Un  comité  national  allemand  s'est  formé  sous  la  présidence 
du  prince  Henri  Yll  de  Reuss;  il  continuera  les  entreprises 
nationales  allemandes  en  Afrique  et  contribuera  aux  travaux 
de  l'Association  internationale.  Il  partagera  ses  ressources 
conformément  aux  exigences  de  la  double  mission  qu'il  s'est 
imposée. 

Le  comité  national  autrichien  est  constitué  sous  la  prési- 
dence de  M.  le  baron  de  llofmann.  —  Celui  de  Hollande  a 
mis  à  sa  tête  le  prince  Henri  des  Pays-Bas. 


MÉLANGES   ET   NOUVELLES.  63 

Une  société  espagnole  d'exploration  de  l'Afrique  s'est  for- 
mée à  Madrid  sous  la  présidence  de  S.  M.  le  roi  d'Espagne, 
pour  s'associer  aux  vues  de  la  Conférence  de  Bruxelles. 

S.  A.  R.  le  prince  Hunibert  a  accepté  la  présidence  du  co- 
mité national  italien. 

La  branche  française  de  rAssociatiou  internationale  sera 
très-prochainement  constituée. 

La  Société  de  géographie  de  Lisbonne  a  donné  son  adhé- 
sion aux  vues  de  la  Conférence  de  Bruxelles;  un  comité  na- 
tional portugais  est  en  voie  de  formation  sous  les  auspices  de 
cette  Société  et  du  comité  de  géographie  du  ministèi'e  des 
colonies.  L^'expédition  portugaise  qui  se  prépare  se  mettra  en 
rappoi-t  avec  la  Société  internationale. 

M.  le  Juge  Daly,  président  de  la  Société  de  géographie  de 
New-York,  travaille  à  la  constitution  d'un  comité  national 
aux  États-Unis. 

La  Société  l'oyale  de  géographie  de  Londres  a  donné  un 
témoignage  d'adhésion  et  de  sympathie  aux  idées  émises  par 
la  Conférence,  en  instituant  un  fonds  anglais  d'exploration 
africaine,  sous  le  patronage  de  S.  A.  R.  le  prince  de  Galles. 
VAfrican  exploration  fund  promet  un  échange  amical  d'in- 
formations et  d'assistance  aux  Sociétés  établies  dans  le  même 
but  en  d'autres  pays. 

Le  premier  comité  national  formé  a  été  le  comité  belge, 
qui  est  entré  immédiatement  en  activité  et  qui  a  déjà  ol>tenu 
des  résultats  financiers  considérables.  Il  a  en  caisse  fr.  139,386. 
28  c,  sans  compter  une  somme  de  fr.  33,000  adressée  au  roi 
par  des  personnes  étrangères  cà  la  Belgique,  et  a  reçu  en 
outre  des  souscriptions  non  encore  versées  pour  une  valeur 
de  fr.  136,000,  ce  qui  forme  un  total  de  fr.  330,386.  28  c, 
qui,  placé  au  4Vo,  fournit  un  revenu  de  fr.  J3,2L3.  43  c,  à 
quoi  il  faut  encore  ajouter  des  souscriptions  annuelles  pour 
fr.  109,746.  83  c.  Il  existe  donc  un  revenu  disponible,  à  partir 


64  BULLETIN. 

du  l'^'- janvier  1878,  de  fr.  122,962.  30  c.  —  Une  partie  de 
ce  revenu  sera  capitalisée.  Mais  il  ne  représente  pas  toutes  les 
ressources  que  le  comité  belge  pourra  mettre  à  la  disposition 
de  TÂssociation  internationale.  La  souscription  continue  avec 
activité.  D'ailleurs,  on  n'a  tenu  compte  jusqu'ici  que  des  sou- 
scriptions adressées  directement  au  cpmité  central.  Celles  qui 
ont  été  recueillies  par  des  comités  provinciaux  et  locaux 
n'ont  pour  la  plupart  pas  été  indiquées  au  comité  national, 
et  ne  lui  seront  remises  qu'après  la  clôture  des  listes. 

La  Suisse  n'est  pas  demeurée  étrangère  à  cette  œuvre. 
Sur  l'initiative  de  la  Société  de  géographie  de  Genève,  un 
nombre  satisfaisant  d'adhésions  de  Genève  et  d'autres  can- 
tons de  la  Confédération  sont  parvenues  au  président  de 
cette  Société;  ces  adhérents  seront  très-prochainement  invi- 
tés à  se  réunir  pour  constituer  le  comité  national  suisse,  qui 
nommera  son  bureafi  et  les  délégués  chargés  de  le  représen- 
ter à  la  première  réunion  de  l'Association  internationale. 

Nous  apprenons  au  dernier  moment  que  S.  A.  I.  et  R.  l'ar- 
chiduc Rodolphe,  prince  héritier,  a  daigné  accepter  le  patro- 
nage du  comité  national  autrichien  qui  s'est  formé  sous  le 
nom  de  Société  africaine  de  Vienne.  —  Nous  sommes  égale- 
ment informés  que  le  Comité  national  français  de  l'Associa- 
tion internationale  africaine  s'est  constitué  sous  la  présidence 
de  M.  Ferdinand  de  Lesseps,  et  a  nommé  comme  ses  délé- 
gués à  la  Commission  internationale  MM.  d'A*bbadie  et  Gran- 
didier. 

En  définitive,  plusieurs  comités  nationaux  sont  déjà  for- 
més; plusieurs  autres  le  seront  très-prochainement;  et  rien 
qu'avec  les  fonds  déjà  recueillis  en  Belgique,  il  est  possible 
de  mettre  dès  maintenant  la  main  à  l'œuvre  d'une  manière 
sérieuse.  Le  Comité  exécutif,  mû  par  ces  considérations,  est 
d'avis  qu'il  faut  chercher  à  utiliser  encore  la  saison  favorable 
de  1877,  et  convoquera,  en  conséquence,  le  plus  tôt  possible 


MÉLANGES   ET   NCfÙVKFJ.ES.  6S 

la  Commission  internationale  pour  arrêter  d'une  manière  dé- 
finitive un  plan  d'opérations.  Il  engage  ceux  ipii  ont  adhéré 
à  la  pensée  de  la  Conférence  de  Bruxelles,  et  dont  les  comi- 
tés nationaux  ne  sont  pas  encore  constitués,  à  les  former  sans 
relard  et  à  nommer  leurs  délégués,  afin  que  tous,  ou  au 
moins  la  plupart  d'entre  eux,  puissent  être  représentés  à  la 
prochaine  réunion. 

L'institution  est  donc  fondée  ;  à  la  période  de  préparation 
a  déjà  succédé  un  commencement  d'exécution,  et  l'on  peut 
espérer  qu'il  ne  s'écoulera  pas  un  temps  bien  long  avant  que 
les  fondateurs  puissent  voir  les  explorateurs  à  l'œuvre,  et  les 
stations  scientifiques  et  hospitalières  commencer  le  travail  de 
civilisation  et  de  philanthropie  qu'ils  ont  donné  pour  but  à 

leurs  efforts. 

C.  F. 


urLi.ETiN,  T.  xvr,  1877. 


OUVRAGES  REÇUS 


PÉRIODIQUES   ET    PUBLICATIONS   DE   SOCIÉTÉS. 

Petermann,  docteur:  Mittheilungeii,  187(),  n"  12;  —  1877, 
ïT  i,  2  et  3. 

Géographie  untl  Erforsclmng  der  Polai-Regionen,  n»*  126 
et  127. 

Société  de  Géographie  de  Vienne.  Jahresberichte,  1870. 
T.  fX,  n"'  M  et  12.  —  1877.  T.  X,  n°  1. 

Société  de  Géographie  de  BerUn.  Zeitschrift,  187H,  n""  3, 
4  et  5.  —  Verhandlungen,  1876,  ir  6,  7  et  8.  —  Gorrespon- 
denzblatt  der  Afrikanischen  Gesellschaft,  1876,  n"'  19  et  20. 

Société  de  Géographie  de  Paris.  Bulletin,  1876,  novembre, 
décembre;  1877,  janvier. 

Société  de  Géogi-aphie  de  Lyon.  Bulletin,  n»  6. 

Société  géographique  roumaine.  Bulletin,  1876,  n"'  9  et  10. 

Société  de  Géographie  de  Madrid.  Bulletin,  1876,  n"^  3, 
4  et  5. 

Société  de  Géographie  et  de  Statistique  de  la  République 
du  Mexique.  Bulletin,  T.  III,  n"^  1  et  2. 

Société  de  Géographie  de  Lisbonne.  Bulletin,  n"  1,  décem- 
bre 1876.  Pareceres  n"'  1  et  2. 

Annaes  da  Commissao  central  permanente  de  Geographia, 
n°  1,  décembre  1876. 

Société  de  Géographie  italienne.  Bulletin,  1876,  n"'  8-10, 
11-12. 


68  BULLETIN. 

Société  Khédiviale  de  Géographie  du  Caire.  Bulletin,  1876, 
n"  3,  juillet  à  novembre. 

Club  alpin  de  Genève.  Echo  des  Alpes,  1876,  n°  4. 

Meteorological  Society.  Quarterly  .Journal.  Vol.  III,  n"  21, 
janvier. 

American  Geograpbical  Society,  Bulletin,  session  1876-77, 
n°'  2  et  3. 

Revue  Savoisienne,  1876,  décembre;  1877^ janvier. 

Cosmos,  de  Guido  Cora.  T.  III,  n°  12;  T.  IV,  n"  1. 

Revue  maritime  et  coloniale,  1876,  décembre;  1877,  jan- 
vier, février,  mars. 

Société  d'anthropologie  de  Vienne.  Mittheilungen,  T.  VI, 
n"^  5,  6,  7,  8,  9  et  10. 

Journal  asiatique,  1876,  octobre,  novembre,  décembre  ; 
1877,  janvier. 

Société  archéologique  de  l'Orléanais.  Bulletin,  n"  89. 

Société  de  Géographie  de  Dresde.  Jahresberichte,  n"  13. 

L'Exploration,  1876.  Livraisons  1  à  16. 

Société  archéologique  de  la  Charente.  T.  X,  1875. 

Géographie  universelle.  Livraisons  95  à  115  (don  de 
M.  Elisée  Reclus). 

L.  Vulliemin.  Histoire  de  la  Confédération  sui.sse.  T.  Il  (don 
de  l'auteur). 

Garcin  de  ïassy.  La  langue  et  la  littératuie  hindoustanies 
en  1876.  Broch.  Paris,  1877  (don  de  Tauteur.) 

Vicomte  de  Bizemont.  Les  g!-andes  entreprises  géogi'a- 
phiques  depuis  1870  en  Afrique.  Broch.  Pai'is,  1877  (don  de 
l'auteur.) 

J.  Schouw  Santvoort.  Plan  van  een  Onderzœkingslocht  in 
midden  Sumatra  (don  de  la  Société  de  Géographie  d'Am- 
sterdam). 

Alfredo  Chavero.  (^alendario  azleca,  onsayo  ar(|uo(>logico. 
Broch.  Mexico,  1876. 


OUVRAGES   HECjUS.  OH 

Alb.  S.  Gatschet.  Analytical  Report  upon  indian  dialects 
spoken  in  Southern  California,  Nevada,  etc.  Br.  —  Washing- 
ton, 1870. 

Estatutos  e  regulamento  provisorio  da  sociedade  de  geo- 
graphia  de  Lishoa. 

Robert  Lauterburg.  Versuch  zur  Aufstellung  der  Schwei- 
zeiischen  Stromabfiussmengen.  Broch.  Berne,  1870  (don  de 
l'auteur.) 

Duc  de  Luynes.  Voyage  d'exploration  à  la  mer  Morte,  à 
Petra  et  sur  la  rive  gauche  du  Jourdain.  T.  III. 

Gh.  Wolcott  Brooks.  Origin  of  tlie  Chinese  race.  Brocli. 
San  Francisco,  1876. 

Gh.  Wolcott  Brooks.  Japanese  Wrecks  stranded  and  pic- 
ked  up  adrift  in  the  North  Pacific  Océan.  Broch.  San 
Francisco,  1870. 

Gh.  Wolcott  Brooks.  Early  maritime  intercourse  ofancienl 
western  nations.  Broch.  San  Francisco,  1876  (don  de  l'au- 
teur). 

Victor  Dumas.  Annuaire  de  la  Société  d'ethnographie  de 
Paris,  1877  (don  de  l'auteur). 

Bulletin  of  the  United  States  geological  and  geographical 
Survey  of  the  territories.  Vol.  II,  n"  3. 

The  geological  and  natural  history  survey  of  Minnesota. 
The  second  annual  report  for  tlie  year  1873. 

Mittlieilungen  der  Kais.  und  Kônig,  geographischen  Gesell- 
schaft  in  Wien,  1875.  1  vol.  Vienne  1875  (don  de  la  Société 
de  Géographie  de  Vienne). 

F.-V.  Hayden.  Report  of  the  United  States  Geological  Sur- 
vey of  the  territories.  Vol.  X.  Washington,  1876  (don  de  l'au- 
teur). 

F.-V.  Hayden.  Annual  Report  of  the  United  States  geologi- 
cal and  geographical  Survey  of  the  territories,  embracing 
Goloi-ado  and  parts  of  adjacent  teri'itories  ;  being  a  report  of 


70  BULLETIN. 

progress  of  the  exploration  for  tlie  year  1874.  Washington, 
1876.  1  vol.  in-8'*  (don  de  l'auteur). 

G.-M.  Wheeler.  Report  upon  geographical  and  geological 
explorations  and  surveys  Mest  of  the  one  hundredth  meri- 
dian.  Vol.  III.  Washington,  1876  (don  de  l'auteur). 

Léon  Clugnet.  Géographie  de  la  soie,  (don  de  la  Société  de 
Géographie  de  Lyon). 

Étude  géographique  et  statistique  sur  la  production  et  le 
commerce  de  la  soie  en  cocon.  Lyon,  1877. 

Paul  Hunfalvy.  Ethnographie  von  Ungarn.  Buda-Pesth, 
1877  (don  de  l'auteur). 

Petermann,  docteur.  Mitlheilungen,  Erganzungsheft,  n°  50. 
—  Zoppritz,  Pruyssenœre's  Reisen  im  Nilgebiete  (1^'"  Halfte). 

Inhaltsverzeichniss  von  Petermann's  «  Geographischen 
Mittheilungen  »  1865-1874  (10  Jahresbànde  und  5  Ergân- 
zungsbânde).  Gotha,  1877. 

Société  Belge  de  Géographie.  Bulletin,  1877,  n"  1. 


Carte  géologique  de  la  Gironde,  par  Victor  Raulin,  profes- 
seur à  la  Faculté  des  sciences  (dou  de  la  Société  de  Géogra- 
phie commerciale  de  Bordeaux). 


BULLETIN 


BULLETIN,  T.    XVI,    1*77, 


EXTRAIT 

DES  PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES  DE  LA  SOCIÉTÉ 

SESSION    1876-1877 


Séance  du  9  mars  1877. 
Présidence  de  M.  H.  Bouïhillier  de  Beaumont. 

M.  le  Président  fait  nipporl  sur  le  Uavail  du  Bureau,  depuis 
la  tieinière  séance,  en  vue  de  la  formation  du  Comité  national 
suisse  poui"  l'exploration  africaine.  Les  adliérenls  seront  in- 
vités à  venir  à  Genève  pour  le  constituer.  A  celte  occasion  la 
Société  tiendrait  une  séance  extraordinaire  ayant  pour  sujet 
r Afrique  centrale. 

La  Commission  de  la  Bibliothèque  s'est  réunie;  ses  niem- 
i)res  se  sont  réparti  l'examen  des  ouvrages  reçus.  Outre  les 
périodiques,  la  ljil)liothèque  a  reçu  plusieurs  dons  d'auteurs  : 
deux  volumes  américains,  l'un  de  M.  F.-Y.  Hayden,  Mono- 
graphie  des  phalènes,  l'autre  de  M.  Wheeler,  Relevé  géogra- 
phique etc.,  des  États-Unis;  un  autre  de  M.  Paul  Unfalvv  sur 
V Ethnographie  de  la  Hongrie. 

M.  Ch.  Perron  est  ensuite  présenté  comme  membre  eflectif 
et  nommé  à  l'unanimité. 

M.  le  Président  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  le  Itaron 
Greindl,  secrétaire  généi'al  du  Comité  exécutif  de  l'œuvre 
africaine,  qui  rend  compte  de  la  situation  des  affaires  de  l'as- 
sociation. Plusieurs  membres  d'honneui-  ont  été  nommés; 


7()  BULLKTI.N. 

(les  couiilés  iiation.iux  ont  été  constiliiés  en  Alleiniigiie,  en 
Autriche,  en  llolhmde  et  en  Italie;  d'autres  sont  en  voie  de 
toiMiiation  en  Espagne,  en  Portugal,  aux  Klats-Unis  et  en 
France.  La  Société  de  Londres  a  constitué  un  Africau  explo- 
ration fiutd  et  promet  un  écliange  amical  d'informations  et 
d'assistance  aux  sociétés  ([ui  tendent  au  même  l)ul  dans  d'au- 
ti-es  pays. 

Le  Comité  national  helge  est  entré  en  activité,  et  peut 
déjà  disposer  d'un  revenu  de  plus  de  fr.  120,000,  rente  de 
sommes  déjà  reçues  en  don  ou  de  souscriptions  annuelles. 
La  Société  peut  donc  mettre  la  main  à  l'œuvre  et  le  Comité 
exécutif  est  d'avis  qu'il  faut  chercher  à  utiliser  la  saison  favo- 
rahle  de  1877,etconvo(]uer  le  plus  t(M,  possililela  Conmiission 
intei'nalionale  pour  arrêter  un  plan  déthiilif  d'opérations.  Les 
comités  nationaux  qui  ne  sont  pas  encore  organisés  doivent 
se  constituer  sans  retard  et  nommer  leurs  délégués,  alin  (pic 
tous,  ou  au  moins  la  plupai't  d'entre  eux,  puissent  premlrc 
part  à  la  pi'ochaine  réunion. 

M.  le  professeur  de  Laharpe  communi(pie  la  nouvelle  de 
la  moit  du  inanpiis  de  Compiègne,  secrétaire  de  la  Société 
khédiviale  du  Caii'e,  perte  extrêmement  regrettahle;  intelli- 
gent, zélé,  courageux,  M.  de  Compiègne  fait  défaut  à  celle 
(leuvre  dans  un  moment  où  il  pouvait  lui  être  fort  utile. 

M.  Alex.  Loniitard  donne  ensuite  comnuniication  d'un  mé- 
moire sur  la  Terre  de  Uz  et  le  couvent  de  .ïoh,  rédigé  d'après 
le  travail  de  M.  Wetzstein,  puhlié  dans  le  commentaire  de 
Delilzscii.  Dans  une  première  pai-lie,  il  expose  les  tradition> 
liauraniennes  relatives  au  séjour  de  .loh  dans  le  i»a\s  de  l'z. 
et  dans  une  seconde  partie,  il  fait  la  criti(|ue  de  ces  traditions  : 
puis  il  conclut  des  données  fournies  par  Wetzstein  que,  pour 
lui,  il  n'y  a  plus  de  doutes  siu'  le  fait  (pu;  la  IJatanée  était  si- 
tuée à  l'ouest  du  Hain-an  (Voyez  aux  Mémoires). 

M.  le  Pi'ésident  ollVe  à  M.  Loinhard  les  reiiicicicuieiils  dr 


PROCkS-VKRBAtX.  77 

la  Société  pour  ce  li'avail  très-intéressaiil,  qui  a  dû  lui  coûter 
heaucouj)  de  peine,  le  texte  de  Wetzsteiii  étant  très-diflicile 
;i  analyser. 

.\\ant  la  clôtiue  de  la  .séance,  M.  Lagier  annonce  (pie  la 
seconde  ses.sion  du  Congrès  international  des  Américanistes 
se  tiendra  à  Luxembourg,  ilu  10  au  13  septeml)re  1877.  Les 
principales  questions  à  l'oi'dre  du  jour  se  l'apporteront  à 
riiistoire,  à  l'archéologie,  à  la  linguistique,  à  la  paléographie, 
;i  rantliio|iologie  et  à  l'ethnographie  de  l'Amérique.  M.  La- 
itier est  pi'èt  à  fournir  tous  les  renseignements  (|u'ou  pourrait 
désirer  sur  cette  session,  ainsi  que  sur  les  moyens  d'a.ssi.ster 
au  Congrès. 


Séance  du  2 S  mars  1877. 
Présidence  de  M.  H.  KoiTnn.LiER  dk  Beaumont. 

M.  le  Président  communique  une  lettre  de  M.  le  secrétaire 
général  du  Comité  exécutif  africain,  annonçaul  ipie  le  comité 
national  autrichien  a  été  placé  sous  le  patronage  de  l'ai'chi- 
duc  Rodolphe. 

La  Société  de  géographie  de  Lyon  propose  que  celle  de 
(ienéve  demande  au  gouvernement  de  la  Confédéi-ati(ui 
suisse  qu'il  prescrive  aux  bureaux  tie  poste  suisses  d'indiquer 
sui-  leurs  timhres  non-seulement  le  nom  de  chaque  localité, 
mais  au.ssi  celui  du  canton  dans  lequel  elle  est  située;  cela  à 
rimilation  de  ce  qu'a  fait  le  gouvernement  français,  à  la  de- 
mande delà  Société  de  Lyon,  pour  vulgariser  les  connai.ssan- 
<:es  géographiques.  Le  nom  du  département  est  indiqué  dans 
le  timbre  au-des.sous  de  celui  de  chaque  localité. 

'SI.  le  professeur  de  Laharpe  estime  cpi'au  point  de  vue  de 
la  .sûreté  des  coirespondances  commerciales,  comme  au  point 
de  vue  géographique,  cette  innovation  .serait  avantageu.se. 


78  BULLETIN. 

La  Société,  approuvant  l'klée  dont  il  s'agit,  charge  le  Bu- 
reau (le  faire  les  démarches  indiquées  auprès  de  l'autorité  fé- 
dérale. 

La  Société  de  Lyon  pense  encore  demander  aux  Compa- 
gnies de  chemins  de  fer  de  faire  inscrire  sur  le  fronton  îles 
gares,  à  côté  du  nom  de  la  localité,  celui  du  départemenL 
l'altitude,  la  longitude,  le  chiffre  de  la  population,  etc. 

M.  de  Laharpe  ne  croit  pas  cette  idée  entièrement  nou- 
velle, car  en  Fi'ance  la  Direction  des  Ponts  et  Chaussées  a  dès 
longtemps  fait  inscrire  à  l'entrée  de  chaque  localité,  le  nom 
du  lieu  et  d'autres  détails.  M.  Aloïs  Humbert  ajoute  que  non- 
seulement  les  poteaux  indicateurs  sont  chargés  d'indications 
de  mesures  de  longueur  donnant  la  distance  des  localités 
entre  elles,  mais  que  sur  certaines  pierres  milliaires  l'altitude 
se  trouve  marquée,  ce  qui  fournil  un  moyen  de  rapporter 
certaines  ohservations  à  des  hauteurs  bien  déterminées.  La 
Suisse  a  encore  beaucoup  de  progrès  à  faire  à  cet  égard. 

La  question  est  renvoyée  au  Bureau. 

Lecture  est  faite  d'une  note  extraite  des  Mittheilungen  de 
Petermann  par  M.  Frey-Gessner,  d'après  laquelle  un  profes- 
seur de  gymnase  à  Berlin  aurait  trouvé  dans  l'Odyssée  les 
traces  d'un  voyage  aux  régions  arctiques. 

M.  Alfred  Pictet  fait  un  rapport  sur  un  travail  de  >L  Wil- 
liam Marriott,  secrétaire-adjoint  de  la  Société  de  météorolo- 
gie de  Londres,  in.séré  dans  le  journal  de  cette  société,  dans 
le  numéro  de  janvier  de  cette  année,  et  contenant  les  résul- 
tats d'observations  météorologiques  faites  parle  colonel  Ward. 
membre  de  cette  société,  à  Rossinière,  canton  de  Vaud,  de 
novembre  1873  jusqu'à  la  Hn  de  1875  (Voyez  aux  Notices). 

M.  le  Président  remercie  M.  Pictet  pour  cet  intéressant 
rapport. 

M.  Aloïs  Humbert  recommande  à  Valteuti(Hi  le  voluuu'  tU- 
F.-V.  Hayilen,  renfermant  sa  monographie  tics  phnlènes.  Cet 


PROCÈS-VERBAUX.  79 

(tuvrage  présente  un  intérêt  géographique,  en  ce  sens,  qu'il 
détermine  la  distribution  des  insectes,  en  particulier  celle  des 
phalènes,  dans  les  différentes  parties  de  TAmérique,  et  mon- 
tre comment  la  faune  américaine  s'est  formée,  et  comment 
se  sont  répartis  les  éléments  tropicaux,  ceux  de  la  faune  arc- 
tique et  ceux  de  la  région  moyenne.  A  l'aide  de  ce  grand  tra- 
vail on  peut  suivre  la  trace  des  migrations  et  celle  des  modi- 
fications qui  ont  eu  lieu  pendant  l'époque  glaciaire.  Il  existe 
des  différences  dans  les  genres  des  deux  côtés  de  la  chaîne 
centrale,  sur  le  versant  occidental  tourné  vers  le  Pacifique,  et 
sur  le  versant  oriental  qui  regaide  l'Atlantique;  ce  dernier 
manque  de  certains  genres  qui  se  retrouvent  à  la  fois  en  Eu- 
rope et  de  l'autre  côté  des  Cordillères.  Ce  fait  contredit  l'hy- 
pothèse d'une  terre  qui  aurait  jadis  relié  l'Europe  à  l'Améri- 
que. On  comprend  mieux  cette  répartition  en  supposant  que 
(l'est  d'un  monde  arctique  que  les  genres  ont  rayonné  dans 
les  directions  où  on  les  rencontre  aujourd'hui. 

>1.  le  Président  ajoute  quelques  mots  sur  la  théorie  du 
rayonnement  des  espèces  à  partir  du  pôle,  en  opposition  à  la 
théorie  ordinairement  reçue  des  migrations  correspondant 
au  mouvement  de  rotation  du  globe  terrestre. 

M.  Humbert  voit  une  confirmation  de  cette  théorie  dans  le 
fait  que  les  terrains  fossilifères  européens  contiennent  les  dé- 
bris du  bos  mosc}tatus(le>^  régions  arctiques  américaines.  Pro- 
bablement ce  genre  a  rayonné  dans  la  direction  de  l'Amérique 
et  de  l'Europe,  puis  il  s'est  éteint  en  Europe  et  a  sultsisté  en 
Amérique. 

M.  le  Piésidenl  i-emercie  M.  Humbert  de  son  rapport  sur 
cet  ouvrage  si  important,  reçu  en  don  de  la  part  de  l'auteur. 

La  parole  est  ensuite  à  M.  F.  de  Morsier  pour  une  commu- 
nication sur  la  récolte  des  œufs  de  tortues  dans  TAmérique 
du  Sud,  comprenant  la  ponte  et  les  migrations  des  tortues 
dans  les  parages  qu'elles  fréquentent,  entre  le  .30°  latitude  N. 


80  BULLETIN. 

et  rÉqualeur;  ce  travail  est  fait  d'après  les  reriseignemenls 
fournis  par  Humboldt,  Marcoy  et  Audution.  M.  de  Morsior 
s'occupe  de  quatre  espèces  de  tortues  marines:  la  tortue 
verte  ou  franche;  la  tortue  à  Itec  de  faucon  ou  caret,  qui 
foui-nit  l'écaillé  employée  dans  les  arts  et  l'industrie;  la  tortue 
à  grosse  tête  ou  couane,  et  la  tortue  à  trompe  ou  molle. 

M.  de  Morsier  transporte  ses  auditeurs  sur  les  rives  de  l'O- 
rénoriue,  à  l'île  d'Umana.  Cette  portion  des  rives  de  l'Oréno- 
que  est  fréquentée  comme  les  foires  de  Beaucaire,  ou  de 
Nijnéi-Novogorod.  Aussi  loin  (|ue  poile  la  vue,  la  cou<'lie  de 
sable  de  la  plage  recouvre  de^  œufs  de  tortue;  toute  celle 
étendue  est  divisée  en  lots  égaux,  qui  sont  tirés  au  sort  par 
les  Indiens  et  exploités  avec  la  plus  grande  régularité.  Les  In- 
diens canibos  excellent  à  ce  travail,  qui  est  pour  eux  une  épo- 
que de  réjouissances. 

L'Indien  est  secondé  dans  ses  chasses  par  le  tigre-jaguar, 
grand  amateur  de  lortues;  il  les  surprend  au  milieu  de  l'opé- 
l'alion  de  la  ponte  et  les  renverse  sur  le  dos;  dans  celle 
position,  les  tortues  ne  peuvent  se  retourner.  Les  Indiens 
chassent  alors  à  ;j:nnu\  hruit  le  tigre,  et  s'emparent  de  sa 
proie. 

M.  de  Morsier  termine  par  quelques  explicalions  louchant 
l'épuisement  (Ws  plages  à  tortues,  sur  les  grèves  de  TOréno- 
que  et  de  l'Amazone  et  sur  celles  des  tributaires  de  ce  dei-- 
nier  lleuve.  —  QuanI  au  poids  des  tortues,  les  évalualions 
s(ml  très-diverses:  Audubon  l'estime  de  400  à  700  livres  ; 
Marcoy  à  M)  livres  seulement.  Et  (|uant  à  la  force  de  la  lorlue, 
on  a  vu  empreintes  sur  une  ancre  de  vaisseau  les  mai-ques 
des  dents  d'une  tortue  à  bec'. 

M.  le  Président  présente  à  M.  de  Moisier  les  reuH'rciemenls 

'  Le  travail  de  M.  de  Morsior  se  trouvera  dans  la  prochaine 
livraison  du  Globe. 


PROCÈS-VKRiAUX.  81 

«le la  Société  [miv  ri'i  intéressant  travail,  et  lappelle  à  cetlf 
occasion  l'impression  (rélilouissenienl  (|u"il  a  éprouvée,  sur 
la  côte  (le  la  Russie  méridionale,  en  voyant  une  plage  cou- 
verte de  tortues  noires  (pii  se  dirigeaient  toutes  ensemItU' 
vers  la  mer;  il  semhlail  ipic  le  rivage  s'en  allât  à  la  nier. 

M.  de  Laharpe  ajoute  avoir  \u en  Angleterre  des  arrivages 
de  tortues,  venant  ordinairement  de  l'île  de  l'Ascension;  leur 
longueur  pouvait  être  d'un  mètie,  leur  largeur  un  peu  moin- 
dre; elles  devaient  peser  de  200  à  .'iOO  livres.  Leur  vie  tst 
très-per'^islante. 

M.  Aloïs  Humberl  parle  de  celles  dont  le  Musée  de  Genève 
possède  les  carapaces,  puis  des  tortues  énormes  des  Gallapa- 
gos  et  de  l'île  Maurice,  des  tortues  fossiles  que  pos.sède  le 
Briliah  Muséum,  de  celles  des  terrains  jurassiques,  etc. 

M.  Faure  fait  ensuite  un  rappoit  sur  le  journal  VExplora- 
tion,  qui  a  succédé  à  V Explorateur,  el  sur  des  aitides  ipie 
renfernienl  les  dernières  livraisons  de  ce  journal  :  un  coui's 
de  M.  Foncin  sur  la  géographie  commerciale,  donné  aux 
jeunes  gens  ileBoi-deaux;  une  lettre  du  roi  de  Clioa  au  Khé- 
dive poui- l'assurer  de  ses  sentiments  paciliques,  et  protester 
contre  les  envahissements  des  iroupes  égyptiennes  en  Ahys- 
sinie;  des  rapports  sur  les  projets  de  percement  de  l'isthme 
américain,  soit  par  la  canalisation  du  lac  de  Nicaragua,  soit 
par  celle  <les  vallées  de  la  ïuyra  et  de  l'Atralo  ;  à  ce  pro- 
pos, il  fournil  d'intéressants  renseignements  sui-  les  travaux 
du  général  Tûrr  pour  la  canalisation  de  la  Hongrie.  Le  même 
journal  a  ilonné  un  ai-tide  impoilant,  dû  à  la  plume  de  M. 
Ch.  Robert,  sui'  la  situation  présente  de  l'Algérie,  sur  les 
travaux  entrepris  pour  la  prospérité  de  la  colonie,  pour  l'édu- 
(tation  des  Français  et  des  Arabes,  la  répartition  de  l'impôt, 
les  cultures,  les  barrages,  les  puits  ai'tésiens,  les  chemins  île 
fer,  etc.;  un  résumé  très-bien  fait  des  travaux  du  Challenger, 
«lans  son  expédition  de  trois  ans  et  demi;  des  considérations 


8!^  BULLETIN, 

Kéiiérales  de  M.  H.  Bioniie  sur  le  régime  colonial  de  la  France 
ef  sur  ce  que  ce  pays  devrait  faire  pour  relever  ses  colonies 
et  sa  marine;  des  extraits  des  ouvrages  de  Banning  et  de 
Trémaux  sui-  la  traite  des  esclaves  au  XIX"""  siècle,  etc. 

M.  de  Morsier  communique  encore  que  l'Amérique  ne  re- 
nonce pas  à  l'exploration  polaii'e,  mais  qu'elle  a  le  projet 
d'envoyer  une  expédition  hiverner  là  où  ont  stationné  les 
navires  anglais  VAlert  et  la  Discovery. 

M.  le  Président  rappelle  enfin  ce  (|u'a  fait  le  Bureau  pour 
faciliter  le  travail  de  ceux  de  messieurs  les  meml)res  (jui  veu- 
lent profiter  de  la  bibliothèque  et  consulter,  dans  la  salle 
même,  les  cartes  et  les  ouvrages  volumineux  ou  autres  do- 
cuments qu'il  est  préférable  de  ne  pas  sortir  du  local  de  la 
Société. 


Séance  du  iS  avril  1877. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthu-lirr  dk  Beaumont. 

M.  le  Président  fait  rapport  sur  les  travaux  du  Bureau  de- 
puis la  dernière  séance. 

La  première  livraison  du  Globe  (1877)  est  sortie  de  presse; 
un  exemplaire  en  a  été  envoyé  gratuitement  aux  adhérents 
du  comité  national  suisse  pour  l'oeuvre  africaine;  la  plus 
grande  partie  du  Bulletin  est  consacrée  à  l'analyse  de  la  con- 
férence de  Bi-uxelles  pour  l'exploration  et  la  civilisation  de 
rAfriipie  centrale.  Le  Bureau  a  fixé  au  lundi  S.'i,  et  au  mardi 
â't  avril,  la  convocation  i\i^^  adhérents  à  (lenève.  Lundi  soir 
à  7  heures,  dans  la  salle  de  la  Société,  aura  lieu  une  séance 
extraordinaire  dans  laquelle  M.  le  piofesseui-  de  Laharpe  fera 
une  communication  sur  rAfri(|ue  centrale;  après  quoi,  les 
adhérents  et  les  membres  de  la  Société  se  rendroni  chez  iM. 
le  président,  qui  les  invite  pour  la  soirée.  Le  mardi  uialiu,  les 


PROCÈS-VEftBAUX.  8:J 

adhérents  se  réuniront  à  l'Athénée  pour  constituer  le  comité 
national  suisse,  et  nommer  son  Ijureau  et  ses  délégués. 

M.  le  Président  présente  ensuite  deux  articles  de  règlement 
relatifs  aux  memhres  nouveaux  que  la  Société  pourrait  re- 
crutei"  dans  les  autres  cantons:  ces  articles  seraient  commu- 
niqués, en  Suisse,  à  tous  ceux  que  nous  supposons  s'intéres- 
ser aux  études  géographi(iues.  Ils  paieraient  une  contrihutioii 
de  10  francs,  recevraient  gratuitement  le  Globe,  assisteraient 
aux  séances,  et  jouiraient  de  la  hibliothè({ue  par  Tintermé- 
diaire  d'un  membre  résidfint  à  Genève,  autre  (|ue  le  biblio- 
thécaire; ce  membre  répondrait  par  sa  signature  du  ^()lumt^ 
sorti.  Si  le  nombre  desmenil)res  suisses  devenait  assez  grand 
on  pourrait  tenir  des  assemblées  générales  dans  une  ville 
suisse  autre  que  Genève.  —  Ce  projet  de  règlement  est 
adopté. 

Lecture  est  donnée  d'une  lettre  de  M.  le  baron  GreindI, 
annonçant  la  constitution  (Tun  Comité  portugais  formé  par 
les  soins  de  la  Société  de  Géograpliie  de  Lisbonne.  Les  Por- 
tugais poursuivront  leurs  œuvres  nationales  déjà  commencées 
en  même  temps  (ju'ils  pi'èteront  leur  conconi's  à  r<Mitreprise 
internationale. 

La  Société  khédiviale  du  Caire  fait  part  de  la  mort  ihi  mar- 
(|uis  deCompiègne,  à  la  mémoire  (lu(|uel  la  Société,  pai-  l'or- 
gane de  son  président,  paie  un  Juste  tribut  de  regrets. 

M.  Metchnikotr  fait  ensuite  rapport  sur  le  contenu  ilu  n"  (î, 
vol.  XII,  du  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  russe  (Voy. 
aux  Notices). 

M.  le  Président  remercie  de  cette  communication  M.  Melcb- 
nikofï,  qui  ajoute  que  la  Revue  de  géographie  grave  une 
carte  du  Japon  fournie  par  lui,  et  une  petite  carte  de  Yeso, 
renfermant  des  données  orographi(|ues  nouvelles. 

M.  Lecoultre  donne  lecture  de  la  traduction  d'une  lettre 
<lu  D''  Petermann  à  la  Société  de  géographie  de  Londres; 


84  BULLKTI.N. 

après  l'avoir  félicilée  des  résultats  LJe  rexpédilion  de  Nares, 
il  revient  sur  les  vues  (ju'il  a  pi-éfédemment  exprimées  rela- 
tivement aux  expéditions  polaires.  11  attire  fattention  sur  un 
(\ç>i  l'ésultats  de  l'expédition  de  l'ex-commandant  du  ClniUen- 
ffer  dans  la  mer  paléocrvstique,  à  savoir,  la  pleine  lumière 
faite  sui-  un  immense  territoire  équivalant  à  un  tieis  des  ré- 
gi(ms  arctiques,  et  (pii  avait  été  depuis  longtemps  le  théâtre 
des  principales  explorations  anglaises,  de  Baflin,  John  Ross, 
Inglelleld,  etc.,  à  côté  desipiels  les  Américiiins  Kane,  Hayes, 
et  Hall  ont  pris  rang  parmi  les  héros  de  la  science.  L'expédi- 
tion de  Nares  a  dissipé  les  doutes  ijui  planaient  encoi'e  sui" 
le  passage  du  Smilhsound:  si  Nares  eùldouhlé  lecapFarewell 
et  all,i(|ué  l'autre  côté  du  (Iroënland,  il  aui'ait  résolu  dans 
un  sens  iiositil"  le  problème  du  pôle  Nord.  Le  D'  Petermann 
examine  ensuite  les  six  rouies  par  lesquelles  on  peut  se  diriger 
vers  le  pôle  :  le  Smithsound.  le  détroit  de  Behring,  la  côte 
Est  de  la  Terre  Francois-.)oseph,  la  côte  Ouest  de  cette  même 
terre,  le  Nord  du  Spitzherg  dans  la  direction  de  l'expédition 
(h^  Parry,  enfin  la  côte  Est  du  Groenland.  Il  estime  que  celles 
du  Smithsound  et  du  détroit  de  Behring  ont  dit  leur  dernier 
mot,  el  expose  lei'ésultat  de  ses  longues  ohservations  sur  les 
quatre  roules  à  l'Est  et  à  l'Ouest  du  Spitzherg.  qui  lui  jiarais- 
sent  mériter  la  préférence. 

Le  D'  Petermann  se  leprésenle  les  contrées  ai-ctiques 
comme  formées  de  deux  parties  d'étendue  à  peu  pi'ès  égalo: 
l'une  s'étend  des  côtes  du  Groenland  oriental,  sous  le  20"  de 
longitude  0.  de  Greenwich,  sur  la  haie  de  Balfin.les  iles  Parry, 
la  pointe  Barrow,  le  détroit  de  Behring  et  le  cap  Yakan,  par 
le  17()°  de  longitude  Est;  l'autre  passe  de  là  >n\  loutr  la  côte 
sihérienne,  la  ïerr-e  de  François-Joseph,  el  le  Spitzherg  jus- 
(pi'au  Groenland.  Au  point  de  vue  topiipie,  physique,  thei- 
ni(tméli"i(|ue.  hydrographiipu'.  ces  deux  régions  sont  ahsolu- 
iiienl  dilîérenlcs  l'une  de  Taulrc.  ,\  l'occident  domine  la  leri-e 


l'IKiCKS-VKKBAUX.  8.*) 

ferme,  ii  l'<nieiil,l;i  mei;  ici  les  len-esenveloppeiil  les  eaux  ;iii 
poinl  (jne  celles-ci  ne  peuvent  se  délKirrasser  de  leurs  glaces, 
là  ail  contraire  se  trouve  une  large  issue  océanique  par  où, 
hiver  comme  été,  passent  les  nappes  congelées.  A  cet  égard, 
lu  mer  paléocrystique  présente  le  type  d'une  baiTière  solide, 
d'une  énorme  accumulation  glaciaire,  avec  la  pi-oduction  de 
(Void  qui  en  icsulte.  Des  ol»ser\ations  répétées  attribuent  à 
la  Polynia  df^^  Russes  une  longueur  d'environ  80°  de  longi- 
tude, ou  poin-  le  moins  1400  milles  marins.  Là  existe  une 
laruemerimverte,  toujours  retrouvée  à  la  même  place,  hiver 
comme  été. 

L'auteur  expose  ensuite  le  plan  des  expéditions  projetées 
par  la  Suède  et  la  Hollande,  puis  l'Idée  de  Weyprecht  d'éta- 
hlir  plusieurs  observatoires  dans  les  régions  arctiques,  et  pi'o- 
pose  comme  but  aux  futures  expéditions  la  résolution  de  la 
rjuestion  capitale  :  le  bassin  polaire  est-il  praticable,  et  le  pôle 
Nord  peut-il  être  atteint? 

Enfin,  il  fait  ressortir  l'Ignorance  où  l'on  est  encore  des 
grands  traits  physico-géographiques  de  notre  globe,  l'énoiine 
contraste  ijui  existe  entre  les  régions  situées  à  l'est  et  celles 
qui  sont  à  l'ouest  de  l'océan  Atlantique  du  Nord;  la  différence 
entre  l'Allemagne  et  les  iles  Britanniques  d'un  côté  et  le  La- 
brador de  l'autre,  entre  la  Scandinavie  et  la  Russie  à  l'est  et 
le  Groenland  à  l'ouest  sous  la  même  latitude,  dilïérence  qui 
se  poursuit  jusque  dans  la  région  arctifiue  centrale  :  témoin  la 
faune  trouvée  par  Payer  à  l'extrême  nord  de  son  excursion 
en  traîneau  vers  le  82°,o  en  mars  et  avril,  tandis  que  la  ré- 
gion où  hiverna  VAlert  n'offre  plus  trace  de  vie,  soit  végé- 
tale soit  animale. 

M.  le  Président  remercie  au  nom  de  toute  la  Société  3L 
Lecoultre  pour  son  excellente  traduction  d'un  document 
d'une  si  grande  valeur. 

M.  de  Morsier  a  entendu  la  lecture  de  M.  Lecoultre  avec 


8()  BULLETIN. 

beaucoup  (riulérêl.  Les  raisons  à  l'appui  de  l'idée  d'une  i>ro- 
longation  du  Groenland  vers  le  détroit  de  Behring  lui  parais- 
sent celles-ci  : 

Ce  continent  passant  par  le  p(Me  et  à  peu  ])rès  pai-  la  ligne 
méiidienne,  coupe  la  région  arctique  en  deu\  parties,  dont 
l'une,  le  bassin  occidental,  entre  l'Amérique  et  le  Groenland, 
est  étranglée  à  ses  deux  extrémités  par  les  détroits  de  Sniilli 
el  Ro])esoii,  et  pai'le  détroit  de  Behring,  d'où  résulte  une  ac- 
cumulation de  glaces  sans  issue  suifisante  pour  sa  décharge; 
et  l'autre,  le  bassin  oriental,  entre  l'Asie  et  le  Groenland,  a  un 
vaste  champ  où  peut  en  liberté  se  déployer  la  puissance  du 
Gulfstream  ou  de  tout  autre  courant  marin,  (lonime  jireuve 
de  ce  fait,  Petermann  cite  : 

1°  La  Polynia  des  Russes,  bien  plus  étendue  (ju'on  ne  la 
suppose; 

%°  Les  apports  d'eaux  chaudes  des  fleuves  sibériens  dans 
le  Ijassin  oriental,  d'où  résultent  des  maxima  et  des  minima 
d'hiver  bien  ditïérents  de  ceux  du  Itassin  ouest; 

'.Y  Peu  de  bois  llotté  dans  le  bassin  ouest,  et  ne  provenant 
pas  des  côtes  d'Asie  mais  de  celles  d'Amérique,  preuve  de 
non-correspondance  entre  les  deux  bassins; 

i"  Les  Esijuimaux  disparaissant  sur  la  côte  d'Amérique  au 
delà  du  81°  latitude  Nord,  ce  qui  tendrait  à  prouver  que  le 
cliejnin  pour  s'y  rendre  leur  sei-ait  fermé  i)ar  la  mer  paléo- 
crysti(|ue  du  bassin  ouest,  tandis  ijue  le  bassin  est  leur  offrait 
une  communication  facile  par  la  côte  est  du  Groenland,  d'où 
ils  arrivaient  Jusqu'aux  établissements  danois  du  ^\\(\  et  Jus- 
qu'au-dessous du  glacier  de  Humboldt. 

En  résumé,  et  malgré  la  déclaration  catégori(|ue  de  Peter- 
mann que  la  (|uestion  est  désormais  Jugée  et  la  voie  du 
Suiithsound  définitivement  condamnée,  malgré  son  ingénieuse 
hypothè.se.  dounaiil  :hi  ciiiiliuriil  on  airhipel  groënlandais  à 
peu  pi'ès  la  forme  d'un  inousiiin'ton.  coiifornialion  qui  sérail 


J'ROCÈS-VEIIBAUX.  87 

la  (.alise  de  celte  mer  paléotrvsli(|iie  iiiabuiilable  du  bassin 
ouest,  iM.  de  Morsier  ci'oit  qu'il  serait  intéressant,  si  le  projet 
américain  se  confirme,  de  voii-  une  nouvelle  expédition  abor- 
dei"  ces  parages  du  liassin  ouest,  via  Smitlisouiul.  en  profitant 
de  l'expérience  de  Nares  poui-  éviter  les  dangers  connus,  cl 
pour  pousser  plus  loin  les  découvertes  dans  les  eaux  mysté- 
rieuses de  cette  paléocrystie;  et  cela  d"aulaiil  plus.  (|ue  les 
Hollandais  et  les  Suédois  se  proposent  Tauti-t'  itinéraire,  rià 
Spitzbei-g  et  Polynia  du  bassin  est. 

M.  le  pi'otésseui'  Metchnikoiï  a  la  parole  pour  rontiiiiier 
son  exposition  du  développement  de  la  civilisation  japonaise; 
les  documents  plus  nombreux  que  l'on  possède  sur  la  péiiode 
qui  commence  avec  les  cliangemenls  introduits  par  Gonglien- 
Sama.  lui  permettent  de  présentei'  un  tableau  de  Toi-ganisa- 
tion  politique  et  sociale  du  pays,  plus  complet  que  pour  les 
périodes  antérieures. 

Il  rappeUe  les  trois  pouvoirs  existant  à  la  base  de  l'organi- 
sation politique  du  Japon  : 

1°  Le  pouvoir  impérial,  celui  du  souverain,  «lu  chef  su- 
prême. —  La  dénomination  d'empereui-  est-elle  bien  exacte  1 
La  langue  japonaise  n'a  que  deux  termes  poui'  exprimer  l'i- 
dée du  pouvoir  :  kimi  ([)rince).  et  soumera  ou  soubera  (qui 
commande  aux  princes).— .WAv/do  signifie  «  la  noble  porte." 
Toutes  les  autres  appellations  du  souverain  ont  été  emprun- 
tées à  la  Chine.  —  Quoi  qu'il  en  soit,  à  partir  du  Xll"^  siècle 
de  notre  ère,  ce  pouvoir  impérial  ne  jouit  plus  d'aucune  au- 
torité, et  est  exercé  nominalement  le  plus  souvent  par  des 
enfants  de  8  h  14  ans;  les  souverains  adultes  sont  fréquem- 
ment déposés  et  entrent  dans  les  ordres  bouddhjques.  Le 
pouvoir  était  de  fait  entre  les  mains  de  leurs  i-eprésentanls. 
les  siogoùns;  la  seule  fonction  qui  leur  était  toujours  restée, 
(î'est  d'accorder  les  titres  de  noblesse  ou  ceux  d'adoption. 


88  BULLETIN. 

Kiolo,  leur  capitale,  par  sa  situation  niêuie,  était  hors  (Tétat 
(le  jouer  un  rôle  prépondérant  dans  le  pays. 

2°  Le  siogoùnat,  institué  au  XlIP'  siècle  de  notre  ère,  et 
restauré  au  XVIl"""  siècle  par  Gon.i-lion-Sania,  dont  le  vrai  nom 
est  Tokougava  Yeyass.  Les  siogoùns  étaient  les  véritatiles 
chefs  du  gouvernement,  répondant,  assez  bien  aux  maires  du 
jialais  sous  les  rois  mérovingiens. 

3"  L'aristoci-atie  féodale,  la  noblesse,  représentée  par  un 
très-grand  nombre  de  princes,  daïiiiios,  n'ayant  entre  eux 
qu'un  lien  féodal,  indépendants  dans  leurs  pi-ovinces  les  uns 
vis-à-vis  des  autres,  et  même  bien  souvent  vis-à-vis  du  pou- 
voir central.  Toutefois  nne  loi  impériale,  édictée  pai'  le  fils  de 
Gonghen-Sama,  imposait  aux  daïmios  une  résidence  au  moins 
lemporaii-e,  pendant  la  moitié  de  l'année,  à  Yeddo,  la  capitale 
des  siogoùns;  «''était  là  un  moyen  assez  eiïicace  d'inllaence  et 
de  domination.  La  noblesse  au  Japon  comptait  deux  classes, 
deux  i-angs  :  les  daïmios,  l'aristocratie  féodale  proprement 
dite,  formée  des  anciennes  familles  princières  et  se  subdivi- 
sant en  diverses  catégories;  puis  les  nol)les  de  second  rang, 
la  petite  noblesse,  ciui  jouaient  le  rôle  de  satellites  des  princes 
de  première  noblesse,  se  groupant  autour  de  l'un  ou  de 
l'autre. 

Ces  trois  institutions  i-eprésentaient  le  pouvf)ii',  Tautonté. 
—  A  côté  d'elles  existait  encore  une  autre  classe,  qui  appai'- 
tenail  aussi  à  la  noblesse,  mais  (|ui  jouait  un  rôle  ordinaire- 
ment peu  important  dans  l'État,  aux  éi)0(pies  récentes  sur- 
tout :  celle  des  nobles  on  princes  appartenant  à  la  famille 
impériale,  mais  qui  n'étaient  point  seigneurs  féodaux  et  n'a- 
vaient pas  «le  possessions  ttîrritoriales;  ils  ont  même  occupé 
le  plus  souvent  une  position  assez  intime,  reinplissani  des  vo- 
cations peu  relevées;  les  uns  exerçaient  de  simples  métiers, 
comme  celui  de  tresser  des  i)ailles;  d'autres  prolitanl  de  l'in- 
struction (pi'ils  devaient  à  leur  position,  donnaient  des  lenuis. 


PROCÈS-VERBAUX.  89 

Au-dessous  des  nobles  venait  la  classe  des  samoûraïy  les 
guerriers,  ceux  qui  avaient  le  droit  de  porter  deux  sabres  (un 
sabre  et  un  poignard).  Les  savants,  les  médecins,  les  artistes, 
etc.,  étaient  généralement  rangés  dans  celte  classe.  Lorsque 
vint  à  prédominer  le  système  qui  existe  actuellement,  les  sa- 
mouraï se  partagèrent  en  deux  classes,  ceux  qui  étaient  no- 
bles et  ceux  qui  ne  l'étaient  pas. 

Après  eux  venaient  les  Jiiakusio,  les  paysans.  Mais  ceux-ci 
étaient-ils  propriétaires  du  sol?  Dans  la  règle,  non,  puisque  la 
terre  appartenait  aux  seigneurs  féodaux^  aux  daïmios;  ils 
avaient  sur  le  sol  certains  droits,  ceux  que  donne  un  long 
établissement,  mais  ils  payaient  une  redevance  aux  seigneurs, 
laquelle  variait  entre  le  tiers  et  le  dixième  des  produits.  Cette 
redevance  se  confondait  avec  l'impôt.  Le  système  à  demi- 
produit,  c'est-à-dire  le  métayage,  était  aussi,  mais  rarement, 
en  usage  au  Japon.  Les  samouraï  recevaient  généralement 
une  redevance  variable  et  temporaire,  ordinairement  en  me- 
sures de  riz  ou  kok.  Aussi,  n'ayant  rien  d'assuré,  un  grand 
nombre  d'entre  eux  se  faisaient  brigands  et  devenaient  la 
terreur  du  pays. 

Les  paysans  ont  eu  pendant  longtemps,  jusqu'à  l'époque 
actuelle,  la  faculté  de  s'établir  dans  les  parties  peu  peuplées 
au  nord  de  l'île  de  Nippon,  où  le  gouvernement  leur  octroyait 
des  concessions  de  terrains.  Mais  maintenant  cela  n'a  plus 
lieu;  les  terres  ont  toutes  des  propriétaires. 

De  cette  possession  est  résultée  la  formation  d'une  classe 
de  paysans  riches,  plus  riches  même  quelquefois  que  leurs 
seigneurs  féodaux;  quelques-uns  d'entre  eux  avaient  même 
le  droit  de  porter  le  sabre.  Après  les  paysans  venaient  les 
ko,  les  artisans,  ouvriers,  etc.,  qui  jouaient  ordinairement, 
vis-à-vis  des  premiers,  le  même  rôle  que  les  petis  nobles  vis- 
à-vis  des  grands  seigneurs,  mais  se  mettaient  aussi  directe- 
ment au  service  de  ceux-ci;  les  métiers  impurs,  infamants, 

BULLETIN,  T.    SVI,    1877.  7 


90  BULLETIN. 

ceux  qui  obligeaient  à  manipuler  les  sang,  faisaient  seuls 
exception  à  cet  égard.  Ces  ouvriers  changeaient  parfois  de 
maîtres,  engageant  leurs  services  à  l'un  et  à  l'autre. 

Cet  état  de  sujétion  de  la  fabrication  explique  l'extrême 
bon  marché  de  certains  produits  du  pays. 

La  dernière  classe  de  la  société  japonaise  était  formée  par 
les  marchands  et  les  industriels.  Ceux-ci  étaient  l'objet  du 
mépris  des  autres  habitants,  mépris  dû  à  la  réputation  de 
mensonge  attachée  à  leur  métier;  aussi  le  nombre  des  repré- 
sentants de  cette  classe  était-il  restreint.  Cela  tenait  du  reste 
aussi  à  une  autre  cause  :  le  commerce  à  l'intérieur  du  pays 
se  réduisait  à  peu  de  chose,  les  seigneurs  échangeaient  entre 
eux,  directement  et  sans  intermédiaire,  les  produits  qu'ils  ti- 
raient des  redevances,  et  le  commerce  avec  l'extérieur  était 
tout  aux  mains  des  étrangers,  des  Hollandais.  Tout  d'abord  le 
commerce  se  bornait  presque  uniquement  pour  cette  classe 
des  marchands,  à  servir  d'intermédiaires,  de  prêteurs  à  la 
petite  semaine  aux  paysans  pour  leurs  transactions. 

En  dehors  de  ces  classes  on  trouvait  encore  la  classe  des 
hi-nin  (ce  qui  signifie  pas  hommes),  des  parias,  dans  laquelle 
rentraient  ceux  qui  exerçaient  des  métiers  impurs,  les  pros- 
tituées, les  mendiants,  etc.  Ceux  qui  appartenaient  à  cette 
classe  étaient  souvent  respectés  à  l'égal  des  ressortissants  des 
autres  classes,  mais  avec  cette  dilTérence  :  point  d'alliance 
matrimoniale  entre  eux  et  les  autres  classes,  tandis  que  cela 
avait  heu  pour  les  autres  classes  entre  elles. 

Un  autre  rouage  de  l'organisation  de  l'État,  qui  assistait 
les  empereurs  d'abord,  puis  les  siogoùns,  c'était  le  conseil  des 
nobles,  gorosio,  corps  assez  analogue  à  un  Sénat  ou  à  un 
Conseil  d'État  tel  qu'il  existe  en  France.  Ces  fonctions  étaient 
électives,  et  non  héréditaires.  Depuis  le  XVIl"''  siècle,  époque 
delà  restauration  du  siogoùnat,  le  Japon  a  joui  d'une  certaine 
tranquillité  relative,  non  par  le  fait  de  l'excellence  de  son 


PROCÈS-VERBAUX.  91 

gouvernement,  mais  pai'ce  que  le  pays  élait  las  des  commo- 
tions et  des  dissensions  intérieures,  dont  les  Japonais,  ayant 
goûté  les  bienfaits  delà  paix,  faisaient  tout  pour  éviter  le  re- 
tour. Alors  le  pouvoir,  comme  cela  arrive  à  tout  pouvoir, 
tomba  en  décadence;  ce  fui  d'abord  le  pouvoir  impérial,  puis 
vint  le  tour  du  siogoùnat;  l'autorité  réelle  n'était  plus  dans 
les  mains  du  titulaire,  mais  dans  celles  de  ses  représentants. 
C'est  du  reste  le  propre  de  l'organisation  politique  au  Japon, 
que  l'existence  des  remplaçants  en  autorité,  des  aides  poui- 
l'exercice  de  celle-ci;  ainsi  à  côté  de  chaque  ministre,  il  y  a 
toujours  le  vice-ministre,  qui  est  le  véritable  administrateur, 
pendant  que  le  ministre  n'est  lui-même  que  titulaire. 

Depuis  1840,  les  ti'oubles  et  les  dissensions  entre  les  prin- 
ces n'ont  fait  que  recommencer  et  fleui'ir  de  plus  belle;  toute 
l'organisation  politique  a  été  disloquée,  le  pouvoir  siogoùnal 
annulé;  les  princes  du  sud-ouest  se  sont  ligués  en  opposition 
et  souvent  en  lutte  armée  contre  ceux  du  nord.  Alors  se  pro- 
duit un  changement  important  dans  l'état  social  du  pays;  le 
mouvement  inauguré  au  commencement  du  siècle,  de  litté- 
raire et  intellectuel  qu'il  était  d'abord,  s'accentue  toujours 
davantage  et  devient  général,  revêtant  un  caractère  qu'on 
pourrait  appeler  démocratique,  pour  autant  que  ce  terme  est 
applicable  en  Orient.  En  I8o4,  à  l'arrivée  de  la  flotte  améri- 
caine et  sous  son  influence,  le  changement  est  complet.  Ceci 
caractérise  le  commencement  d'une  nouvelle  période  à  trai- 
ter à  part  dans  l'histoire  du  développement  de  ce  pays,  et 
que  M.  Metchnikoff  se  propose  d'aborder  devant  la  Société 
dans  une  prochaine  occasion. 

M.  le  Président,  après  avoir  remercié  M.  MetchnikofT  de 
cette  communication,  attire  l'attention  sur  ce  fait  général  de 
la  dilTéi'ence  qu'on  peut  observer,  suivant  les  temps  et  les 
pays,  dans  la  considération  plus  ou  moins  grande  dont  jouit 
le  commerce.  Gela  tiendrait-il  à  un  développement  commer- 


92  BULLETIN. 

cial  plus  ou  moins  important,  surtout  au  point  de  vue 
maritime?  —  M.  Metclinikoff,  sans  contester  l'influence  de 
ce  facteur,  pense  que  cela  dépend  plutôt  de  l'importance  du 
commerce  intérieur.  Dans  les  pays  qui  se  suffisent  par  leurs 
produits  intérieurs,  il  n'y  a  pas  place,  en  général,  pour  le 
commerce  proprement  dit;  il  y  est  restreint  et  partant  peu 
considéré. 

M.  le  Président  demande  s'il  a  existé  aux  époques  anté- 
rieures une  marine  japonaise? 

M.  MetchnikotT  répond  qu'elle  n'existe  que  depuis  quelques 
années.  Autrefois  la  navigation  japonaise  se  réduisait  à  quel- 
ques expéditions  de  piraterie,  ou  tout  au  plus  à  des  descentes 
en  Corée,  à  Formose  ou  autres  îles  voisines.  Les  Japonais  sont 
les  plus  mauvais  marins  du  monde;  ils  ne  s'éloignent  pas  vo- 
lontiers des  côtes,  qu'ils  serrent  de  manière  à  pouvoir  y  faire 
de  fréquentes  relâches.  Cette  infériorité  tient  en  partie  à  la 
sévère  réglementation  de  la  navigation  par  l'autorité  ;  il  en 
est  résulté  qu'on  naviguait  peu,  et  qu'on  a  fini  par  perdre 
l'habitude  de  la  mer.  Maintenant  c'est  différent;  on  est  en 
train  de  créer  une  marine  qui  a  certainement  de  l'avenir,  et 
qui  accaparera  nécessairement  le  coi^erce  du  Pacifique, 
jusqu'ici  dans  les  mains  surtout  des  Allemands. 


Séance  du  27  avril  1877. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Après  l'adoption  du  procès-verbal,  M.  le  Président  donne 
connaissance  à  la  Société  des  opérations  de  l'assemblée  du 
mardi  24,  dans  laquelle  a  été  constitué  le  Comité  national 
suisse,  qui  a  élaboré  ses  statuts  et  nommé  son  Bureau.  —  M. 
de  Beaumont  a  été  élu  à  la  présidence;  quatre  vice-présidents 


PROCÈS-VERBAUX.  93 

ont  été  clioisis  dans  les  cantons  de  Bàle,  Zurich,  Berne  et 
Neuchàtel,  savoir,  MM.  Ad.  Clirist,  Mousson,  Th.  Sluder  et 
Al.  de  Dardel.  M.  Eug.  Delessert,  professeur  à  Lausanne,  a  été 
chargé  du  secrétariat  général.  MM.  G.  Moynier  et  Ed.  Desor 
ï'eprésenteiont  la  Suisse  auprès  de  la  Commission  internatio- 
nale à  Biuxelles. 

Il  est  fait  rapport  que*  le  Règlement  de  la  Société  a  dû  élre 
revu  par  le  Bureau;  M.  Em.  Naville  a  apporté  beaucoup  de 
soin  à  la  rédaction  d'un  projet,  dont  la  Société  renvoie  l'exa- 
men à  son  Conseil  (Bureau  et  Commissions). 

M.  le  Président  présente  comme  membre  effectif  M.Dubois, 
ancien  pasteur,  qui  est  admis  à  l'unanimité. 

La  parole  est  ensuite  donnée  à  M.  le  professeur  Ghaix,  qui 
présente  d'abord  à  la  Société  un  croquis  de  carte  dressé  d'a- 
près les  données  recueillies  par  Mac  Gregor  dans  son  explo- 
ration du  Jourdain  au  moyen  de  sa  pirogue,  le  Rob  Roy,  do- 
cuments qui  semblent  devoir  faire  une  révolution  dans  la 
géographie  des  sources  du  Jourdain. 

Après  cela,  M.  Chaix  aborde  sa  communication  sur  les  ré- 
centes explorations  de  Stanley,  Price  et  Youngen  Afrique. 

Il  y  a  quelques  années,  au  dire  de  sir  Samuel  Baker,  la 
vue  d'une  carte  de  l'Afrique  méridionale  réjouissait  les  élèves 
paresseux;  mais  dès  lors,  chaque  jour  nous  apporte  la  con- 
naissance de  nouveaux  progrès,  convergeant  tous  vers  l'Afri- 
que centrale.  M.  Chaix  se  propose  de  résumer  ces  découvertes 
en  s'attachant  à  trois  points  principaux:  le  Tanganyika,  la 
route  de  la  côte  orientale  à  Ujiji,  et  le  lac  Nyassa. 

Le  Tanganyika  a  été  découvert  en  1858  par  Burton  et 
Speke,  qui  étudièrent  une  partie  de  son  pourtour.  Les  pi'e- 
mières  explorations  ont  été  faites  par  Livingstoneseul  (1869- 
71);  les  suivantes,  par  Livingstone  et  Stanley  (1871), puis  par 
Stanley  seul,  et  enfin,  par  Cameron  (1874).  Le  voyage  de  ce 
dernier  a  eu  pour  résultat  une  correction  géographique  im- 


94  BULLETIN. 

portante:  On  avait  cru  ce  lac  parallèle  au  méridien  ;  après 
Caraeron,  la  direction  en  a  été  déterminée  du  N.-N.-O.  au 
S.-S-E.,  direction  qui  introduit  plus  de  variété,  et  qui  relève 
la  valeur  de  celte  nappe  d'eau  au  point  de  vue  commercial 
en  rallongeant.  Mais  avait-il  un  émissaire,  des  affluents?  rece- 
vait-il des  eaux?  en  émettait-il?  —  questions  sans  réponse. 

En  1874,  Cameron  écrivait  qu'en  suivant  la  côte,  à  24 
milles  au  sud  de  Casonge,  il  avait  découvert,  le  3  mai,  an 
émissaire,  la  Loukouga,  dont  il  avait  suivi  le  courant  sur  une 
longueur  de  4  à  5  milles,  après  lesquels  il  avait  été  arrêté  par 
une  végétation  d'herbes  et  de  roseaux.  Stanley  met  en  ques- 
tion cette  existence  d'un  émissaire.  Il  s'est  transporté  à  l'em- 
bouchure de  la  Loukouga,  dont  il  a  constaté  la  largeur  (450 
mètres)  et  la  profondeur  (9  à  10  mètres).  L'eau  était  animée 
d'un  mouvement  qu'il  s'agissait  de  déterminer.  Stanley  a  eu 
la  bonne  fortune  de  retrouver  Para,  le  chef  d'un  district  voi- 
sin, (|ui  avait  reçu  Cameron,  ce  qui  a  facilité  les  rectifications 
de  son  successeur.  Ce  chef  accompagna  Stanley  jus([u'au  vil- 
lage de  Loumba,  où  ceiui-ci  laissa  les  hommes  inutiles;  avec 
un  canot,  il  parvint  à  un  point  où  sa  navigation  se  trouva  ar- 
rêtée. 

Au  bout  de  cinq  ans,  écoulés  entre  ses  deux  visites,  Stanley 
fut  surpris  des  changements  qu'il  constata:  les  eaux  s'étaient 
élevées,  des  bancs  de  sat)le  étaient  couverts  île  3  à  4  pieds 
d'eau,  à  l'entrée  de  la  Loukouga  se  trouvaient  des  brisants, 
des  péninsules  étaient  devenues  des  îles,  des  îles  avaient  dis- 
paru, des  côtes  formaient  des  promontoires,  etc. 

Il  recueillit  alors  les  témoignages  des  guides,  dont  une  par- 
tie avaient  accompagné  Cameron. 

Des  Arabes  qui  avaient  traversé  la  Loukouga  lui  dirent 
qu'elle  coulait  dans  le  lac.  Un  indigène  lui  affirma  qu'il  y  avait 
deux  Loukouga,  l'une  sortant  du  lac,  l'autre  y  versant  ses 
eaux,  et  qu'elles  étaient  séparées  par  une  bande  de  terre.  Un 


PROCÈS-VERBAUX.  95 

de  ses  guides,  Ruango,  lui  atfirma  qu'une  petite  rivière  en- 
trait dans  le  Tanganyika  ;  mais,  lui  dit-il,  vous  n'en  trouve- 
rez point  qui  en  sorte.— Les  témoignages  se  contredisaient: 
Para  soutint  que  Cameron  ne  pouvait  avoir  vu  une  Lou- 
kouga  sortir  du  lac  et  couler  vers  la  Roua.  Un  autre  indigène 
de  Tembwé  déclara  que  l'année  précédente,  il  y  avait  encore 
deux  Loukouga,  l'une  coulant  vers  le  Tanganyika,  l'autre, 
vers  la  Roua,  mais  que  les  pluies  abondantes  les  avaient  fait 
disparaître,  et  qu'aujourd'hui  il  n'y  en  avait  plus  qu'une, 
coulant  vei's  l'ouest.  Un  chef,  Hawé  Nyanzé,  lui  dit  qu'il  lui 
montrerait  une  rivière  coulant  vers  le  Tanganyika  et  une 
autre  vers  la  Roua  ;  un  de  ses  sous-chefs  déclara  qu'il  y  avait 
précédemment  deux  Loukouga,  l'une  se  déversant  dans  le 
lac,  l'autre  coulant  dans  la  direction  de  la  Roua;  mais  dans 
les  deux  dernièi-es  années,  ajouta-t-il,  les  pluies  ont  tellement 
grossi  le  Tanganyika,  que  le  lac  a  avalé  la  Loukouga  qui  s'y 
jetait,  et  a  rejoint  l'autre  Loukouga  qui  coulait  vers  la  Roua  ; 
cependant  cette  réunion  n'était  pas  constante,  et  ne  durait 
que  pendant  les  heures  de  la  mousson  du  Sud-est  (manda), 
chaque  après  midi;  une  fois  le  vent  calmé,  la  rivière  retour- 
nait au  lac  comme  d'habitude. 

Tous  ces  rapports  paraissent  indiquer  deux  rivières  sépa- 
rées, mais  en  voie  de  se  réunir  par  le  fait  de  l'abondance 
présente  des  eaux.  Il  restera  à  savoir  si  celte  abondance  est 
accidentelle  ou  permanente. 

Stanley,  dans  son  essai  de  navigation,  a  été  arrêté  par  des 
papyrus;  à  ce  point  il  a  cherché  à  discerner  s'il  y  avait  un 
courant;  il  y  a  passé  quatre  jours,  faisant,  pendant  des  heu- 
res, des  expériences  dans  ce  but.  Quand  le  vent  soufflait  du 
S.-E.  il  y  avait  un  courant  vers  le  N.-O.;  mais  quand  le  vent 
changeait  le  courant  changeait  aussi,  et  l'eau  coulait  de  nou- 
veau vers  le  Tanganyika.  Les  hautes  herbes  qu'il  a  examinées 
étaient  poussées  et  courbées  par  un  courant  qui  les  couchait 


96  BULLETIN. 

vers  le  S.-E.,  ce  qui  indiquait  un  tributaire  et  non  un  émis- 
saire. 

Il  a  reconnu  le  courant  d'une  rivière  venant  du  N.-E.,  la 
Kibamiba,  qui  arrive  sur  un  point  du  cours  de  la  Loukouga 
où  il  y  a  une  vase  très-épaisse.  La  température  de  l'eau  était 
de  7°  plus  froide  que  celle  du  lac;  donc  la  Loukouga  venait 
de  l'extérieur.  Au  delà  des  monts  Kiyandja,  la  Loukouga 
porte  le  nom  de  Louindi,  et  se  jette  dans  le  Kamolondo,  af- 
fluent du  Loualaba.  Il  y  aurait  là  une  confirmation  du  dire 
des  indigènes  qu'il  y  a  deux  Loukouga,  l'une  qui  se  déverse 
dans  le  lac,  l'autre  qui  s'en  éloigne.  Stanley  ne  veut  pas  met- 
tre en  question  le  mérite  qui  revient  à  Cameron  d'avoir  dé- 
couvert un  émissaire,  si  la  Loukouga  en  est  réellement  un. 

M.  le  professeur  Chaix  expose  comment  elle  peut  devenir 
un  émissaire,  d'ici  à  trois  ou  quatre  ans,  par  suite  de  l'éléva- 
tion des  eaux.  Il  y  a  communication  temporaire  entre  les 
deux  rivières.  En  s'élevant,  le  lac  renversera  la  direction  de 
la  Loukouga,  qui  deviendra  son  émissaire  régulier.  Les  phé- 
nomènes volcaniques  jouent  un  grand  rôle  dans  cette  région. 
Voyageant  dans  un  bateau,  Stanley  n'a  pas  pu  faire  beaucoup 
d'observations  géologiques;  mais  sur  deux  ou  trois  points,  il 
a  remarqué  la  présence  de  montagnes  d'aspect  tout  volcani- 
que. Dans  un  intervalle  de  dix-huit  mois,  une  montagne  avait 
été  renversée  vers  le  N.-E.  du  lac,  et  avait  englouti  quelques 
villages;  Stanley  a  vu  flotter  de  l'asphalte  dans  le  voisinage 
d'Ujiji.  Le  bassin  du  lac  paraîtrait  être  le  résultat  d'un  affais- 
sement. 

Une  carte  remarquablement  bien  faite,  dressée  par  Al.  le 
professeur  Chaix,  permettait  de  suivre  avec  la  plus  grande 
facilité  les  détails  de  cet  exposé. 

M.  Cliaix  passe  ensuite  à  l'itinéraire  de  la  cùte  orientale  de 
rAfriijue  au  Tanganyika,  suivi  par  Eurton,  Speke  et  Cameron. 
11  signale  tous  les  ennuis  que  les  voyageurs  éprouvent  pen- 


PROCÈS-VERBAUX.  97 

dant  la  marche  de  la  part  des  porteurs  qui  ne  cherchent  qu'à 
frauder  et  à  voler.sont  inconstants,  menteurs,  faihles  de  corps, 
facilement  malades,  et  meurent  en  très-grand  nombre.  La 
mouche  venimeuse,  le  tzétzé,  interdit  sur  celte  roule  l'usage 
des  chariots  à  bœufs.  Les  dépenses  de  Stanley,  de  Zanzibar 
à  Ujiji  (020  milles,  et  avec  les  détours  700  milles),  se  sont  éle- 
vées à  25,000  francs. 

Les  Directeurs  de  la  Société  des  missions  de  Londres,  espé- 
rant qu'on  pourrait  trouver  une  loute  salubre,  praticable 
pour  des  chariots  comme  ceux  des  colons  du  Cap,  se  sont 
adressés  au  Rév.  Roger  Price,  missionnaii-e,  et  l'ont  prié  d'en 
faire  la  recherche. 

Price  s'est  transporté  à  Zanzibar  (le  2  mai  1876),  et  au  lieu 
de  prendre  Bagamoyo  pour  point  de  départ,  il  est  allé  au  vil- 
lage de  Sadani  où  il  a  trouvé  un  chef  bienveillant^  porté  à 
favoriser  une  roule  aboutissant  à  son  village.  Le  tzélzé  ne 
s'y  rencontre  pas.  —  De  Sadani  à  l'intérieur,  la  distance  se- 
rait de  700  milles,  qui  peuvent  se  diviser  en  trois  portions 
égales,  de  trois  degrés  de  longitude  chacune.  La  seconde  et 
la  troisième,  qui  font  partie  de  l'ancien  tracé,  courant  sur  le 
plateau  central,  il  y  règne  une  chaleur  modérée;  cette  région 
est  salubre  ;  les  montagnes,  couvertes  d'un  beau  gazon,  sont 
disposées  par  petits  groupes  qui  n'arrêtent  pas  le  voyageur. 
Ces  deux  tiers  de  la  route  seraient  faciles  en  wagon,  une  fois 
,  qu'on  serait  arrivé  là. 

Quant  au  tiers  qui  s'étend  entre  le  plateau  et  la  mer,  il  est 
beaucoup  plus  salubre  que  la  partie  correspondante  du  che- 
min par  Bagamoyo,  empoisonné  par  la  malpropreté  et  la 
vermine  des  nègres. 

Price,  ayant  vu  arriver  à  Sadani  une  caravane  apportant 
de  l'ivoire,  retourna  à  Zanzibar  pour  se  procurer  bœufs  et 
wagon.  L'acquisition  des  bœufs  ne  lui  fut  pas  d'abord  facile  ; 
le  boucher  auquel  il  s'adressa  ayant  soupçonné  un  concur- 


98  BULLETIN. 

rent  dans  la  personne  de  l'ecclésiastique  qui  lui  demandait 
des  bœufs  vivants,  insistait  pour  lui  vendre  plutôt  des  mou- 
tons; —  à  la  fln,  Priée  réussit  à  se  procurer  quatre  bœufs, 
auxquels  il  fut  très-difïicile  d'apprendre  à  cheminer  ensemble 
sous  le  joug.  Ses  efforts  furent  enfin  couronnés  de  succès;  ses 
bœufs  domptés  et  attelés  à  une  charrette,  il  partit  du  village 
de  Ndumi,  et  à  2  lieues  de  la  mer,  il  se  trouvait  déjà  dans  la 
montagne;  de  là,  en  26  jours,  comptant  19  stations,  il  fran- 
chit 200  milles.  Il  rencontra  sur  toute  sa  route  des  indigènes 
bons,  bien  disposés,  d'un  commerce  facile.  Le  pays  lui  parut 
fertile;  le  plateau  est  ondulé,  bien  arrosé;  les  rivières  coulent 
vers  le  sud.  C'est  à  peine  si,  par  cette  voie,  il  y  aurait  7  lieues 
de  chemin  difficile.  La  description  que  Price  fait  de  ce  plateau 
est  ravissante;  les  champs  de  maïs  y  abondent,  les  villages  y 
sont  nombreux,  à  une  portée  de  fusil  les  uns  des  autres. 

Le  succès  de  Price  promet  une  révolution  complète  pour 
les  voyages  dans  l'intérieur  de  l'Afrique.  La  Société  des  mis- 
sions de  Londres  a  mis  la  main  à  l'œuvre;  cinq  ou  six  Anglais 
vont  se  rendre  sur  les  lieux;  ils  doivent  se  munir  de  deux 
wagons  et  de  huit  cliariots,  avec  attelages  de  douze  bœufs 
pour  les  wagons  et  de  six  bœufs  pour  les  chariots,  plus  une 
réserve,  le  tout  pris  à  Natal.  Pour  bouviers  ils  prendront  des 
Cafres,  gens  très-experts  en  ces  afi"aires;  ils  se  pourvoiront 
de  provisions  pour  deux  ans,  de  remèdes  pour  infirmei-ies, 
de  matériel  pour  écoles,  de  semences,  etc. 

Au  mois  de  juin  ils  seront  à  Zanzibar,  et  en  partiront  en 
juillet.  On  peut  voir  dans  ce  projet  l'auroie  d'une  période 
ncmvelle  pour  Texploralion  du  continent  africain. 

L'heure  étant  avancée,  M.  le  professeur  Chaix  réserve 
pour  une  autre  séance  ce  qu'il  se  propose  de  dire  sur  le  lac 
Nyassa. 

M.  le  Président  présente  à  M.  Chaix  les  sincères  remercie- 


procès-verIaux.  99 

ments  de  la  Société  pour  celte  communication  si  importante 
par  la  nouveauté  du  sujet  et  si  bien  travaillée  et  exposée. 

M.  le  professeur  de  Laharpe  rappelle  une  légende  indigène 
selon  laquelle  le  Tanganvika  devrait  son  existence  au  débor- 
dement subit  d'une  ancienne  source^  et  qui  pourrait  bien 
renfermer  un  témoignage  défiguré  relatif  à  une  origine  vol- 
canique de  ce  lac. 

M.  de  Saussure  a  été  très-frappé  de  la  mention  de  l'alter- 
nance dans  le  mouvement  des  eaux.  Pour  que  la  Loukouga 
fût  à  la  fois  tributaire  et  émissaire,  il  faudrait  que  le  lac  arri- 
vât à  franchir  le  point  supérieur  du  plateau  de  manière  à 
permettre  aux  eaux  de  se  déverser  sur  l'autre  pente.  Les 
explorations  ont-elles  été  poussées  assez  loin  pour  bien  con- 
stater le  phénomène  ? 

M.  le  professeur  Chaix  répond  que  Stanley  a  prévu  l'ob- 
jection, et  qu'il  l'a  levée.  Pour  le  moment  la  seule  eau  qui 
sorte  est  celle  de  la  rivière  qui  vient  du  nord  et  qui  va  vers 
l'ouest. 

M.  le  Président  et  M.  de  Saussure  soumettent  encore  à  M. 
Chaix  quelques  observations  sur  les  apports  de  la  rivière,  et 
sur  la  difficulté  des  vents  à  faire  avancer  les  eaux  et  à  les 
élever  suffisamment  pour  déterminer  un  courant. 

M.  de  Traz  demande  à  xM.  Chaix  des  renseignements  sur 
Tétat  actuel  de  la  mission  Livingstonia  et  sur  le  lac  Nyassa. 

A  ce  propos,  M.  Chaix  fait  ressortir  l'importance,  quant  à 
la  suppression  de  la  traite,  du  rapprochement  du  Tanganvika 
et  du  Nyassa,  prolongés  l'un  au  sud,  l'autre  au  nord,  de  ma- 
nière que  la  traite  se  trouvera  resserrée  dans  un  passage 
foi't  étroit. 

M.  Aloïs  Humbert  s'informe  des  marchés  sur  lesquels  sont 
conduits  les  esclaves. 

M.  de  Laharpe  signale  surtout  celui  de  Khartoum  et  celui 
de  Kouka,  chef-lieu  du  Bornou. 


100  BULLETIN. 

M.  Chaix  estime  que  le  grand  moyen  de  faire  tomber  ce 
trafic,  ce  serait  de  trouver  pour  les  trafiquants  des  matières 
premières  dont  l'échange  leur  offrît  des  avantages  supérieurs 
à  ceux  de  la  traite. 

M.  Faure  lit  quelques  lignes  du  journal  V Exploration,  an- 
nonçant que  le  Comité  exécutif  pour  l'œuvre  africaine  se 
propose  de  faire  partir  l'année  prochaine  deux  troupes  de 
1500  hommes  chacune  (moitié  de  nègres,  comme  porteurs), 
Tune  de  Zanzibar,  l'autre  de  Loanda;  elles  se  rencontreraient 
au  bout  de  trois  ou  quatre  mois  de  marche  sur  le  plateau 
central. 

M.  le  professeur  Chaix  ajoute  encore  quelques  mots  sur  le 
capitaine  Bui'ton  et  sur  ses  voyages  au  Maroc,  à  la  Mecque, 
à  Berbéra,  au  Tanganyika,au  lac  Salé,  à  Fernando  Po.  Il  re- 
vient actuellement  de  Moïlach,sur  la  mer  Rouge,  après  avoir 
découvert  d'anciennes  exploitations  de  mines  d'or  et  d'argent, 
des  hiéroglyphes,  des  ruines  de  villes  avec  murailles,  etc. 

M.  le  Président  fait  encore  part  d'un  don  envoyé  à  la  So- 
ciété par  M.  le  D'"  F.-A.  Forel  :  l'ensemble  de  ses  travaux  sur 
les  seiches  et  la  faune  du  Léman. 


Séance  du  11  mai  1877. 

Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Après  avoi!'  donné  un  rapide  exposé  des  travaux  du 
Bureau  depuis  la  dernière  séance  de  la  Société,  M.  le  Pré- 
sident rend  l'assemblée  attentive  aux  circulaires  et  aux 
communications  intéressantes  de  la  Société  des  Voyages 
d'Études  autour  du  monde.  Il  se  fait  un  plaisir  de  faire  con- 
naître les  membres  distingués  dans  la  science,  dans  l'admi- 
nistration, dans  la  fmance  qui  sont  à  la  léte  de  cette  belle 
entreprise  et  de  la  faveur  que  celte  précieuse  direction  a 
bien  voulu  faire  à  la  Société  de  géographie  de  Genève  en  la 


PROCÈS-VERHaUX.  101 

nommant  correspondante,  ce  dont  il  se  trouve  particulière- 
ment honoré  comme  président. 

M.  de  Beaumont  fait  circuler  parmi  les  membres  les 
livrets  envoyés  par  la  Société,  qui  fournissent  tous  les  détails 
et  renseignements  sur  cette  navigation  autour  du  monde  en 
300  jours,  donnant  les  conditions  de  temps  et  d'argent  pour 
les  voyageurs,  les  arrêts  dans  les  stations  les  plus  importantes 
de  ce  long  parcours,  la  disposition  et  l'ameublement  du 
navire  pourvu  de  tous  les  objets  et  instruments  nécessaires 
ou  utiles  pour  toutes  les  observations  désirées  par  les 
voyageurs  scientifiques,  des  professeui-s  et  des  marins  étant 
là  afin  de  donner  la  plus  grande  facilité  pour  la  pratique  de 
ces  observations. 

M.  de  Beaumont  invite  les  membres  présents  à  emporter 
les  livrets  mis  si  généreusement  à  leur  disposition,  à  les 
faire  connaître,  et  à  informer  ceux  de  leurs  amis  qui  y  pren- 
draient de  l'intérêt  qu'ils  trouveront  sur  le  bureau  de  la 
Société  de  Géographie,  à  leur  disposition,  tous  les  docu- 
ments qu'ils  peuvent  désirer. 

M.  de  Traz,  secrétaire,  communique  le  résumé  d'un  rap- 
port de  M.  W.  Huber,  membre  correspondant  de  la  Société, 
et  l'un  des  secrétaires  de  la  Société  de  géographie  de  Paris, 
présenté  à  son  assemblée  générale. 

C'est  dans  cette  séance  que  se  distribuent  chaque  année, 
s'il  y  a  lieu,  les  prix  que  décerne  cette  Société  aux  hommes 
qui  sont  jugés  avoir,  par  les  résultats  importants  de  leurs 
voyages  ou  par  leurs  travaux,  le  plus  contribué  aux  progrès 
des  connaissances  humaines  en  général.  Une  commission 
composée  de  MM.  Malte-Brun,  Vivien  de  S*-Martin,  Eugène 
Cortambert,  Henri  Duveyrier  et  du  Rapporteur,  a  été  char- 
gée d'examiner  les  titres  des  candidats,  et  sur  ses  propositions 
la  Société  a  décerné  : 

1°  La  grande  médaille  d'or  à  M.  le  commandant  Verney 


102  BULLETIN. 

Lovett  Cameron,  pour  son  hardi  voyage  à  travers  le  continent 
africain  et  les  découverles  précieuses  qui  s'y  rattachenl. 

2°  Une  seconde  médaille  d'or  à  M.  le  capitaine  Rondaire, 
pour  ses  recherches  dans  la  l'égion  des  Chotls  algériens,  en 
vue  de  la  création  d'une  mer  intérieure,  sujet  sur  lequel  no- 
ire Société  a  entendu,  le  printemps  dernier^  une  intéressante 
communication  de  IM.  le  professeur  Chaix. 

3°  Une  médaille  d'argent  à  MM.  de  Folin  et  Léon  Périer, 
poui'  la  publication,  sous  le  titre  Les  fonds  de  la  mer,  d'une 
remarquable  collection  de  documents  et  d'observations  con- 
cernant l'étude  du  monde  sous-marin,  aux  divers  points  de 
vue  topographique,  géologique,  botanique  et  géologique, 
c'est-à-dire  au  point  de  vue  de  l'histoire  naturelle  générale 
des  régions  océaniques,  si  peu  connues  jusqu'à  ces  dernières 
années.  La  Société  de  géogr  ]m  de  Paris,  qui  se  dispose  à 
publier  un  programme  d'instructions  aux  navigateurs  pour 
l'étude  de  la  géographie  physique  de  la  mer,  a  pensé  tendre 
au  même  but  en  décernant  cette ''écompense  à  ces  deux  mes- 
sieurs, pour  leurs  savantes  recliwthes,  leurs  travaux  et  leurs 
efforts  pour  rassembler  ces  documents,  et  encourager  ainsi 
la  cultui-e  de  cette  branche  nouvelle  de  la  science  :  la  géo- 
graphie sous-marine. 

4°  Le  prix  trisannuel  fondé  par  M.  de  la  Roquette  pour  la 
découverte  ou  l'ouvrage  le  plus  important  dans  le  domaine 
de  l'extension  des  connaissances  géographiques  relatives  au 
Pôle  Nord,  à  M.  Gabriel  Gravier,  poui-  sa  publication  intitu- 
lée :  Découverte  de  l'Amérique  par  les  Normands  au  X°"'  siècle, 
dans  bupielle  l'auteui-,  à  la  suite  de  quelques  autres  savants, 
comme  Humboldt,  d'Avezac,  Gaiïarel,  et  s'appuyant  de  nom- 
breuses preuves,  entre  autres  des  récils  des  anciennes  sagas 
norwégiennes  et  groënlandaises,  soutient  la  thèse  qu'avant 
Christophe  Colomb,  l'Amérique  avait  reçu  des  Européens  et 
(les  chrétiens. 


PROCÈS-VERBAUX.  103 

Après  cela,  M.  le  Président  donne  la  parole  à  M.  le  D""  Fo- 
rel,  de  Morges,  pour  l'exposition  de  ses  recherches  sur  les 
seiches  du  Léman. 

Ce  sujet,  dit  M.  Forel,  est  essentiellement  géographique  et 
même  genevois,  car  c'est  ici  qu'on  a  pour  la  première  fois 
remarqué  les  seiches,  qu'on  les  a  étudiées  et  expliquées;  c'est 
ici  encore  qu'on  observe  les  plus  belles. 

Qu'est-ce  qu'une  seiche?  —  C'est  un  mouvement  d'éléva- 
tion de  l'eau,  une  dénivellation  de  la  surface,  qui  s'élève,  s'a- 
baisse, se  relève  et  redescend,  au-dessus  et  au-dessous  du  ni- 
veau normal.  L'élévation  peut  être  de  10,  15,  20,  30  centi- 
mètres, pendant  20,  30,  40,  50  minutes.  C'est  une  marée  en 
miniature,  sans  rapport  avec  le  mouvement  des  astres.  Vau- 
clier  a  constaté  des  seiches  à  Genève,  RoUe,  Vevey,  Ville- 
neuve, et  sur  les  lacs  de  NeucM  l,  de  Côme,  d'Annecy,  etc. 
On  les  retrouve  sur  tous  les  bassins  d'eau  un  peu  considéra- 
bles; M.  Forel  en  a  reconnu  sur  tous  les  lacs  suisses  où  il  les 
a  cherchées. 

M.  Forel  examine  successive  nent  la  hauteur  de  la  dénivel- 
lation, la  durée  du  phénomène,  puis  l'explication  dont  il  est 
susceptible. 

La  hauteur  ou  l'amplitude  des  seiches  est  très-variable; 
parfois  elle  est  nulle  ou  très-faible,  d'autres  fois  plus  forte. 
Le  3  août  1763,  H.-B.  de  Saussure  en  a  mesuré  à  Genève  de 
1"',48.  Fatio  deDuillier  cite  les  seiches  du  16  septembre  1600 
comme  ayant  atteint  1°',62.  Le  2  et  le  3  octobre  1841,  les  sei- 
ches observées  par  Yénié  ont  dépassé  une  amplitude  de 
2",15.  Le  23  février  1549,  une  seiche  a  inondé  les  rues  de 
Constance. 

L'amplitude  n'est  pas  partout  la  même  ;  à  Morges  elle  est 
beaucoup  plus  faible  qu'à  Genève,  et  à  Villeneuve  elle  est 
plus  forte  qu'à  Morges.  Il  y  a  variabilité  d'une  seiche  à  une 
autre,  et  d'un  endroit  à  un  autre.  En  général  les  seiches  qui 


104  BULLETIN. 

se  suivent  se  ressemblent.  Le  même  jour  on  aura  une  série 
de  seiches  relativement  fortes,  ou  une  série  de  seiclies  rela- 
tivement peu  fortes,  remarquablement  égales.  Pendant  des 
jours,  des  semaines,  des  mois,  les  seiches  seront  énormes  ou 
nulles. 

Quant  à  la  durée,  dans  la  même  station  les  seiches  ont  tou- 
jours la  même  durée,  ce  qui  permet  d'établir  le  rhythme  des 
seiches,  à  partir  du  moment  d'élévation  jusqu'à  l'achèvement 
de  l'oscillation  ;  la  durée  pour  Genève  est  de  73  minutes,  à 
Morges  de  10  minutes.  La  durée  en  est  fixe  et  constante.  Il  y 
a  inégalité  suivant  les  stations.  Si  elle  est  de  73  minutes  à 
Genève  et  de  10  minutes  à  Morges,  on  la  retrouve  de  10  mi- 
nutes à  Évian  et  de  73  minutes  à  Villeneuve.  Dans  d'autres 
lacs  la  durée  est  différente;  mais  elle  est  fixe  dans  la  même 
direction  du  même  lac. 

Le  caractère  rhjlhmique  des  seiches  a  permis  à  M.  Forel 
de  conclure  que  ce  phénomène  est  un  balancement  de  l'eau. 
L'eau  s'élève  à  l'une  des  extrémités  pendant  qu'elle  s'abaisse 
à  l'autre,  comme  elle  le  ferait  dans  un  verre,  dans  une  cu- 
vette, dans  une  baignoire. 

Pour  se  rendre  compte  de  la  manière  dont  agissent  les 
vagues  de  balancement,  M.  Forel  a  construit  un  petit  bassin 
qu'il  a  rempli  d'eau  à  différentes  hauteurs;  il  a  imprimé  une 
secousse  à  l'eau,  l'a  mise  en  balancement,  et  a  étudié  la  durée 
de  l'oscillation  qui  est  plus  ou  moins  grande  à  raison  de  la 
longueur  du  bassin  et  à  raison  de  la  profondeur  de  l'eau  ; 
puis  il  en  a  déduit  les  lois  générales  : 

i"  loi.  Dans  les  mêmes  conditions  de  longueur  et  de  pro- 
fondeur du  bassin,  la  durée  de  l'oscillation  de  balancement 
est  toujours  la  même,  quelle  que  soit  l'amplilutle  du  mouve- 
ment. 

2"^"  loi.  Dans  les  mêmes  conditions  de  profondeur,  la  durée 
de  l'oscillation  augmente  avec  la  longueur  du  bassin. 


PROCÈS-VERBAUX.  lOo 

^"^  loi.  Dans  les  mêmes  conditions  de  longueur,  la  durée 
de  l'oscillation  diminue  quand  la  profondeur  du  bassin  aug- 
mente. 

Telles  sont  les  lois  du  phénomène  sur  les  lacs  de  Genève, 
de  Constance,  de  Neucliàtel,  de  Brienz,  de  Wallenstadt,  de 
Morat,  de  Joux,  de  Bret,  etc. 

Pour  faire  ses  observations,  M.  Forel  a  construit  un  appa- 
reil extrêmement  sensible,  un  plémijramètre ;  c'est  un  liassin 
placé  dans  la  grève,  au  niveau  de  l'eau,  en  communication 
avec  le  lac  au  moyen  d'un  siphon;  ([uand  le  niveau  du  lac 
s'élève,  il  se  produit  un  courant  d'entrée  dans  le  siphon;  si 
le  niveau  s'abaisse,  l'inverse  a  lieu,  c'est  un  courant  de  sor- 
tie; un  llotteurencire  indique  la  direction  du  courant.  L'ap- 
pareil est  d'une  sensibilité  si  extiuise,  qu'il  permet  d'apprécier 
des  fractions  de  dixièmes  de  millimètre  de  dénivellation,  et 
de  faire  les  observations  même  par  un  temps  de  vagues. 

Dans  de  bonnes  conditions,  M.  Forel  a  pu  constater,  dans 
différents  lacs,  la  durée  d'oscillation  des  seiches;  il  en  a  ob- 
servé d'énormes,  il' une  heuie,  dans  le  lac  de  Constance, 
de  trois  quarts  d'heure  dans  celui  de  Neuchàlel.  Elles  sont 
un  peu  moins  longues  dans  ceuxdeThoune  et  de  Brienz.  Les 
lacs  les  plus  profonds  ont  des  seiches  de  plus  courte  durée. 

La  preuve  a  été  fournie  que  ce  sont  des  vagues  de  balan- 
cement; ([ue  pendant  que  l'élévation  se  produit  à  l'une  des 
extrémités,  Taliaissemen ta  lieu  à  l'autre.  M.  Forel  et  son  ami 
M.  Rey  ont  constaté  le  fait  à  Yvei'don  et  à  Préfargier,  aux 
deux  extrémités  du  lac  de  Neuchàtel  ;  pendant  une  journée 
entière  d'ol)servations  la  symétrie  dans  le  mouvement  d'élé- 
vation et  d'abaissement  a  été  parfaite.  Entre  Évian  et  Morges 
ils  ont  constaté  le  même  phénomène. 

La  durée  des  seiches  peut  s'exprimer  par  une  formule  ma- 
tiiématique.  Le  D""  Fréd.  Guthrie,  professeur  à  l'École  des 
mines  de  Londres,  a  étudié,  en  1873,  le  mouvement  des  va- 

BULLETIS,  T.   XVI,    1877.  8 


10(5  BULLETIN. 

gues  d'oscillation.  Il  a  reconnu  (lue  dans  le  balancement  de 
reau,  la  longueur  a  une  irès-grande  influence  sur  la  durée  de 
la  vague,  et  dans  le  cas  d'un  bassin  de  profondeur  indéfinie, 
il  en  a  donné  l'expression  dans  la  formule  : 


=v 


t  étant  la  durée  d'une  demi-oscillation  de  l'eau. 

Déjà  en  1828,  J.-Rod.  Merian,  de  Bâle,  considérant  une 
molécule  d'eau  attirée  par  deux  forces,  était  arrivé  à  l'équa- 
tion : 


-[/^ 


TT^e 


—  e 


^ 


t  étant  égal  à  la  durée  de  la  demi-oscillation  ; 

h        »         à  la  profondeur  moyenne  du  bassin; 

l        »  »  maximale        ><        ; 

e  étant  la  base  des  logarithmes  népéi'iens; 

g  étant  le  rapport  constant  entre  le  temps  et  le  chemin 
parcouru  pai-  un  solide  tombant  librement  sous  l'action 
de  la  pesanteur; 

TT  étant  le  rapport  entre  la  circonféience  du  cercle  et  le 
diamètre. 

La  vélocité  de  l'oscillalion  est  ralentie  par  le  peu  de  pro- 
fondeur de  l'eau,  et  d'autant  plus  i\iie  la  profondeur  est 
moindre.  Cette  foi-mule  s'applique  parfaitement  aux  seiches 
de  nos  lacs,  et  exprime  exactement  le  rapport  de  leur  durée 
avec  la  longueur  et  la  profondeur  du  lac  ipi'on  étudie. 

Sir  William  ïliomson,  piofesseur à  l'Université  de  Gla.sgow, 
a  simplifié  la  formulf  de  Mérian.  de  manièie  à  en  riMidre 


PKOCÈS-VERBAqjt.  107 

rappliciilinii  plus  facile  et  plus  prati(|iie:  on  aurait  simple- 
ment : 

_      / 

[/gh 

t  l'epréseiilaiil  en  st'tondes  la  dmée  de  la  demi-seiclie, 

/  la  longueur  du  lac, 

h  sa  profondeur. 

Connaissant  la  dui'ée  d'une  seiche,  on  peut  en  déduire  la 
longueui-  ou  la  profondeur  des  lacs.  M.  Forel  a  appliqué  celte 
formule  aux  lacs  de  Genève,  de  Neucliàtel  et  de  Brienz;  Tap- 
plicalion  a  fourni  îles  résultats  parfaitement  concordants. 

Le  lac  de  Wallenstadt  a  présenté  un  écart  considérable.  En 
1874,  M.  Forel  avait  observé  à  Wesen  de  belles  seiches,  de 
871  secondes.  Le  lac  a  15,o00  mètres  de  long,  et  les  son- 
dages faits  en  vue  de  relever  le  Delphin  avaient  constaté  une 
profondeur  maximale  de  114  mètres.  Par  la  formule  de  Mé- 
rian,  le  lac  aurait  dû  avoir  128  mètres  de  profondeur.  La 
théorie  était-elle  fautive?  —  M.  Forel  a  fait  des  sondages, 
.|ui  ont  établi  (jue  le  lac  de  Wallenstadt,  de  forme  ovalaire 
allongée,  présente,  à  partir  de  Wesen,  un  talus  incliné,  ijui 
va  en  s'atîaissant  régulièrement;  au  milieu,  la  cuvette  a  138 
mètres  de  profondeui'.  La  moyenne  se  trouve  être  de  l'^G 
mètres;  la  formule  a  donc  été  complètement  vérifiée. 

Dans  certains  cas  le  phénomène  peut  avoir  son  importance. 
Au  moyen  d'une  seiche,  un  voyageur  qui  connaîtrait  la  lon- 
gueur il'un  lac  pourrait  en  une  heure  en  savoir  la  profon- 
deia-  sans  avoir  recours  à  aucun  sondage. 

M.  Forel  a  construit  à  Moi'ges  un  limnimètre  enregistreur; 
un  instrument  du  même  genre  sera  prochainement  installé 
par  M.  Phil.  Plantamour  à  Sécheron  près  Genève.  Ces  appa- 
leils  destinés  h  l'étude  des  seiches  ont, une  sensibiUté  exquise 
el  tout  à  fait  étonnante.  M.Foiel  a  constaté  des  mouvements 


108  BUI.LKTIN. 

réguliers  de  balciiicemeiU  de  Teau  3  heures  après  le  passage  du 
bateau  à  vapeur  devant  Morges,  ou  25  minutes  avant  son  ar- 
rivée;! Morges,à  l'instant  même  de  sa  soi'tie  du  port  d'Oucliy. 
11  a  même  constaté  à  Moi-ges  le  passage  des  l)aleaux  à  vapeur 
le  long  de  la  côte  de  Savoie. 

A  Morges  les  seiches  ont  un  rliylhme  constant  et  régulier, 
toujours  le  même,  de  10  minutes,  ou,  plus  exactement,  de 
017  secondes.  Les  tracés  des  seiches  sont  souvent  Irès-élan- 
cés,  formant  des  courbes  élégantes. 

L'eau  peut  osciller  longitudinalenient  ou  transversalement  ; 
de  là  des  seiches  longitudinales  et  des  seiches  transversales. 
Les  seiches  transversales,  de  la  côte  de  Suisse  à  la  côte  de 
S.ivoie,  ont  à  Morges  une  durée  de  10  minutes,  ce  qui,  pour 
une  largeur  de  L3,8  kilom.,  donne  une  profondeur  de  205 
mètres,  profondeur  l'econnue  du  grand  lac.  Morges  présente 
d'autres  seiclies,  moins  rapides,  moins  évidentes,  moins  for- 
tes, ne  dépassant  pas  3  centimètres  et  durant  73  minutes;  ce 
sont  des  seiches  longitudinales.  Il  i)eul  paraître  étrange  que, 
dnis  un  lac  aussi  courbe,  il  y  ait  des  mouvements  d'oscilla- 
tion longitudinale.  Mais  M.  Forel  a  fait  des  expériences  avec 
un  petit  lac  imitant  la  l'orme  du  Léman,  et  les  résultats  ont 
prouvé  qu'il  peut  y  avoir  un  balancement  longitudinal  dans 
un  lac  courbe.  Les  accidents  dans  les  formes  du  lac  de  Ge- 
nève soulèvent  aussi  la  même  objection.  M.  Forel  a  fait  de 
nouvelles  expériences  d'où  il  résulte  iprily  a  un  moiivenuMit 
d3  balancement  de  Villeneuve  à  la  barre  de  Prcnuenthoux. 

Les  seiches  transvei'sales  ne  portent  i]ue  sur  le  grand  lac 
et  non  sur  le  petit,  tandis  que  les  buigitudinales  portent  sin- 
lî  grand  et  sur  le  petit  lac.  Le  .3  mais  187(),  .M.  Ford  a  con- 
slUé,  au  limnimèti'c  (lu  r.iand-Qiiai  à  Genève, le  rhythmr  de 
i  heure  et  10  minutes;  il  a  i-emarqué  que.  sur  une  grande 
oscillation,  il  y  en  avait  d'autres  plus  petites,  formant  comme 
une  broderie.Vauchci-  n'avait  jamais  observé  assez  longtemps 


PROCKS-VERBiOJX.  109 

poui' voit- (it'ii\  st'iclies  de  suite;  à  Moi"ges,oii  les  seiches  sont 
plus  rapides,  on  a  pu  plus  facilement  en  constater  le  rliytlune. 
A  la  lin  de  l'année  1870,  M.  Pli.  Planlamour  a  fait  des  obser- 
vations piolongées  et  régulières  et  l'a  parfaitement  constaté. 
A  Genève,  il  est  de  73  minutes. 

Mais,  où  est  le  centre  du  mouvement?  —  Morges  est  près 
iJu  nœud  de  l'o-scillalion  ;  mais  ce  nœud  est-il  du  côté  de  Ge- 
nève ou  de  celui  de  Villeneuve  ?  —  Il  est  du  côté  de  Ge- 
nève, cai-  les  deux  mouvements  de  balancement  à  Genève 
et  à  iMoi'ges  sont  en  opposition  directe.  Tandis  qu'à  Genève 
l'eau  s'élève,  à  Morges  elle  s'abaisse,  et  vice  versa.  L'opposi- 
tion est  constante;  par  conséquent  Moi'ges  est  au  delà  du 
centre  tie  mouvement,  qui  se  trouve  approximativement  à 
S*-Prex.  A  Veytaux,  Cbillon,  Vevey,  les  o.scillations  sont  de 
:îo  minutes,  ditTérentes  de  celles  de  Morges  el  de  celles  de 
Genève.  La  durée  de  33  minutes,  sur  une  longueur  du  lac 
de  47  kilomètres,  l'épond  à  une  profondeur  de  ^Oo  mètres, 
profondeur  moyenne  du  grand  lac.  Quarante-sept  kilomètres 
sont  la  moyenne  de  Villeneuve  à  Yvoire  et  de  Villeneuve  à 
la  barre  de  Promenlhoux.  Les  seiches  de  3S  minutes  de  l'ex- 
trémité orientale  du  lac  sont  donc  des  seiches  propres  au 
grand  lac  oscillant  de  Villeneuve  à  Promenthoux. 

Quant  aux  o.>^cillations  secondaires  des  .seiches  de  Genève^ 
vues  par  Vaucher  et  au.ssi  par  MM.  Plantamour  et  Forel,  il 
faut  en  ajourner  l'explication  à  une  époque  où  les  observa- 
tions seront  plus  nombreuses. 

A  quelles  causes  peut-on  attribuer  ce  phénomène  des  sei- 
ches? Le  mouvement  de  balancement  de  l'eau  dans  un  vase 
peut  être  produit  par  une  .secousse  donnée  au  vase,  ou  par 
une  secousse  imprimée  à  l'eau.  Le  balancement  des  seiches 
proviendrait-il  d'une  secousse  imprimée  à  la  terre,  de  trem- 
blements de  terre? Là  où  régnent  les  tremblements  de  terre 
les  secousses  sont  généralement  accompagnées  d'élévation 


ilO  BULLETIN. 

des  eaux,  de  raz  de  marée.  Lors  du  tremblemenl  de  terre  de 
Lisbonne  ('1755),  la  plujjart  des  lacs  de  la  Suisse  et  de  l'Alle- 
magne furent  mis  en  mouvement.  M.  Forel  s'attendait  à 
voir  fonctionner  le  limnimètre  enregistreur  lors  des  derniè- 
res secousses  de  ti-emblement  de  terre  ressenties  en  Suisse. 
Il  y  en  a  eu  six  en  1876,  dont  quatre  ont  été  ressenties  à  Neu- 
chàtel  et  deux  à  Morges  ;  mais  le  limnimètre  est  resté  tout  à  fait 
muet.  Il  y  a  des  secousses  qui  déterminent  des  seiches:  mais 
toutes  n'en  produisent  pas.  Cela  tient-il  à  la  direction  ou  au 
mode  de  la  secousse?  —  M.  Forel  l'ignore  pour  le  présent. 

La  cause  des  seiclies  est-elle  une  secousse  imprimée  à 
l'eau?  —  De  Saussure  et  Vaucher  y  voient  l'effet  de  la  pres- 
sion barométrique,  de  l'état  de  l'atmosphère;  la  pre.ssion  di- 
minuant à  l'une  des  extrémités,  l'équilibre  est  rompu,  l'eau 
s'élève  à  l'un  des  bouts  et  s'abaisse  h  l'auti-e;  puis  le  retour 
à  l'équilibre  s'opère  par  des  oscillations  de  plus  en  plus  faibles 
jusqu'à  ce  que  l'eau  ait  retrouvé  son  niveau  piiinilif.  Géné- 
ralement les  seiches  sont  plus  fortes  quand  le  lemps  est  mau- 
vais. Cependant  il  y  a  des  exceptions.  Les  périodes  de  sei- 
ches faibles  correspondent  à  des  périodes  de  beau  temps,  et 
celles  de  seiches  fortes  à  des  périodes  de  mauvais  lemps. 
Quand  le  baromètre  est  haut  les  seiches  sont  nulles,  qu-'.nd  il 
est  bas  elles  sont  fortes,  mais  ce  n'est  pas  toujours  le  cas. 
Puisque  ce  sont  des  secousses  atmosphériques,  les  seiches 
seront  d'autant  plus  accentuées  que  les  mouvemenis  du  ba- 
romètre sont  plus  sensibles;  mais  encore  ici,  la  loi  n'est  pas 
constante;  avec  un  baromètre  (|ui  semble  au  repos,  on  peut 
avoir  des  .seiches  fortes,  et  avec  un  baromètre  variable  des 
seiches  nulles.  Il  y  a  là  une  difficulté  encore  inexpliquée. 

Lorsqu'il  y  a  orage,  les  seiches  peuvent  devenir  très-for- 
tes. Le  22  août  de  l'année  dernière,  pai-  un  ttMups  l'olalive- 
ment  calme,  un  oragr  suliil  ôdala  à  I  iicurc  (bi  malin;  une 
.seiche  transversale  énorme  se  |)r()diiisii,  fi   lui  suivie  d'une 


PROCÈS-VERBJftjX.  111 

série  de  seiches  longitudinales  pendant  plus  de  deux  fois 
vingt-quati-e  heures,  décroissant  peu  à  peu  d'amplitude.  Il  y 
eut  double  série,  longitudinale  et  ti'ansversale. 

Les  seiches  commencent  au  moment  de  l'orage,  et  l'on 
peut  dire  qu'elles  sont  causées  par  des  secousses  imprimées  à 
l'air.  Mais  il  y  a  encore  des  points  à  vérifier  et  à  constater.  Le 
phénomène  n'en  réclame  pas  moins  la  bonne  volonté  de  tous 
les  naturalistes,  car  ces  mouvements  sont  d'entre  les  plus 
considérables  qui  se  passent  à  la  surface  du  globe.  La  vibra- 
tion de  la  masse  entière  de  l'eau  que  contient  le  bassin  du 
lac  entre  Genève  et  Villeneuve  ne  peut  manquer  de  produire 
sur  l'esprit  une  impression  puissante. 

La  Société  témoigne  à  M.  Forel,  par  ses  applaudissements, 
l'intérêt  avec  lequel  elle  a  écouté  cette  remarquable  commu- 
nication. 

M.  le  Président  le  remercie  de  ce  travail  considéra Ide,  pro- 
duit d'une  pénétration,  d'une  justesse  de  vues,  d'une  activité 
et  d'une  persévérance  si  dignes  d'éloges. 

M.  AloïsHumbert  demande  à  M.  Forel  s'il  n'y  a  pas  de  baro- 
mètres qui  enregistrent  leurs  variations?  Il  en  faudrait  de 
tels  pour  faire  la  comparaison  avec  l'enregistreur  des  déni- 
vellations de  l'eau.  —  Il  se  souvient  qu'étant  a  Cette,  un  raz 
de  marée  le  fit  penser  aux  seiches  du  lac;  les  marins  l'indi- 
quèrent comme  précurseur  d'un  orage. 

M.  Forel  répond  qu'il  existe  à  Berne  un  appareil  baromé- 
trique enregistreur,  mais  qu'd  n'y  en  a  point  à  Genève  ;  il 
appelle  de  tous  ses  vœux  la  construction  d'un  appareil  sem- 
blable. Quant  à  celui  de  Berne,  il  présente  des  inconvénients  ; 
l'enregistrement  est  saccadé  ;  le  poinçon  guidé  par  l'appareil 
enregistreur  ne  trace  un  point  .que  de  dix  en  dix  minutes.  Il 
faudrait  un  enregistreur  à  tracé  continu. 

M.  le  Président  attire  l'attention  sur  les  différences  de  pro- 
fondeur que  présente  le  lac,  et  sur  sa  configuration  en  forme 


112  BULLETIN. 

de  cuvette.  Il  distingue  la  vague  générale  de  la  seiche  acci- 
dentelle. La  vague  générale  n'a-t-elle  pas  de  rapport  avec 
l'entrée  des  eaux  du  fleuve?  Les  seiches  ont-elles  leur  maxi- 
mum au  printemps  et  en  automne,  c'est-à-dire  quand  les  eaux 
arrivent  abondamment? 

M.  Forel  répond  qu'au  moment  où  les  eaux  sont  le  plus 
grandes,  le  Rhône  a  une  température  de  6°  à  8°.  Les  eaux 
du  lac,  à  la  superficie,  ont  20°  à  22°.  Les  eaux  grises  du 
Rhône  plongent  le  long  du  talus  jusqu'à  40,  50  et  00  mètres; 
là  le  fleuve  s'étend  en  nappe  horizontale,  et  dépose  le  limon 
dont  il  est  ciiargé;  ses  eaux  sont  d'une  densité  égale  à  celles 
des  couciies  profondes.  Devant  Vevey,  on  trouve  encore 
cette  eau  glaciaire;  on  ne  la  retrouve  plus  devant  Morges. 
En  somme,  la  quantité  d'eau  qu'apporte  le  fleuve  n'est  qu'une 
goutte  comparée  à  la  masse  du  lac.  Il  n'y  a  pas  d'impulsion 
donnée  par  l'eau  du  fleuve.  Quant  à  l'amplitude  considérable 
des  seiches  à  Genève,  elle  s'explique  par  la  position  de  Ge- 
nèv(^  nu  fond  d'un  entonnoir,  formé  par  les  bords  du  lac  qui 
.•^e  rapprochent. 

M.  Faurt'  fait  rnuarquer  (|u'au  moment  où  les  eaux  sont  le 
plus  aliondantes  dans  un  lac  alpestre,  comme  celui  de  Genève, 
l'apport  des  eaux  dans  un  lac  jui-assique,  comme  celui  de 
Neuchâtel,  est  le  plus  faible.  Il  demande  à  M.  Forel  si  la  com- 
paraison des  seiches  sur  ces  deux  lacs,  à  ce  moment-là,  ne 
pourrait  pas  servir  pour  déterminer  si  l'apport  des  eaux  du 
Rhône  est  pour  quelque  chose  dans  le  phénomène  des  sei- 
ches (lu  Léman? 

M.  Foiel  pens»>  que  cette  comparaison  peut  avoir  son  uli- 
hté. 

M.  le  pasteur  l)ul»ois  demande  si  l'Orbe  et  la  Rroie,  se  je- 
tant dans  le  lac  dans  deux  directions  opposées,  ne  peuvent 
pas  exercer  une  intlucnce  sur  les  seiches  du  lac  de  Neu- 
châtel? 


PROCÈS-VERBAUX.  lliJ 

M.  Doinillicé  demande  encore  à  M.  Forel  des  explications 
sur  les  fontaines  et  les  taches  d'huile  du  Léman. 

M.  Forel  les  attribue  à  des  eaux  d'égoùls,  aux  substances 
huileuses  versées  dans  le  lac  par  la  pompe  de  cale  des  bateaux 
à  vapeur,  etc.  Il  yen  a  de  naturelles  et  d'artificielles.  Elles  peu- 
vent provenir  delà  décomposition  d'animaux. On  les  retrouve 
à  la  mer  aussi  bien  que  dans  les  lacs. 

M.  le  Président  remercie  encore  M.  Forel  de  ce  qu'il  a  con- 
senti à  venir  nous  entretenir  des  résultats  de  ses  travaux,  et 
lui  exprime  les  vœux  de  la  Société  pour  ceux  qu'il  a  en  vue 
cette  année;  en  même  temps,  il  le  prie  de  conserver  un  sou- 
venir à  la  Société  de  géographie,  qui  sera  toujours  heureuse 
et  reconnaissante  des  communications  qu'il  voudra  bien  lui 
faire. 


Séance  du  25  mai  1877. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthuxieh  de  Beaumont. 

A  l'occasion  du  procès-veilial  de  la  précédente  séance,  M. 
de  Labarpe  mentionne  qu'il  a  vu  à  l'exposition  géographique 
de  Paris,  en  1875,  dans  la  Section  belge,  un  baromètre  enre- 
gistreur, etc.,  construit  par  le  professeur  van  Rv.sselberghe, 
d'Ostende.  —  (Voyez  le  Catalogue  général  de  cette  exposition, 
page  193,  n"'  43-49.) 

M.  le  D'"  Lombard  en  signale  un  à  Green^idi. 

M.  Alfred  Pictel  fait  rapport  sur  plusieurs  ouviages  envoyés 
à  la  Société  par  le  Bureau  météorologique  de  Londres. 

1°  Un  atlas,  grand  format,  contenant  des  tableaux  donnant 
le  résultat  d'observations  faites  pendant  le  cours  d'une  année 
sur  les  vents,  courants,  mouvements  barométiiques,  varia- 
tions de  température,  pesanteur  spécifique  de  l'air,  nuages, 
état  du  ciel  et  direction,  des  vagues,  observés  sur  neuf  super- 


I  J  4  BULLETIN. 

tîcies  de  10  degrés  c;iriés  clKiciine,  dans  la  région  compi-ise 
entre  le  20°  lai.  nord  et.  le  10°  lat.  sud  dans  un  sens,  et  le 
10°  et  le  40°  de  long,  ouest  dans  l'autre,  soit  vers  le  mi- 
lieu de  l'Océan  Atlantique.  Cela  forme  trois  séries  de  douze 
tableaux  chacune,  un  tableau  pour  chaque  mois;  de  plus,  des 
planches  indiquant  la  marche  des  lignes  isothermes  et  isoba- 
rométriques de  ces  i-égions. 

2°  Un  volume  de  texte  pour  accompagner  cet  allas. 

3°  Un  rappoi't  (en  h-ançais)  avec  un  supplément  (en  an- 
glais) du  Comité  permanent  du  premier  Congrès  météorolo- 
gii{ue  de  Vienne,  piéparé  pour  la  réunion  deLontIresen  1876. 

4°  Entln,  le  rapport  trimestriel  du  temps  (Quarterly  Wea- 
ther  Report)  du  Bureau,  pour  le  trimestre  de  juillet  à  septem- 
l)re  1874,  indiquant  les  variations  de  température  qu'a  pro- 
duites cet  espace  de  temps  dans  le  Royaume-Uni,  et  généi'ale- 
ment,  dans  la  portion  nord-ouest  de  l'Europe.  La  moitié  du 
volume  contient  des  diagrammes,  soit  lignes  en  zigzag,  don- 
nant les  variations  Journalières  observées  pendant  ces  trois 
mois  dans  sept  stations  extrêmes  d'Angleterre,  d'Ecosse  et 
d'Irlande. 

Puis  M.  le  Président  donne  la  parole  à  M.  le  prof.  Chaix 
pour  la  suite  de  sa  communication  sur  l'Afrique  centrale. 

Le  lac  Nyassa  fut  découvert  en  1859  par  Livingstone  qui  y 
letourna  en  1862. Le  gouvernement  voulut  l'appuyer  du  na- 
vire le  Pioneer  dont  le  commamh'nu'iit  était  conlié  à  M. 
Young.  Quand  le  bruit  d'un  assassinat  do  Livingstone  arriva 
en  Europe,  ce  fut  Young  ipii  bit  envoyé  sur  les  lieux  et  (|ui 
l'econnut  la  fausseté  de  ces  rumeurs.  Depuis  la  mort  de  l'il- 
lustre explorateur  de  l'Ab'ique  centrale,  M.  le  D'  Stewarl, 
de  Hopedale,  exprima  le  désir  (jue  le  souvenir  d»'  Livingstone 
fût  consacié  par  l'établissement  duni'  colonie  sous  le  nom  de 
Liriiif/stonia  au  bord  du  Nyassa.  Des  meetings  eurent  lieu  à 
ce  sujet,  t'ii  peu  de  jours  250,000  francs  furnit  trouvés,  en 


PROCES-VERBAUX.  1  lo 

six  semaines  on  construisit  un  baleau  à  vapeur  en  acier,  île 
47  pieds  de  long  et  de  12  de  larue,  tirant  .'i  V,  pieds  d'eau. 
Vllala,  très-fin  marcheur. 

M.  le  professeur  Ciiaixfait  ressortir,,  en  passant,  le  contraste 
existant  entre  les  races,  en  rappelant  (pi'en  1487,  Barthélenn 
Diaz  découvrit  le  Cap  des  Tempêtes,  dont,  à  son  retour,  lo 
roi  Jean  II  changea  le  nom  en  Cap  de  Bonne  Espérance  ; 
après  quoi  dix  ans  se  passèrent  à  réfléchir,  et  ce  ne  fut  ([u'en 
1407  (lue  Vasco  de  Gama  doul.tla  le  cap. 

Le  bateau,  sous  le  commandement  de  M.  Young,  quitta 
l'Angleterre  en  mai  187o;  arrivé  à  l' embouchure  du  Zambezi, 
on  en  fit  l'essai;  pour  remonter  le  Sliiré  et  ses  rapides,  on  le 
démonta.  Young  eut  le  boniieur  de  rencontrer  la  colonie  des 
Makololos  de  Livingstone,  qui  s'empressèrent  de  se  mettre  à 
sa  disposition;  il  employa  pour  le  transport  de  ses  fardeaux 
800  hommes,  auxquels  il  rend  un  excellent  témoignage  pour 
leur  énergie,  leur  persévérance,  leui-  fidélité  pendant  tout  le 
trajet,  à  travers  des  rochers,  pai-  des  montées  et  des  descen- 
tes pénibles,  avec  une  température  de  oO°,  et  pour  le  prix 
minime  de  4  mètres  de  calicot  par  homme;  encore  se  noui-- 
rissaient-ils  eux-mêmes.  Le  12  octol-re  IS'o,  Vllala  i-emonlé 
se  trouvait  à  l'extrémité  sud  du  lac  Nyassa. 

Young  prouva  le  chef  Mponda  toujours  favorable  à  ses 
desseins;  malgré  son  goût  prononcé  pour  l'ivresse  et  sa  to- 
lérance pour  les  marchands  d'esclaves,  Mponda  permit  aux 
missionnaires  de  s'établir  dans  ses  États.  Seul  un  groupe  d'A- 
l'abes,  sentant  que  l'i/fl/a  serait  l'instrument  de  la  suppression 
de  leur  trafic,  n'accueillit  pas  cette  permission  avec  joie.  Mais 
tout  le  reste  de  la  population  se  montra  bien  disposé.  Quinze 
jours  après  avoir  commencé  la  traversée  des  rapides,  Young 
eut  la  satisfaction  de  voir  son  bateau  prêt  à  prendre  son  élan. 
11  invita  Mponda  à  s'y  embarquer  pour  en  faire  l'essai,  mais 
il  n'y  eut  pas  moyen  de  l'y  déterminer.  Quant  à  la  population. 


1 1()  BULLETIN. 

elle  accompagna  de  toute  sa  sympathie  chaque  mouvement 
du  hateau  sur  le  lac.  Young  trouva  au  Cap  Madear  une 
grande  abondance  de  bois  précieux,  une  population  énorme, 
un  bon  mouillage,  une  contrée  salubre,  tout  autant  de  condi- 
tions favorables  poui"  le  commerce;  il  faut  >  ajouter  encore 
des  matières  premières  rechercliées,  (.les  métaux,  des  gom- 
mes, du  coton,  de  l'ivoire,  de  la  cire.  etc. 

Il  fit  deux  excursions,  en  octobre  et  en  novembre:  l'une  à 
rembouchure  du  Loangwa,  avec  les  missionnaires  qui,  tout 
savants  ecclésiastiques  qu'ils  sont,  n'en  sont  pas  moins  des 
hommes  pratiques,  l'un  mécanicien,  l'autre  agriculteur,  un 
troisième  menuisier,  en  un  moi,  des  hommes  foit  utiles  pour 
l'établissement  d'une  station.  L'un  d'eux,  M.  Hendei"son,  a 
fondé  une  succursale  de  la  station  principale  à  l'embouchure 
du  Loangwa,  où  les  Arabes  ont  leur  principal  marché  à  es- 
claves. Ils  lui  ont  paru  mornes  et  abattus,  comme  des  gens 
qui  sentent  que  leur  sort  est  décidé. 

Dans  la  seconde  excursion,  Young  a  découvert  l'étendue 
réelle  du  Nvassa.  D'après  Livingstone,  il  n'aui'ait  eu  que  75 
lieues  de  longueur,  d'après  Young  il  en  aurait  plus  do  100. 
Cette  prolongation  vers  le  nord  est  d'une  grande  portée,  car 
elle  se  trouve  l'approcher  i)eaucoup  ce  lac  du  Tanganyika, 
qui,  de  son  cùté,  doit  aussi  être  prolongé  vers  le  S.-E.  au  delà 
{\e<:  limites  qu'on  lui  assignait  d'abord.  Le  jour  où,  par  des 
vapeurs  anglais,  on  dominera  le  Nyassa  et  le  Tanganyika,  on 
étranglera  le  commerce  des  esclaves  dans  celte  partie  res- 
serrée du  continent  africain. 

Le  Nyassa,  à  son  extrémité  septentrionale, recoit-il  des  tri- 
butaires? Il  ne  le  semblerait  pas,  d'après  les  observations  de 
Young,  qui  y  a  remarqué,  il  est  vrai,  des  forêts  de  ri>seaux  et 
de  papyrus,  mais  en  même  temps  des  eaux  parfailemenl  lini- 
jiides. 

Livingslone  avait  exploré  la  côte  occidenlaU'  du  Nyassa; 


PROCÈS-vifeBAUX.  1 1 7 

Young  (léciit  la  côte  oiientale,  dont  il  fait  de  splendides  ta- 
bleaux. Sur  une  longueur  de  50  lieues  s'étend  une  chaîne  de 
montagnes,  dont  les  sommets  ont  une  hauteur  de  10,000  à 
12,000  pieds  au-dessus  du  lac,  à  ipioi  il  faut  ajcuiter  réléva- 
tion  du  plateau  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Pendant  la 
saison  df^^^  pluies,  la  heauté  des  montagnes  est  em-ore  plus 
grande;  elles  plongent  dans  le  lac  à  pic,  de  sorte  (pi'une  ligne 
de  .sonde  de  140  toises  ne  peut  toucher  le  fond,  et  on  les  voit 
alors  ornées  d'une  multitude  de  cascades  qui  lomitent  comme 
une  broderie  de  dentelle  sur  des  parois  de  rochers  surplom- 
bant les  Ilots  du  lac. 

Dans  quelques  parties  seulement  Young  n'a  constaté  que 
10,  12  ou  lo  pitMls  d'eau,  et  là  il  a  trouvé  tctute  une  série  de 
villages  lacustres;  dans  l'un  d'entre  eux,  il  a  compté  une  cen- 
taine de  cases.  L'insécurité  de  ces  lieux  expliijue  ces  établis- 
sements; dans  une  gorge  de  montagne,  au  nord  des  îles  de 
Likomo  et  de  Chusamvolé,  il  a  vu  le  sol  complètement  cou- 
vert des  ossements  desséchés  d'une  peuplade  détruite  par  les 
Masiti,  p.ourvoyeurs  des  traficfuants  arajjes. 

Le  lac  Nyassa  est  un  lac  de  tempêtes;  il  y  règne  un  vent 
du  nord  furieux,  souillant  dans  toute  la  longueur  du  lac,  et 
des  torrents  de  pluie  y  tombent  jour  et  nuit.  En  un  seul  jour 
Young  .s'est  vu  entouré  d'une  douzaine  de  trombes. 

La  colonie  du  Cap  Maclear  s'est  développée  :  des  maisons 
nombreuses  s'y  sont  élevées^  des  chantiers  pour  la  répara- 
tion des  barques  y  ont  été  établis,  ainsi  (pi'une  canalisation 
bien  ordonnée  pour  mettre  la  colonie  à  l'abri  des  inondations 
et  en  assurer  la  salubrité.  Elle  a  reçu  du  renfort  dans  la  per- 
sonne de  M.  Stewarl,  de  Hopedale,  qui  en  est  aujourd'hui  le 
gouverneur. 

A  la  séance  de  la  Société  de  Londres  dans  laquelle  M. 
Young  a  communiqué  les  détails  de  l'installation,  assistait  l'è- 
véque  d'Edimbourg,  dont  le  fils,  M.  Cotlerill,  est  en  Afrique 


118  BULLETIN. 

pour  pressentir  la  nature  du  commerce  à  établir  pour  faire 
tomber  la  traite.  Quoiqu'il  fût  appuyé  par  le  gouvernement 
(le  Lisbonne,  il  a  trouvé  les  fonctionnaires  portugais  mal  dis- 
posés à  son  égard;  ils  l'ont  exploité  de  toutes  manièi'es,  l'ont 
retenu  li'ois  semaines  à  Quilimané,  puis  quinze  jours  au 
bord  du  Zambézi,  lui  ont  fait  payer  un  prix  de  location  exor- 
bitant pour  un  l)ateau,  et  20  Vo  *le  droits  d'entrée  pour  ses 
marcliandises. 

Le  collège  de  Harrow,  eu  Angleterre,  a  donné  à  la  mission 
un  bateau  en  acier  qui  a  été  récenimenl  lancé  sur  le  lac 
Nyassa. 

M.  le  professeur  Cbaix  passe  aux  explorations  de  M.  Ers- 
kine,  de  la  baie  de  Delagoa  à  Sofala. 

M.  Erskine  est  le  fils  d'un  fonctionnaire  attaché  à  la  colonie 
de  Natal.  Il  a  visité  les  États  d'Umzila,  prince  cafre,  chef 
d'une  tribu  très-puissante  des  Zoulous,  tyran  abominable, 
dont  la  capitale  est  Gaza  et  dont  le  territoire  s'étend  de  la 
baie  de  Delagoa  au  Zambézi,  embi'assant  un  total  de  lo,000 
lieues  carrées,  la  moitié  de  l'étejidue  de  la  France.  En  août 
1870,  il  envoya  à  la  colonie  de  Natal  un  message  pour  enga- 
ger le  lieutenant-gouverneur  Keate  à  lui  dépêcher  des  An- 
glais; son  but  était  simplement  de  se  procurer  des  cadeaux 
sans  les  payer.  Le  gouverneui-  jeta  les  yeux  sur  Ei'skine, 
voyageur  déjà  éprouvé,  mais  il  l'équipa  pour  son  voyage 
d'une  manière  mesquine,  peu  en  rapport  avec  l'entreprise;  il 
lui  donna  deux  Cafres  Zoulous  parlant  anglais,  un  Hollentot 
et  un  Français,  M.  Duljois,  établi  là-bas  dans  le  commcrct'. 
qui  mil  ses  talents  au  service  d'Erskine. 

Les  Portugais  onl  dans  la  baie  de  Delagoa  un  établissement 
en  décadence,  à  la  tête  duquel  est  un  gouverneur  avec  une 
garnison  nègi'e;  le  gouverneur  laissa  débarquer  Dubois  avec 
les  marchandises,  mais  lefusa  de  recevoir  Erskine.  Il  fallut 
que  ce  dernier  se  conceitàl  avec  Dubois  pour  pénétrer  i>ar 


PROCÈS-VEIiPAUX.  I  lu 

un  autre  point  et  essayer  de  se  i-enconlrer  sur  les  denu'it's 
de  l'élalilissement  portugais.  Erskine  trouva  de  l'appui  à  in- 
hamliané.  Le  commerce  y  a  piis  pied  et  y  prospère;  les  mai- 
sons s'y  élèvent;  les  habitants,  Cliobis  ou  Basica,  sont  indus- 
trieux et  ont  du  lioùt  pour  la  musi(|ue.  M.  Erskine  ([uitta 
Inhanibaiié  le  31  juillel  1871  et  se  dirigea  vers  le  Limpopo. 
où  il  trouva  Dubois.  Dans  un  trajel  de  180  milles,  il  dit  avoir 
traversé  trente  rivières,  sans  compter  les  ruisseaux  et  tor- 
rents. Le  Limpopo  avait  été  précédemment  exploré  à  fond 
par  Erskine.  Ce  fleuve,  de  400  lieues  de  longueur,  pi-end  sa 
source  sur  des  plateaux  de  4000  à  oOOO  pieds  d'élévation.  La 
vallée  qu'il  ai'rose  est  très-feitile ;  la  rivière,  on  partie  navi- 
gable, est  interrompue  par  des  rapides.  Il  ne  faut  lui  deman- 
der qu'un  bon  port  à  son  embouchure;  mais  ici  Erskine  a 
constaté  quatre  barres  disposées  parallèlement  et  qui  pro- 
duisent des  brisants;  il  est  vrai  que  chacune  des  barres  a  un 
chenal  navigable;  malgré  cela  la  navigation  y  est  un  peu  dan- 
gereuse, le  passage  étant  difficile  à  trouver. 

En  janvier  1872,  Erskine  se  mit  en  roule  vers  le  territoire 
d'Umzila,  au  nord,  en  traversant  une  région  complètement 
inconnue.  L'itinéraire  pour  l'aller  et  le  retour  compte  1200 
milles  ou  400  lieues.  Pendant  la  marche,  il  n'était  pas  possi- 
ble aux  voyageurs  de  voir  à  droite  et  à  gauche  de  la  route 
l'espace  d'une  lieue;  ils  étaient  toujours  dans  les  broussailles. 
Les  résultats  s'en  ressentent  nécessairement,  mais  pourtant 
dans  de  certaines  limites  :  Erskine  pouvait  être  assuré,  après 
avoir  traversé  un  district,  qu'une  grande  montagne  n'aurait 
pu  échapper  à  son  observation. 

La  domination  portugaise  est  bien  peu  de  chose  sur  les 
lieux  ;  elle  ne  s'étend  que  sur  quelques  maigres  lisières  des 
côtes  et  au  delà  sont  les  abominables  Zoulous,  les  vrais  maî- 
tres du  pays.  On  y  rencontre  une  race  indigène  de  type  bas- 
souto.  trè<-belle.  d'un  teint  plus  clair  que  les  Zoulous,  adon- 


J20  BULLETIN. 

liée  à  l'induslrie  des  loiles  de  coton,  taisâiit  de  la  musique 
instrumentale,  donnant  même  des  concerts  qui  ne  sont  pas 
dépourvus  d'Iiarmonie. 

Après  quelques  semaines  de  marche,  Erskine  traversa  la 
rivière  Sabi  et  put,  du  liant  d'une  colline,  examiner  la  vallée 
qui  était  verdoyante.  Ce  cours  d'eau  n'est  pas  navigable;  l'eau 
n'a  que  deux  pieds  de  profondeur.  Son  lit  est  bien  de  1000 
mètres,  mais  la  rivière  n'en  occupait  aloi's  (jue  100  mètres; 
le  reste  était  à  sec  et  il  y  avait  beaucoup  de  sable. 

Presque  toute  cette  région  est  plate  et  dépourvue  d'arbres; 
les  arbustes  qui  la  couvrent  gênent  la  marche.  La  tempéra- 
ture était  très-élevée;  la  dilatation  de  l'air  produisait  un  cou- 
rant ascensionnel,  et  un  air  plus  frais  arrivait  de  l'Océan.  A 
partir  de  JO  h.  du  matin  le  ciel  se  couvrait  de  cumuli,  qui, 
sans  laisser  tomber  sur  la  basse  région  une  seule  goutte  de 
pluie,  allaient  arroser  la  cliaîiie  de  montagnes  situées  à  cin- 
quante lieues  de  la  côte. 

L'insécurité  de  la  contrée  est  telle  que  l'on  ne  rencontre 
pas  les  villages  là  où  se  trouve  de  l'eau;  on  ne  les  trouve  que 
là  où  il  n'y  en  a  point.  Les  populations  redoutent  tellement 
les  tyrans  zoulous  qu'elles  s'établissent  loin  des  sources  et 
des  rivières,  et  n'ont  guère  d'eau  que  celle  de  la  pluie  qui 
tombe  dans  les  creux  des  baobabs;  ceux-ci  fournissent  d'as- 
sez bons  réservoirs,  car  on  en  voit  qui  oui  (50  pieds  de  cir- 
conférence. 

De  loin,  Erskine  put  contempler  les  monlagnes  où  se 
trouve  la  résidence  d'Umzila;  la  coupe  en  est  adniir.d)le;  elles 
forment  un  ainpliilhéâtre  concentrique  de  chaînes,  où  circu- 
lent mille  cours  d'eau  limpide.  C'est  dans  ce  paradis  ipiTm- 
zila  a  établi  sa  demeure,  dont  Erskine  ne  put  pas  approcher. 
Il  lui  fut  permis  de  se  construire  une  maison,  mais  à  la  con- 
dition que  ce  serait  sur  un  terrain  plus  bas  (|ue  le  village 
ro\al.  Les  voyageurs  passèiciit  trois  ukms  et  demi  à  la  belle 


PROCÈS-VERBAUX.  12! 

étoile.  Eiskiiie  profila  de  ce  temps  poui'  exploiei-  les  monta- 
gnes, dans  lesquelles  il  trouva  (\e&  traces  volcaniques,  des 
porphyres,  des  basaltes,  etc. 

Pour  le  retour,  il  se  dirigea  vers  le  Limpopo,  (pi'il  suivit 
jusqu'à  la  rencontre  de  la  rivière  Oliphant,  qm  vient  de  la 
Répuijlique  du  Transvaal.  En  arrivant  à  Natal,  le  wagon  qui 
portait  ses  notes  et  ses  cartes  eut  à  travei'ser  une  rivièi'e  dé- 
bordée, où  il  perdit  une  bonne  partie  des  indications  re- 
cueillies dans  le  cours  de  son  voyage. 

En  somme,  le  résultat  n'est  pas  encourageant.  Sans  doute 
le  sol  produit  des  bois  précieux,  beaucoup  de  gommes,  des 
lianes  à  caoutchouc,  des  arbres  fournissant  des  boissons  pé- 
tillantes analogues  au  Champagne,  des  graines,  des  farine* 
succulentes  ;  mais  le  progrès  des  missions  auprès  des  Bas- 
soutos  a  rencontré  des  obstacles  sérieux  dans  les  procédés 
barbares  des  Boei-s  hollandais  du  Transvaal  à  l'égard  des 
Cafres  indigènes,  et  spécialement  vis-à-vis  de  ceux  qui  avaient 
embrassé  le  christianisme.  Souvent  les  missionnaires  ont  fait 
appel  à  l'Angleterre,  qui  a  fini  par  s'en  mêler,  parce  que  sous 
le  règne  des  Boers,  les  trois  quarts  des  nouveaux  colons 
étaient  des  Anglais.  Le  12  avrd  1877,  sir  Theophilus  Sheps- 
tone,  le  commissaire  de  Port-Natal,  a  apporté  une  menace 
d'intervention  si  les  habitants  ne  s'annexaient  pas  volontaire- 
ment à  la  domination  britannique. 

La  baie  Delagoa  est  une  admirable  position  navale;  il  y  a, 
comme  on  l'a  vu,  une  station  portugaise;  le  mouillage  est 
très-bon.  La  baie  est  grande  et  les  Anglais  en  avaient  occupé 
un  point;  mais  les  Portugais  ont  protesté,  et  ont  réclamé 
l'arbitrage  du  maréchal  de  Mac-Mahon,  qui  a  décidé  la  ques- 
tion en  leur  faveur,  en  sorte  qu'aujourd'hui  toute  la  baie  leur 
appartient.  Erskine  espère  qu'elle  passera  entre  les  mains 
de  la  race  anglo-saxonne. 

M.  Ghaix  pense  qu'il  est  heureux  que  l'Angleterre,  qui  s'est 

BCLLETIX,   T.    XYI,    1877.  9 


122  BULLETIN. 

si  longtemps  interdit  les  annexions  lorsqu'elles  auraient  eu 
pour  conséquence  la  protection  des  races  inoffensives  de  l'A- 
frique, finisse  par  s'en  accorder  une  à  elle-même,  quelque 
étrange  que  cela  puisse  paraître,  au  moment  où  elle  semble 
s'apprêter  à  s'opposer  par  les  armes  aux  annexions  que  la 
Russie  pourrait  se  permettre,  dans  l'intention  analogue  de 
sauver  de  la  destruction  les  races  slaves  et  chrétiennes  de  la 
Turquie. 

La  Société  témoigne  à  M.  Cliaix,  par  ses  applaudissements, 
l'intérêt  avec  lequel  elle  a  suivi  ses  deux  communications,  et 
M.  le  Président  lui  adresse  les  remercîments  les  plus  sincè- 
res au  nom  de  tous  les  membres  présents. 


SÉANCES  EXTRAORDINAIRES 

Fondation    du    Comité    national   suisse    de 
l'Association  internationale  africaine 


Séance  du  23  avril  1877,  à  7  heures  du  soir. 
Présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

M.  le  Président,  donne  la  parole  à  M.  le  professeur  de  La- 
harpe  qui  remercie  clialeureusement  les  adhérents  venus  de 
loin  et  de  près,  dont  la  présence  réjouit  les  memhres  de  la 
Société  de  Géographie.  L'œuvre  à  latpjelle  nous  voulons 
concourir  l'épond  aux  goûts  philanthropiques  en  même 
temps  qu'aux  goûts  scientifiques.  Les  vues  de  tous  pourront 
être  présentées  demain.  M.  de  Laharpe  exposera  ce  soir  le 
sujet  dont  il  s'agit,  mais  auparavant  il  rend  hommage  à  S.  M. 
le  roi  des  Belges  qui  a  discerné  une  œuvre  à  accomplir  dans 
un  vaste  champ,  et  y  apporte  toutes  les  vertus  d'un  cœur 
généreux.  Les  paroles  de  M.  de  Laharpe  sont  accueillies 
par  de  chaleureux  applaudissements. 

Il  passe  ensuite  à  la  lecture  de  son  Mémoire  sur  l'Afrique 
centrale,  où  il  a  très-hien  groupé  l'histoire  des  explorations 
aux  diflérents  siècles^  les  problèmes  qui  sont  à  l'étude,  et  en 
particulier  celui  de  la  traite  et  des  moyens  à  employer  pour 
atteindre  le  but  que  se  propose  la  Commission  internationale 
issue  de  la  conférence  de  Bruxelles  (Voir  aux  Mémoires). 

L'assemblée  témoigne  par  ses  applaudissements  la  recon- 
naissance qu'elle  éprouve  pour  M.  de  Laharpe,  que  M.  le 
Président  remercie  d'une  manière  très-sentie. 

Après  quoi,  l'assemblée  se  transporte  chez  M.  le  Président 
pour  y  passer  la  soirée. 


124  BULLETIN. 

Séance  du  24  avril  1877,  à  9  heures  du  matin. 
Présidence  de  M.   H.    Bouthillier  de  Beaumont. 

M.  le  Président  de  la  Société  de  Géographie  ouvre  la 
séance  en  souliaitanl  la  bienvenue  à  MM.  les  adhérents  à 
l'oeuvre  scientifique  et  pliilaiithtopique  que  poursuit  l'Asso- 
ciation internationale,  et  qui  ont  accepté  de  faire  partie  du 
Comité  national  pour  la  représentation  de  la  Suisse. 

Il  les  l'emercie  de  ce  qu'ils  ont  bien  voulu  répondre  à 
l'appel  que  la  Société  de  Géographie  de  Genève  a  adi'essé  en 
Suisse  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  non-seulement  au  dé- 
veloppement des  connaissances  géographiques  relatives  à 
l'Afrique  centrale,  mais  aussi  et  surtout  aux  progrès  de  la 
civilisation  dans  ces  régions  inexplorées. 

Après  avoir  retracé  en  (juelques  mots  les  tj-avaux  et  le 
résultat  des  Conférences  de  Bi'uxelles,  présidées  par  S.  M.  le 
Roi  des  Belges,  et  expliqué  la  formation  de  l'Association 
internationale  pour  l'exploration  et  la  civilisation  de  l'Afrique 
centrale,  M.  le  Président  demande  à  l'assemblée  de  bien 
vouloir  procédei'  à  la  constitution  du  Comité  national  suisse. 

Mais  auparavant  il  annonce  que  le  nombre  des  adhérents, 
d'après  les  listes  déposées  sur  le  bureau,  s'élève  déjà  à  plus 
de  MO,  et  fait  part  des  regrets  de  plusieurs  d'entre  eux  de 
ne  pouvoir  assister  à  la  séance  de  ce  jour.  Gilons  MM.  Aveu, 
de  Neuchàtel;  Edmond  Boissier,  de  Genève;  F.  Forel, 
professeur  à  rAcadémie  de  Lausanne;  Jules  Grandjean, 
colonel;  Aimé  Hu.mbert;  Mousson,  professeur  à  Zurich; 
Eugène  Renevier,  professeur  à  l'Académie  de  Lausanne. 

Le  iu)mbre  des  adhérents  présents  est  de  i.'J;  ce  sont  : 

M.  11.    B.   de  Beaumont,   président   de   la   Société   de 
Géographie; 


PROCÈS-VERBAUX.  12^ 

MM.  Eug.  DE  BuDÉ,  anc.  président  de  la  Société  genevoise 

d'Utilité  publique  : 
Clément  ; 

Alexandre  de  Dardel  ; 
Eug.  Delessert,  professeur,  à  Lausanne  ; 
L.  Dubois,  ancien  pasteur  ; 
Ch.   Fauke,  ministre,  secrétaire  de  la  Société   de 

Géogi-apliie  de  (îenève  ; 
A.    Freundler,  pasteur,  président  central  du  Glul) 

alpin  suisse; 
L.-Th.  Ghyka; 

H.  DE  Laharpe,  professeui-  de  théologie,  vice-prési- 
dent de  la  Société  de  Géographie; 
Ale\.  Lombard,  président  de  la  Société  pour  la  sanc- 

litication  du  dimanche,  vice-président  de  la  Société 

de  Géographie; 
P.-A.  Mevlan; 

MuLLHAUPT  DE  Steiger,  géographe  ; 
Phil.  Privât,  professeur; 
de  Riedmatten.  pi'ofesseur,  à  Sion  ; 
L.  Rivier,  ingénieur  et  ancien  professeur  à  l'École 

spéciale  de  Lausanne  ; 
Ch.  Rivier,  pasteur,  à  Genève; 

G.  ROUGHTON  ; 

L.  RuFFET,  pasteur,  à  Genève  ; 
G.  Sarasi.n  ; 

L.  Séné,  professeur  au  Gymnase  de  Genève; 
ïh.  Studer,  prof,  de  zoologie  à  l'Université  de  Berne  ; 
Ernest  de  Traz,  secrétaire  de  la  Société  de  Géographie 
de  Genève. 

Après  délibération,  il  est  arrêté  ce  qui  suit  : 
Art.  1". —  Les    adhérents    suisses    aux  résolutions .  de 
Bruxelles  se  réunissent  en  Société  générale  pour  constituer 


126  BULLETIN. 

le  Comité  national,  qui  doit  repi'ésenter  la  Suisse  pai-  ses 
délégués  à  la  Commission  internationale  de  Bruxelles. 

Art.  2.  —  Les  membres  présents  à  cette  séance  constituent 
et  fondent  le  Comité,  chargé  de  poursuivre,  en  ce  qui  le  con- 
cerne et  dans  les  limites  de  la  Suisse,  l'exécution  du  pro- 
gramme de  la  Conférence  internationale,  en  vue  de  l'explo- 
ration et  de  la  civilisation  de  l'Afrique  centrale. 

Soit  :  A.  Vulgariseï-  en  Suisse,  par  la  parole  et  la  presse, 
les  connaissances  de  toute  nature  se  rapportant  au  but  que 
l'Association  internationale  a  en  vue  ^ 

B.  Organiser  une  souscription  nationale  et  centraliser  les 
ressources  de  toute  espèce,  qui  seront  mises  à  sa  disposition 
pour  l'exécution  du  programme  international. 

Art.  3.  —  Le  Comité  nomme,  dans  ce  but,  parmi  tous  les 
adhérents,  son  Bureau,  composé  d'un  [)résident,  de  vice- 
présidents,  en  nombre  qu'il  jugera  convenable,  d'un  secré- 
taire général  et  d'un  Irésoriei-. 

il  choisit  dans  son  sein  ou  en  dehors  deux  délégués,  pour 
le  représenter  à  la  Commission  internationale. 

Les  fonctions  des  membres  du  Comité  et  celles  des 
délégués  sont  honorifiques  et  annuelles. 

Ces  articles,  votés  chacun  en  particulier,  sont  adoptés  dans 
leur  ensemJjle  ;  et,  sur  rol)servatioii  (jue  ces  statuts  étaient 
peu  développés,  il  a  été  entendu  qu'ils  seraient  revisés  et 
développés  à  la  prochaine  réunion  du  Comité. 

Le  Comité  passe  ensuite  à  la  nomination  des  nieuiltres  de 
son  Bureau .  —  Sont  élus  : 

('omme  Président  : 

M.  H.  B.  DE  Beaumont  ,  président  de  la  Société  de 
Géogi'apbie. 

Comme  Vice-Présidents  : 

M.  Ad.  CuRisT,  ancien  conseiller  d'Étal,  à  B;Ue; 

'  Voir  le  Globe,  I"  livraison,  1877,  Bulletin,  p.  :î8  sv. 


PROCÈS-VERBAUX.  127 

MM.  Alexandre   uk  Dardel,    à    Vigier,    près  St-Blaise, 
Neucliâtel; 
Alb.   Mousson^  professeur   de  pliysique,    à    Zurich, 

(Hottingen)  ; 
Th.  Studer,  doct.  et  professeur  de  zoologie,  à  Berne. 
Comme  Secrétaii-e  généi-al  et  Trésorier  : 
M.  Eug.  Delessert,  professeur,  à  Lausanne. 

Enfin,  comme  Délégués  du  Comité  National  Suisse  : 
MM.  Ed.  Desor,  professeur  de  géologie,  à  Neuchàtel  ; 
(iustave  MoYMER,  président  du  Comité  international 
de  la  Croix-Rouge. 
L'assistance  vote  ensuite  des  remercîments  hien  mérités  à 
la  Société  de  Géographie  de  Genève,  qui  a  pris  en  Suisse 
l'initiative  de  cette  œuvre  humanitaire,  ainsi  qu'à  M.  H.  de 
Beaumont,  son  président,  pour   toute  la  peine  qu'il  s'est 
donnée  à  cette  occasion. 

Enfin,  M.  L.  Dubois,  ancien  pasteur,  attire  l'attention  sur 
un  nouvel  ouvrage  (The  lost  continent,  «  Le  continent  perdu, 
etc.  »),  aussi  exact  qu'intéressant,  dû  à  la  plume  de 
M.  J.CooPER,  et  accompagné  d'une  préface  par  M.  Laboulaye. 
Il  en  recommande  la  lecture  à  Messieurs  les  membres  de 
l'Association  internationale,  ainsi  qu'à  toutes  les  personnes 
qui  tiennent  à  être  renseignées  sur  ces  vastes  contrées  encore 
si  peu  connues  du  continent  africain,  en  particulier  sur  ce 
qui  concerne  le  trafic  des  esclaves. 

Après  ces  votations  et  ces  nominations,  Monsieur  le  Pré- 
sident exprime  aussi  ses  vifs  remercîments  à  l'assemblée 
pour  la  constitution  de  cet  important  Comité  et  pour  sa  no- 
mination comme  Président  ;  puis  il  lève  la  séance. 

Genève,  le  24  avril  1877. 

Le  Président, 

H.  BOUTHU.LIER  DE  BeAUMOxNT. 

Le  Secrétaire  général, 
Eug.  Delessert,  prof,  à  Lausanne. 


COMESPOIfDANCE 


Lettre  de  M.  Largeau,  adressée  d'Afrique 
à  M.  le  Président  de  la  Société. 

Touggourt,  le  17  avril  1877. 

J'ai  l'honneur  de  vous  informer  que  j'ai  quitté 

BIskra  le  samedi  24  mars  pour  me  rendre  à  Touggourt,  où 
je  suis  arrivé  le  mardi  3  avril,  à  8  heures  du  matin. 

C'est  au  caravansérail  d'Ourghlana  que  j'ai  reçu,  le  IM 
mars,  grâce  à  la  sollicitude  de  l'agha  Ben  Driss,  de  Toug- 
gourt, la  dépêche  de  M.  Mannoir,  m'annonçant  que  M.  le 
ministre  de  l'Instruction  publique  venait  d'accorder  à  la  So- 
ciété de  Géographie  un  subside  de  fr.  10,000,  dest-né  à  con- 
tribuer aux  frais  de  mon  voyage.  Cette  nouvelle  est  venue 
couper  court  à  mes  inquiétudes.  .le  puis  marcher  maintenant 
sans  crainte  ;  l'exécution  de  la  première  partie  de  mon 
voyage  est  assurée,  et  j'ai  le  meilleur  espoir  pour  l'autre. 

Je  remercie  particulièrement  M.  Waddington  pour  sa  gé- 
néreuse résolution;  mais  MM.  Ménier,  le  baron  Reille, 
Mannoir  et  Duveyrier,  qui  ont  bien  voulu  se  chargei'  de  faire 
les  démarches  auprès  de  M.  le  ministre,  ont  aussi  droit  à  des 
remerciements  et  à  ma  reconnaissance.  Je  ferai  en  sorte  que 
ces  Messieurs  puissent  se  féliciter  un  jour  de  la  confiance 
dont  ils  m'ont  honoré. 

Vous  savez  sans  doute  déjà  (pie,  peu  de  jours  avant  mon 
<léparl    de   IJiskra,  j'ai   reçu  une   somme   de  fr.  2,500  de 


CORRESPONDA.NCK.  12Î) 

M,  Gustave  Revilliod,  de  Genève,  dont  la  l)ienveillanie  amitié 
m'a  été  si  précieuse  dans  ces  dernières  années. 

D'autre  part,  M.  le  gouverneur  général,  répondant  à  quel- 
ques plaintes  que  j'ai  peut-être  formulées  d'une  façon  un  peu 
vive,  m'a  envoyé  par  l'inlermédiaire  de  M.  le  Commandant  su- 
périeur du  cercle  de  Biskra  une  dépêclie  datée  d'Alger,  i'\ 
avril,  que  j'ai  leçue  hier  soir  par  courrier  spécial,  et  dont 
voici  quelques  extraits  : 

«  La  lettre  (Vuman  poui'  Bou-Kliaclieba  était  déjà  expédiée 
à  l'agha  Ben  Diiss  par  la  Division  de  Constantine.  Qui  aviez- 
vous  prévenu  des  engagements  que  vous  aviez  pris  avec 
Kaddour-l)en  Mouïssa,  et  qui  s'oppose  à  ce  qu'il  vous  accom- 
pagne au  Touàt  ?  Je  ne  puis  admettre  qu'on  cherche  à  faire 
échouer  votre  exploration,  alors  qu'ici  on  vous  aide  et  on 
vous  fait  bon  accueil.,..  Du  côté  de  l'administration,  rien  ne 
peut  motiver  un  retard  pour  ce  (jue  vous  voulez  entre- 
prendre. Des  ordres  ont  été  donnés  à  Ouargla  pour  que 
Moussa  vous  suive  et  pour  qu'on  facilite  votre  exploration 
jusqu'aux  limites  de  notre  action  effective.  Je  mets  oOO  francs, 
qui  me  restent,  à  votre  disposition.  L'agha  Ben  Driss  pourra 
vous  les  avancer.  »  —  (J'ai  déjà  reçu  fi".  1000  de  M.  le  gou- 
verneur général.) 

En  arrivant  à  Touggourt,  j'ai  reçu  comme  de  coutume 
l'hospitalité  orientale,  dans  la  plus  large  acception  du  mot, 
chez  mon  ami  l'agha  Si  Mohammed-ben  Driss  ;  j'attends  chez 
lui  l'envoi  des  fonds  ministériels  pour  continuer  mon  voyage. 

11  fait  encore  très-bon  dans  le  Sahara;  la  températui'e 
atteint  à  peine  30°  C.  à  l'ombre;  le  4  avril  seulement  elle  a 
atteint  33"  C.  ;  mais  c'était  unjour  desimoum.  En  somme,  on 
peut  encore  faire  de  très-bonnes  étapes  sans  trop  de  fatigue. 

En  traversant  l'Oued  Rirh,  j'ai  pu  me  rendre  compte  des 
immenses  progrès  réalisés  dans  cette  contrée,  à  la  suite  des 
sondages  exécutés  dans  ces  dernières  années  par  MM.  les 


130  BULLETIN. 

lieutenants  de  Lillo  et  Boiirot.  Je  prendrai  comme  type  de 
comparaison  l'oasis  d'Ourghlana,  dont  la  ruine,  pour  cause 
de  manque  d'eau,  était  imminente.  Or,  depuis  trois  années  à 
peine,  mais  surtout  depuis  le  dernier  sondage  exécuté  par 
M.  de  Lillo  au-dessous  du  caravansérail,  plus  de  dix  hectares 
de  désert  ont  été  mis  en  culture.  Lk  où  le  sol  ne  nourrissait 
autrefois  que  quelques  mauvais  arlnistes,  l'œil  embrasse  au- 
jourd'hui une  immense  étendue  de  luxuriants  jardins,  com- 
ptantes de  palmiers,  de  figuiers  et  d'autres  ai-bres  fruitiers  ; 
des  champs  d'orge  al»ondamment  irrigués,  s'étendant  au- 
dessous  du  vieux  bordj  démantelé  qui  couronne  le  sommet 
de  la  colline,  en  un  large  tapis  de  verdure  d'un  aspect  si 
agréable  à  la  vue,  que  du  point  élevé  où  je  me  trouvais  il 
me  semblait  contempler  l'une  de  ces  riches  prairies  fertilisées 
par  les  limons  de  nos  grands  lleuves.  —  Encore  un  petit 
effort  ;  encore  deux  ou  trois  puits,  et  les  oasis  de  Zaouia, 
d'Ourghlana  et  de  Djamà,  n'en  formeront  qu'une  seule, 
s'étendant  du  nord  au  sud  sur  une  longueui-  de  huit  i^ilo- 
mèh'es. 

Je  vous  envoie  deux  vues  de  puits  artésiens.  La  première 
est  celle  d'un  des  puits  d'El  Mi'aver^  oasis  située  à  trois  jour- 
nées de  marcbe  au  sud  de  Eiskra;  ce  puits,  exécuté  jtar 
M.  le  lieutenant  Bourot,  a  nécessité  huit  jours  de  travail  ;  sa 
profondeur  est  de  47  mètres,  et  son  débit,  de  1500  litres  à  la 
minute. 

La  seconde  vue  est  celle  du  puits  creusé  en  1874  par  M.  le 
lieutenant  de  Lillo  au-dessous  du  bordj  d'Oui'gblana,  à  cinq 
journées  de  marche  au  sud  de  Biskra  et  à  deux  journées  de 
inarclic  au  nord  do  Touggourt.  Son  délùt  est  de  4000  litres  à 
la  minute. 

On  pourrait  ainsi,  en  établissant  dans  l'Oued  Hirli  deux  ou 
ti'ois  ateliers  de  sondage,  transformer  en  peu  de  temps  d'im- 
menses étendues  de  d«'serl  eu  coiilrées  riantes  et  feitiles.Le^ 


CORRESPONDANCE.  131 

Rourlia  ',  mul;U^e^^  laborieux  et  durs  à  la  fatigue,  ne  deman- 
dent que  de  Teau  pour  étendre  le  champ  de  leurs  cultures, 
et  pour  transformer  leur  pays,  autrefois  si  pauvre,  si  troublé, 
en  une  des  plus  fertiles  et  des  plus  riches  contrées  de 
l'Afrique.  L'énorme  quantité  d'eau  qui  descend  des  plateaux 
du  Sahara  central  circule  en  une  large  nappe  souterraine,  et 
si  Ton  juge  delà  quantité  du  débit  qu'elle  pourrait  donner  à 
la  largeur  de  son  ancien  lit,  dont  Tœil  peut  suivre  la  ligne 
blanche  au  delà  et  à  l'est  de  l'oasis  d'Ourghlana.  il  est  certain 
(pie  Ton  peut  pratiquer  des  sondages  à  l'infini. 

Malheureusement,  l'unique  atelier  destiné  à  fonctionner 
cette  année  dans  ces  contrées  vient  seulement  d'arriver  à 
Sidi-Sliman,  non  loin  de  Touggourt,  où  M.  Bourot,  qui  le 
dirige  avec  une  intelligence  et  un  dévouement  dignes  des 
plus  grands  éloges,  aura  à  peine  le  temps  de  creuser  un 
puils  avant  la  saison  des  fortes  chaleurs  et  des  fièvres,  qui  va 
commencer  dès  le  moisprocliain. 

Dès  mon  arrivée  dans  ce  pays  j'ai  recommencé  mes  obser- 
vations sur  la  marche  envahissante  des  sables,  du  sud-est  vers 
le  nord-ouest,  et  comment  se  forment  les  dunes  autour  de 
cei'tains  obstacles,  dont  les  plus  puissants  sont,  sans  nul 
doute,  les  végétaux  et  l'humidité.  A  l'appui  du  système  de 
formation  des  dunes  que  j'ai  développé  dans  mon  ouvrage 
Le  Sahara,  et  auquel  système  je  ne  vois,  jusqu'à  présent,  au- 
cune rectification  à  faire,  je  vous  envoie  une  épreuve  photo- 
graphique faite  avec  l'appareil  Dubroni,  et  représentant  une 
montagne  de  sable  envoie  de  formation  autour  d'un  bosquet 
de  palmiers,  tout  près  de  l'oasis  de  Touggourt,  dont  retendue 
était  autrefois  bien  plus  considérable  qu'aujourd'hui. 

Il  est  bien  certain,  n'est-ce  pas,  qu'à  l'époque  où  ces  pal- 
miei's  ont  été  plantés,  il  n'existait  point  de  dune  à  cet  endroit  ? 
—  Il  est  tout  aussi  cei-fain  que  ces  palmiers  n'ont  pas  été 

*  Nom  (pluriel)  des  habitants  de  l'Oued  Rirh.  —  {Eéd.) 


132  BULLETIN. 

plantés  siii-  une  colline  de  pierres,  mais  Ijien  au  milieu  d'une 
surface  plane,  afin  que  l' irrigation  fût  possible,  et  dans  une 
couche  d'argile  d'une  certaine  épaisseur.  Il  faut  donc  que  les 
sables  qui  se  sont  accumulés  autour  d'eux  au  point  de  former 
une  dune  qui  a  déjà  8  mètres  d'altitude  aient  été  apportés  ? 
Or,  ils  l'ont  été  en  efïet,  par  les  vents  du  sud-est;  FetTet  se 
continue,  et  la  dune  continue  de  grossir  jusqu'à  ce  que  les 
vents  ne  charrient  plus  de  sables,  c'est-à-dire  jusqu'à  ce  que 
le  foyer  d'alimentation  soit  éteint. 

Ce  qui  se  passe  ici  s'est  passé  de  même  dans  le  Zemoul- 
Akbar,  où  l'altitude  des  dunes  varie  entre  100  et  oOO  mètres. 
C'est  ce  sable  charrié  par  les  vents  qui  a  contribué  au  dessé- 
che'tnent  superficiel  des  grands  fieuves  en  comblant  partielle- 
ment ou  complètement  leurs  lits. 

Quant  aux  preuves  d'existence,  dans  di'^^  temps  reculés, 
d'une  population  assez  dense  dans  les  contrées  (pii  loi-menl 
aujourd'hui  le  Grand-Désert,  il  n'est  pas  impossible  de  les 
fournir.  Les  instruments  en  silex  que  j'ai  trouvés  dans  une 
ile  de  Tlgliarghar  et  dont  je  n'ai  pas  fait  mention  dans  mon 
ouvrage,  l'existence  d'instruments  de  ce  geni-e  non  loin 
d'Ouargla  et  l'existence  d'autres  dépôts  qui  viennent  de  m'être 
signalés  dans  le  bassin  de  l'Oued  Miâ,  me  confirment  dans 
cette  idée.  Du  reste,  croyez  que  je  dirigerai  mes  recherches 
de  façon  à  jeter,  autant  f|ue  possible,  quelque  lumière  sur 
cette  importante  (piestion. 

M.  Say  et  ses  conqjagnons  sont  arrivés  hier  soir  d'Ouargla; 
lout  le  monde  était  en  parfaite  santé. 

Il  paraît  que  le  premier  essai  commercial  n'a  pas  été  très- 
brillant.  Il  est  vrai  ipie  la  saison  avait  été  assez  mal  choisie. 
Cependant  je  suis  convaincu  ijuc  si  ces  Messieurs  avaient  pris 
Touggoui't  comnK^  centre  d'aclion,  ils  seraient  ari'ivés  tout 
d'abord  à  de  meilleurs  résultats. 

Oiiaritla  est  en  elTet  un  icntre  ruiné.  aband(uiné  des  cara- 


CORRESPONDANCE.  133 

vaneSj  qui  n'offre  pas  les  ressources  de  Touggourt,  centre 
encore  très-commerçant,  puisiju'il  est  le  rendez-vous  des 
négociants  tunisiens,  mzajjites,  etc.,  et  que  l'on  \  trouverait 
de  suite,  comme  premier  aliment,  le  commerce  des  grains, 
des  dattes,  des  laines,  des  tissus,  des  liqueurs,  etc.  Peu  à  peu, 
lorsque  les  grandes  caravanes  du  Soudan  commenceraient 
d'arriver,  il  sei-ait  facile  de  s'étendre  et  d'établir  à  Ouargla 
une  succursale  qui  ne  pourrait  manquer  de  prospérer.  A 
mon  avis,  on  met  la  cliarrue  devant  les  bœufs.  Cependant  il 
peut  se  faire  qu'on  réussisse  là-bas,  mais  à  la  condition  de 
sacrifier  beaucoup  de  capitaux,  'et  c'est  cette  alternative  que 
j'ai  toujours  redoutée. 

Quant  à  ces  Messieurs,  ils  sont  très-décidés  à  renouveler 
leuj"  tentative  en  automne  et  à  la  continuer  en  hiver,  saisons 
autrement  favorables  que  celles  qu'ils  ont  choisie  pour  dé- 
buter. 

.le  ne  dois  pas  oublier  que  le  init  de  MM.  Say,  Crespel, 
Caillot  et  Fourreau  est,  en  somme,  le  même  que  je  poursuis 
depuis  plusieurs  années,  et  que  c'est  à  la  suite  du  voyage 
(ju'il  a  fait  avec  moi  que  M.  Say  s'est  mis  à  l'œuvre. 

Nous  voici  maintenant  tous  réunis  à  Touggourt,  ferme- 
ment l'ésolus  à  nous  prêter  un  mutuel  appui  pour  arriver  au 
JHit,  (pii  est:  bien  faire  connaître  aux  Français  de  la  métropole 
notre  belle  et  chère  Algérie,  et  pousser  à  son  développement 
commercial  en  lui  traçant  des  routes  à  travers  le  Sahara 
jusqu'au  pays  des  nègres,  —  Que  Dieu  nous  soit  en  aide! 

19  avril.  —  Je  suis  allé  hiei-,  avec  l'agha,  M.  Say  et  plu- 
sieurs cavaliers,  accompagner  MM.  Caillot,  Crespel  et  Foui- 
reau  jusqu'à  l'oasis  de  Sidi-Sliman  où  nous  avons  donné  le 
premier  coup  de  sonde  au  puits  artésien  d'Aïn-Tharfa,  que 
M.  Bourot  allait  justement  commencer. 

Conduits  par  le  cheikh,  nous  nous  sommes  ensuite  pro- 
menés dans  l'oasis  où  nous  avons  constaté  les  heureux  résul- 


134  BULLETIN. 

tats  produits  par  le  sondage  exécuté  il  y  trois  ans  par  M.  de 
Lillo,  et  dont  le  débit  est  de  3000  litres  à  la  minute.  Dans  de 
vastes  jardins  al>ondamment  arrosés,  nous  avons  admiré  de 
belles  plantations  de  jeunes  palmiers  de  l'espèce  appelée 
Deglel-Nour,  dont  les  régimes  dorés  se  montrent  déjà  entre 
leurs  palmes  flexibles  ;  entre  les  palmiers,  des  figuiers  chargés 
de  fiuit,  et  des  ceps  déjà  couverts  de  raisins  en  Heurs,  se 
soutenant  aux  troncs  des  liguiei's  et  des  grenadiers,  dont  les 
fleurs  rouges  ont  peine  à  percer  ce  flot  de  verdure;  puis, 
partout,  aux  alentours,  des  champs  d'orge  en  épis,  qui  font 
l'orgueil  et  la  joie  des  propriétaires  ;  car  ce  n'est  que 
depuis  quelques  années  que  l'abondance  de  l'eau  leur  permet 
de  cultiver  cette  céréale,  qui  auparavant  leur  arrivait  du  Tell 
à  grands  frais. 

Après  cette  promenade,  un  repas  champêtre,  dont  les 
honneurs  ont  été  faits  par  M.  Bourot,  a  été  d'autant  mieux 
goûté  que  la  chevauchée  du  matin  et  la  promenade  sous  les 
palmiers  avaient  singulièrement  développé  l'appétit  de  cha- 
cun. 

y\M.  Caillol,  Crespel  et  Fourreau  ont  ensuite  pris  la  route 
de  Biskra,  tandis  que  M.  Say  reprenait  avec  nous  la  route  de 
Touggourt;,  d'où  il  compte  retourner  bientôt  à  Ouargla. 

Quant  à  moi,  je  quitterai  également  Touggourt  dès  que 
j'aurai  reçu  les  fonds  du  ministère.  Je  me  rendrai  ensuite  à 
Ouargla,  d'où. ...  ?  —  Dieu  sait  le  reste  ! 

V.  Largeau. 


BIBLIOGRAPHIE 


Notices  bibliographiques. 

(Par  ]M.  Alf.  Piotet.) 

Rapport  sur  les  Résultats  d'observations  météorologi- 
ques faites  par  le  Col.  Ward  à  Rossinières  (Vaud),  de- 
puis le  mois  de  novembre  1873  jusqu'à  la  lin  de  1875. 
—  Extrait  du  Journal  de  la  Société  météorologique  de  Lon- 
dres, n"  de  janvier  1877. 

L'altitude  de  la  station  de  Rossinières  est  de  2980  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  soit  de  1750  pieds  au-dessus  du 
lac  de  Genève,  et  les  instruipents,  baromètres,  thermomètres, 
pluviomètres,  étaient  placés  dans  un  jardin  à  200  pieds  envi- 
ron au-dessus  du  bassin  de  la  Sarine. 

La  moyenne  de  température  pour  les  deux  années  1874  et 
1875  a  été  (nous  réduisons  Fahrenheit  en  centigrades)  de 
()°,33  pour  la  première  année,  et  de  6°,39  pour  la  seconde. 
La  plus  haute  température  a  été  de  31°,66  le  3  juillet  1874, 
et  de  29°,44  le  18  août;  la  plus  basse  a  été  de  —  20°  le 
24  décembre  1874,  et  de  —  2r,65  le  1^'  janvier  1875. 
Les  seuls  mois  entièrement  exempts  de  blanche  gelée  ont  été 
ceux  de  juin,juillet  et  août,  et  pour  1875,  celui  de  septembre. 

Outre  d'autres  détails  plus  circonstanciés  sur  ditïérenles 
moyennes  de  température  considérées  d'un  mois  à  l'autre, 
l'observateur  donne  des  tableaux  explicatifs  contenant  les 
indications  du  baromètre,  et  les  moyennes  de  l'humidité,  de 
la  fréquence  des  nuages,  des  vents  régnants,  et  de  la  pluie 
reçue  pendant  les  deux  années  en  question. 

Les  vents  prévalant  à  Rossinières  sont  ceux  du  N.-E.  et 


I3()  BULLETIN. 

(lu  S.-O.,  .soiifflaiil  alternativement  pendant  un  très-long 
temps  de  suite.  L'absence  de  vent  en  hiver  y  rend  le  froid 
moins  sensible  qu'on  ne  s'y  attendrait  d'après  l'altitude  de 
cette  station. 

La  liauteur  totale  de  l'eau  tombée  a  été  poui-  1874,  de 
l^^^TSV,  et  pour  1875,  de  l'",4190.  Les  mois  de  la  plus  abon- 
dante pluie  sont  ceux  de  juillet  et  novembre,  et  ceux  de  la 
plus  faible,  févi-ier  et  mars. 

Le  nombie  d'orages  accompagnés  de  tonnerre  a  été  de  45 
en  1874,  de  43  en  1875,  le  mois  de  juillet  étant  celui  qui  en 
a  le  plus,  et  répotjue  de  décembre  à  mars  en  étant  complète- 
ment exempte. 

M.  Pictet  ajoute  quelques  mots  sur  le  ti'oisième  volume  du 
Releié  géographiqne  et  géologique  des  États  et  territoires  des 
États-Unis,  situés  à  l'ouest  du  100""^  méridien,  par  le  lieute- 
nant du  génie  G. -M.  Wiieeler.  Ce  volume,  envoyé  en  don 
par  l'auteur,  s'occupe  spécialement  de  la  géologie  et  de  la 
minéralogie  ;  il  rend  compte  des  explorations  exécutées  de 
1871  à  1873  dans  les  États  ou  territoires  de  Nevada,  Utali, 
Californie,  Arizona,  New-Mexico  et  Colorado.  L'auteur  expose 
les  ressources  agricoles  et  minérales  de  ces  contrées,  la  com- 
position géologique  du  sol,  la  distribution  des  eaux,  la  struc- 
ture des  chaînes  de  montagnes,  etc. 

Ce  beau  volume  est  accompagné  d'un  certain  nombre  de 
planches  héliogi-aphiques  représentant  les  points  les  plus  re- 
marquables par  leur  aspect  ou  leui-  caractère  géologique. 


(Par  M.  Metchnikotf.) 
Bulletin  de  la  Société  géographique  russe  (publié  sous 

la  (Hrection  de  M.   V.-.I.  Srezniewskv).  —    Vol.  XII,  n"  0, 

7  février  1877. 

Le  général  v.  Kaufniann,  gouverneur  du  Tinkcslan,  télé- 
graphie en  date  du   ^1   déicuilMT  ;2  janvier,  (juc  M.  N.-M. 


BIBLIOGRAPHIE.  137 

Przévalsky,  aiiivé  à  Korlé,  y  a  élé  très-bien  accueilli  par  les 
Kachgariens.  Il  se  dirige  vers  le  Lob-Nor. 

M.  G.-N.  Potanin,  écrit  au  vice-président  de  la  Société  : 

«  Le  20  août,  nous  (piittàmes  la  ville  chinoise  de  Bulun- 
Tohoï  et,  en  suivant  la  rive  droite  du  lac  Ulun-gur,  nous  ar- 
rivâmes, après  9  jours  de  marche,  au  rocher  de  Touet  sur  le 
fleuve  Kran,  à  12  kilomètres  du  Couvent  de  Chara  Sumé,  ré- 
sidence de  Tsagan  Guygen.  Nous  traversâmes  l'Irlycii-Noir  à 

Durbeldjin La  vallée  du  Kran  est  toute  cultivée  par  les 

Olutes  et  les  Kirghizes;  elle  est  le  grenier  de  ces  pays  et  les 
habitants  des  provinces  orientales  de  l'Altaï  méridional  vien- 
nent faire  ici  leur  provision  de  céréales... 

La  montée  de  l'Altaï,  en  suivant  le  sentier  de  Kandagataï, 
est  très-difficile,  et  nous  lui  avons  préféré  le  chemin  de  Ur- 
mogaïta  (9000  pieds  au-dessus  de  la  mer)  qui  est  libre  de 
neige  dans  cette  saison.  En  hiver  cependant  cette  route  n'est 
guère  praticable  et  les  communications  entre  Bulun-ïohoï  et 
Kobdo  ne  sont  possibles  alors  que  par  la  route  militaire  de 
la  vallée  de  Bungun. . . 

...  La  pente  sud  du  mont  Altaï  est  généralement  riche  en 
terrains  sédimentaires  et  elle  est  aussi  la  plus  boisée.  Au  pied 
du  col  Urmogaïta,  à  l'E.,  nous  trouvâmes  le  lac  alpestre  Dann- 
Kul.  Ici  nous  vîmes  les^ùeïquiémigrèrent  de  l'O.  il  y  a  sept 
ans.  A  Tal-Nor,  à  trois  jours  de  marche  de  Kobdo,  nous  vî- 
mes les  derniers  Kirghizes.  —  Le  pays  à  l'E.  du  col  Urmo- 
gaïta est  un  plateau  élevé  et  onduleux,  qui  s'abaisse  vers  l'E. 
en  formant  deux  tranchées,  séparées  par  des  rangées  de  mon- 
tagnes dont  le  Diéliun  (10,000  pieds)  est  la  plus  élevée.  Nous 
atteignîmes  Kobdo  le  4/1(5  octobre.  » 

Les  explorateurs  firent  une  riche  collection  ornithologique  ; 
ils  déterminèrent  la  latitude  de  trois  points  entre  le  fort  Zaï- 
san  et  Kobdo,  et  exécutèrent  la  mensuration  de  plusieurs  hau- 

BDLLETIN,  T.    XVI,    1877.  10 


138  BULLETIN. 

leurs.  —  Ils  se  dirigent,  vers  Cliami,  où  ils  comptent  passer 
l'hiver. 

Voici  (juelques  extraits  de  notes  adressées  des  régions 
équatoriales  par  M.  Mikluho-Maklay  : 

7  et  8  mars.  —  Ile  Guebi,  située  presque  sous  la  ligne.  Ri- 
che végétation;  —  collines L'intérieur  en  est  désert.  Les 

habitants  des  côtes  principalement  Papouas  ;  aussi  quelques 
émigrés  de  Tidor  et  Halmagera.  Comme  aux  îles  Seram-Laut, 
j'ai  vu  ici  des  enfants  de  mères  papoua  et  de  pères  malais  : 
ils  ont  les  cheveux  plats  et  le  crâne  très-brachycéphale... 

13  mars.  —  Iles  Freval  ou  S*-David  (gi-oupe  Pegan)  :  six 
attoles  couronnées  de  quelques  cocotiers.  Une  de  ces  îles  est 
habitée  par  un  trader  qui  fait  la  provision  de  kobra  *  pour  le 
compte  de  Godefroi  et  C'%  de  Hambourg.  —  Gerland  (dans 
Waitz-Gerlandsche  Anthropologie)  considère  ces  îles  comme 
faisant  partie  de  la  Micronésie...  Les  enfants  du  trader  an- 
glais ont  tous  le  type  de  leurs  mères  micronésiennes  ;  leur 
peau  est  cependant  un  peu  moins  foncée  et  leurs  cheveux 
ont  des  nuances  ijlondes. 

25  mars, —  Groupe  Auropic  :  Trois  îlots  bas.  Les  habitants 
ne  sont  pas  très-foncés  (n"  37  des  tables  Brocca);  cheveux 
crépus  formant  comme  un  bonnet.  Leurs  oreilles  ornées 
d'une  profusion  de  garnitures  en  écaille  de  tortue  el  de  co- 
quilles de  diverses  couleurs.  Les  bras,  au-dessus  et  au-dessous 
du  coude,  tatoués  en  forme  de  bracelet;  une  feuille  ou  une 
fleur  dans  le  nez,  une  crête  dans  les  cheveux  et  un  pagne  au- 
tour des  reins  complètent  leur  toilette.  —  Caractères  non 
équivoques  de  sang  papoua.  La  plupart  de  ces  habitants  vien- 
nent ici  des  îles  Wuap  ou  Yap  pour  se  procurei"  les  gan,  c'esl- 
à-dire  les  coquillages  qui  y  sont  fort  estimés  et  servent  ^W 
monnaie  pour  les  tnmsactions  entre  les  chefs  {\q^  tribus,  qui 
ont  le  monopole  de  ces  bijoux  naturels. 

^  Noix  de  coco  desséchée. 


BIBLIOGRAPHIE.  139 

27  mars.  —  Groupe  Ulili,  Maguemot  ou  Mackenzie  :  vingt 
attoles  dont  les  habitants  sont  identiques  à  ceux  de  l'île  Wuap. 

28  mars.  —  Ile  Wuap  ou  Yap  (appelée  aussi  Pelu  '  Lekop 
par  les  indigènes):  Deux  petits  îlots,  Uromon  et  Moli,  se  trou- 
vent près  de  l'extrémité  N.  de  l'île  principale.  Deux  baies  as- 
sez profondes,  l'une  au  N.  et  l'autre  au  S.,  n'étant  séparées 
que  par  une  petite  isthme,  donnent  à  cette  île  la  forme  d'un 
X  iirégulier.  Quelques  collines,  généralement  dénudées,  foi- 
ment  un  paysage  assez  varié... 

De  l'île  de  Wuap  l'explorateur  russe  se  dirigea  vers  l'ai- 
chipel  Pelau,  où  il  fit  une  collection  anthropologique  et  re- 
cueillit quelques  spécimens  de  l'écriture  idéographique  indi- 
gène. 

M.  Mikluho-Maklay  est  indigné  des  injustices  que  les  trafi- 
quants blancs  commettent  dans  ces  parages,  et  il  promet  à  ce 
sujet  un  rapport  très-détaillé. 

Aux  îles  de  l'Amirauté,  il  signale  une  particularité  anato- 
mique  des  habitants  (mélanésiens)  :  elle  consiste  dans  la  lon- 
gueui-  démesurée  des  dents  des  deux  mandibules,  qui  aug- 
mente le  prognathisme  du  crâne. 

A  l'archipel  Ninigo,  ou  de  l'Échiquier,  le  voyageur  a  été 
étonné  de  trouver  une  population  entièrement  micronésienne 
entourée  de  toutes  parts  par  les  mélanésiens. 

Le  17  juin  il  quitta  Ninigo  pour  revenir,  après  3  années  et 
demie  d'absence,  à  la  côte  qui  porte  son  nom.  Les  indigènes 
lui  firent  un  accueil  «  plus  qu'amical ...»  Y  ayant  construit 
une  maison  assez  confortable,  connaissant  la  langue  du  pays 
et  ayant  su  s'attirer  la  confiance  des  habitants,  M.  Mikluho- 
Maklay  espère  avant  peu  arriver  à  quelques  résultats  impor- 
tants dans  la  direction  qu'il  s'est  déjà  tracée  lors  de  son  pre- 
mier séjour  sur  cette  côte.  —  Il  se  plaint  de  nombreuses  dif- 
ficultés qu'il  a  subies  dans  son  voyage  depuis  Java... 

»  Pelu  =  ?fe. 


140  BULLETIN. 

M.  Voïeykolï  communique,  par  une  lettre  adressée  au  ba- 
jon  T. -P.  Osten-Saken,  quelques  détails  sur  son  voyage  au- 
tour du  monde.  Il  a  fait  une  excursion  pleine  d'intérêt  dans 
le  nord  du  Japon  et  a  parcouru  la  partie  méridionale  de  l'ile 
de  Yéso,  jus{|u'au  grand  village  de  Youran.  11  promet  des 
communications  intéressantes  sur  les  Aïnos. 

Ce  numéro  contient  aussi  : 

Une  communication  de  M.  Helmerssen  sur  la  «  Découverte 
de  la  terre  de  Wrangel.  » 

«  Les  résultats  d'un  nivellement  géographique  fait  sur  la 
glace  entre  Kronstadt  et  la  côte  d'Oranienbaum,  »  par  M. 
A. -A.  Tillo. 

Enfin,  une  lelation  de  iM.  Starilzky  de  la  «  Croisière  du 
VsadiUk,»  dans  laquelle  on  remarque  surtout  les  travaux  géo- 
désiques  du  lieutenant  Onacevicz  dans  plusieurs  localités  du 
Nord-Pacifique. 


MELANGES  ET  NOUVELLES 


Lithologie  du  fond  des  mers 

Par  M.  Delesse,  professeur  en  chef  des  mines,  etc. 

Ouvrage  publié  sous  les  auspices  de  M.  le  ministre  de  la  marine  et 
de  M.  le  ministre  des  travaux  publics. 

Dans  la  préface  de  cet  important  ouvrage,  M,  Delesse,  l'é- 
minent  professeur  de  géologie  à  l'École  normale,  retrace  les 
nombreuses  sources  auxquelles,  depuis  de  longues  années,  il 
est  venu  puiser  des  données  certaines  sur  le  grand  sujet 
qu'il  traite.  Il  pas.se  en  revue  les  nombreux  travaux  auxquels 
il  .s'est  livié  lui-même,  et  fait  connaître  les  noms  des  savants, 
géologues,  marins,  ingénieurs,  cbefs  des  travaux  publics, 
auxquels  il  doit  une  aide  efficace  dans  la  réalisation  de  son 
œuvre. 

Plus  loin,  dans  son  introduction,  il  passe  en  revue  les  preu- 
ves d'analyses  qu'il  a  employées  et  les  différentes  manières 
dont  ses  observations  ont  été  faites. 

Il  explicpie  la  division  de  son  ouvrage,  formant  deux  volu- 
mes j  le  premier,  de  plus  de  500  pages,  contenant  le  travail 
de  synthèse,  d'analyse  ou  de  déduction,  de  toutes  les  don- 
nées recueillies  par  lui  sur  chaque  chef,  et  le  résultat  de  .ses 
études  et  de  ses  recherches  :  le  second,  comme  appendice, 
donnant,  dans  près  de  150  pages,  sous  forme  de  tableaux, 
toutes  les  observations  recueillies  et  chiffres  sur  :  la  fré- 
quence des  vents,  la  distribution  des  pluies,  les  dépôts  des 
dunes,  ceux  des  rivières,  des  lacs  et  étangs,  dépôts  marins 
littoraux,  dépôts  .sous-marins. 

Fondé  sur  de  pareilles  bases  et  sur  une  si  grande  richesse 
de  matériaux,  il  ne  nous  est  pas  ditïicile  de  faire  comprendre 


142  BULLETIN. 

à  nos  lecteurs  tout  l'attrait  et  toute  la  valeur  de  cet  ouvrage; 
mais  d'un  autre  côté  il  ne  nous  est  pas  plus  facile  pour  cela 
d'en  donner  une  analyse  qui  sera  toujours  trop  distante  de 
ce  qu'elle  mériterait  d'être. 

Nous  ne  pouvons  naturellement  nous  étendre  ici  dans  le 
détail  de  ces  nombreuses  analyses,  de  ces  études  des  sonda- 
ges; dans  les  considérations  sur  l'action  des  vents,  des  cou- 
rants, des  pluies,  de  la  forme  des  côtes,  de  leur  nature  géo- 
logique, etc.,  sur  lesquelles  l'auteur  enti'e  dans  des  dévelop- 
pements très-intéressants.  Nous  ne  pouvons  que  le  suivre 
dans  les  résultats  généraux  scientifiques  et  dans  l'application 
des  forces  naturelles  qui  régissent  l'apport  des  matériaux  bri- 
sés par  les  eaux,  et  leur  dissémination. 

Si  une  loi  se  présente  avec  évidence  dès  l'abord  dans  la 
répartition  de  ces  dépôts  marins,  iiue  la  nature  géologique 
d'un  grand  bassin  continental  doit  ilonner  sa  composition 
aux  côtes  qui  ravoisinent,il  ne  faut  pas  lui  attribuer  une  trop 
grande  valeur;  car,  comme  le  prouve  M.  Delesse,  la  nature 
chimique  du  terrain  géologique  et  de  la  roche  dominante  de 
la  contrée,  sa  friai)ilité,  les  courants  auxquels  elle  sera  sou- 
mise, l'amplitude  de  l'agitation  de  la  mer,  sont  autant  de 
puissants  facteurs,  qui  en  changent  complètement  les  résul- 
tats. Ainsi  généralement,  comme  l'observe  l'auteur,  les  calcai- 
res disparaissent  sous  l'action  des  grandes  eaux  de  l'océan, 
ou  bien  ils  restent  en  forts  galets  apportés  et  laissés  sur  la- 
côte  par  les  fortes  marées,  ou  bien  ils  se  retrouvent  dans 
l'état  le  plus  ténu  comme  vase  dans  les  profondeurs  de  la 
mer,  ou  bien  encore,  entièrement  dissous  dans  les  eaux^  ils 
servent  de  matières  premières  à  la  formation  des  grands 
amas  de  polypiers,  de  uiolluscpies,  etc.,  etc.,  dont  les  bancs 
s'étendent  dans  certains  points  sous-marins  à  de  grandes  dis- 
tances et  à  de  grandes  profondeurs. 

Le  feldspath  disparaît  moins  généralemoni  et  moins  rapi- 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  143 

dément.  Le  silex,  plus  dur  encore,  se  retrouve  davantage  dans 
les  débris.  Mais  celle  de  toutes  les  substances  minérales  qui 
lutte  le  plus  fortement  contre  la  destruction  est  le  quartz, 
dans  toutes  ses  variétés;  subissant  et  supportant  en  se  rédui- 
sant de  volume  les  plus  fortes  actions  des  eaux,  la  puissance 
de  l'agitation  de  la  mer,  il  se  retrouve  partout,  ou  presque 
partout,  comme  base  principale  des  dépôts  côtiers,  soit  en 
galets,  soit  en  graviers,  soit  en  sables,  suivant  la  trituration 
qu'il  a  subie  et  la  distance  d'où  il  provient.  Les  côtes  seraient 
donc  presque  entièrement  siliceuses,  mais  M.  Delesse  trouve 
cependant  bien  des  exceptions  à  ce  résultat  pris  stricte- 
ment. 

Ainsi  en  étudiant  les  bords  de  l'océan  Atlantique,  il  en 
trouve  dont  le  rivage  contient  jusqu'à  70  pour  cent  de  car- 
bonate de  cbaux,  tandis  que  d'autres  n'en  donnent  que  9  à 
10  pour  cent,  (luelquefois  même  des  traces  seulement.  Gela 
est  dû,  comme  il  l'observe, à  l'apport  par  certains  courants  des 
détritus  de  polypiers  ou  de  mollusques. 

Ainsi  il  relate,  sur  la  côte  de  la  Manche,  des  sables  vaseux 
tellement  calcaires,  par  ces  détritus  accumulés,  qu'ils  sont 
employés  en  grand  pour  Tamendement  des  terres,  dans  Ta- 
griculture  de  ces  contrées. 

Dans  des  régions  sous-marines,  l'auteur  retrouve,  par  l'é- 
tude de  nombreux  sondages,  la  présence  d'une  vase  calcaire 
produit  des  débris  des  polypiers  et  des  mollusques  (croissant 
en  bancs  pi"ès  des  côtes),  qui  retrace  tout  à  fait  la  formation 
de  la  craie,  du  calcaire  compacte  ou.oolitique. 

n  signale  surtout  sur  les  côtes  d'Amérique  l'extension  des 
polypiers  sur  de  très-grandes  étendues. 

Dans  d'auti'es  régions  de  l'Atlantique  il  retrouve  aussi,  dans 
des  couches  sous-marines  de  nature  ditïérente,  les  débris  des 
mêmes  organismes,  ce  qui  vient  confirmer  encore  que  la  ca- 
ractéristique des  âge?'  géologiques  est  essentiellement  dans 
les  fossiles. 


144  BULLETIN. 

M.  Delesse  signale  aussi  dans  la  Baltique,  par  le  fait  de 
l'extension  des  eaux  douces  dans  la  mer,  la  vie  simultanée 
des  mollusques  marins  et  d'eau  douce  ou  lacustres,  fait  im- 
portant par  ses  résultats  paléonlolopiques  et  géoloniques. 

Il  est  intéressant  de  suivre  les  i-eclierches  et  les  études  de 
l'auteur  le  long  des  côtes  des  continents  ou  dans  les  profon- 
deurs des  océans,  sur  les  belles  cartes  dont  se  compose  Tatlas 
qui  accompagne  son  ouvrage  : 

Une  grande  carie  lithologique  des  mers  de  la  France,  carte 
cliromolitliographique  avec  la  division  des  lerr-ains  émergés 
et  immergés,  avec  courbes  d'altitude  et  courbes  de  profon- 
deur. 

Une  grande  carte  lithologique  des  mers  de  l'Europe,  aussi 
chromolithographique,  donnant  la  valeur  des  bassins  flu- 
viaux, des  coupes  de  niveau  du  fond  des  mers,  et  la  nature 
géologique  générale  de  celui-ci. 

Une  grande  carte  lithologi(pie  des  mers  de  l'Amérique  du 
Nord,  donnant  aussi  les  mêmes  indications  poui"  ce  conti- 
nent. 

Puis  six  plus  petites  caries  sur  lesquelles,  retraçant  ternies 
les  données  de  la  dispei'sion  des  terrains  géologiques  par  les 
eaux,  l'auteur  termine  son  ouvrage  en  donnant  pour  la 
France  l'expression  géographique  des  époques  géologiques 
antérieures,  silurienne,  triasique,  liasique,éocéne,  pliocène  et 
actuelle. 

Nous  n'avons  fait,  comme  on  le  voit,  et  nous  n'avons  pu 
faire  à  notre  grand  regret  qu'esquisseï"  à  grands  traits  les 
données  principales  de  ce  bel  ouvrage  de  M.  Delesse.  Mais 
nous  avons  été  heureux  de  pouvoir  témoigner  ainsi  notre 
considération  pour  un  sérieux  li'avail,  qui  reslera  un  des  do- 
cuments précieux  de  la  science  de  nos  jours. 

B^  de  B'. 


DEMIERES  NOUVELLES 


Association  internationale  africaine. 

CONTÉRENCES   DE   BRUXELLES 

Monsieur  le  Rédacteur, 

Je  me  hâte  de  vous  donner  quelques  détails  sur  les  réu- 
nions de  Bruxelles,  qui  viennent  de  se  terminer,  afin  (jue  les 
lecteurs  du  Globe  puissent  en  avoir  la  primeur,  dans  cette 
livraison  de  notre  journal  géofii-aphique.  Il  est  inutile  de 
rappeler  ici  comment  les  premièi-es  conférences  poui"  la  fon- 
dation de  l'Association  internationale  africaine  eurent  lieu, 
sur  l'initiative  du  roi  des  Belges,  en  septembre  187H.  Celles 
des  20  et  21  juin  de  cette  année  sont  les  premières  assises 
de  la  grande  et  généreuse  entreprise  de  Sa  Majesté,  sanc- 
tionnée par  l'adhésion  de  tous  les  États  chrétiens;  c'est  la 
mise  en  exécution  des  principes  adoptés  il  y  a  neuf  mois  ; 
c'est  l'entrée  en  activité  de  l'œuvre  elle-même.  Aussi  sont- 
elles  d'une  grande  importance  par  leur  l'ésultat. 

Je  dois  et  désire  me  hornei-  dans  ces  quelques  mots  à  la 
partie  essentiellement  géographique  des  résolutions  de  ces 
conférences  pour  ne  point  empiéter  sur  le  rapport  plus  spé- 
cial qui  sera  présenté  par  les  délégués  du  comité  national 
suisse. 

Quel  est  le  point  de  cette  grande  surface  de  l'Afrique  cen- 
trale vers  lequel  doivent  porter  les  premiers  efforts  de  l'asso- 
ciation ?  C'est  la  question  géographique  qui  se  place  en  pre- 
mière ligne  et  sur  laquelle  s'est  concentrée  l'attention  des 
géographes  et  des  délégués  réunis.  L'exploration  et  les  re- 
connaissances sur  terrain  nouveau  devant  être  le  début  des 


146  BULLETIN. 

travaux  de  la  staliou  s('ientifique  et  hospitalière,  il  est  évi- 
dent que  sa  position  doit  être  près  de  la  limite  des  dernières 
conquêtes  des  explorateurs,  afin  de  porter  ses  oljservations 
géographiques  et  scientifiques  vers  des  pays  neufs  ou  encore 
peu  connus,  se  plaçant  par  cela  même  dans  une  position  fa- 
vorable pour  l'étude  des  races  indigènes,  en  contact  avec  elles, 
afin  de  pouvoir  après  un  certain  laps  de  temps  et  sur  des 
données  bien  acquises  suivre  à  la  grande  pensée  de  leur  dé- 
veloppement moral,  et  de  la  lutte  contre  la  traite. 

La  voie  des  grands  fleuves,  qui  avait  été  assez  préconisée 
dans  les  conférences  de  l'année  dernière,  a  trouvé  encore  de 
grands  partisans  et  a  été  reprise  par  les  délégués  hollandais 
surtout  pour  le  Congo,  dont  le  vaste  cours  allant  de  l'Est 
à  l'Ouest,  permettrait  à  une  expédition  remontant  en  ba- 
teaux à  vapeur,  de  l'apide  en  l'apide,  d'explorer  les  régions 
de  ses  sources  et  les  pays  à  l'occient  du  Tanganyika.  Les 
communications  semblent  plus  facilement  établies  et  assurées 
par  la  navigation;  mais  malheuieusement  les  grands  fleuves 
de  la  côte  ouest  de  l'Afrique  centrale  sont  d'un  abord  diffi- 
cile, et  le  climat  de  leur  région  maritime  généralement  très- 
mauvais  et  pernicieux  pour  les  Européens.  Cependant  le  Co- 
mité exécutif  étudiera  un  plan  d'expédition  dans  ce  sens, 
partant  de  la  côte  occidentale,  et  subsidiairement  à  celui  qu'il 
présente  aujourd'hui. 

La  voie  de  terre  i)ar  le  Nord-Est,  par  Ankober  et  Ischoa, 
que  l'expédition  italienne,  sous  la  conduite  du  célèln'e  explo- 
l'ateur  mar(|uis  Antinori  a  ouverte  l'an  dernier  et  par  la- 
quelle elle  doit  marcher  vers  le  Sud,  vers  les  rives  du  lac 
Victoria  ',  a  excité  l'intérêt  de  la  commission  interna- 
tionale et  acquis  à  l'unanimité  son  témoignage-  tle  consi- 
dération, son  patronage  moral  et  même  son  concours  elîectif 
s'il  devenait  nécessaire. 

'  Voir  le  Globe,  1875;  UiiHctin,  p.  81,  sv. 


DERNIÈRES  NOUVELLES.  147 

Le  comilé  exécutif,  après  avoir  examiné  et  étudié,  à  l'aide 
des  connaissances  personnelles  de  ses  membres,  voyageurs 
et  savants,  et  de  toutes  les  investigations  qu'elle  pouvait 
mettre  à  son  service,  prend  la  côte  orientale  comme  point 
de  départ,  Zanzibar,  ou  mieux  la  côte  de  Zanguebar.  De  là 
elle  suit  la  route  déjà  connue  des  voyageurs,  celle  des  cara- 
vanes, essayée  dernièrement  par  les  transports  des  missions 
anglaises,  pour  se  rendre  à  Ujiji  ;  puis  se  porter  en  avant, 
au  delà  du  lac  Tanganyika,  dans  des  contrées  encore  incon- 
nues, poui'  y  fonder  la  première  station,  se  tenant  en  rapport 
constant  avec  la  live  ouest  du  lac.  L'emploi  de  routes  déjà 
connues  pour  pénétrei"  ainsi,  par  la  plus  petite  distance,  pai- 
terre,  à  parcourir  juscju'au  centre  du  continent  africain,  dans 
un  des  endroits  le  moins  connu  et  le  plus  intéressant  sous 
tous  les  rapports,  donne  à  cette  voie  une  supériorité  mar- 
quée sur  les  autres,  au  moins  pour  le  moment.  La  considé- 
ration d'avoir  à  traverser  des  pays  riches,  fertiles,  avant  tout 
sains  et  favorables  à  la  santé  des  Eur-opéens,  est  aussi  d'un 
grand  poids.  La  rapidité  de  la  marche  de  la  mission  et  sa 
réussite  en  sont  d'autant  plus  assurées.  Des  circonstances 
toutes  particulières  viennent  encore  joindre  leur  appui  à  la 
prééminence  que  le  caractère  physique  de  la  contrée  et  son 
climat  donne  déjà  à  cette  voie.  Des  stations  gratuites  ou  tout 
au  moins  peu  coliteuses  par  l'utilisation  d'éléments  euro- 
péens existant  déjà  sui-  plusieurs  points  de  ce  parcours, 
pourront  être  établies  à  Zanzibar  même,  sur  la  côte  d'Afri- 
que, et  plus  loin,  dans  l'Uniamuési,  par  la  gracieuse  propo- 
sition d'un  Suisse,  M.  Broyon,  établi  déjà  dans  la  contrée. 

Ainsi  l'expédition  pourra  se  diriger  avec  plus  de  facilité 
que  partout  ailleurs  vers  le  lac  Tanganyika,  et  de  là  pourra 
former  son  premier  établissement,  sa  station  principale  aux 
bords  du  lac,  ou  à  Nyangwé,  ou  à  tout  autre  endi-oit  que  le 
chef  trouvera  favorable  dans  le  Manvéma,  car  une  grande 


148  BULLETIN. 

Icititude  lui  a  été  laissée  pour  déleiminer  l'emplacement  de 
cette  première  station  scientifique  définitive,  doublée  d'une 
exploitation  agricole,  lui  permettant  au  t)Out  d'un  certain 
temps  de  se  suffire  à  elle-même.  Après  avoir  fondé  cette 
dernière  station,  s'être  reposé  et  ravitaillé  (je  cite  textuelle- 
ment ici  la  résolution  de  la  commission  executive),  le  chef  de 
l'expédition  y  laissera  ses  compagnons  européens,  à  moins 
qu'il  ne  désire  en  prendre  un  avec  lui,  et  s'avancera  vers  les 
pays  inconnus.  C'est  au  chef  de  l'exploration  à  choisir  sa  di- 
i-ection  vers  la  côte  occidentale,  en  évitant  avec  soin  les  routes 
déjà  parcourues  par  les  Européens  et  en  suivant,  si  c'est  pos- 
sible, le  4*'  parallèle  nord. 

Si  l'on  établit  à  l'ouest  du  Tanganyika  les  stations  nou- 
velles, les  pays  du  Loualalia  et  du  Sud  se  tiouveront  peu  à 
peu  reliés  avec  le  Darfour,  le  l)assin  du  Tscliad  et  celui  du 
Nil.  C'est  à  cette  grande  conquête  de  connaissances  et  de  ci- 
vilisation que  la  marche  est  ouverte. 

Le  comité  exécutif  a  p?-is  ses  dernières  dispositions  pour  le 
transport  des  hommes,  du  matériel,  des  instruments  nécessai- 
i"es,  etc.,  et  api-ès  le  choix  de  l'homme  capable  auquel  il  don- 
nera cette  première  mission,  mission  de  haute  confiance  d'où 
dépend,  en  si  grande  part,  le  succès  final  de  l'entreprise,  il 
pourra,  grâce  à  l'apport  financier  de  la  Belgique,  livrer  à 
elle-même  cette  première  expédition,  en  l'accompagnant  des 
vœux  de  toutes  les  puissances  chrétiennes  du  monde  et  la 
recommandant  à  la  protection  soutenue  de  Celui  qui  a  créé 
leur  bon  vouloir. 

Agréez,  Monsieur  le  Rédacteur,  etc. 

H.  R.  DE  Reaumont. 


OUVRAGES  EEÇUS 


Périodiques  et  i'Ublications  ue  Sociétés. 

Petei-maiin,  D^  Mitllieiluniren,  1877,  n°"  4,  o,  G. 

Erganziing'shefte,  ii°  ol. 

Société  (le  géographie  de  Vienne.  Mittheilungen,  1877,  t. 
X,  n"'  2,  3,  4. 

Société  (Je  géographie  de  Berlin.  Zeitschi'ifl,  1876,  n°  0, 
1877,  II"  1.  Verhaiidlungen,  I87<),  ii°^^  9,  10;  1877,  n°  1. 

Société  de  Géographie  de  Paris.Bulietin  ;  i877,février,  mars. 

Société  géographique  de  St-Pétersbourg.  Mémoires,  1876, 
1877. 

Société  de  Géographie  de  Marseille.  Bulletin,  n""*  1,  4. 

Société  géographique  roumaine.  Bulletin,  187(5,  n°"  11  et  12. 

Société  de  géographie  de  Madrid.  Bulletin,  1876,  n"  6. 

Société  de  géographie  italienne.  Bulletin,  1877,  n"-'  1  et  2. 

Club  alpin  de  Genève.  Écho  des  Alpes,  1877,  n"  1. 

Société  de  géographie  d'Amsterdam.  Tijdschrift,  1876,  n»  4. 

Revue  savoisienne,  1877,  février,  mars,  avril. 

Cosmos  de  Guido  Cora,  t.  IV,  n°^  2,  3. 

Revue  maritime  et  coloniale,  1877,  avril. 

L'Exploration,  1877,  n"^  17  à  2o. 

Meteorological  Society.  Quarterly  journal,  1877,  avril. 

Meteorological  office.  Quarterly  Weather  report,  n°  M. 

Charls  of  meteorological  data  for  nine  ten-degree  squares 
lat.  20°  N.  to  10°  S.,  long.  10°  lo  40°  W. 

Remarks  to  accompany  Ihe  monthly  chart  of  meteorologi- 
cal data  for  the  nine  10°-squares  of  the  Atlantic  which  lie 
between  20°  N.  and  10°  S.  lat.,  and  extend  from  10°  to  40° 
W.  long,  ending  with  tlie  best  routes  across  the  equator.  1 
vol.  in-4°,  London,  1876. 


150  BULLETIN. 

Société  d'anthropologie  de  Paris.  Bulletin,  1876,  juillet  à 
décembre  ;  1877,  janvier  et  février. 
Société  vaudoise  des  Sciences  naturelles.  Bulletin,  n°  77. 

ACQUIS   POUR  LA  BIBLIOTHÈQUE. 

Livingslone.  L'Afrique  australe,  trad.  par  M"""  H.  Loi-eau,  1 
vol.,  Paris,  1873. 

Dernier  journal  duO^Livingstone  relatant  ses  explorations 
et  ses  découvertes  de  18(56  à  1873,  suivi  du  récit  de  ses  der- 
niers momenls,par  Horace  Waller.  Traduit  par  M™"  H.  Loreau, 
2  vol.,  Paris,  1876. 

H.-M.  Stanley.  Comment  j'ai  retrouvé  Livingstone.  Traduit 
par  M""^  H.  Loreau,  2""^  édition,  1  vol.,  Paris,  1876. 

Nares.  Expédition  anglaise  au  Pôle  Nord,  1873-1876.  Rela- 
tion du  voyage  etïectué  par  les  l)àtiments  de  S.  M.  Britanni- 
que Alertel  Discovery  sous  le  commandement  du  Capitaine 
Nares.  Traduction  de  F.-L.  LeClerc.  1  vol.,  Paris,  1877. 

Don  de  M.  Elisée  Reclus. 
Géographie  universelle.  Livr.  116  à  127. 

Don  de  M.  J.-A.  Forel. 

F.-A.  Forel  D%  Professeur.  Comparaison  du  débit  moyen 
annuel  du  Rhône  à  Genève,  avec  la  hauteur  moyenne  an- 
nuelle de  l'eau  météorique.  1  Itroch.  Lausanne,  1870. 

Ch.  Dufour  et  F.-A.  Foi-el.  Recherches  sur  la  condensation 
de  la  vapeur  aqueuse  de  l'air  au  contact  de  la  glace,  et  sur 
l'évaporation,  suivie  de  .^i  appendices. 

1.  Tableau  des  dimensions  en  surface  des  glaciersdu  bassin 
du  Rhône,  par  Ch.  Dufour. 

2.  Notice  sur  les  brises  du  lac  Léman,  par  F.-A.  Forel. 

3.  Note  sur  la  température  de  la  source  du  Rhône,  par  Ch. 
Dufour. 

4.  Notice  sur  les  pierres  enchâssées  dans  la  glace  du  gla- 
cier du  Rhône,  par  Ch.  Dufour. 

5.  Plan  du  front  du  glacier  du  Rhône  et  de  .ses  moraines 


OUVRAGES  HEÇUS.  151 

frontales,  levé  en  juillet  1870  par  Cli.  Dufour  et  F.-A.  Forel. 
1  broclî.  Lausanne,  1871. 

F.-A.  Forel.  Les  taches  criiuile  connues  sous  le  nom  de 
fontaines  et  chemins  du  lac  Léman.  1  hroch.  Lausanne,  187:{. 

F.-A.  Forel.  Première  et  .seconde  étude  sur  les  seiches  du 
lac  Léman,  avec  planches  lithographiées.  2  hroch ui-es.  Lau- 
sanne, 1873  et  187o. 

F.-.\.  Forel.  Faune  protonde  du  Léman,  deuxième  discours 
prononcé  devant  la  Société  helvétique  des  sciences  naturelles 
à  Coire,  le  12  septembre  1874. 

F.-A.  Forel.  Matériaux  pour  .servir  à  l'étude  de  la  faune 
profonde  du  lac  Léman,  l",  2°'*  et  S"""  série.  Lausanne,  1874 
et  1876. 

F.-A.  Forel.  Une  vaiiété  nouvelle  ou  peu  connue  de  Gloire, 
étudiée  sur  le  lac  Léman.  1  hroch.  Lausanne,  1874. 

F.-A,  Forel.  Carte  hydrographique  du  lac  Léman.  1  bro- 
chure, Lausanne,  1875. 

F.-A.  Forel.  Le  limnimèlre  enregistreur  de  Morges.  1  bro- 
chure. Lausanne,  187(5. 

F.-A.  Forel.  La  formule  des  seiches.  1  brochure.  Lau- 
sanne, 1876. 

F.-A.  Forel.  Les  seiches,  vagues  d'oscillation  fixe  sur  les 
lacs.  Extrait  des  Annales  de  chimie  et  de  physique.  5°"*  série, 
t.  LX,  Paris,  1870. 

Don  de  M.  H.  Bouthillier  de  Beaumont. 

Ern.  Mouchez.  Recherches  sur  la  longitude  de  la  côte 
orientale  de  l'Amérique  du  sud.  1  vol.  Paris,  1866. 

F.  Chabas.  Études  égyptiennes.  Une  inscription  historique 
du  règne  de  Seti  I".  1  hroch.  Chàlon  s/Saône,  1856. 

F.  Chabas.  Les  inscriptions  des  mines  d'or.  Dissertation  sur 
les  textes  égyptiens  relatifs  à  l'exploitation  des  terrains  auri- 
fères du  désert  dj  Nubie.  1  brochure.  Chàlon  s/Saône,  1862. 

J.-G.  v.Hahn.  Reise  von  Belgrad  nach  Salonik.  1  volume. 
Vienne.  1861. 


152  BULLETIN. 

Don  (le  M.  Luciano  Cordeiro. 

Luciano  Cordeiro.  De  la  part  pi'ise  par  les  Portugais  dans 
la  découvei'te  de  l'Amérique.  1  brocli.  Lisbonne,  1876. 

Luciano  Cordeiro.  Da  Arte  nacional.  1  brochure.  Lisbonne, 
1876. 

Luciano  Cordeiro.  Idéas  et  Concui'sos,  palestras  criticas.  1 
broch.  Lisbonne,  1876. 

Luciano  Cordeiro.  Os  bancos  et  os  sens  directores.  1  bro- 
chure. Lisbonne,  1877. 

Luciano  Cordeiro.  Portugal  e  o  movimento  geographico 
moderno.  —  Relatorio  lido  na  1""*  sessâo  solemne  annual  da 
Sociedadede  geographia  de  Lisboa.  1  brochure,Lisbonne,1877. 

Rodrigo  Alfonso  Pequito.  A  Sociedade  de  geographia  de 
Lisboa  e  o  Marquez  de  Sa  daBandeira,  1  brochure.  Lisbonne, 
J877. 

Baron  de  Watteville.  Rapport  à  M.  Waddington,  ministre 
de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts,  sur  le  service 
des  missions  et  voyages  scientifiques  en  1866.  I  broch.  Paris, 
1877. 

Roudaire,  capitaine.  Rapport  à  M.  le  ministre  de  l'Instruc- 
tion publique  sur  la  mission  des  Chotts.  Études  relatives  au 
projet  de  mer  intérieure.  I  vol.  Paris,  1877. 

Le  tour  du  monde  en  320  jours.  Broch.  Paris,  1877. 


ERRATA 

Année  1876.  —  Livraisons  1-3.  —  Bulletin. 

Page  9,  ligne  23  :  Pultava,  lisez  :  Pulkova. 

Page  IH,  ligue  12  :  1,000  pieds  cubes,  lisez:  ne  dépasse  pas 
10,000  mètres  cubes  par  seconde. 

Page  16,  ligne  15  :  28,000  pieds  cubes,  lisez  :  de  28,000  mètres 
cubes  par  seconde. 

Page  16,  ligne  29  :  Sommerset,  lisez  :  Somerset. 

Page  32,  ligne  4  :  l'Hedjas,  li^ez  :  le  Ledja. 

Page  35,  ligne  9  :  le  Siz-I)aria,  lisez  :  le  Sir-Daria. 

Page  37,  ligne  16  :  du  roi  Tmésa,  lisez  :  Mtésa. 

Page  39,  ligne  16  :  M.  Trjéwalsky,  li^ez  :  Prjéwalsky. 


BULLETIN 


EULLETIÎI.    T.    XVI,     1877.  H 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES 


Les  Volcans  des  Iles  Sandwich. 

Assurément,  peu  de  phénomènes  sont  aussi  aptes  à  ex- 
citer la  curiosité  scientifique,  aussi  propres  à  suggérer  des 
méditations  profondes  et  variées  sur  les  forces  latentes  et  in- 
calculables de  la  nature,  que  la  formation  des  îles  volcani- 
ques semées  çà  et  là  sur  la  surface  des  mers,  et  principale- 
ment dans  l'océan  Pacifique. 

Quel  esprit,  accessible  à  l'attrait  des  questions  géographi- 
ques, ne  s'est  porté  avec  intérêt  sur  ces  productions  récen- 
tes, parfois  contemporaines,  de  la  puissance  volcanique?  Par 
cette  puissance  elles  ont  surgi  du  sein  des  mers,  et  par  leur 
apparition  continue  elles  nous  enseignent  analogiquement 
quels  ont  été  la  formation,  le  développement  et  l'histoire  de 
maintes  portions  de  notre  ancien  monde,  qui  aussi  fut  jeune, 
jadis.  —  Entre  les  diverses  particularités  qui  les  signalent  à 
notre  étude,  elles  doivent  à  leur  origine  exclusivement  plu- 
tonique  ce  trait  particulier,  que  quelques-uns  des  plus  petits 
pays  du  globe  contiennent  les  plus  gigantesques  volcans  de 
l'univers. 

Cette  observation  convient  spécialement  au  groupe  d'îles 
de  l'océan  Pacifique  connues  sous  le  nom  d'îles  Sandwich, 
nom  auquel  les  habitants  préfèrent  le  nom  indigène  de  Ha- 
waii. Les  renseignements  suivants,  en  partie  extraits  et  en 
partie  condensés  de  l'ouvrage  anglais  de  Miss  Bird',  Six  mois 

^  Six  months  among  tlie  palm  graves,  cor  al  reefs  and  volcanoes  of 
ihe  Sandwich  Jslands,  par  Isab.  L.  Bird.  (Londres,  1875).  —  Uu 


1?)6  BULLETIN. 

parmi  les  bosquets  de  palmiers^  les  récifs  de  corail  et  les  vol- 
cans des  îles  Sandwich,  ne  paraîtront  pas  indignes  de  quel- 
ques moments  d'attention. 

I.  Le  groupe  Hawaiien  eu  général. 

Avant  d'ahoi'der  les  volcans  eux-mêmes,  donnons  une 
idée  du  cadre  au  milieu  duquel  nous  devons  nous  les  repré- 
senter. 

Les  îles  Sandwicii  n'ont  avec  les  îles  des  divers  groupes 
du  Sud  d'autre  affinité  que  certains  rapports  de  l'ace  et  de 
langage.  Parmi  une  inflnité  de  petites  îles,  semées  comme  de 
la  poussière  sur  les  eaux  de  l'immense  océan,  elles  consti- 
tuent le  seul  groupe  imporlant  de  la  portion  nord  du  Pacifi- 
que, où  elles  tiennent  une  position  à  peu  près  également  dis- 
tante de  la  Californie,  du  Mexique,  de  la  Chine  et  du  Japon. 
Ces  îles,  découvertes  par  le  capitaine  Cook  en  1778,  sont  si- 
tuées dans  la  zone  inlertropicale,  s'étendant  de  18°50'  à 
22°20'  de  latitude  N.;  leur  longitude  est  de  lo3°o3'  à 
160°15'O.(Gr.) 

Elles  sont  au  nombre  de  douze,  dont  huit  seulement  sont 
habitées;  celles-ci  sont  d'étendue  très-diverse:  Hawaii,  la 
plus  grande,  celle  à  laquelle  le  groupe  entier  doit  sa  désigna- 
tion, a  une  superficie  de  4,000  milles  carrés,  étant  longue  de 
88  milles  et  large  de  73  (environ  140  kilomèh'cs  sur  110); 
tandis  que  la  plus  petite,  Kahoulawé,  n'a  que  11  milles  de 
long  avec  une  largeur  de  8  milles  (17  kilomètres  sur  1:2). 

La  surface  totale  des  îles  est  d'environ  G,  100  milles  carrés. 
Elles  sont  partiellemeni  entourées  d'une  barrière  de  récifs 

jeune  Sanclwichien,  M.  Damou,  uatif  d'IIonolulu  et  dernièrement 
en  passage  à  Genève,  a  donné  son  témoignage  à  cet  intéressant  vo- 
lume au  point  de  vue  de  la  couleur  locale  et  des  descriptions.  — 
Voir  les  Notes  du  D""  Ilillebraud,  précédemment  publiées  dans  le 
Globe,  18G8,  Bulletin,  p.  199  et  suiv. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  157 

<.1e  corail  et  n'offrent  que  peu  de  havres  sûrs. Non-seulement 
•elles  sont  Je  formation  entièrement  volcanicfue,  mais  elles 
possèdent  à  la  fois  le  plus  grand  volcan  en  activité  perpé- 
tuelle et  le  plus  vaste  cratèi-e  éteint  qu'on  connaisse  dans  le 
monde  entier.  Elles  sont,  cela  va  sans  dire,  très-montagneu- 
ses; deux  des  sommets  de  Hawaii  atteignent  une  altitude  de 
près  de  14,000  pieds  anglais  (4268  mètres).  Leur  climat  est 
le  plus  beau  qui  se  puisse  voir,  soit  pour  son  égalité  extraor- 
dinaire, soit  pour  sa  salubrité;  il  est  presque  absolument  in- 
variat)le,  et  chacun  peut  choisir  selon  son  goût,  de  griller 
loute  l'année  en  résidant  sur  la  côte  au  niveau  de  la  mer, 
avec  une  température  de  26°  C,  ou  de  jouir  dans  la  monta- 
gne des  charmes  du  coin  du  feu,  à  une  élévation  où  il  gèle 
chaque  nuit,  pendant  les  douze  mois  des  quatre  saisons.  Il 
n'y  a  pas  de  saison  malsaine.  Les  vents  alises  soufflent  pen- 
dant neuf  mois,  et  les  côtes  qui  y  sont  exposées  ont  abon- 
dance de  pluie  avec  une  végétation  luxuriante  et  perpétuelle. 

Les  îles  Sandwich,  ou  groupe  Hawaiien,  sont  éloignées  de 
Tahiti  et  des  îles  Fidji  d'environ  6,400  kilomètres.  Leurs  ha- 
bitants ne  sont  pas  de  la  même  race,  et  il  est  douteux  qu'ils 
aient  jamais  pratiqué  le  cannibalisme. 

Les  îles  forment  aujourd'hui  un  royaume  constitutionnel, 
avec  un  parlement  composé  de  deux  Chambres,  haute  et 
basse  ;  le  gouvernement  est  régulièrement  organisé;  et  s'il 
en  fallait  davantage  pour  prouver  que  les  Hawaiiens  ont 
réellement  pris  place  au  nombre  des  peuples  civilisés,  il  suf- 
firait de  dire  qu'ils  ont  des  impôts,  des  douanes,  une  liste  ci- 
vile et  une  dette  nationale. 

La  population,  que  Cook  évaluait  à  400,000  âmes  en  1778, 
est  aujourd'hui  réduite  à  49,000,  d'après  le  recensement  de 
1872.  Il  y  a  environ  5,000  étrangers  résidant  dans  les  îles,  et 
les  relations  de  ces  hôtes  avec  les  indigènes  et  avec  le  gou- 
vernement sont  des  plus  amicales. 


1S8  BULLETIN. 

Il  n'y  a  point  d'Église  nationale.  L'indépendance  récipro- 
que des  sphères  civile  et  religieuse  est  complète.  Le  peuple 
professe  le  christianisme  et  se  rattache  en  général  au  sys- 
tème des  églises  protestantes  dites  congrégalionnelles. 

A  la  lecture  des  récits  de  Miss  Bird,  le  caractère  moral  du 
peuple  hawaiien  se  dessine  sous  un  jour  mixte,  avec  des  cô- 
tés aimables  et  des  traits  déplaisants.  En  somme,  c'est  un 
peuple  enfant.  11  est  facile,  peu  porté  aux  tiuerelles,  rieur, 
passablement  goguenard.  Oisif  plutôt  que  paresseux,  mais 
bien  oisif,  il  ne  fait  pas  grand'chose  ;  l'intlustrie  n'existe  pas 
chez  lui.  Cependant,  c'est  le  travail  qu'il  craint  plutôt  que  le 
mouvement,  car  il  s'adonne  volontiers  à  certains  exercices 
violents;  il  est  grand  amateur  de  natation  et  ne  craint  pas 
d'affronter  les  vagues  d'une  mer  agitée.  Il  aime  la  prome- 
nade, sous  la  forme  de  cavalcades,  toujours  au  galop,  aux- 
quelles les  deux  sexes  se  livrent  avec  passion,  y  ajoutant  à 
profusion  la  parure  des  tleurs  indigènes,  la  plupart  de  cou- 
leurs vives  et  llamboyantes.  —  La  moralité  a  fait  de  sensi- 
bles progrès,  sous  l'influence  des  missionnaires  ;  mais  un  trait 
vraiment  fâcheux,  c'est  un  singulier  effacement  de  l'amour 
maternel.  Nous  ne  connaissons  pas  d'autre  peuple  chez  qui 
les  mères  soient  aussi  péniblement  inditïérentes  à  l'égard  de 
leurs  enfants.  Peut-être  est-ce  l'héritage  d'un  état  social  qui 
a  précédé  l'introduction  du  christianisme.  Quoi  (|u'il  en  soit, 
c'est  sans  doute  à  cette  étrange  absence  de  ce  qu'on  pourrait 
appeler  à  tout  le  moins  un  instinct  naturel,  (lue  revient  en 
grande  mesure  la  responsabilité  de  la  dépopulation  alar- 
mante du  pays.  Car  on  ne  peut  le  dissimulei-,  les  familles 
s'éteignent  l'une  apiés  l'autre,  et  s'il  n'y  est  obvié  d'une  ma- 
nière quelconijue,  ces  îles  risquent  de  devenir  liienlôt  dé- 
sertes. 

Passons  maintenant  à  nos  volcans.  L'unité  du  sujet  for- 
mera un  lien  suffisant  entre  ces  fragments. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  159 

II.  Ascension  du  volcan  de  Kilauéa  *. 

«  Comment  pourrais-je  vous  communiquer  ce  qui  est  in- 
communicable? —  Je  ne  puis  cependant  résister  au  désir  de 
vous  écrire  pendant  que  les  impressions  que  j'ai  recueillies 
au  Kilauéa  conservent  encore  toute  leur  vivacité. 

ï  Hier,  à  8  heures  du  matin,  nos  préparatifs  étant  terminés, 
nous  montâmes  à  cheval,  Miss  Karpe  et  moi.  Le  seul  bagage 
que  portait  sa  monture  (Miss  Karpe  a  une  expérience  améri- 
caine des  voyages  que  je  lui  envie)  était  un  parapluie,  avec 
un  paquet  de  manteaux  et  de  châles,  attachés  à  sa  selle.  Upa, 
notre  guide,  s'était  attifé  de  la  manière  la  plus  remarquable,  à 
la  mode  du  pays,  avec  des  guirlandes  de  fleurs  des  couleurs 
les  plus  éclatantes  enroulées  à  son  chapeau  et  autour  de  son 
cou.  Il  portait  à  la  corne  de  sa  selle  nos  sacoches,  un  sac  con- 
tenant la  provision  de  pain,  des  bananes  et  une  bouteille  de 
thé;  plus,  de  l'eau  dans  un  bidon  suspendu  à  sa  ceinture.  La 
selle  qu'on  m'avait  prêtée  avait  une  grande  corne  sur  le  de- 
vant, de  vastes  étriers  en  bois  et  de  larges  quartiers  en  cuir 
pour  garantii-  les  vêtements  du  contact  des  flancs  de  la  bê  te 
L'étrier  lui-même  est  grotesquemenl  muni  d'une  forte  garde 
en  gros  cuir^,  destinée  à  protéger  la  botte  et  le  pied  contre  les 
redoutables  épines  des  fourrés  qu'on  traverse  souvent.  Cha- 
que cheval  porte  en  collier  un  licou  de  vingt-cinq  pieds  de 
longueur.  Tout  cela  est  de  rigueur  dès  qu'il  est  question 
d'une  expédition  cà  l'intérieur  de  l'île.  Upa  était  vraiment  pit- 
toresque; le  grotesque  était  à  notre  crédit. 

«  n  pleuvait,  La  plus  grande  partie  de  notre  route  de  30 

^  Le  Kilauéa  n'est  pas  un  sommet.  C'est  un  vaste  cratère  qui 
s'ouvre  sur  le  flanc  oriental  du  Mauna  (mont)  Loa,  l'une  des  deux 
principales  montagnes  de  l'île  d'Hawaii,  laquelle  en  occupe  la  partie 
sud;  la  seconde,  nommée  Mauna  Kéa,  forme  le  point  culminant  de 
la  région  du  nord. 


160  BULLETIN. 

milles  dans  la  montagne  devant  forcément  se  faire  au  pas, 
notre  guide  profita  de  l'étroite  plaine  qu'offre  la  prairie  au 
sortir  de  Hilo  pour  lancer  sa  petite  caravane  au  grand  galop, 
allure  ordinaire  du  pays.  Heureusement  celle  course  effré- 
née, très-incommode  pour  moi,  perchée  que  j'étais  pour  la 
première  fois  sur  ma  selle  à  corne  à  laquelle  il  fallut  bien 
me  cramponner,  ne  dura  pas  longtemps.  Je  fus  hientôl  mise 
au  courant  de  la  ridicule  figure  que  je  faisais  ainsi  par  les 
éclats  de  rire  d'une  troupe  de  jeunes  filles  qui  nageaient  dans 
un  petit  lac,  au  bord  duquel  nous  fîmes  halte. 

«  Au  bout  de  quatre  milles,  le  sentier,  formé  de  rudes  blocs 
de  lave,  et  qui  n'a  plus  que  deux  pieds  de  largeur,  entre  en 
foret  et  pénètre  dans  un  fourré  aussi  dense  qu'aucun  sous  les 
tropiques.  Je  n'aurais  pu  m'imaginer  rien  d'aussi  parfaite- 
ment lieau  :  sous  cette  température  de  serre  chaude,  la  na- 
ture semblait  se  livrer  avec  un  fol  emportement  à  la  produc- 
tion illimitée  de  formes  étonnantes.  Leur  variété  était  infinie, 
la  vigueur  de  leur  verduie  inexprimalile.  Des  milliers  de 
fleurs  de  toutes  grandeurs,  formes  et  nuances,  émaillaient  ce 
fond  sombre,  comme  pour  en  tempérer  la  sévérité.  Ici  les 
arbres  croissent,  vieillissent  el  tombent  sans  avoir  jamais  élé 
touchés  par  la  main  de  l'homme,  et  une  bienveillante  nature 
les  enveloppe  aussitôt  d'un  linceul  de  végétation  nouvelle 
sous  lequel  elle  dissimule  leur  prompte  décomposition. 

«  Cette  zone  traversée,  nous  nous  retrouvâmes,  à  mon  re- 
gret, en  pleine  clarté  du  jour.  Deux  misérables  bulles,  con- 
struites des  herbes  de  la  forêt,  flanquées  d'une  pauvre  petite 
pièce  de  cannes  à  sucre,  nous  servirent  de  prétexte  pour  une 
demi-heure  de  repos,  accompagné  d'une  lasse  de  thé.  Repar- 
tant de  là,  nous  continuâmes  à  cbevaucher  à  la  file,  traver- 
sant une  immense  éteutlue  de  pafioelioe*  nom  par  lequel  on 
distingue  la  roche  lisse  de  celle  qui  est  raboteuse,  nommée 
a-a.  Celle  roche  lisse  est  de  provenance  toute  volcanique: 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  161 

c'est  le  résultat  des  éruptions  des  siècles  passés,  dont  les  la- 
ves ont  coulé  du  Kilauéa  dans  la  direction  de  Hilo.  Elles  se 
sont  congelées  en  monticules,  en  remous,  en  vagues,  en  tor- 
rents, en  circonvolutions  immenses,  parmi  lesquels  il  y  a  des 
espaces  unis  comme  un  étang,  et  de  grandes  cavernes  qui 
ne  sont  autre  chose  que  les  bulles  d'air  de  ce  gigantesque 
l»ouillonnement.  Des  centaines  de  mjlles  carrés,sur  l'île  d'Ha- 
waïi,  ne  sont  composés  que  de  cela.  Cette  lave  est  uniformé- 
ment gi'ise,  et  presque  partout  la  surface  en  est  légèrement 
granulée.  Là  où  il  en  est  autrement,  les  chevaux  glissent 
comme  sur  la  glace. 

«  Ici  j'ai  commencé  à  me  rendre  compte  de  l'origine  univer- 
sellement volcanique  de  Hawaii.  Depuis  les  roches  dures  et 
noires  qui  bordent  la  mer,  jusqu'au  sommet  le  plus  escarpé 
des  montagnes,  chaque  pied  de  terre  fertile  ou  aride,  chaque 
pierre,  chaque  grain  de  poussière  porte  l'empreinte  plutoni- 
que.  L'île  entière  a  été  soulevée,  masse  sur  masse,  arête  sur 
arête,  montagne  sur  montagne,  du  niveau  des  eaux  jusqu'à 
une  hauteur  qui  rivalise  presque  avec  celle  du  Mont-Blanc, 
par  (les  forces  souterraines  qui  sont  encore  en  pleine  activité 
et  peuvent  encore  d'un  instant  à  l'autre  superposer  de  nou- 
velles altitudes  à  celles  du  Mauna  Loa^,  dont  par  moments 
nous  entrevoyons  le  sommet  bleuissant  au-dessus  des  nua- 
ges. Hawaii  reçoit  encore  chaque  jour  des  additions  tirées 
du  fond  de  l'océan,  et  la  formation  de  cette  grande  mer  du 
palioehoe,  loin  d'être  déplorée  comme  une  dévastation,  comme 
un  aveugle  exploit  d'une  puissance  en  furie,  doit  bien  plutôt 
être  saluée  comme  une  opération  architecturale,  une  œuvre 
de  création. 

«On  ne  trouve  de  l'eau  que  dans  quelques  trous  où  la  pluie 
s'amasse  en  dépôts  ;  mais  l'humidité  de  l'air  et  les  ondées, 
fréquentes  en  tout  temps,  ont  concouru  pour  revêtir  ces  so- 
litudes d'une  certaine  végétation,  où  dominent  des  fougères 


162  BULLETIN. 

d'une  verdure  exquise,  mêlées  à  d'autres  espèces  aux  belles 
fleurs  du  plus  suave  parfum.  Le  cocotier  et  d'autres  arbres 
non  moins  utiles  au  développement  de  la  vie  humaine 
apparaissent  déjà  çà  et  là. 

«  La  montée  est  tellement  graduelle  que  ce  n'est  qu'au  re- 
froidissement de  l'air  qu'on  s'aperçoit  de  l'élévation  atteinte, 
bien  qu'on  ne  gagne  pas  moins  de  4,000  pieds  dans  ce  par- 
cours de  30  milles.  Le  sentier  est  partout  facile  à  suivre, 
parce  que  la  végétation  ne  s'établit  pas  aisément  sur  ce  sol 
de  laves;  mais  quant  aux  roches  qui  le  composent,  elles  sont 
d'une  telle  dureté,  que  malgré  une  circulation  constante, 
elles  ne  montrent  presque  aucune  trace  d'usure.  » 

Après  une  autre  halte  d'une  demi-heure  auprès  d'une  au- 
tre hutte,  qu'on  décore  du  litre  de  «maison  de  mi-chemin,» 
et  qui  se  trouvait  alors  abandonnée  et  fermée,  on  se  remit 
en  marche  avec  un  redoublement  de  courage,  iMiss  Kai-pe, 
la  voyageuse  américaine-type,  qu'on  retrouve  partout,  des 
îles  Sandwicii  aux  cataractes  du  Nil,  toujours  tenant  la  téie, 
toujours  droite  en  selle,  toujours  avançant,  toujours  parlant. 
—  Peu  à  peu  la  végétation  devient  plus  pauvre  et  finit  par 
se  réduire  au  seul  Okia,  au  sombre  feuillage  (Metvosideros 
polymorpha).  On  ne  voit  plus  ni  oiseaux  ni  insectes.  Toute- 
fois on  rencontre  paifois  quelque  grand  ti'oupeau  de  bœufs 
au  regard  farouche,  à  moitié  sauvages,  race  dégénérée  de 
ceux  que  Vancouver  laissa  dans  l'île  au  siècle  dernier.  On  les 
tue  ordinairement  à  coups  de  fusil;  on  ne  leur  fait  la  chasse 
que  pour  leur  peau  et  leurs  cornes,  la  viande  étant  de  peu 
de  valeur. 

La  nuit,  qui  tombe  presque  subitement  dans  ces  latitudes, 
surprend  rexpédition  eiuoie  en  l'oute,  el  la  voilà  marcliant 
péniblement  dans  une  profonde  obscurité,  au  milieu  des 
mystères  du  désert  et  de  l'inconnu. 

Tout  à  coup  notre  voyageuse  aperçoit  sur  son  sentier  une 


MÉLANGES    ET   NOUVELLES.  16^^ 

mare  de  couleur  rouge  sombre.  «  Est-ce  du  sang?  «•  s'écrie- 
t-elle.  — Mais  non!  C'est  tout  simplement  une  flaque  d'eau 
pluviale  que  le  volcan,  qui  s'éveille  à  cet  instant,  colore  de 
sa  menaçante  clarté.  Une  colonne  de  llammes  s'élance  vers 
le  ciel,  et  à  partir  de  ce  moment  les  ténèbres  font  place  à 
d'étranges  splendeurs.  Chaque  objet  revêt  une  fantastique 
réalité  sous  l'efTet  de  la  rouge  lumière;  l'air  s'imprègne  de 
vapeurs  poignantes  et  sulfureuses,  et  le  grondement  du  vol- 
can, maintenant  peu  éloigné,  reproduit  le  l)ruit  des  vagues 
déferlant  sur  un  rivage  d'écueils.  Quand,  à  huit  heures  du 
soir,  la  petite  caravane  parvint  à  la  «  maison  du  cratère,  »  les 
volumes  de  vapeurs  entremêlés  de  llammes  s'exhalaient  sans 
interruption  du  vaste  et  invisible  abîme,  et  le  Kilauéa  était 
dans  la  gloire  de  ses  feux. 

La  voyageuse  passa  la  plus  grande  partie  de  la  nuit  à  ol)- 
server  l'ascension  continue  des  vapeurs  incandescentes  et 
leurs  effets  de  lumièie  toujours  changeants. Le  ciel  était  cou- 
vert de  nuages  ensanglantés  par  les  retlets  du  volcan,  dont 
les  jets  de  feu  s'élançaient  de  moment  en  moment  avec  le& 
colorations  les  plus  inattendues. 

La  matinée  s'annonçait  mal  :  pluie  et  brouillard  ;  pas  de 
vue!  —  Cependant,  vers  10  heures,  le  brouillard  se  leva,  dé- 
couvrant les  mystères  de  la  nuit,  le  puissant  cratère  dont  la 
paroi  verticale  s'enfonce  à  quelques  mètres  de  l'auberge.  Cet 
abîme,  ouvert  à  4,000  pieds  de  hauteur  sur  le  tlanc  du  Mauna 
Loa,  présente  l'aspecl  d'un  immense  puits.  —  Mais  quel 
puits!  Il  a  9  milles  de  circonférence,  et  son  fond  qui,  il  n'y  a 
pas  longtemps,  s'est  abaissé  de  300  pieds,  comme  la  glace 
baisse  quand  se  retire  l'eau  qui  la  soutient,  occupe  un  espace 
de  six  milles  carrés.  Son  niveau  varie  entre  800  et  1,100  pieds 
de  profondeur,  selon  que  les  matières  en  fusion  montent  ou 
baissent.  Il  est  constamment  agité  et  déchiré  par  des  trem- 
blements du  sol,  et  l'activité  volcanique  se  manifeste  de  tous 


104  BULLETIN. 

côtés  par  des  tissures  d'où  jaillissent  d'acres  vapeurs,  des  gaz 
sulfureux,  du  soufre  qui  se  dépose  en  cristaux,  etc.  Sur  plu- 
sieurs de  ces  fissures,  ces  dépôts  constituent  de  petits  cônes 
d'éruption.  Les  grandes  commotions  n'ont  lieu  qu'à  de  cei- 
lains  intervalles,  mais  l'activité  du  Kilauéa  se  développe  sans 
repos.  Il  a  de  tout  temps  déployé  ses  étonnants  phénomènes 
dans  le  lac  ou  les  lacs  que  contient  son  immense  cratère  dans 
sa  portion  sud,  à  trois  milles  du  «  refuge.  » 

Ce  lac  de  (e\x,\e Halémaumau(\eh  mythologie  hawaiienne, 
la  «maison  du  feu  éternel»  et  l'hahitation  de  la  déesse  Pélè, 
est  d'un  accès  facile,  sauf  les  moments  d'éruption.  Mais  les 
aspects  varient  sans  cesse,  et  quelquefois  la  suiface  de  cet 
<  abime  dans  un  autre  aliîme  »  s'enfonce  tellement  et  les  ex- 
halaisons deviennent  tellement  épaisses  et  suffocantes, que  le 
voyageur  ne  peut  ni  voir  ni  approcher. 

C'était  le  31  janvier  1874.  —  «Mon  attente  la  plus  fantas- 
tique est  infiniment  dépassée,  et  je  peux  à  peine  me  contenir 
pour  décrii'e  sohi'ement  ce  spectacle,  surtout  pendant  que  je 
contemple,  par  ma  porte  ouvei'te,  les  vapeurs  rutilantes  s'é- 
levant  de  l'abîme  vers  le  ciel,  qui  en  est  éclairé  comme  si  ses 
nuages  eux-mêmes  étaient  en  feu 

«  La  premièi'e  descente  dans  le  cratère  est  très-raide  ;  elle 
est  néanmoins  couverte  d'une  végétation  serrée  d'ohias  et 
autres  plantes  analogues,  de  même  que  la  pente  qui  se  pro- 
longe jusqu'à  la  seconde  descente.  On  remaitpie,  en  particu- 
lier, une  variété  de  plantes  bulbeuses,  portant  des  giappes 
de  graines  d'un  brillant  bleu  de  turquoise.  —  Au  delà,  le 
spectacle  était  terrible. — La  seconde  descente  .s'accomplit  au 
milieu  des  blocs  éclatés  et  des  crêtes  brisées  dos  laves.  La 
face  le  long  de  kujuelle  elle  serpente  paraît  faire  partie  d'une 
fracture  générale  qui  règne  irrégulièrement  tout  autoui-  du 
cratère,  et  qui  ])rolt,iblement  est  due  à  quelque  effroyable  ef- 
fondrement de  son  aire.  Là  disparaît  la  végétation,  en  même 


MÉLANGES   ET  NOUVELLES.  1(53 

temps  que  la  terre.  C'est  une  ré^^ion  plutonujue,  calcinée  et 
désolée,  lugubre  et  pleine  de  terreurs.  Il  y  a  absence  totale 
des  aspects  et  de^  bruits  du  monde  auquel  nous  sommes  ac- 
coutumés. Nous  nous  voyons  entourés  de  terrasses,  de  pen- 
tes montueuses  et  abi-uptes,  de  précipices,  de  crêtes,  de  tor- 
rents, de  crevasses  dans  les  laves,  le  tout  rigide,  noir,  brillant, 
comme  vitrilié,  ou  bien  d'un  gris  de  cendre,  taché  par  places 
du  jaune  du  soufre  ou  du  blanc  de  l'alun.  De  toutes  parts  la 
lave  est  soulevée  et  fracturée  par  les  convulsions  du  sol,  et 
embrasée  jusque  sous  nos  pieds,  elle  émet  une  baleine  ai- 
dente. 

«Au  bout  d'une  heure  d'une  gymnastique  des  plus  fatigan- 
tes, nous  atteignîmes  le  plus  profond  niveau  du  cratère,  qui 
a  bien  un  mille  (anglais)  de  diamètre,  et  vu  (Ven  liaut  pré- 
sente l'aspect  d'une  mer  au  repos.  Mais  dès  qu'il  fut  question 
de  la  traversei'j  nous  trouvâmes  cette  mer  détaillée  en  va- 
gues et  en  circonvolutions  de  laves  de  couleur  cendrée,  avec 
de  larges  fentes  remplies  de  masses  de  laves  iridescentes, 
comme  tordues  et  roulées,  qui  ne  dataient  que  de  quelques 
semaines.  Ici  les  laves  sont  disposées  en  crêtes  hérissées,  là 
ce  sont  comme  des  champs  de  glaces  pressées  ensemble,  là 
encore  on  dirait  de  vastes  dépôts  de  câbles  de  la  plus  forte 
dimension,  enroulés  sur  eux-mêmes;  la  nature  pâteuse  des 
laves  se  prête  singulièrement  à  ce  genre  de  formation,  et 
avec  l'aide  de  la  couleur  bitumineuse,  au  point  de  faire  illu- 
sion. —  Chose  étrange!  dans  une  des  crevasses,  tout  au  fond 
de  celte  région  noire  et  redoutable,  trois  mignonnes  fougères, 
de  formes  admiral)lement  délicates,  s'élèvent  comme  les  frê- 
les avant-coureurs  de  la  riche  beauté  dont  de  puissantes  fo- 
rêts recouvriront,  dans  le  cours  d'années  qui  viennent  infailli- 
blement, les  parois  et  le  sol  de  cet  abîme  d'indescriptible  dé- 
vastation. —  Sur  notre  droite  se  voyait  un  précipice  en  cor- 
niche par-dessus  lequel  une  lave  ardente  avait  débordé,  et  en 


166  BULLETIN. 

se  refroidissant,  elle  s'était  formée  en  colonnes  basaltiques 
aussi  régulières  que  celles  qu'on  trouve  à  Staflfa. 

«  Il  nous  fallut  une  heure  entière  pour  traverser  cette  pro- 
fonde dépression,  et  autant  pour  gravir  ensuite  une  pente 
brûlante  et  raide,  d'environ  400  pieds,  nouvellement  formée 
par  une  éruption  de  lave  du  Halémaùmaû.  Cette  lave  est 
d'un  aspect  remarquable  :  un  (leuve  de  pierre  liquide  s'est 
durci  à  mesure  qu'il  descendait  la  pente,  produisant  des  va- 
gues soudainement  arrêtées,  des  courants,  des  remous,  des 
formes  de  serpents,  de  troncs  d'arbres,  de  racines  noueuses, 
de  conduits  à  eau  coudés  en  cent  façons,  le  tout  enchevêtré 
€t  entortillé  sur  une  échelle  colossale  et  en  une  formidable 
confusion.  Dans  un  endroit  plus  escarpé  que  le  reste,  la  lave 
avait  coulé  en  nappe  continue  de  100  pieds  de  largeur;  une 
partie  était  arrivée  au  fond,  l'autre  s'était  figée  en  route, 
mais  la  masse  entière  avait  pris  la  ressemblance  de  troncs 
d'arbres.  Dans  quelques-unes  des  crevasses  je  recueillis  une 
certaine  quantité  d'une  lave  fibreuse  remarquable  (dans  le 
pays  on  la  nomme  «  cheveux  de  Pelé  »).  Elle  ressemble  gros- 
sièrement à  du  verre  filé,  et  sa  couleur  est  verdâtre  ou  jaune- 
brun.  En  beaucoup  d'endroits  la  surface  des  laves  est  entiè- 
rement couverte  de  cette  formation,  qu'on  voit  à  travers  une 
croûte  vitrifiée.  Dans  les  grandes  éruptions,  quand  les  jets 
de  feu  s'élancent  à  une  grande  hauteur,  envoyant  des  gouttes 
de  lave  dans  toutes  les  directions,  le  vent  les  file  en  minces 
fibres  vertes  ou  jaunes,  llexibles,  longues  de  deux  ou  trois 
pieds,  qui  s'accrochent  à  toutes  les  saillies  des  rochers. 

«  A  mesure  que  nous  montions,  le  sol,  sous  nos  pieds,  deve- 
nait plus  brûlant  et  en  même  temps  plus  poreux  et  plus  vi- 
treux. Il  était  chaud  à  ce  point,  (ju'à  son  contact  les  gouttes 
<le  pluie  se  vaporisaient  en  sifflant.  La  croûte,  de  plus  en  plus 
fragile,  nous  obligeait  à  suivre  à  la  file  notre  guide,  qui  en 
éprouvait  la  solidité  avec  son  bâton.  J'y  enfonçai  plusieurs 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  167 

fois,  et  toujours  dans  des  cavités  ou  bulles  pleines  d'une  va- 
peui-  sulfureuse  tellement  mordante,  que  mes  gros  gants  de 
peau  de  chien  en  furent  complètement  brûlés,  pendant  que 
je  m'aidais  de  mes  mains  pour  me  relever. 

«  Nous  avions  remonté  les  courants  de  laves  anciennes  pen- 
dant trente  milles,  jusqu'au  bord  du  cratère,  et  nous  avions 
en  dernier  lieu  marché  pendant  trois  heures  sur  les  laves  ré- 
centes, en  sorte  que  nous  devions  raisonnablement  être  tout 
à  fait  à  proximité  de  l'attîme,  et  cependant  il  ne  paraissait 
pas  la  moindre  trace  de  fumée  ni  tle  feu.  Je  commençais 
donc  à  me  persuader  que,  pour  une  fois  du  moins,  le  volcan 
s'était  malicieusement  assoupi,  en  vue  de  notj-e  désappointe- 
ment spécial.  Tout  à  coup,  précisément  au-dessus  et  vis-à-vis 
de  nous,  des  gouttes  comme  de  sang  nous  apparurent,  lan- 
cées dans  les  airs.  Nous  précipitant  en  avant  d'un  élan  una- 
nime, nous  nous  trouvâmes  sur  le  bord  du  Halémaûmaù,  du 
lac  de  feu,  dont  le  niveau  était  à  environ  35  pieds  au-dessous 
de  nous.  Nous  demeurâmes  pétrifiés  de  surprise  et  de  saisis- 
sement. C'était  le  plus  étonnant  des  spectacles, . . .  spectacle 
indescriptible,  inimaginable,  d'un  souvenir  que  rien  ne  peut 
effacer,  par  lequel  on  se  trouvait  dès  l'abord  absorbé,  et 
comme  transporté  dans  une  sphère  étrangement  différente 
de  celle  des  réalités  de  notre  vie  terrestre!  C'étaient  des  dé- 
tonations, des  grondements,  des  roulements,  des  sifflements, 
des  bruissements  de  toutes  sortes  ;  c'étaient  les  efforts  perpé- 
tuels des  vagues  contre  les  brisants  d'un  rivage,  mais  c'é- 
taient des  vagues  de  (lammes  assaillant  sans  relâche  un  ri- 
vage de  feu.  Comment  décrire  cela  ?  Tous  les  mots  dont  je 
ferais  usage  supposeraient  quelque  idée  d'ordre  ou  de  régu- 
larité :  ici,  rien  de  semblable! — Le  lac  intérieur,  pendant  que 
nous  nous  tenions  sur  ses  bords,  éleva  son  niveau  de  trois 
pieds  au  moins.  Il  forma  comme  un  nouveau  cratère  au  de- 
dans de  lui-même;  un  cône  d'éruption  se  souleva  à  la  hau- 


168  BULLETIN. 

leur  d'environ  liuit  pieds;  il  changeciit  de  forme  à  chaque  in- 
stant. —  Le  spectacle  que  nous  avions  en  ce  moment  sous 
les  yeux  n'existait  pas  il  y  a  un  mois  et,  sans  doute,  un  mois 
plus  tard  son  apparence  devait  être  complètement  changée. 
Quel(juefois  on  a  vu  le  lac  baisser  de  400  pieds,  pour  rega- 
gner bientôt  son  niveau  précédent.  Le  mois  dernier  il  dé- 
bordait par-dessus  ses  limites. 

«  Au  moment  où  nous  le  contemplions,  le  lac  pouvait  avoir 
500  pieds  de  largeur  à  l'endroit  le  plus  étroit  et  un  demi- 
mille  au  plus  large.  Il  était  presque  coupé  en  deux  par  une 
sorte  de  chaussée,  une  langue  de  lave  qui  se  consolidait  et  se 
soulevait  peu  à  peu  pendant  que  nous  regardions.  Le  bord 
du  lac,  là  où  nous  étions,  absolument  vertical,  ne  dépassait 
pas  40  pieds  de  hauteur;  mais  vis-à-vis,  à  la  partie  la  plus 
lai"ge,  il  pouvait  atteindre  150  pieds.  Vers  l'une  des  extrémi- 
tés il  y  avait  un  grand  espace  absolument  rempli  par  des 
cônes  d'éruption,  entremêlés  de  jets  de  vapeur  et  de  gaz. 

«  Le  trait  le  plus  caractéristique  de  tout  cela,  c'était  du  feu 
en  agitation  perpétuelle;  mais  à  tout  moment  la  ^rface  de  ce 
feu  se  couvrait  d'une  croûte  de  reh'oidissement,  semliHible 
en  lustre  à  de  l'argent  mat,  mais  qui  se  brisait  bientôt,  en 
formant  des  crevasses  d'un  rose  vif.  Le  mouvement  général 
paraissait  se  porter  des  bords  vers  le  centre;  mais  l'action  du 
centre  même  paraissait  indépendante  du  reste,  et  semblait 
former  un  courant  qui  se  dirigeait  du  noi'd  au  sud  sans  va- 
rier. Avant  chaiiue  déploiement  de  commotion  universelle,  il 
y  avait  de  grands  sifflements  et  des  battements  comme  d'un 
pouls  souterrain,  elîel  sans  doute  de  la  lutte  des  gaz  empii- 
sonnés.  Tantôt  toute  cette  puissance  se  montrait  violente, 
furieuse,  comme  si  aucune  i-ésistance  ne  pouvait  lui  opposer 
d'obstacle,  et  tantôt  elle  paraissait  faible,  modérée  et  comme 
se  jouant,  se  calmant  même  tout  à  fait  penilant  quelipies  se- 
condes, mais  seulement  pour  rassembler  de  nouvelles  forces 
et  se  livrer  à  de  nouveaux  éclats. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  169 

«  A  notre  arrivée,  onze  jets  de  feu  se  jouaient  joyeuse- 
ment autour  des  lacs  et,  par  moments,  les  six  du  lac  le  plus 
rapproché  de  nous  se  réunissant  vers  le  milieu,  se  précipi- 
taient ensemble  dans  un  gouffre  commun,  d'où  ils  ressor- 
taient  bientôt,  soulevant  la  surface,  soufflant,  crachant  du 
feu,  montant  jusqu'à  30  pieds  de  hauteur,  puis  s'abimant  de 
nouveau  dans  un  chaos  immense  pour  reparaître,  toujours 
sous  forme  de  jets  de  feu,  exactement  en  même  nombre,  pa- 
raissant se  promener  sur  le  niveau  du  lac  et  vouloir  s'élan- 
cer dans  les  airs  pour  y  prendre  leur  vol.  Parfois  aussi  le  lac 
entier,  délaissant  son  impulsion  vers  le  centre  et  se  portant 
en  masse  du  côté  du  sud,  se  transformait  en  puissantes  va- 
gues de  feu  qui  venaient  se  briser  lourdement  contre  la  bar- 
rière transversale,  avec  un  grondement  pareil  à  celui  des 
grandes  vagues  du  Pacifique,  et  la  couvraient  des  embruns 
de  leur  feu  vivant.  Tout  était  confusion,  commotion,  force, 
gloire,  grandem-,  mystère,  terreur  et  même  beauté!  —  Mais 

les  couleurs! Le  métal  en  fusion  n'a  pas  ce  profond 

cramoisi,  le  sang  n'a  pas  cet  éclair  de  lumière.  Si  je  ne  l'a- 
vais pas  contemplée,  je  n'aurais  jamais  su  qu'une  telle  cou- 
leur fût  possible. 

«  La  croûte  dont  j'ai  parlé,  se  ridant  de  plus  en  plus  fort, 
se  soulevait  en  plis,  qui  se  rabattaient  et  se  brisaient,  et  de 
grands  lambeaux  en  étaient  engloutis  et  rejetés  plus  loin  sur 
la  crête  des  vagues.  Les  onze  jets  de  feu  sanglant  persistè- 
rent pendant  la  plus  grande  partie  du  temps,  jouant  avec  une 
vigueur  de  joyeuseté  absolument  magnifique.  Après  que  la 
première  demi-lieure  de  surprise  et  de  terreur  fut  passée, 
ces  jets  de  feu  firent  sur  mon  esprit  une  impression  pro- 
fonde, dont  la  mémoire  restera  toujours,  parmi  les  souvenirs 
de  mes  voyages,  fun  des  plus  grandioses  comme  des  plus 
ineffaçables. 

<'  Dans  l'espace  de  trois  heures,  le  banc  de  lave  qui  sépa- 

BDLLETIN,   T.  XVI,   1877.  12 


170  BULLETIN. 

rait  presque  les  deux  lacs  s'accrut  énormément  par  suite  de 
la  consolidation  continue  des  substances  lancées  à  sa  surface, 
et  une  caverne  considérable  se  forma,  comme  une  boursou- 
llure  dans  son  intérieur.  Pendant  ce  temps,  la  masse  entière 
du  lac  le  plus  éloigné,  obéissant  à  l'impulsion  qui  la  portait 
vers  le  sud,  brisait  avec  un  retentissement  efTroyaijle  contre 
la  muraille  de  rochers  qui  la  bornait  de  ce  côté,  lançant  son 
écume  de  sang  et  de  feu  à  une  hauteur  de  40  pieds.  De  temps 
à  autre,  une  masse  de  rocher,  arrachée  de  la  paroi  et  tom- 
bant dans  ces  flots  de  pierre  fondue,  redoublait  leur  fureur 
en  soulevant  un  immense  rejaillissement  de  feu. 

«  Presque  à  nos  pieds  se  trouvait  un  jet  intermittent  d'é- 
ruption dont  les  laves,  se  solidifiant  à  l'entour,  s'élevaient 
peu  à  peu  et  donnaient  naissance  à  un  nouveau  cône.  Quand 
nous  arrivâmes,  il  avait  peut-être  six  pieds  de  hauteur  et  en- 
viron autant  de  diamètre.  Nous  pouvions  regarder  dans  l'in- 
térieur comme  dans  un  puits.  Ce  soupirail  incandescent,  et  le 
grondement  avec  lequel  la  lave  était  vomie,  étaient  ef- 
frayants. Le  jet  se  répétait  au  moins  toutes  les  deux  secondes. 

«  La  chaleur  était  excessive.  Les  semelles  de  nos  chaussu- 
res furent  brûlées.  J'eus  un  côté  du  visage  grillé.  Il  n'y  avait 
point  de  fumée  sur  le  lac,  mais  seulement  une  vapeur  faible- 
ment bleuâtre,  que  le  vent  emportait  loin  de  nous.  Mais  plus 
loin,  à  l'ouest,  il  y  avait  toute  une  région  de  mystère,  de 
bruits  et  de  fureurs,  avec  des  nuages  de  fumée,  de  gaz  et  de 
vapeurs  en  masses  roulantes,  dont  il  eût  été  dangereux  de 
vouloir  sonder  les  profondeurs;  là  se  trouvent  les  cônes  d'é- 
ruption dont  la  lumière,  la  veille  au  soir,  paraissait  slation- 
naire. 

«  Quant  au  lac  lui-mùnie,  nous  pouvions,  nous  tenant  sur 
le  bord,  le  voir  comme  on  voit  la  mer  quaml  on  est  à  bord 
d'un  navire.  Le  seul  risque,  et  il  n'était  pas  tout  à  fait  imagi- 
naire, était  celui  de  l'écroulement  du  rocher  qui  nous  portait. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  171 

t  Avant  noire  départ,  une  nouvelle  convulsion  se  déclara 
dans  ces  laves.  Le  feu  s'élança  à  de  grandes  hauteurs.  Les 
fontaines  et  les  jets  s'enchevêtrèrent  tous  ensemjjle;  il  en 
apparut  d'autres  qui  dansèrent  gaîment  le  long  des  bords, 
puis,  à  leur  tour,  se  jetèrent  dans  le  goulfre  central,  formant 
une  immense  fournaise  qui  se  souleva  en  forme  de  pyra- 
mide, puis  éclata  et  disparut  en  s'efïondrant  dans  l'abîme. 
Alors  irinnombrables  vagues  de  feu  s'enlevèrent  dans  les 
airs,  bruyant  et  se  tordant  comme  des  lanières  de  fouet.  Le 
lac,  se  partageant  en  deux  niasses,  se  retii-a  des  deux  côtés  ; 
puis,  rassemblant  ses  feux  et  se  gonflant  comme  poussé  par 
la  puissance  souterraine,  il  se  précipita  par-dessus  la  barrière 
temporaire  qu'il  avait  construite,  roulant  en  avant  avec  une 
force  majestueuse  et  lente,  et  laissant  la  surface  centrale  agi- 
tée et  palpitante  dans  une  stérile  agonie,  comme  si  elle  eût 
la  conscience  qu'encore  une  fois  elle  avait  failli  à  l'accom- 
plissement de  la  tâche  finale  qui  lui  est  assignée.  » 

Voilà,  ou  en  conviendra,  une  puissante  desci'iption  de  l'un 
des  plus  grands  phénomènes  de  la  nature;  mais  il  est  sans 
doute  des  réalités  que  la  plume  la  mieux  exercée  doit  renon- 
cer à  décrire.  Ce  qu'on  vient  de  hre  se  passait  en  janvier  : 
le  o  juin  suivant,  dans  une  nouvelle  visite  au  Kilauéa,  l'au- 
teur jugeait  que  tout  ce  qu'elle  avait  vu  auparavant  n'était 
qu'un  jeu  en  comparaison  de  la  commotion  qui  se  déployait 
alors.  «  Ce  jour-là,  tout  était  terreur,  horreur  et  sublimité, 
noirceur,  gaz  étouffants,  chaleur  dévorante,  fracas,  soulève- 
ments, détonations,  etc.  »  —  A  cette  époque,  la  portion  infé- 
rieure du  cratère,  qui  auparavant  présentait  un  niveau  de 
laves  crevassées, paraissait  avoir  été  partiellement  inondé  de 
laves  nouvelles  par  un  débordement  du  lac  Halémaùmaù. 
«  Ces  nouvelles  laves  se  sont  déposées  d'un  mouvement  telle- 
ment régulier  qu'elles  représentent  exactement  de  vastes 
enroulements  de  câbles  de  fil  de  fer.  Il  s'est  aussi  formé 


i  72  BULLETIN. 

tlans  les  crevasses  de  fréquents  dépôls  de  soufre  impur  et 
d'alun.  » 

III.  Un  cône  souffleur  du  Kilauéa. 

Avant  de  quitter  Kilauéa,  encore  une  citation,  pour  finir, 
et  non  des  moins  remarquables  :  C'est  la  description  de  Tun 
des  cônes  souffleurs,  ou  d'émission  dô  gaz  et  de  laves,  que 
présente  cette  région  extraordinaire,  et  dont  une  heureuse 
chance  permit  d'observer  les  phénomènes  intérieurs.  —  La 
date  est  celle  de  la  dernière  visite. 

«  Au  delà  du  lac  existe  une  horrible  région,  où  d'immen- 
ses volumes  de  fumée  s'élancent  de  la  surface,  accompagnés 
de  hruiis  étranges,  et  c'est  de  ce  côté  (jue  nous  dirigeâmes 
nos  pas,  non  sans  quelque  danger,  car  la  croûte  de  lave  cé- 
dait fréquemment  sous  le  pied. 

«  Nous  atteignîmes  d'abord  un  «  cône  souffleur  »  isolé, 
après  lequel  il  y  en  avait  trois  ou  quatre  autres  formant  un 
groupe.  Mais  je  m'arrêtai  au  premier,  le  danger  dans  le  voi- 
sinage des  autres  pM'aissant  trop  grand  pour  me  permetti"e 
raisonnablement  d'aller  plus  loin. 

«  Ce  cône  avait  la  forme  d'une  ruche  d'abeilles,  environ 
douze  pieds  de  hauteur,  et  ses  parois  entr'ouvcrtes  présen- 
taient une  épaisseur  de  deux  pieds.  Une  portion  de  son  flanc 
ainsi  que  son  sommet  tout  entier  avaient  été  enlevés  par 
quelque  explosion,  ce  qui  permettait  de  l'examiner  tout  à 
l'aise  du  lieu  où  nous  étions.  C'était  effroyable,  et  il  y  avait 
bien  quelque  risque  de  recevoir  des  éclaboussures  de  lave  à 
une  chaleur  blanche.  —  On  suppose  que  ces  cônes  se  for- 
ment graduellement  par  le  refroidissement  des  matières  en 
fusion  qui  sortent  des  évents,  chassées  par  les  explosions  et 
les  courants  de  gaz. — Tout  l'intérieur  du  cône  était  embrasé, 
à  l'état  de  fusion  pâteuse,  plein  de  nœuds  et  de  stalactites  de 
ftMi.  Des  jets  de  lave,  hi'illant  d'une  lumière  blanche  et  par 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  173 

moments  éblouissante,  étaient  continuellement  lancés  en 
haut,  et  fréquemment  l'ouverture  latéi'ale  vomissait  des  gru- 
meaux qui  se  refroidissaient  promptement,  produisant  une 
substance  semblable  à  du  verre  veit  à  bouteilles.  —  Les  mu- 
gissements du  gouffre  étaient  plus  qu'assourdissants;  ils 
étaient  stupéfiants.  —  La  contemplation  de  l'intérieur  n'était 
possible  (jue  par  instants,  et  toujours  difficile.  Autant  que 
j'en  pus  juger,  cette  «  cheminée  »  allait  en  s'élargissant  par 
le  bas  ;  elle  nous  paraissait  avoir  environ  40  pieds  de  pro- 
fondeur. Quant  à  ce  qui  se  passait  là  au  fond,  il  faut  renon- 
cer à  décrire  cette  furie  des  éléments.  Il  semblait  à  tous  mo- 
ments que  toute  cette  structure  volcanique  allait  être  proje- 
tée au  milieu  des  airs.  Le  grondement  souterrain  et  la  vibra- 
tion du  sol  étaient  continuels.  —  M.  Green,  qui  nous  accom- 
pagnait, essaya  vainement  d'approcher  des  autres  cônes.  Les 
émanations  acides,  principalement  sulfureuses,  menaçant  de 
le  suffoquer  par  leur  densité  et  leur  abondance,  il  lui  fallut 
abandonner  l'entreprise. 

IV.  Un  volcan  en  travail. 

Les  îles  Sandwich  n'échappent  point  à  la  loi  qui  fait  du 
voisinage  immédiat  d'un  volcan  un  immense  danger  en 
même  temps  qu'un  spectacle  d'une  sublimité  pleine  d'effroi. 
La  violence  d'une  éruption  s'apprécie  d'avance  assez  exacte- 
ment par  l'énergie  des  signes  précurseurs  bien  connus,  des 
tremblements  de  terre  dans  toutes  leui's  variétés.  La  cause 
du  phénomène  est  probablement  une  obstruction  plus  ou 
moins  complète  des  évents  nécessaires  au  jeu  régulier  du 
volcan.  La  force  intérieure  .s'accumulant  alors,  lutte  contre 
l'obstacle  jusqu'à  ce  qu'elle  le  surmonte,  ou  qu'elle  se  fraie 
un  passage  dans  une  nouvelle  direction,  comme  une  chau- 
dière à  vapeur  éclate  à  côté  de  sa  soupape  de  sùrelé  quand 
celle-ci  cesse  de  fonctionner. 


174  BULLETIN. 

L'île  d'Hawaii  a  souvent  été  ravagée  et  bouleversée  par 
cette  cause.  L'indifférence  caractéristique  des  indigènes  ayant 
à  peu  près  laissé  périr  leurs  souvenirs,  ils  ont  perdu  la  mé- 
moire des  plus  anciens  désastres  ;  mais  les  traces  en  sont 
faciles  à  reconnaître.  Les  Européens,  du  moins,  ont  enregis- 
tré les  grandes  commotions  qui  ont  eu  lieu  depuis  qu'ils  se 
sont  établis  dans  le  pays.  —  Nous  allons  donner  quelques 
notes  sur  l'une  des  plus  terribles. 

«  J'ai  entendu  les  détails  les  plus  saisissants  des  tremble- 
ments de  la  terre  et  des  soulèvements  de  la  mer.  Mais  il  est 
difficile  de  transmettre  Timpression  que  font  de  tels  récits 
recueillis  sur  les  lieux  mêmes,  et  de  la  bouche  de  ceux  qui 
ont  vu  les  faits  qu'ils  racontent.  Leuis  yeux  ont  contemplé 
le  flot  irrésistible  apportant  sur  eux  la  dévastation.  Ils  ont 
éprouvé  les  vibrations  prolongées  et  sans  cesse  renaissantes 
(lu  sol  qui  les  porte.  Ils  ont  frissonné  k  l'aspect  des  sinistres 
lueurs  des  laves  roulantes  et  des  cataractes  de  feu  tombant 

dans  des  étangs  de  flammes Je  pourrais  remplir  pages 

après  pages  en  répétant  ce  qu'on  m'a  raconté;  mais  il  faut 
m'en  tenir  au  plus  important. 

«  En  'I8So  eut  lieu  la  quatrième  éruption  du  Mauna  Loa 
dont  on  a  conservé  le  souvenir.  La  lave  se  dirigea  droit  sur 
Hilo,  et  pendant  plusieurs  mois,  cherchant  lentement  son 
chemin  au  travers  des  forêts  qui  enceignent  la  montagne, 
elle  s'avança  vers  la  côte,  menaçant  toute  cette  belle  région 
d'Hawaii  du  sort  des  villes  de  la  Plaine,  ou  plus  exactement 
encore,  de  celui  des  villes  de  Pompéi  et  d'Herculanum.  — 
M.  Coan,  missionnaire,  fit  plusieurs  reconnaissances  pour 
constater  la  marche  de  l'éruption,  et  au  retour  de  chacune 
d'elles  les  braves  gens  lui  demandaient  pour  combien  de 
temps  ils  en  avaient  encoiet  Pendant  cinq  mois  ils  obser- 
vèrent renvahissemenl  des  laves  se  rapprochant  d'eux  un 
peu  chaque  jour.  —  Le  moment  de  fuir  était-il  arrivé?  — 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  175 

Leurs  habitations  allaient-elles  devenir  un  désert,  encombré 
de  laves  et  de  sables  noirs,  comme  le  district  voisin,  celui  de 
Puna,  jadis  aussi  beau  que  le  territoire  de  Hilo  ?  —  Ces 
questions  se  représentaient  sans  cesse  à  eux  pendant  que, 
chaque  nuit,  ils  guettaient  la  lueur  qui  avançait  toujours, 
jusqu'à  ce  qu'enfin  et  par  honheur  les  vagues  incandescen- 
tes rencontrèrent  des  obstacles  qui,  en  les  arrêtant,  les  for- 
cèrent à  s'amonceler  en  muraille,  les  unes  sur  les  autres,  à 
huit  milles  de  Hilo,  et  pour  le  présent  du  moins  les  craintes 
prirent  fm.  L'éruption  avait  parcouru  quarante  milles  de 
pays  en  ligne  droite,  et  soixante  en  comptant  ses  sinuosités, 
La  masse  des  laves  avait  d'un  à  trois  milles  de  largeur,  et  de 
deux  cents  à  cinq  cents  pieds  d'épaisseur,  selon  la  configura- 
tion des  localités  envahies.  L'éruption  avait  duré  treize  mois, 
et  avait  recouvert  près  de  trois  cents  milles  carrés  de  ter- 
rain, le  volume  des  laves  étant  estimé  à  38,000  millions  de 
pieds  cubes. 

«  En  1859,  des  jets  de  feu  de  quatre  cents  pieds  d'éléva- 
tion et  d'un  diamètre  presque  égal  jouèrent  sur  le  sommet 
du  Mauna  Loa.  Cette  éruption-là  atteignit  en  huit  jours  la 
mer,  à  la  distance  de  50  milles  ;  mais  elle  dura  bien  au  delà 
de  celte  première  période,  et  ajouta  un  nouveau  promontoire 
à  l'île  d'Hawaii. 

«  Ces  colossales  invasions,  quoique  très-menaçantes,  n'ont 
en  somme  infligé  que  peu  de  dommages  aux  régions  culti- 
vées, et  n'avaient  causé  aucune  mort  d'hommes.  On  com- 
mençait à  croire  qu'on  en  avait  fini  avec  le  volcan  et  ses 
fureurs.  Mais  en  1868,  son  action  se  réveilla  avec  une  vio- 
lence sans  exemple  dans  toute  l'histoire  de  l'île.  Le  27  mars 
commença  une  série  de  tremblements  de  terre  qui  devin- 
rent plus  etïrayants  de  jour  en  jour.  Les  secousses  se  rap- 
prochèrent de  plus  en  plus,  au  point  qu'à  la  fin,  l'île  entière 
en  était,  entre  les  commotions  plus  sérieuses,  dans  un  fré- 


176  BULLETIN. 

missement  continu,  semblable  à  celui  du  couvercle  d'une 
bouilloire  que  la  vapeur  soulève  sur  le  feu.  Alors  l'éruption 
permanente  du  Kilauéa  s'arrêta  tout  d'un  coup,  et  le  cratère 
terminal  du  Mauna  Loa,  le  Mokiiaiceoiceo,  lança  des  colonnes 
de  fumée,  de  vapeurs,  et  pendant  deux  jours  des  colonnes  de 
feu.  Cette  montagne  ayant  13,750  pieds  d'élévation,  ses  feux 
se  virent  à  plus  de  50  lieues  en  mer.  Bientôt  on  vit  la  paroi 
de  son  dôme  déchirée  du  côté  du  sud,  et  donnant  issue  à 
quatre  courants  distincts  de  matières  en  fusion,  jaillissant 
par  autant  de  fissures  et  se  précipitant  du  haut  de  la  mon- 
tagne dans  plusieurs  directions.  Tout  à  coup,  les  courants  de 
lave  parurent  s'arrêter,  et  le  sommet  de  la  bleue  montagne 
se  profda  de  niveau  sur  le  pur  azur  du  ciel,  sans  la  moindre 
apparence  de  feu  ou  même  de  fumée.  Cet  apaisement  sou- 
dain devint  pour  Hilo  la  cause  d'une  grande  anxiété,  tout  le 
monde  étant  certain  que  les  feux  ainsi  subitement  suppri- 
més, loin  d'être  domptés,  ne  manqueraient  pas  de  se  cher- 
cher une  nouvelle  issue.  En  effet,  les  secousses  reprirent  et 
redevinrent  continuelles,  ou  plutôt  la  terre  se  mit  en  mou- 
vement comme  une  mer  houleuse.  Les  chocs  les  plus  variés 
se  distinguaient  à  peine  l'un  de  l'autre.  Les  secousses  étaient 
aussi  diverses  que  violentes,  tantôt  horizontales,  tantôt  verti- 
cales, ou  ondulatoires,  circulaires,  etc.  Elles  produisaient  sur 
l'homme  tous  les  effets  du  mal  de  mer,  comme  si  l'on  eut 
été  à  bord  d'un  navire  ballotté  par  les  vagues. 

«  Ce  fut  le  2  avril,  sur  le  déclin  d'une  belle  après-midi, 
que  survint  la  catastrophe  finale.  La  surface  du  sol  se  soule- 
vait et  s'affaissait  comme  la  mer  dans  la  tempête.  Les  i-ochers 
se  fendaient  jusque  dans  leurs  profondeurs,  des  montagnes 
s'écroulèrent,  les  habitations  furent  détruites,  les  arbi-es 
ployaient  comme  des  roseaux  et  les  animaux  couraient  çà  et 
là  éperdus  de  terreui'.  Les  hommes  pensaient  voii-  la  tin  du 
inonde  et  se  croyaient  parvenus  au  jour  du  grand  jugement. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  177 

Les  terres  se  crevassant  rendaient  les  routes  impraticables; 
cavaliers  et  piétons  étaient  rudement  jetés  à  terre.  On  eût 
dit  que  la  puissante  ossature  des  montagnes  craquait  de 
toutes  parts,  avec  les  colonnes  et  les  piliers  qui  portent  la 
terre.  A  Kilauéa,  les  secousses  étaient  aussi  fréquentes  que 
les  battements  du  balancier  d'une  borloge.  A  Kaù,  district  le 
plus  méridional  de  l'île,  on  compta  jusqu'à  300  secousses 
pendant  celte  terrible  soirée.  La  nature  entière  était  comme 
dans  une  convulsion  désespérée  et  mortelle.  On  était  obligé 
de  s'asseoir  sur  le  sol  en  s'étayant  des  pieds  et  des  mains 
pour  éviter  d'être  roulé  comme  une  balle.  De  ce  côté,  on  vit 
une  avalancbe  de  terres  rouges,  qu'on  suppose  avoir  été  de 
la  lave,  se  précipitant  du  flanc  de  la  montagne,  lançant  des 
rocbers  en  l'air,  engloutissant  arbres,  maisons,  hommes  et 
animaux.  Franchissant  trois  milles  en  autant  de  minutes, 
l'avalanche  vint  couvrir  un  village  où  se  trouvaient  trente- 
un  habitants  et  cinq  cents  bêtes.  Les  gens  des  vallées  se  ré- 
fugièrent sur  les  montagnes,  bien  qu'elles  se  fendissent  égale- 
ment en  tous  sens,  et  là  réunis  sur  les  pointes  les  plus  éle- 
vées, ils  passèrent  la  nuit  à  prier  et  à  chanter  des  cantiques. 
Regardant  vers  le  rivage,  ils  le  virent  s'enfoncer,  et  au  même 
instant  un  flot  de  mer,  dont  on  estima  la  liauleur  de  40  à  (50 
pieds,  s'élança  sur  la  terre  contre  laquelle  il  vint  battre  à  cinq 
reprises,  enlevant  d'un  coup  des  villages  entiers,  même  des 
constructions  de  pierre,  et  entraînant  dans  l'abîme  quarante- 
six  personnes  qui  s'étaient  attardées  trop  près  du  rivage. 

«  Malgré  tous  ces  désastres,  les  tremblements  de  terre  al- 
laient s'aggravant^  et  le  volcan  ne  donnait  aucun  signe  d'ac- 
tivité. La  terreur  était  à  son  comble  parmi  les  habitants  ;  plu- 
sieurs tentèrent  d'émigrer  à  Honolulu;  d'autres  tenaient  leurs 
chevaux  sellés  nuit  et  jour,  pour  fuir,  sans  savoir  où!  De 
toutes  parts  on  s'aboi'dait  en  se  demandant  avec  une  fiévreuse 
anxiété  :  «  Et  le  volcan?  » 


178  BULLETIN. 

«  Au  bout  de  cinq  jours  d'angoisses,  le  sol  éclata  au  sud  de 
Hilo  avec  une  furie  et  un  fracas  qui  donnèrent  la  réponse  à 
toutes  ces  questions.  Le  torrent  des  laves  en  fusion,  après 
avoir  fait  sous  terre  un  trajet  de  vingt  milles,  commença  à 
jaillir  par  une  crevasse  de  deux  milles  de  longueur  avec  une 
force  et  une  abondance  effroyables.  C'était  à  la  partie  supé- 
rieure d'une  délicieuse  région  pastorale  qu'on  supposait  par- 
faitement hors  de  tout  danger  dii-ect  :  un  plateau  couvert  de 
pâturages,  riche  en  bétail  et  animé  de  nombreuses  demeures 
d'indigènes  et  d'étrangers.  Quatre  gueules  béantes  commen- 
cèrent à  vomir  la  lave  avec  une  énergie  épouvantable,  lan- 
çant des  rochers  du  poids  de  plusieurs  tonnes  à  une  hauteur 
de  SOO  et  de  1000  pieds.  —  M.  Whitney,  qui  avait  été  témoin 
de  tout  cela,  s'exprime  ainsi  :  «  De  ces  puissantes  fontaines 
s'élança  vers  la  mer  un  courant  rapide  de  lave  ardente,  se 
pressant  en  flots  et  en  cascades  comme  une  rivière  gonflée 
par  les  torrents,  emportant  d'énormes  blocs  de  rochers  sur 
ses  ondes  écumantes  de  feu,  se  hâtant  du  précipice  dans  la 
vallée  et  de  la  vallée  dans  la  mer  avec  une  rage  indicible. 
C'était  simplement  une  rivière  de  feu,  de  20  pieds  de  pro- 
fondeur et  de  200  à  800  pieds  de  large,  avec  une  vélocité  de 
10  à  25  milles  à  l'heure.  »  —  Ici  encore,  le  même  observa- 
teur remai-que  que,  soit  les  laves^  soit  les  roches,  étaient 
toujours  animées  d'un  mouvement  de  rotation  les  portant 
vers  le  sud. 

«  La  lave,  s'épanchant  dans  la  mer,  porta  le  rivage  de  l'île 
d'un  demi-mille  en  avant;  mais  cet  inutile  accroissement  de 
superficie  fut  chèrement  payé  par  la  perte  de  4000  acres  de 
pâturages  de  première  qualité,  et  d'une  bien  plus  grande 
étendue  de  magnifiques  forêts.  Le  rivage  sud-ouest  d'Hawaii, 
dans  sa  totalité,  s'abaissa  d'un  niveau  de  quatre  à  six  pieds, 
ce  qui  entraîna  la  destruction  de  plusieurs  hameaux,  et  sur- 
tout celle  de  la  charmante  et  précieuse  bordure  de  cocotiers 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  179 

qui  régnait  tout  le  long  de  la  mer.  Quoique  celte  région  ne 
fût  que  faililement  peuplée,  deux  cents  maisons  et  cent  vies 
humaines  disparurent  pendant  cette  semaine  d'horreurs,  et 
de  chaque  district  les  habitants  se  réfugièrent  à  Hilo,  appor- 
tant avec  eux  les  désolants  récits  de  montagnes  éboulées, 
d'océans  soulevés  et  de  régions  désolées  par  les  fureurs  du 
volcan.  Le  nombre  des  secousses  comptées  à  Hilo  s'éleva 
jusqu'à  deux  mille  en  quinze  jours,  ou  cent-quarante  par 
jour,  en  moyenne;  mais  de  l'autre  côté  de  l'île,  leur  nombie 
fut  incalculable.  » 

V.  Le  volcan  éteint  d'Haléakala. 

Après  les  fureurs  dont  nous  venons  de  nous  rassasier,  on 
éprouvera  quelque  soulagement  à  entendre  parler  d'un  vol- 
can éteint.  —  Ils  s'éteignent  donc,  quelquefois,  ces  centres 
indomptés  d'une  puissance  sauvage,  dont  rien  ne  saurait  me- 
surer ni  l'énergie,  ni  l'effet?  —  Oui,  ils  s'éteignent;  comme 
toute  autre  agitation  excessive,  ils  s'épuisent,  ils  se  calment; 
au  cours  des  âges,  leur  sang  de  feu  se  refroidit  dans  leurs 
veines  de  pierre,  et  le  silence  de  leur  solitude  vient  faire  un 
étrange  contraste  avec  la  solitude  de  leur  fracas.  Qu'on  en 
juge  par  la  description  suivante,  qui  sera  le  dernier  de  ces 
extraits  : 

«  Le  grand  objet  de  curiosité  dans  l'île  de  Maui  est  l'im- 
mense cratère  du  volcan  éteint  ù'Haléakala  (la  maison  du 
Soleil).  Je  l'ai  visité  dans  les  circonstances  les  plus  favo- 
rables. 

«  Ordinairement  on  fait  l'ascension  dans  l'après-midi,  on 
campe  près  du  sommet,  on  allume  un  feu  auprès  duquel  on 
est  dévoré  par  les  puces,  on  grille  et  on  gèle  alternativement 
jusqu'au  matin,  et  on  se  trouve  sur  pied  pour  voir  le  splen- 
dide  spectacle  du  lever  du  soleil.  Mais  je  crois  que  nous  agî- 


•180  BULLETIN. 

mes  plus  sagement  en  parlant  à  deux  lieures  du  matin.  La 
lune  était  couchée,  et  l'obscufité  était  intense. 

«  La  végétation  devient  plus  rare  à  mesure  qu'on  monte, 
mais  ne  cesse  jamais  complètement.  Au  sommet  de  la  mon- 
tagne, à  10,200  pieds  au-dessus  de  la  mer,  il  y  a  encore  des 
toufïes  d'herbes,  et  quelques  Asplenium  dans  des  crevasses. 
Le  froid,  à  cette  hauteur,  est  très-vif,  et  je  le  sentais  cruelle- 
ment; cependant  c'était  surtout  l'etTet  du  contraste,  car  le 
thermomètre  ne  marquait  qu'un  degré  au-dessous  du  point 
de  congélation. 

«  A  7  heures,  après  une  dernière  montée  assez  rude  sur 
un  pavé  roulant  de  scories  et  de  ponces,  nous  atteignîmes  ce 
qu'on  disait  être  le  sommet,  où  une  muraille  de  roches  dé- 
chirées et  calcinées  cachait  toute  vue  ultérieure.  Descendant 
de  cheval  sur  un  sol  de  cendres,  nous  pénétrâmes  par  une 
crevasse  de  cette  paroi,  au  bout  de  laquelle,  d'un  seul  coup 
d'œil,  notre  regard  embrassa  le  plus  vaste  cratère  qui  soit  au 
monde. 

«  Je  dois  reconnaître  qu'avec  le  souvenir  encore  récent 
(les  feux  vivants  du  Kilauéa,  ma  première  impression  fut  celle 
du  désappointement;  car  le  volcan  est  bien  éteint,  si  bien 
qu'il  n'a  pas  même  laissé  une  tradition  touchant  l'époque  de 
son  activité.  Et,  liien  que,  pentlant  les  heures  suivantes,  sa 
majesté  et  sa  sublimité  se  soient  graduellement  révélées  à 
moi,  je  tiens  à  dire  que  l'étude  de  radmirai)le  carte  qu'en  a 
dressée  M.  Alexander  (voyageur  américain)^.  la  comparaison 
des  distances,  celle  des  hauteurs  des  cônes  nombreux  et  con- 
.sidérables  et  des  cratèi'es  pai'tiels  qui  y  sont  épars  et  comme 
perdus,  et  l'effort  nécessaire  pour  en  saisir  l'étendue,  la  cir- 
conférence et  la  profondeur,  tout  cela  en  donne  une  appré- 
ciation bien  plus  exacte  que  ne  saurait  le  faii'e  une  simple 
description  ou  la  vue  elle-même  au  premier  moment. 

«  Le  volcan  éteint,  haut  de   10,000  pieds,  avec  une  base 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  181 

d'un  périmètre  énorme,  constitue  à  lui  seul  toute  la  partie  de 
rîle  de  Maui  à  l'est  de  l'isthme  de  Waïluku,  qui  en  occupe  le 
milieu.  Ses  pentes  sont  très-régulières,  variant  de  8  à  10  de- 
grés. Comparées  à  celles  de  Kauaï  et  d'Oahu,  ses  laves  sont 
de  couleur  moins  foncée,  plus  compactes,  moins  poreuses  et 
moins  perméables  à  l'eau.  Le  côté  de  l'île  exposé  au  vent,  et 
par  conséquent  aux  pluies,  est  raviné  de  torrents  qui  ont 
creusé  çà  et  là  des  cavités  où  l'eau  s'amasse.  Sur  ce  côté,  la 
végétation  des  forêts  est  surabondante  jusqu'à  2000  pieds 
d'altitude.  Du  côté  opposé,  dilTérents  bancs  de  laves,  noires 
et  d'apparence  moderne,  s'étendent  jusque  dans  la  mer.  Tout 
ce  rivage,  à  une  certaine  hauteur,  porte  profondément  les 
traces  d'une  action  volcanique  des  plus  violentes.  Par  places, 
la  roche  est  rouge  et  brisée,  et  les  cônes  latéraux  abondent  à 
la  base  de  la  montagne. 

«  La  végétation  qui  vous  accompagne  jusqu'au  sommet, 
vous  fait  une  sorte  d'illusion;  il  semble  qu'on  doive,  naturel- 
lement, gravir  des  pentes  encore  plus  nues,  plus  noires,  plus 
abruptes  :  pour  moi  la  surprise  du  Haléakala  consista  en  ceci, 
que  là  où  la  probabilité  faisait  attendre  le  développement  d'un 
vaste  dôme,  je  trouvai  tout  à  coup  un  immense  abîme  s'ou- 
vrant  à  mes  pieds.  La  masse  du  sommet  de  la  montagne  a  été 
complètement  anéantie^  et  l'on  ne  peut  que  se  perdre  en 
étonnement  sur  la  puissance  dont  l'action  a  dû  être  néces- 
saire pour  produire  un  tel  résultat. 

«  Le  cratère  étant  libre  de  nuages  et  éclairé  du  soleil  dans 
ses  différentesrégions,  il  était  facile  d'en  saisir  les  dimensions. 
d'un  seul  regard,  quoique  les  précipices  qui  le  bornent  de 
toutes  parts  offrent  un  développement  qui  n'est  pas  moindre 
de  19  milles.  Son  sol,  vaste  et  irrégulier,  s'étale  à  une  pro- 
fondeur d'environ  2000  pieds  :  la  ville  de  New-York  pourrait 
s'y  établir,  et  à  l'aise.  Plusieurs  des  anciens  cônes  d'éruption 
isolés  ou  groupés  dans  diverses  parties  de  cet  espace,  atlei- 


182  BULLETIN. 

gnent  une  hauteur  de  800  pieds  et  davantage.  Ces  cônes  sont 
d'une  forme  très-caractéristique,  et  le  plus  grand  nombre, 
avec  leurs  flancs  d'un  rouge  ardent  et  leur  gueule  tapissée 
de  couches  régulières  d'une  scorie  noire,  semblent  n'être 
éteints  que  d'hier.  Ils  sont  tous  composés  de  substances  po- 
r^ses,  comparativement  peu  pesantes,  et  leurs  cendres  sont 
fortement  teintées  d'oxyde  de  fer.  D'ailleurs  on  ne  rencontre 
que  de  faibles  traces  des  produits  ordinaires  des  volcans  :  on 
trouve  çà  et  là  un  peu  de  soufre  mêlé  à  d'autres  matières, 
mais  on  ne  voit  nulle  part  ni  évents  gazeux,  ni  sources 
chaudes. 

«  Le  cratère  paraît  composé  d'une  sorte  de  basalte  dur, 
gris  et  profondément  crevassé;  mais  plus  bas,  les  roches  de 
la  montagne  sont  plus  tendres  et  d'un  ton  bleuâtre.  Avec  ses 
scories  refroidies  et  sa  force  épuisée,  ce  cratère  n'en  est  pas 
moins  le  plus  saisissant  témoignage  de  la  puissance  du  feu. 
On  voit  au  nord  et  à  l'est  deux  brèches  dans  l'enceinte,  nom- 
mées Koulau  et  Kaupo,de  niveau  avec  le  sol  général  du  fond 
du  cratère,  et  par  lesquelles  les  océans  de  lave,  à  des  époques 
inconnues,  ont  forcé  le  passage  pour  aller  se  jeter  dans  la  mer. 
Quant  à  ce  qui  se  voit  à  présent,  on  dirait  que  les  forces  vol- 
caniques, satisfaites  d'avoir  fendu  en  deux  le  sommet  de  la 
montagne,  se  sont  replongées  dans  un  repos  sans  fin.  » 

L.-H.  deL. 


RAPPORT 

AU 

COMITÉ    NATIONAL    SUISSE 

pniR 

L'EXPLORATION  ET  Lfl  CIVILISATION  DE  L'AFRIQUE 


Messieurs, 

Lorsque  le  Comité  national  suisse  pour  l'explora- 
tion et  la  civilisation  de  l'Afrique  centrale  s'est  con- 
stitué à  Genève,  le  24  avril  dernier,  un  de  ses  pre- 
miers soins  a  été  de  choisir  les  deux  délégués  qui 
devaient  le  représenter  à  Bruxelles,  au  sein  de  la 
Commission  internationale.  Malheureusement  un  seul 
de  ceux  qui  ont  été  honorés  de  vos  suffrages,  l'au- 
teur de  ces  ligues,  a  pu  se  rendre  en  Belgique,  M.  le 
professeur  Desor,  auquel  vous  l'aviez  adjoint  pour 
cette  mission,  ayant  été  retenu  à  Berne  par  la  session 
des  Chambres  fédérales.  J'ai  vivement  regretté  la 
privation  d'un  tel  collègue,  qui  eût  pu  apporter  dans 
la  discussion  des  lumières  que,  i)our  ma  part,  j'allais 
seulement  y  chercher.  Toutefois  j'ai  trouvé  une  pré- 
cieuse compensation  à  ce  mécompte  dans  la  compagnie 
de  notre  j)résident,  M.  de  Beaumont,  siégeant  à  mes 
côtés  en  sa  qualité  de  Président  de  la  Société  de  géo- 
graphie de  Genève. 


184  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE 

Je  vais  essayer,  Messieurs,  de  vous  retracer  aussi 
fidèlement  que  possible,  la  physionomie  et  les  travaux 
de  la  Commission  internationale,  qui  a  tenu  ses  séan- 
ces les  20  et  21  juin  dernier,  au  Palais  de  Bruxelles. 

Vous  n'ignorez  pas  que  cette  session  avait  été  pré- 
cédée l'an  dernier,  d'une  autre  réunion  internatio- 
nale, laquelle  avait  jeté  les  bases  de  l'œuvre  afri- 
caine; mais,  comme  vous  le  savez  aussi,  ces  deux 
assemblées  ont  eu  un  caractère  assez  différent  :  tan- 
dis que  celle  de  1876  émanait  directement  de  l'ini- 
tiative du  roi  des  Belges,  qui  avait  choisi,  pour  les 
consulter,  les  experts  les  plus  versés  dans  la  connais- 
sance de  l'Afrique,  —  en  1877  les  assistants  avaient 
été  élus  par  leurs  compatriotes  respectifs,  et  ne  sié- 
geaient qu'en  vertu  de  délégations  positives  ou  comme 
présidents  des  principales  sociétés  de  géographie.  En 
fait,  des  vingt-cinq  membres  de  la  Commission  inter- 
nationale de  1877,  quatre  seulement  avaient  parti- 
cipé aux  travaux  de  la  Conférence  préparatoire  de 
1876,  sans  parler  du  souverain  qui,  non  content  d'a- 
voir été  le  zélé  promoteur  et  la  providence  de  l'entre- 
prise^ l'a  servie  encore  comme  président  effectif  et 
infatigable,  offrant  en  outre  aux  membres  étrangers 
une  cordiale  hospitalité,  dont  ils  conserveront  tou- 
jours le  souvenir  le  plus  reconnaissant. 

Dix  pays  différents  ont  été  représentés  au  sein  de 
la  Commission,  savoir  :  l' Allemagne,  l'Autriche,  la 
Belgique,  l'Espagne,  les  États-Unis,  la  France,  la 
Hongrie,  l'Italie,  les  Pays-Bas  et  la  Suisse.  Parmi  ceux 
(\m  n'y  figuraient  pas,  il  en  est  trois  surtout  que  l'on 
a  peut-être  été  surpris  de  ne  pas  y  rencontrer;  ce  sont  : 
le  Portugal,  en  raison  de  ses  possessions  sur  le  sol 


POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  l'afrioue.  18o 

africain;  la  Russie,  qui  tient  une  place  si  honorable 
dans  la  science  géographique  ;  l'Angleterre  enfin,  qui 
a  tant  d'intérêts  engagés  en  Afrique  et  qui  a  fourni 
à  ce  continent  ses  plus  célèbres  explorateurs.  — 
L'abstention  du  Portugal  et  de  la  Russie  n'a  cepen- 
dant point  de  signification  fâcheuse  ;  à  Lisbonne 
comme  à  St-Pétersbourg  l'association  africaine  a 
trouvé  des  adhérents  sympathiques,  que  des  circons- 
tances de  force  majeure  ont  seules  retenus  loin  de 
Bruxelles  cette  année.  —  Il  n'en  est  malheureuse- 
ment pas  de  même  des  Anglais,  qui  ne  comptaient 
pas  moins  de  dix  des  leurs  à  la  Conférence  de  1876, 
et  qui,  après  réflexion,  ont  préféré  se  tenir  à  l'écart  ; 
non  pas,  on  le  comprend,  qu'ils  veuillent  se  désinté- 
resser des  questions  africaines,  mais  dans  la  crainte, 
apparemment,  de  perdre  quelque  peu  de  leur  indé- 
pendance d'allures  sur  un  terrain  où,  il  faut  le  recon- 
naître ,  ils  ont  prouvé  qu'ils  savaient  faire  leur  che- 
min tout  seuls.  La  Commission  internationale  n'a  pu 
que  regretter  cette  détermination  qui  la  prive  du 
concours  de  précieux  conseillers,  et  qui  a  entraîné  le 
remplacement  de  Sir  Bartle  Frère,  démissionnaire 
comme  membre  du  Comité  exécutif.  On  lui  a  donné 
pour  successeur  un  américain,  M.  Sanford. 

Ce  que  je  viens  de  dire  de  la  représentation  des 
divers  pays  vous  prouve.  Messieurs,  que  de  nom- 
breux comités  nationaux  se  sont  formés,  comme  le 
nôtre,  à  Tappel  de  la  Conférence  de  Bruxelles.  Je 
désire  vous  les  faire  connaître,  pour  vous  montrer  à 
quel  point  la  solution  des  problèmes  de  l'Afrique  cen- 
trale préoccupe  ou  intéresse  l'ensemble  du  monde  ci- 
vilisé. 

Eu  Allemagne,  malgré  l'existence,  depuis  1872, 

BULLETIN,    T.    XVI,     1877.  13 


186  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE 

d'une  «  Société  pour  l'exploration  de  l'Afrique  équa- 
toriale,  »  un  Comité  de  l'Association  internationale  a 
été  fondé  sans  peine,  sous  la  présidence  du  prince  de 
Reuss;  mais  on  travaille  maintenant  à  la  fusion  de  ces 
deux  sociétés  qui  poursuivent  le  même  but.  On  songe 
à  créer  des  comités  provinciaux  ou  locaux,  et  l'empe- 
reur a  fait  un  don  de  25,000  marks  (31,250  fr.)  en 
attendant  le  vote  d'une  allocation  par  le  Keiclistag. 

Une  «Société  africaine»  s'est  constituée  à  Vienne, 
le  29  décembre  1876,  sous  le  protectorat  de  S.  A.  I. 
l'archiduc  Rodolphe,  prince  héritier.  Au  15  juin  1877 
elle  comptait  déjà  250  membres. 

La  Hongrie  a,  depuis  le  23  mai  dernier,  son  co- 
mité spécial,  qui  était  représenté  à  la  Commission 
internationale  par  son  président,  S.  G.  l'archevêque 
de  Kalocsa. 

Les  Belges  ont  été  les  premiers  à  se  constituer  en 
Comité  national,  sous  la  présidence  de  S.  A.  R.  le 
comte  de  Flandre;  leurs  efforts  pour  populariser 
l'œuvre  chez  eux  ont  été  couronnés  de  succès,  puisque, 
au  15  juin  1877,  ils  avaient  réuni  298,000  francs  de 
souscriptions  simples  à  capitaHser,et  112,000  francs 
de  souscriptions  renouvelables  annuellement,  soit  un 
total  de  410,000  francs.  Le  Comité  belge  a  décidé, 
entre  autres  choses,  de  publier  et  de  distribuer  gra- 
tis une  brochure  populaire  sur  l'Afrique,  en  français 
et  en  flamand. 

A  INIadrid,  une  première  réunion  a  eu  lieu  au  mois 
de  février  dernier,  et  le  30  mai  «  l'Association  espa- 
gnole pour  l'exploration  de  l'Afrique»  était  définitive- 
ment constituée  sous  la  présidence  du  roi.  Cette  as- 
sociation, tout  en  se  joignant  aux  travaux  internatio- 
naux, doit  donner  son  appui  aux  entreprises  natio- 


POLK  l'exploration  ET  LA  CIVILISATION  DE  L'aFRIQUE.    187 

iiales  (le l'Espagne,  et  déjà  elle  a  voté  une  exploration 
de  la  côte  occidentale  d'Afrique^  dans  le  voisinage 
des  Canaries. 

C'est  à  New- York  que  le  Comité  américain  a  pris 
naissance  au  mois  de  mai.  Il  a  pour  président  l'hono- 
rable John-B.Latrobe  de  Baltimore  (qui  est  en  même 
temps  président  de  la  «  Société  de  colonisation  afri- 
caine »),  et  j'ai  déjà  dit  que  l'un  de  ses  délégués  à 
Bruxelles,  ]M.  Sanford.  avait  été  élu  membre  du  Co- 
mité exécutif. 

Eu  France,  c'est  à  l'initiative  de  la  Société  de  géo- 
graphie qu'est  due  la  fondation  du  Comité  national 
africain,  composé  primitivement  de  cinquante-six 
membres.  Dans  son  règlement,  le  Comité  français  s'est 
attaché  à  se  rapprocher  autant  que  possible  des  dis- 
positions adoptées  par  le  Comité  belge. 

Le  Comité  national  italien  est  présidé  par  S.  A.  R. 
le  prince  Humbert.  Dans  ses  séances  des  21  mai  et 
15  juin  il  s'est  constitué,  et  a  chargé  ses  délégués  à 
Bruxelles  de  recommander  à  l'assemblée  l'expédition 
italienne  qui  explore  actuellement  le  royaume  de  Choa. 

Dans  les  Pays-Bas,  S.  A.  R.  le  prince  Henri  a  ac- 
cepté la  présidence  du  Comité  africain,  composé  de 
trente-cinq  membres  au  maximum.  Ce  Comité  se  pro- 
pose d'intéresser  à  l'œuvre  internationale,  non-seu- 
lement toutes  les  provinces  de  la  Néerlande  par  la 
formation  de  comités  locaux,  mais  encore  ses  riclies 
colonies. 

J'ai  emprunté,  Messieurs,  les  renseignements  qui 
précèdent  aux  notices  qu'ont  déposées,  sur  le  bureau 
de  la  Conférence,  les  diverses  députations  nationales 
dont  elle  se  composait.  Je  n'ai  pas  parlé  de  la  Suisse, 
parce  que  je  n'ai  rien  à  vous  apprendre  à  son  sujet. 


188  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SlISSE 

—  Le  Portugal  et  la  Russie  ont  aussi  des  Comités 
spéciaux  ;  mais  ces  deux  Etats  ayant  fait  défaut  à 
Bruxelles,  je  ne  suis  pas  en  mesure  de  vous  fournir 
sur  leur  compte  des  données  officielles. 

En  résumé  ce  sont  douze  nations  qui,  en  moins 
d'un  an,  ont  suivi  l'impulsion  donnée  par  S.  ]\r,  Léo- 
pold  IL  Celle-ci  était  donc  opportune  puisque  les 
esprits  étaient  si  bien  préparés  à  la  recevoir,  et  l'em- 
pressement général  que  l'on  a  mis  à  se  rallier  à  l'œu- 
vre africaine  est  de  bon  augure  pour  son  avenir. 

Mais  il  est  temps.  Messieurs,  que  je  vous  parle  des 
décisions  prises  par  la  Commission  internationale. 

Je  serai  bref  en  ce  qui  concerne  l'administration 
intérieure  de  la  Société. 

Dans  cet  ordre  de  faits,  la  votation  la  plus  impor- 
tante a  eu  pour  but  la  confirmation  de  S.  M.  le  roi 
des  Belges  comme  président.  Ses  fonctions  devant  ex- 
pirer le  14  septembre  1877,  la  Commission  a  été 
unanime  pour  prier  S.  M.  de  rester  à  sa  tête  et  de 
continuer  à  assurer  sa  marche  encore  chancelante. 
Le  roi  a  daigné  accéder  à  ce  vœu,  mais  pour  un  temps 
limité,  convaincu,  a-t-il  dit,  que,  dans  l'intérêt  de 
l'œuvre  africaine,  il  n'est  pas  bon  que  la  direction 
reste  toujours  dans  les  mêmes  mains. 

Par  suite  de  cette  réélection  et  du  remplacement 
de  Sir  Bartle  Frère,  dont  j'ai  déjà  parlé,  le  Comité 
exécutif  se  trouve  composé  connue  suit  : 

S.  M.  le  roi  des  Belges,  président. 

M.  le  D-"  Nachtigal  (Allemagne), 
de  Quatrefages  (France). 
Sanford  (États-Unis), 
le  baron  (rreindl  (15elgique),  secrétaire  général. 


POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  l' AFRIQUE,    189 

Les  finances  ont  fait  l'objet  d'un  exposé  qui  n'a  été 
suivi  d'aucune  discussion,  attendu  qu'il  se  bornait  à 
constater  un  apport  considérable  de  fonds  par  la  Bel- 
gique dans  la  caisse  commune. 

D'après  les  calculs  du  trésorier,  l'Association  peut 
compter  dès  à  présent  sur  un  revenu  annuel  d'au 
moins  75,000  francs. 

A  côté  du  Comité  belge,  le  Comité  autrichien  est 
le  seul  qui  ait  fourni  des  ressources  financières  à  l'as- 
sociation ;  il  lui  a  versé  une  somme  de  5000  francs. 

Le  secrétaire  général,  en  donnant  lecture  de  la  si- 
tuation financière,  a  bien  voulu  justifier  l'abstention 
des  autres  comités  étrangers,  en  faisant  remarquer 
que  leur  formation  était  trop  récente  pour  qu'ils  eus- 
sent eu  le  temps  de  recueillir  des  souscriptions  d'une 
certaine  importance.  ]\Lais  il  est  évident  que  le  géné- 
reux exemple  donné  par  la  Belgique  doit  être  suivi 
par  les  autres  Etats,  et  j'ose  espérer  que  la  Suisse  en- 
tre autres  le  comprendra. 

Un  dernier  objet  que  je  puis  faire  rentrer  dans  le 
cadre  des  questions  administratives  est  le  choix  d'un 
drapeau.  Mise  en  demeure  de  se  prononcer  à  ce  sujet, 
l'assemblée  fut  conduite  à  reconnaître  que,  si  un  dra- 
peau n'était  pas  indispensable,  il  pouvait  avoir  son 
utilité,  mais  elle  écarta  systématiquement  ceux  qui 
appartenaient  déjà  à  un  Etat  ou  à  une  association.  Elle 
ne  s'accommoda  par  conséquent  ni  de  la  Croix  rouge 
de  la  Convention  de  Genève,  ni  du  Lion  belge  qu'on 
lui  proposa  ;  elle  ne  voulut  pas  non  plus  de  l'emblème 
du  Sphinx,  indiqué  comme  pouvant  convenir  à  une 
société  qui  se  donne  pour  mission  de  résoudre  l'é- 
nigme africaine.  Le  drapeau  adopté  sera  bleu  avec 
uue  étoile  d'or. 


190  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATKlNAf.  SUISSK 

La  Conférence  de  1876,  vous  vous  en  souvenez, 
Messieurs,  avait  posé  en  principe  que,  pour  faciliter 
les  explorations  de  l'Afrique  centrale,  la  chose  essen- 
tielle était  «  d'établir,  commme  base  de  ces  explo- 
rations, un  certain  nombre  de  stations  scientificpies 
et  hospitalières,  tant  sur  les  cotes  que  dans  l'intérieur 
du  continent  africain.  » 

La  Commission  de  1877,  avant  de  mettre  la  main 
à  l'œuvre  pour  créer  ces  stations,  éprouva  le  besoin 
de  se  rendre  compte  plus  exactement  de  ce  qu'elles 
doivent  être,  tant  au  point  de  vue  de  leur  personnel 
qu'à  celui  de  leurs  travaux. 

Des  stations  scientitiques  et  hospitalières,  perdues 
en  quelque  sorte  au  cœur  de  l'Afrique,  étant  une  in- 
stitution sans  précédents,  on  pouvait  craindre  que 
bien  des  opinions  divergentes  se  tissent  jour  lorsqu'on 
entreprendrait  d'en  tracer  le  programme.  Cependant 
il  n'en  fut  pas  ainsi,  et  cela  pour  deux  motifs  :  le  pre- 
mier c'est  que  le  terrain  avait  été  parfaitement  pré- 
paré, par  l'élaboration  d'un  projet  complet  qui  servit 
de  base  commode  à  la  discussion  ;  le  second  c'est  que 
la  Commission  jugea  bon  de  ne  pas  réglementer  l'en- 
treprise trop  minutieusement,  et  laissa  une  très-grande 
liberté  au  Comité  pour  l'exécution  des  dispositions 
générales  arrêtées  par  elle.  On  put  ainsi  s'accorder 
sans  peine  sur  les  résolutions  suivantes  : 

Il  fut  décidé,  en  premier  lieu,  (jue  «  le  personnel 
d'une  station  se  composerait  d'un  chef  et  d'un  certain 
nombre  d'employés,  choisis  ou  agréés  par  le  Comité 
exécutif.  »  Lunité  de  commandement  se  trouva  par 
là  consacrée  connne  indispensable  ;  mais  il  ressort 
aussi  de  cette  rédaction  (jue  les  emi)lovés  placés  sous 


f 

POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  l' AFRIQUE.    191 

l'autorité  du  chef  ne  seront  pas  nécessairement  des 
Européens.  Le  projet  a  été  moditié  dans  ce  sens,  non- 
seulement  pour  ne  pas  exclure  les  blancs  non  euro- 
péens, ce  qui  allait  de  soi,  mais  aussi  pour  complaire 
à  ceux  qui  pensaient  que  des  hommes  de  couleur 
pourraient  parfois  convenir  mieux  que  d'autres  pour 
certains  emplois.  On  n'alla  pas  toutefois  jusqu'à  spé- 
cifier que  le  chef  de  station  n'aurait  auprès  de  lui  au- 
cun blanc,  comme  cela  fut  proposé.  L'auteur  de  cette 
motion,  fort  de  sa  longue  pratique  des  voyages  afri- 
cains, assurait  que  lorsque  plusieurs  étrangers  se 
trouvent  ensemble  dans  un  pays  peu  connu,  ou  bien 
le  charme  de  leur  société  mutuelle  leur  fait  négli- 
ger leurs  devoirs  d'observateurs,  ou  bien  ils  se 
querellent,  se  brouillent  et  perdent  par  cela  même 
leur  ascendant  sur  les  indigènes.  La  Commission 
trouva  que  si  ces  appréhensions  étaient  justifiées  pour 
des  voyages  d'exploration,  elles  Tétaient  beaucoup 
moins  pour  un  établissement  fixe,  lequel  d'ailleurs  ne 
pourrait  se  passer  de  plusieurs  spécialistes,  que  les 
nations  civilisées  sont  seules  capables  de  lui  fournir. 

Indépendamment  des  instructions  de  détail,  qui  se- 
ront données  d'une  manière  spéciale  pour  chaque  ex- 
pédition, les  chefs  de  station  devront  se  conformer  à 
deux  règles  que  la  Commission  a  cru  devoir  établir 
pour  toutes  les  installations. 

«  Le  premier  soin  du  chef  de  station,  »  a-t-elle 
dit,  «  sera  de  se  procurer  une  maison  d'habitation, 
et  de  tirer  parti  des  ressources  du  pays,  afin  que  la 
station  se  suffise  par  elle-même.  » 

Et  plus  loin  : 

«  Il  sera  dans  l'intérêt  de  la  station  d'assurer,  de 


192  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE 

dépôt  en  dépôt,  des  communications  aussi  régulières 
que  possible  entre  la  côte  et  l'intérieur.  » 

Peut-être  la  Commission  a-t-elle  pris  un  soin  su- 
perflu en  recommandant  aux  chefs  de  stations  de  se 
pourvoir  d'un  logement  ;  mais  l'idée  que  le  personnel 
envoyé  par  la  Société  internationale  devra  chercher 
à  se  suffire  à  lui-même  en  exploitant  les  ressources 
du  paj^s,  a  une  grande  importance.  —  Ce  sera  un  ex- 
cellent moyen  de  justifier  aux  yeux  des  noirs,  qui  ne 
comprendraient  pas  qu'on  allât  s'établir  chez  eux  uni- 
quement par  amour  de  la  science  et  par  dévouement 
à  la  cause  du  progrès,  de  justifier,  dis-je,  la  présence 
des  blancs  dans  leur  pays.  —  De  plus,  il  est  évident 
que  l'exemple  de  nos  agents  sera  bien  plus  contagieux 
dans  ces  conditions  que  s'ils  tiraient  du  dehors  leurs 
moyens  d'existence;  la  vue  d'hommes  pourvoyant 
par  leur  industrie  à  la  satisfaction  de  leurs  nombreux 
besoins,  sera  pour  les  indigènes  une  démonstration, 
plus  éloquente  que  bien  d'autres,  des  avantages  de  la 
civilisation.  —  Enfin  il  en  résultera  une  très-notable 
économie,  qui  permettra  à  la  Société  de  multiplier 
d'autant  le  nombre  de  ses  stations,  et  de  compléter 
plus  rapidement  le  réseau  de  points  de  repère  dont 
elle  aspire  à  couvrir  l'Afrique  centrale. 

J'ai  rappelé  plus  haut  que  les  stations  devaient 
être  à  la  fois  scientifiques  et  hospitalières.  Or  voici 
textuellement  ce  que  la  Commission  a  pensé  qu'elles 
auraient  à  faire  pour  revêtir  ce  double  caractère  : 

«  La  mission  scientifique  dime  station  consistera, 
autant  que  possible  : 

«  Dans  les  observations  astronomiques  ; 

«  Dans  les  observations  météorologiques  ; 


POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  L' AFRIQUE.    193 

«  Dans  la  formation  de  collections  de  géologie,  de 
zoologie  et  de  botanique  ; 

«  Dans  la  confection  de  la  carte  des  environs  de 
la  station; 

«  Dans  la  rédaction  du  vocabulaire  et  de  la  gram- 
maire du  pays  ; 

«  Dans  les  observations  ethnologiques  ; 

«  Dans  la  rédaction  des  récits  des  voyageurs  indi- 
gènes, qu'on  interrogera  sur  les  pays  qu'ils  ont  par- 
courus ; 

«  Dans  la  rédaction  d'un  journal  relatant  tous  les 
événements  et  toutes  les  observations  dignes  d'être 
rapportés. 

«  La  mission  hospitalière  d'une  station  sera,  autant 
que  possible,  de  recevoir  tous  les  voyageurs  que  le 
chef  en  jugera  dignes;  de  les  pourvoir,  au  prix  de  re- 
vient sur  place,  d'instruments,  de  marchandises  et 
de  provisions,  ainsi  que  de  guides  et  d'interprètes  ; 
de  les  renseigner  sur  les  meilleures  routes  à  suivre 
et  de  transmettre  leur  correspondance.  » 

Ces  résolutions  peuvent  se  passer  de  commentaire. 
Il  convient  seulement  de  noter  que  le  mot  voyageurs 
y  a  été  employé  dans  son  sens  le  plus  large  et  com- 
prend non-seulement  les  passants,  mais  aussi  les 
étrangers  qui  se  fixeraient  dans  la  localité,  que  le 
but  de  leur  expatriation  fût  scientifique,  religieux, 
commercial  ou  industriel.  Il  a  été  entendu  que  si 
d'une  part  la  rédaction  adoptée  ne  crée  de  droit  pour 
personne,  d'autre  part  elle  n'exclut  personne. 

Des  stations  remplissant  de  point  en  point  le  pro- 
gramme ci-dessus  seront  d'excellents  instruments 
d'exploration  ;  mais  notre  société,  son  nom  le  dit,  as- 
pire aussi  à  civiliser  l'Afrique,  et  rien,  dans  les  déci- 


19i  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE 

siens  que  j'ai  rapportées,  ne  vise  directement  ce  but 
final  et  supérieur  de  nos  efforts.  —  Une  lacune  aussi 
grave  ne  saurait  provenir  d'un  oubli  ;  si  donc  la  Com- 
mission l'a  laissée  subsister,  c'est  qu'elle  a  eu  de  bon- 
nes raisons  pour  cela.  D'abord  il  est  certain  que  logi- 
quement l'exploration  doit  précéder  l'action  civilisa- 
trice; on  ne  pourra  changer  l'état  social  des  Africains 
que  lorsqu'on  aura  pris  pied  chez  eux,  et  nous  n'en 
sommes  pas  encore  là  ;  il  serait  donc  prématuré  de 
s'en  occuper  dès  à  présent.  Puis  on  peut  espérer  que 
nos  stations  seront  comme  autant  de  sources  d'où, 
par  une  pente  naturelle,  la  vie  civilisée  s'écoulera 
peu  à  peu  en  rayonnant  à  l'entour;  que  de  là,  par 
l'exemple  ou  par  la  persuasion,  nos  idées  et  nos  usa- 
ges pénétreront  graduellement  parmi  les  indigènes, 
et  se  feront  d'autant  mieux  accepter  qu'on  cherchera 
moins  à  les  imposer. 

La  Commission  internationale  cependant  ne  pou- 
vait pas  passer  complètement  sous  silence  un  sujet 
aussi  important,  dans  la  liste  des  attributions  essen- 
tielles de  ses  stations.  Elle  devait  au  moins  dire  com- 
ment elle  entendait  aborder  la  question  de  l'esclavage 
qui,  aux  yeux  des  juges  les  plus  compétents,  est  la 
principale  pierre  d'achoppement  de  tout  progrès  sé- 
rieux en  Afrique,  et  qui  avait  été  l'un  des  principaux 
objectifs  de  la  Conférence  de  187G. 

La  Commission  en  a  donc  parlé  dans  ses  résolu- 
tions, en  déclarant  qu'à  ses  yeux  la  suppression  de  la 
traite  doit  découler  «  de  l'intiuence  civilisatrice  des 
stations,  »  mais  qu'elle  ne  constitue  «  qu'un  de  leurs 
buts  ultérieurs.  »  Cela  revient  à  dire  que  la  Commis- 
sion ne  perd  pas  de  vue  le  devoir  qui  s'impose  à  elle, 
mais  qu'elle  en  remet  l'accomplissement  au  jour  oiî, 


POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  l'afrique.   lOo 

des  stations  ayant  été  établies,  l'on  sera  mieux  à 
même  de  ju,ii:er  quels  services  elles  pourront  rendre 
sous  ce  rapport. 

De  ce  que  l'on  compte  sur  l'action  indirecte  et  par 
conséquent  lente  des  stations  pour  combattre  la  traite, 
il  ne  s'ensuit  pas,  je  suppose,  que  notre  Société  doive 
ou  veuille  s'interdire  l'emploi  d'autres  moyens  pour 
atteindre  ce  but.  Il  est  vrai  qu'il  n'en  a  pas  été  dit  un 
mot,  mais  il  me  semble  que,  si  l'influence  des  stations 
peut  servir  à  ébranler  la  coutume  de  la  traite,  elle  ne 
suffira  pas  pour  la  déraciner,  et  que,  si  l'on  veut  avoir 
raison  de  ce  fléau,  il  faudra  laborder  de  front,  quoi- 
que toujours  par  des  voies  pacifiques. 

En  tous  cas,  je  le  répète,  la  Commission  estime 
qu'il  serait  inopportun  de  commencer  l'attaque  dès 
maintenant,  avant  d'avoir  de  solides  bases  d'opéra- 
tion ;  elle  pense  aussi  qu'il  est  de  bonne  politique  de 
ne  pas  inscrire  en  grosses  lettres  sur  notre  drapeau 
la  réforme  à  laquelle  nous  aspirons,  afin  de  ne  pas 
alarmer  les  intérêts  qui  lui  sont  contraires.  Mais  l'As- 
sociation internationale  africaine  ne  fait  pas  mystère 
de  ses  tendances  abolitionnistes,  et  les  philanthropes 
peuvent  avoir  confiance  en  elle. 

Je  placerai  ici  ce  que  j'ai  à  dire  de  deux  recom- 
mandations adressées  au  Comité  exécutif  par  la  Com- 
mission internationale,  car  elles  se  rattachent  inti- 
mement à  l'établissement  des  stations. 

La  première  est  relative  à  la  possibilité  de  réaliser 
de  notables  économies  sur  les  frais  de  transport  du 
personnel  et  du  matériel  expédié  par  nous.  Ces  frais 
sont  parfois  très-considérables  et  les  facilités  qu'offri- 
raient probablement  les  armateurs,   les  sociétés  de 


196  RAPPORT  AU  COMITÉ  xNATIO.NAL  SUISSE 

commerce,  peut-être  même  les  gouvernements,  si  l'on 
faisait  appel  à  leur  générosité,  ne  seraient  pas  à  dé- 
daigner. Aussi  fut-il  décidé  que  le  Comité  ferait  des 
démarches  dans  ce  sens,  quand  il  le  jugerait  utile. 

Au  cours  de  la  discussion,  l'un  des  délégués  italiens 
exposa  que  son  gouvernement  avait  déjà  fait  prendre, 
à  une  compagnie  italienne  de  transports  maritimes, 
l'engagement  de  recevoir  à  moitié  prix  sur  ses  navi- 
res les  membres  des  expéditions  scientifiques.  L'As- 
sociation internationale  pourra  donc  en  bénéficier,  le 
cas  échéant. 

D'autre  part  les  délégués  hollandais  firent  savoir 
que  la  «  Compagnie  africaine  de  commerce,  »  de 
Rotterdam,  laquelle  possède  plus  de  cinquante  facto- 
reries dans  la  région  du  Congo,  offrait  spontanément 
à  la  Commission  : 

1"  Le  transport  gratuit  des  bagages  destinés  à 
nos  expéditions,  pour  autant  que  les  cargaisons  de  ses 
navires  le  permettront; 

2''  L'hospitalité  pour  nos  voyageurs  dans  ses  fac- 
toreries ; 

3"  Le  libre  usage  de  ses  magasins  en  Afrique  ; 

4^  La  transmission  gratuite  de  nos  fonds; 

5"  L'appui  et  l'expérience  de  ses  agents  pour  l'œu- 
vre en  général. 

Ces  ouvertures  furent  accueillies,  on  le  comprend, 
avec  une  vive  gratitude. 

Une  seconde  motion,  qui  fut  également  appuyée, 
tendait  à  réunir  les  éléments  d'une  sorte  de  manuel 
hygiénique  à  l'usage  du  personnel  des  stations  et  des 
explorateurs  de  l'Afrique.  Le  climat  de  ce  i)ays  a  fait 
trop  de  victimes  parmi  les  voyageurs  éti"angers,pour 
qu'on  ne  se  précautionne  pas  soigneusement  contre 


POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  l'afrique.   197 

ses  atteintes.  Ceux  qui  eu  sont  revenus  peuvent  four- 
nir à  leurs  successeurs  de  très-utiles  directions  en 
leur  signalant  les  mo3ens  préservatifs  et  curatifs  qu'ils 
ont  employés.  Toutes  leurs  expériences,  à  la  vérité, 
ne  sont  pas  concordantes,  soit  par  suite  de  la  diver- 
sité des  régions  où  ils  ont  vécu,  soit  que,  plus  robus- 
tes les  uns  que  les  autres,  ils  aient  été  inégalement 
atîectés  par  les  influences  morbides  d'une  même  con- 
trée ;  mais  toujours  est-il  que,  si  l'on  groupait  leurs 
indications,  on  en  pourrait  tirer  des  renseignements 
aussi  neufs  qu'importants.  Une  enquête  a  donc  été  ré- 
solue auprès  de  ceux  qui  peuvent  fournir  des  lumiè- 
res sur  ce  point.  Elle  se  fera  par  l'intermédiaire  des 
Comités  nationaux,  à  l'aide,  probablement,  d'un  ques- 
tionnaire soigneusement  élaboré  par  le  Comité  exécu- 
tif, et  son  résultat,  s'il  est  livré  à  la  publicité,  sera 
avidement  consulté  par  tous  ceux  qui  s'aventureront 
à  l'intérieur  de  l'Afrique. 

Après  avoir  pris  toutes  les  mesures  préparatoires 
dont  je  vous  ai  entretenus  jusqu'ici,  la  Commission 
crut  pouvoir,  dès  cette  année,  faire  un  pas  de  plus, 
en  décidant  qu'une  expédition  serait  acheminée  par 
ses  soins  vers  le  cœur  de  l'Afrique.  C'était  répondre 
à  l'attente  des  membres  de  l'association,  auxquels  il 
tardait  de  voir  mettre  à  exécution  le  projet  qui  avait 
éveillé  leur  sympathie. 

Ce  point,  quelque  capital  qu'il  fût,  n'arrêta  pour- 
tant pas  longtemps  la  Conférence.  Il  n'y  eut  guère  de 
discussion  que  pour  savoir  si  l'on  déterminerait  d'ores 
et  déjà  l'itinéraire  que  devraient  suivre  les  voyageurs 
et  l'emplacement  des  stations,  ou  si  l'on  s'en  remet- 
trait pour  cela  aux  lumières  du  Comité  exécutif.  Les 


198  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE 

partisans  de  cette  dernière  opinion  prétendaient  qu'il 
serait  téméraire  de  désigner  à  l'avance  une  route  que 
des  guerres  locales,  de  nouvelles  découvertes  ou  telle 
autre  circonstance  fortuite  pourraient  contraindre, 
au  dernier  moment,  de  modifier  ou  même  d'abandon- 
ner. Cet  argument  fut  pris  en  sérieuse  considération, 
et  la  Commission  y  eut  égard  en  se  refusant  à  voter 
un  plan  très-complet  qui  lui  était  proposé.  Elle  ne 
renonça  pas  cependant  à  donner  des  indications  au 
Comité  exécutif  et  fixa^  tout  en  faisant  une  très-large 
part  à  l'imprévu,  la  direction  générale  suivant  la- 
quelle elle  estimait  convenable  de  débuter. 

Elle  eut  à  choisir  entre  plusieurs  tracés  qui  lui  fu- 
rent soumis  : 

L'un  (espagnol)  avait  pour  objectif  principal  le  lac 
Xyassa,  et,  en  allant  du  sud  au  nord,  l'exploration 
des  régions  comprises  entre  ce  lac  et  le  Tanganyika, 
puis  entre  ce  dernier  et  le  Victoria  ; 

Un  autre  (américain)  consistait  à  pénétrer  en  Afri- 
que par  la  mer  Rouge  et  l'Abyssinie  ; 

Un  troisième  (autrichien)  tendait  à  opérer  une  re- 
connaissance précise  de  la  ligne  de  démarcation  entre 
le  bassin  du  Nil  et  celui  des  fleuves  qui  se  jettent  dans 
l'océan  Atlantique; 

Un  quatrième  (hollandais)  préconisait  les  avanta- 
ges que  présenterait,  comme  point  de  départ,  la  côte 
occidentale  vers  l'embouchure  du  Congo,  d'où  l"on 
pourrait  remonter  le  cours  de  ce  fleuve  ; 

Un  cinquième  enfin  (italien)  éuumérait  les  contrées 
les  plus  favorables  aux  stations,  qu'il  plaçait  à  l'em- 
l)()uchure  des  grands  fleuves,  sur  les  deux  côtes,  puis 
sur  le  haut  Nil  et  dans  le  voisinage  des  lacs  équato- 
riaux. 


0 

POUR  l'exploration  et  la  CIVILISATIOX  DE  l'aFRIQUE.    199 

La  Commission  ne  s'arrêta  à  aucune  de  ces  propo- 
sitions, mais  elle  prêta  l'oreille  plus  attentivement  à 
ce  qui  lui  fat 'dit  d'une  autre  route,  que  fraie  en  ce 
moment  même  une  expédition  envoyée  par  la  Société 
italienne  de  géographie.  Cette  expédition,  qui  a  pour 
chef  le  marquis  Antinori,  est  depuis  plus  d'une  année 
déjà  dans  le  pays  de  Choa,  au  sud-est  de  FAbyssinie. 
Elle  s'y  trouve  dans  des  conditions  très-favorables; 
mais  cette  installation  n'est  qu'une  première  étape 
pour  acclimater  les  voyageurs,  les  exercer  et  les  lan- 
cer ensuite  vers  les  régions  peu  connues  qui  l'avoisi- 
nent.  Les  membres  italiens  de  la  Commission  de  Bru- 
xelles, en  exposant  ces  faits  intéressants,  ont  formulé 
le  désir  que  la  station  de  Choa  fût  placée  sous  la  pro- 
tection de  l'Association  internationale,  tout  en  expli- 
quant que  l'Italie  continuerait  à  en  faire  seule  les  frais. 
La  Commission  entra  pleinement  dans  ces  vues,  et 
ajouta  même  que,  dès  que  ses  ressources  le  lui  per- 
mettront, elle  sera  heureuse  d'envoyer  à  la  station  de 
Choa  une  assistance  pécuniaire. 

Mais  elle  voulut  faire  plus  que  cela  et  prendre  elle- 
même  l'initiative  d'un  nouveau  voyage  dont  elle  assu- 
merait seule  la  responsabilité. 

Le  Comité  exécutif  avait,  dans  cette  prévision, 
élaboré  un  programme  dont  les  traits  généraux  ne 
soulevèrent  aucune  objection,  et  ce  fut  à  Tunanimité 
que  l'on  en  approuva  l'idée,  qui  consistait  «  à  diriger 
une  expédition  par  la  voie  de  Zanzibar  vers  le  lac 
Tanganyika,  avec  le  but  d'établir  des  stations,  ou  à 
ce  lac  même  ou  à  quelques  points  au  delà,  ainsi  qu'à 
envoyer  des  voyageurs  explorateurs  en  prenant  ces 
stations  pour  base.  » 

La  Commission  a  laissé  au  Comité  le  soin  de  traii- 


200  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE 

cher  ultérieurement  toutes  les  questions  de  détail  que 
doit  soulever  une  résolution  aussi  laconique  et  aussi 
vague.  Nous  ne  pouvons  donc  pas  savoir  exactement 
où  les  stations  seront  établies  et  quel  chemin  pren- 
dront les  explorateurs.  Cependant  il  est  présumable 
que  le  Comité  ne  s'écartera  pas  beaucoup,  dans  ses 
décisions  complémentaires,  des  vues  quïl  a  exposées 
devant  la  Commission,  bien  qu'il  ait  toute  liberté  de 
les  modifier  à  son  gré.  Je  puis  donc,  en  les  reprodui- 
sant ici,  vous  faire  entrer  plus  avant  dans  la  pensée 
de  ceux  qui  sont  maintenant  chargés  de  diriger  l'en- 
treprise. 

Selon  eux,  «  l'expédition  devait  se  composer  d'un 
chef  éprouvé,  de  deux  ou  trois  personnes  destinées  à 
diriger  les  travaux  scientifiques  d'une  station,  d'un 
agriculteur  et,  au  besoin,  d'un  ou  de  deux  maîtres 
ouvriers  européens. 

«  Cette  expédition  partirait  de  Marseille  ou  d'An- 
vers pour  Zanzibar  où  elle  établirait  une  première 
station  gratuite ,  laquelle  ne  serait  autre  que  l'Agence 
de  MM.  Roux  de  Fraissinet  et  C'',  gracieusement  mise 
par  eux  à  la  disposition  de  l'Association  internatio- 
nale. 

«  L'expédition  partirait  d'Europe  munie  de  ses  in- 
struments scientifiques,  de  ses  armes  et  des  objets 
qu'on  ne  trouve  pas  à  Zanzibar.  Elle  achèterait  dans 
cette  ville  les  provisions  nécessaires  à  un  voyage  dans 
rintérieur;  elle  y  enrôlerait  un  armurier,  un  cuisinier, 
un  cordonnier,  un  charpentier  indigènes  outre  ses  as- 
karis,  ses  interprètes  et  ses  porteurs. 

«  L'expédition  séjournerait  à  Zanzibar  le  temps  qu'il 
faudrait  pour  se  renseigner  sur  les  moyens  de  gagner 
l'intérieur.  Elle  s'informerait  du  succès  de  la  tentative 


POUR  l'exploration  et  la  civilisation  de  L' AFRIQUE.    201 

de  l'expédition  anglaise,  qui  doit  partir  de  Zanzibar 
au  mois  de  juillet  et  essayer  de  gagner  le  Tanganyika 
au  moyen  de  charrettes  à  bœufs.  Si  cette  tentative 
avait  réussi,  on  la  renouvellerait,  et  l'expédition 
prendrait  le  même  chemin  que  la  mission  envoyée  par 
la  «  London  missionary  Society.  »  Si,  au  contraire, 
le  résultat  avait  été  défavorable,  l'expédition  aurait 
recours  au  mode  ordinaire  de  transport. 

«  Après  avoir  terminé  ses  préparatifs,  l'expédition 
se  rendrait  à  la  côte  du  continent  et  s'adresserait  à 
un  des  établissements  existants  pour  fonder  une  se- 
conde station  gratuite.  Des  renseignements  dignes  de 
foi  permettent  de  croire  qu'on  n'aurait  pas  de  diffi- 
culté à  le  faire. 

«  L'expédition  se  dirigerait  ensuite  vers  l'Uniam- 
wesi  et  se  mettrait  en  relation  avec  M.  Philippe 
Broyon,  suisse  de  nationalité,  qui  s^y  est  établi  et  a 
épousé  la  fille  d'un  des  principaux  rois  du  pays.  M. 
Broyon  propose  de  se  charger  d'une  troisième  station. 
Celle-ci  serait  encore  gratuite  ou  n'entraînerait  du 
moins  qu'à  des  dépenses  fort  minimes.  Ces  trois  pre- 
mières stations  ne  seraient  que  des  dépôts  de  vivres, 
de  marchandises,  etc. ,  et  des  étapes  pour  la  transmis- 
sion des  ravitaillements  et  de  la  correspondance.  Le 
chef  de  l'exploration  s'efforcerait  de  multiplier  les  dé- 
pôts établis  dans  ces  conditions  suivant  les  facilités 
qu'il  trouverait  à  le  faire. 

«  Le  chef  d'exploration  chercherait  aussi  sur  la 
route  à  enrôler  des  indigènes,  que  l'on  encouragerait 
par  un  petit  traitement  mensuel  à  prendre  soin  des 
voyageurs  et  à  surveiller  la  transmission  de  la  cor- 
respondance et  des  ravitaillements. 

«  L'expédition  se  dirigerait  ensuite  vers  le  Tanga- 

BDLLETIX,    T.    XVI,     1877.  14: 


121)3  RAPPORT  AU  COMITE  NATIONAL  SUISSE 

n3'ika.  Arrivé  là,  le  chef  s'enqiierrait  de  ce  qu'a  fait 
M.  Stanley  et,  suivant  les  progrès  réalisés  par  lui  et 
l'état  politique  du  pays,  il  déciderait  s'il  faut  établir 
la  station  principale  aux  bords  du  Tanganyika,  ou  y 
faire  un  simple  dépôt  comme  les  précédents  et  fixer  la 
base  des  opérations  futures  à  Nyangwe  ou  à  tout  au- 
tre endroit  à  désigner  dans  le  Manyema. 

«  Une  grande  latitude  serait  laissée  au  chef  de  l'ex- 
pédition pour  déterminer  l'emplacement  de  la  station 
principale. 

*  Cette  dernière  station  du  Tanganyika  ou  du  Ma- 
nyema ou  de  l'Uniamwesi  serait  la  station  scientifique 
définitive,  doublée  d'une  exploitation  agricole  lui  per- 
mettant, au  bout  d'un  certain  temps,  de  se  suffire  à 
elle-même. 

«  Après  avoir  fondé  cette  dernière  station,  s'être 
reposé  et  ravitaillé,  le  chef  de  l'expédition  y  lais- 
serait ses  compagnons  européens,  à  moins  qu'il  ne 
désire  en  prendre  un  avec  lui,  et  s'avancerait  vers  les 
pays  inconnus.  Ce  serait  au  chef  de  l'exploration  à 
choisir  sa  direction  vers  la  côte  occidentale,  en  évi- 
tant avec  soin  les  routes  déjà  parcourues  par  les  Eu- 
ropéens et  en  suivant,  si  c'est  possible,  le  quatrième 
parallèle  nord.  » 

Ainsi  le  projet  qui  va  s'exécuter  et  dont  vous  avez 
maintenant  une  idée  approximative,  est  conforme  au 
vœu  de  la  Conférence  de  1876,  qui  avait  signalé, 
comme  désirable  au  premier  chef,  une  ligne  continue 
de  communications  allant  de  l'un  à  l'autre  Océan,  en 
suivant  à  peu  près  l'itinéraire  du  commandant  Came- 
ron.  C'est  cette  trouée,  perçant  de  part  en  i)art  le 
continent  africain  et  déjà  ébauchée  par  de  iiardis 
pionniers,  qu'il  s'agit  avant  tout  d'élargir  et  de  ren- 


pouii  1/exploratio.n  f:T  la  civilisation  l)k  l'afuiquk.  20-5 

dre  de  plus  en  plus  praticable.  Mais  c'est  sans  préju- 
dice de  rétablissement  d'autres  stations,  si  le  Comité 
juge  opportun  d'en  créer  de  son  propre  chef.  C'est 
aussi  indépendaiijment  de  l'aide  qui  pourra  être  don- 
née à  des  voyages  nationaux,  à  l'instar  de  ce  qui  a 
été  décidé  déjà  pour  le  Choa,  car  notre  Association 
internationale  a  des  visées  assez  hautes  et  un  esprit 
assez  large  pour  applaudir  à  toute  initiative,  d'où 
qu'elle  parte,  qui  contribuera  à  faire  progresser  la  con- 
naissance et  la  civilisation  de  FAfrique. 


Je  ne  puis  terminer  ce  rapport.  Messieurs,  sans 
exprimer  le  vœu  que  la  Suisse  s'associe  largement  et 
généreusement  à  l'œuvre  africaine.  J'ai  du  reste  bon 
espoir  qu'elle  n'y  faillira  pas,  puisque  déjà,  devançant 
tout  appel,  elle  a  sollicité  spontanément  l'honneur  de 
se  ranger  sous  sa  bannière.  Le  moment  est  venu  pour 
nous  de  témoigner,  autrement  que  par  une  approba- 
tion platonique,  notre  sympathie  pour  l'entreprise 
grandiose  et  féconde  à  laquelle  nous  avons  promis 
notre  concours.  Nous  devons  travailler  à  la  vulgariser 
dans  notre  pays  et  à  lui  procurer  par  ce  moyen  des 
adhérents  nombreux,  qui  la  soutiennent  de  leur  inté- 
rêt et  de  leurs  dons.  Nous  y  réussirons  sans  peine,  je 
m'assure,  car  notre  peuple  n'est  indifférent  ni  aux 
découvertes  scientifiques,  ni  au  développement  du 
commerce,  ni  au  relèvement  de  l'espèce  humaine,  ni, 
en  un  mot,  à  aucun  des  buts  que  poursuit  l'Association 
internationale  africaine,  à  aucune  des  perspectives. 


201  RAPPORT  AU  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE. 

si  dignes  de  son  royal  promoteur,  qu'elle  ouvre  devant 
nous. 

Genève,  le  31  juillet  1877. 

G.    MOYNIER. 

P. -S.  D'après  des  nouvelles  postérieures  à  la  ré- 
daction de  ce  rapport,  le  personnel  de  la  première 
station  est  déjà  choisi.  Le  Comité  ayant  reconnu  la 
convenance  que  les  individus  attachés  à  une  station 
appartiennent  autant  que  possible  à  la  même  nationa- 
lité, a  désigné  pour  chef  M.  Crespel  et  pour  adjoint 
]M.  Cambier,  tous  deux  officiers  d'état-major  de  l'ar- 
mée belge.  Un  troisième  Belge,  M.  Macs,  docteur  es 
sciences  naturelles,  partira  comme  médecin-natura- 
liste. Enfin  un  Autrichien,  M.  Marno,  qui  a  déjà  fait 
trois  voyages  dans  les  régions  intertropicales  de  l'Afri- 
que, accompagnera  l'expédition,  mais,  arrivé  au  terme 
de  celle-ci,  il  la  quittera  pour  aller  plus  loin  explorer 
des  contrées  encore  inconnues. 

Les  personnes  qui  s'intéressent  à  l'Association 
africctine  peuvent  consulter,  comme  complément  de 
ce  rapport,  une  publication  récente,  qui  résume  par- 
faitement l'état  de  nos  connaissances  actuelles  sur 
l'Afrique  et  les  travaux  de  la  Conférence  internatio- 
nale de  1876.  Elle  est  intitulée  «  l'Afrique  et  la  Con- 
férence géographique  de  Bruxelles,  par  Emile  Ban- 
ning,  membre  de  la  Conférence,  avec  une  carte.  »  — 
Bruxelles,  librairie  Muquardt,  1877,  in-8%  150  p. 


COMESPONDAIfCE 


Ouargla,  le  20  mai  1877. 

A  Monsieur  BouthiUer  de  Beaumont,  président  de  la  Société 
de  géograpJiie  de  Genève. 

Monsieur  le  Président, 

Contrairement  à  ce  que  j'ai  annoncé,  il  est  maintenant  dé- 
cidé que  je  passerai  l'été  à  Ouargla.  Mon  départ  pour  le  Ti- 
dikelt  avait  été  fixé  au  21,  et  tout  était  prêt,  lorsque  l'un  de 
mes  guides,  le  nommé  Mohammed  ben  el  Haoutli,  frère  de 
Eou  Khacheba,  le  Ghàambi  insurgé  auquel  je  porte  l'aman 
de  M.  le  Gouverneur,  arriva  au  dernier  moment  en  appor- 
tant de  mauvaises  nouvelles. 

Un  rliezi  d'Oulad  Sidi  Cheikh,  composé  de  70  maliara, 
était  parti  de  l'ouest  et  l'on  ignorait  la  direction  qu'il  avait 
prise;  peut-être  se  trouvait-il  sur  l'oued  Mià,  qui  est  le  ren- 
dez-vous habituel  de  tous  les  pillards  sahariens  qui  viennent 
tenter  les  coups  de  main  aux  environs  d'Ouargla,  et  notam- 
ment des  Cbebeub,  ainsi  (juc  des  Châamba  révoltés,  qui  tous 
campent  au  sud-est  du  Tidikelt,  dans  la  direction  du  Hoggar. 

C'est  surtout  au  printemps  que  ces  pillards  se  dirigent 
vers  le  nord,  parce  qu'alors  les  Châamba  et  les  Mokhadma 
sont  dispersés  dans  le  Sahara  avec  leurs  troupeaux. 

Ces  bandits  suivent  de  préférence  l'oued  Miâ,  m'a-t-il  été 
expliqué,  parce  que  le  fleuve  mort  serpente  à  travers  des 


206  BULLETIN. 

plaines  de  pierres,  plates  et  nues,  sur  lesquelles  il  est  impos- 
sible (le  découvrir  aucune  piste  ;  en  outre  le  lit  de  l'oued, 
qui  est  rempli  de  végétation  et  dans  lequel  croissent,  m'as- 
sure-t-on,  des  arhi'es  hauts  comme  des  palmiers,  leur  olïri- 
iviit  des  lieux  de  refuge  difficiles  à  découvrir  dans  le  cas  où 
néanmoins  ils  seraient  serrés  de  près  par  des  cavaliers  lancés 
à  leur  poursuite. 

Finalement  mes  guides  m'ont  mis  dans  l'alternative  ou 
d'ajourner  mon  départ  jusqu'à  l'automne,  ou  bien  de  partir 
de  suite,  puisque  tel  était  mon  désir,  mais  en  prenant  une 
l'oute  plus  à  l'est,  et  en  passant  pai-  Ain  Téiba  et  El  Bcyed, 
où  nous  rencontrerions  Bon  Kliacheba  qui,  avec  les  siens, 
nous  ferait  escorte  jusqu'à  Aïn  Çalah. 

Mais,  outre  que  cette  route,  qui  est  difficile,  même  pour 
les  caravanes,  a  déjà  été  vue,  partie  par  M.  Bou-Derba,  par- 
lie  par  le  voyageur  Rohlfs,  elle  m' éloignerait  tellement  de 
mon  but,  qui  consiste  surtout  à  reconnaître  et  à  relever  les 
voies  d'eau  qui  conduisent  de  la  côte  algérienne  au  Soudan, 
(jae  j'ai  préféré  ajourner  mon  départ  à  l'automne,  époque  à 
laquelle  mes  guides  Châamba  ne  craindront  plus  de  me  faire 
lemonter  l'oued  Mià.  En  conséquence,  j'ai  donné  rendez- 
vous  à  tout  mon  monde  pour  le  ^3'"^  jour  du  mois  de  Rama- 
dan (!*'■  octobre  prochain). 

Depuis  que  je  suis  à  Oiiargla  (12  mai),  j'ai  fait  plusieurs 
excursions  dans  les  environs,  et  j'ai  la  sali'^faclion  de  vous 
annoncer  que  mes  recherches  n'ont  pas  été  inh'uclueuses, 
cal-  j'ai  trouvé  des  silex  travaillés  non-seulement  près  de  Ba- 
Mendil  où,  je  crois,  les  recherches  ont  été  jus(prà  présent 
limitées,  mais  encoie  tout  le  long  du  plateau  du  Cliàb,  (pu 
borde  à  l'ouest  la  selikba  d'Ouargla,  ainsi  (pie  sur  la  route 
de  Ngoussa,  à  deux  heures  et  demie  de  marche  d'Ouargla. 

Outre  des  pointes  de  (lèches  très-bien  conservées  parce 
que,  vu  leui-  légèreté,  elles  ont  pu  être  impunément  Irans- 


CORRESPONDANCE.  207 

portées  par  les  venis  ou  roulées  par  les  eaux,  j'ai  encore 
trouvé  des  poinçons,  des  grattoirs  en  bon  élat,  ainsi  qu'un 
percuteur  encore  intact  ;  mais  les  haches  sont  toutes  hrisées, 
et  le  plus  bel  échantillon  de  ce  genre  (jue  j'aie  pu  recueillir 
jusqu'à  ce  jour,  consiste  en  un  tranchant  ayant  appartenu  à 
une  hache  de  moyenne  grandeur. 

Il  est  certain  que  les  villages  de  Tàge  de  pieri-e  étaient  sur- 
tout situés  sur  les  bords  supérieurs  du  plateau  du  Chah 
dont  les  pentes  ont  été  depuis  profondément  ravinées.  Or  ce 
plateau,  qui  est  aujourd'hui  un  liamada  dénudé  et  couvert  de 
cailloux  siliceux  ou  de  grès  noir,  devait  être  couvert  de 
végétation  à  l'époque  où  la  grande  dépression  qui  est  aujour- 
d'hui la  sebkha  d'Ouargla  était  remplie  par  les  eaux  de 
l'oued  Mià;  car,  dans  les  éijoulements  ({ue  les  pluies  ont  pro- 
duits sur  ses  boi-ds,  on  voit  que,  sous  la  couche  toute  super- 
ficielle de  pierres,  il  existe  une  couche  de  marne  rouge  pro- 
fonde d'au  moins  dix  mètres,  laquelle  est  ti-a versée  par  une 
quantité  de  racines  de  toutes  grosseurs,  si  serrées  en  certains 
points,  qu'elles  forment  des  blocs  de  la  grosseur  d'un  hom- 
me. Ces  racines  sont  aujourd'hui  incrustées  de  silice  ou  de 
gypse  et  sont,  par  conséquent,  pétrifiées. 

Ce  plateau  du  Chah  contient  en  outre  une  grande  quanlilé 
d'eaux  d'infiltration,  car  une  foggara  de  deux  mètres  seule- 
ment de  profondeur,  qui  part  non  loin  de  Ba-Mendil  pour  al- 
ler arroser  une  partie  de  l'oasis,  donne  encore,  dans  la  se- 
conde année  de  sécheresse,  une  quantité  d'eau  que  j'estime 
à  loOO  litres  par  minute.  Or,  cette  eau  est  fraîche  et  déli- 
cieuse à  bpii'e. 

J'irai  visiter  prochainement  des  grottes  taillées,  ainsi  que 
des  l'uines,  au  lieu  appelé  Kef-es-Soulthan.  Je  ferai  égale- 
ment une  excursion  à  la  gara  de  Qrima,  qui  s'élève  abrupte 
et  isolée  du  côté  du  sud,  au  milieu  de  la  grande  dépression 
par  laquelle  la  vallée  de  l'oued  Mià  débouche  dans  la  sebkha 


208  BULLETIN. 

d'Ouargla.  On  dit  cette  gara  très-curieuse  à  visiter  et,  sur  la 
description  que  l'on  m'en  a  faite,  je  suppose  qu'elle  a  été  ha- 
bitée par  des  individus  de  même  race  que  ceux  qui  ont 
édifié  le  village  de  Tekout,  sur  la  gara  du  même  nom,  non 
loin  de  Rhadamès;  en  etïet,  la  gara  de  Qrima  est  aussi  tra- 
versée par  un  puits  autour  duquel  sont  les  ruines  d'un  vil- 
lage en  pierres.  Il  existe  encore,  dans  les  envii-ons,  les  ruines 
(le  plusieurs  villages  de  l'époque  de  la  domination  berbère. 

Car  il  est  ici  de  notoriété  publique  (tous  les  vieillards  vous 
le  racontent)  que  le  pays  d'Ouargla,  qui  comprenait  autre- 
fois plus  de  300  villes  ou  villages,  était  habité  pai-  des  Barn- 
bers  dont  ceux  appelés  aujourd'hui  Beni-Mzab  sont  la  per- 
sonnification ;  ces  Berabers  avaient  eux-mêmes  assujetti  les 
mulâtres  appelés  depuis  Rouarha  (anciens  Mélano-Gétules) 
(ju'ils  vendaient  comme  esclaves.  La  belle  vallée  d'El  Hadjii'a 
était  alors  toute  couverte  de  cultures  et  de  villages,  dont 
quelques  palmiers  isolés  et  les  ruines  de  Baghdad  sont,  avec 
les  villages  de  Ngoussa  et  d'El  Hadjii'a,  les  derniers  vestiges. 
Tout  cela  fut  détruit  à  l'époque  de  la  conquête  arabe  ;  les 
Berabers  et  les  mulâtres  furent  en  grande  partie  extermi- 
nés; les  débris  des  premiers  se  réfugièrent,  dit-on,  sur 
l'oued  Mzab  dont  ils  ont  pris  le  nom.  Ce  qui  restait  des  se- 
conds fut  rappelé  dans  le  pays  dévasté  par  les  nomades 
Châamba,  Makhadma  et  autres,  (|ui  arrivèrent  ensuite,  et  la 
ville  actuelle  d'Ouargla  fut  édifiée  par  eux  sur  un  tertre  peu 
élevé,  au  milieu  de  la  sebkba;  mais  remplacement  a  été  mal 
choisi,  car,  dans  les  rares  années  pluvieuses,roued  Miâ  amène 
encore  ici  une  telle  quantité  d'eau  que  la  ville  est  alors  à 
moitié  submergée.  Il  existe  même  une  prophétie  annonçant 
que  Ouargla  sera  emportée  par  les  eaux.  Dieu  est  le  plus 
grand  ! 

Du  20  mai  à  ce  jour,  le  thermomètre  maxiraa  a  donné  une 
moyenne  de  3()°,5  (centigrade)  et  le  thermomètre  minima 


CORRESPONDANCE.  209 

23°,2,  Cette  semaine  a  été  moins  chaude  (|iie  la  précédente. 
Je  vous  ferai  observer  que  je  suis  logé,  avec  l'agha,  dans  un 
boi'dj  appelé  Ba-Mendil,  situé  sur  une  gara  de  20  mètres  d'al- 
titude environ,  à  3  kilomètres  N.-O.  de  la  ville.  Nous  pas- 
sons ici  la  saison  du  tehem  (fièvres  paludéennes)  (jui  duce 
jusqu'à  lin  de  juin.  A  Ouargla,  il  fait  certainement  plus 
cliaud. 

Je  ne  manquerai  pas  de  vous  envoyer  une  nouvelle  lellie 
dès  que  j'aurai  du  nouveau  à  vous  raconter. 

Veuillez  agréer,  etc. 

V.  Largeau. 


Ouargla,  le  18  juin  1877. 
A  Monsieur  BouthiUer  de  Beaumont,  président  de  la  Société 
de  géographie  de  Genève. 

Monsieur  le  Président, 

J'ai  l'honneur  de  soumettre  à  la  Société  de  géographie  les 
résultats  d'une  tournée  que  j'ai  faite  dans  les  environs 
d'Ouargla,  dans  les  journées  des  7,  8  et  9  du  courant. 

A  12  kilomètres  environ  de  Ba-Mendil^  qui  a  été  mon 
point  de  départ,  les  bords  supérieurs  du  plateau  du  Chàb, 
qui  domine  à  l'orient  la  sebkha  d'Ouargla,  forment  des  gor- 
ges profondes,  aux  parois  verticales. 

C'est  dans  une  de  ces  gorges  et  dans  un  bloc  de  mollasse 
jaune  de  40  mètres  d'altitude  dont  la  partie  moyenne  est 
taillée  en  gradins,  que  sont  creusées,  h  30  mètres  environ 
au-dessus  du  fond  de  la  gorge,  les  grottes  appelées  Kelief 
Soulthan,  ou  Grottes  du  Sultan.  Elle  sont  au  nombre  de  liuil, 
disposées  en  trois  rangées  superposées  :  trois  forment  le 
premier  étage,  quatre  le  second;  une  seule  se  trouve  à  l'é- 
tage supérieur. 


210  BL'LLETIN. 

On  parvenait  aux  deux  étages  inférieurs  par  le  haut  du  ro- 
cher que  l'on  contournait  pour  descendre  sur  les  gradins  à 
hauteur  desquels  sont  creusées  les  grottes,  et  l'on  arrivait  à 
l'étage  supérieur  par  une  communication  ascendante  creusée 
au  fond  d'une  des  grottes  du  second  étage.  Un  monticule, 
formé  des  débris  que  les  siècles  ont  détachés  du  rocher,  per- 
met aujourd'hui  d'arriver  facilement  aux  grottes  inférieures, 
et  l'on  gagne  celles  du  moyen  étage  par  des  trous  superpo- 
sés en  forme  d'escalier  et  creusés  dans  la  mollasse. 

Les  grottes  inférieures  sont  peu  profondes  :  celle  de  droite 
mesure  1  mèlre  70  de  plafond,  3  mètres  90  de  profondeur, 
et  2  mètres  7o  de  largeur.  Elle  se  compose  d'une  seule  cham- 
l)ie  dont  le  fond  est  divisé  en  deux  compartiments  par  une 
sorte  de  pilier  grossièrement  taillé.  Sur  le  côté  droit  sont 
^i-avés  quelques  caractères  arabes  parmi  lesquels  j'ai  pu  seu- 
lement décliitïrer  le  mot  .^U!  (Allah). 

Les  deux  grottes  de  droite  du  moyen  étage  sont  divisées 
chacune  en  trois  compartiments  communiquant  entre  eux 
par  d'étroits  couloirs  et  se  dirigeant  vei"s  l'intéi'ieur  du  ro- 
cher. Celle  de  droite  mesure  9  mètres  55  de  profondeur,  et 
les  chambres  1  mètre  50  de  largeur  en  moyenne,  celle  de 
gauche  est  profonde  de  7  mètres  60,  et  ses  chambres  ont 
une  largeur  de  3  mètres;  c'est  au  fond  de  celle-ci  que  se 
trouve  le  couloir  ascendant  par  lequel  on  communique  à  la 
grotte  supérieui-e,  laquelle  n'olïre.  du  reste,  aucune  particu- 
larité remaniuable. 

La  légende  dit  (|ue  «  dans  les  premiers  temps  de  l'Islam, 
«  les  sultans  de  Tunis  et  de  Fez  entreprirent,  ccmtre  le  Be- 
«  raber  d'Oiiargia,  une  guerre  d'extermination  ;  ils  envoyè- 
«  i-ent  à  tour  de  rôle  i\r<.  troupes  nondiicuscs  dont  le  cam|» 
«  était  établi  sur  le  plateau,  en  face  de  l'ancienne  ville  de 
«  Ceddrata  dont  les  ruines  sont  peu  éloignées,  et  c'est  pour 
«  abriter  le  sultan  des  ardeurs  du  soleil,  lorsqu'il  venait  lui- 


CORRESPONDANCE.  211 

«  même  diriger  la  guerre,  gue  les  soldais  creusèrent  ces 
«  grottes.  C'est  de  là  que  vient  leur  nom  de  Kehef  Soul- 
«  thaa.  -> 

Je  ne  contredirai  point  la  légende,  attendu  qu'en  effet  rien 
ne  se  trouve  pour  prouver  qu'elles  ont  été  creu.sées  par  d'au- 
tres mains  que  par  celles  des  Musulmans. 

Si,  en  quittant  Kehef  Soulthaii,  on  se  dirige  vers  le  sud-est 
pour  aller  visiter  les  ruines  de  Ceddrata,  on  rencontre,  à  loO 
mètres  environ  du  rocher  et  sur  la  pente  qui  conduit  au  fond 
de  la  sebklia,  les  restes  tiès-appai-ents  d'un  village  de  l'âge 
de  pierre,  parmi  lesquels  on  se  trouve  en  présence  d'un  vé- 
ritable atelier  de  silex  taillés.  Ce  sont,  sur  plus  de  50  mètres 
d'étendue,  des  monticules  de  calcaire  dans  lesquels  on  trouve 
des  cailloux  de  silex  de  toutes  grosseurs,  et  par  ci  par  là  des 
pierres  taillées  dont  l'état  de  conservation  ne  laisse  rien  à 
désirer. 

Ce  sont  surtout  des  couteaux  droits,  des  lames  courbes  et 
tranchantes,  à  pointes  arrondies,  dont  quelques-unes  n'ont 
pas  moins  de  8  centimètres  (l'une  d'elles  a  même  12  centi- 
mètres de  long  sur  7  de  large),  des  pointes  de  flèches  et  de 
javelots  dont  la  forme  diffère  de  celles  que  j'ai  ramassées  le 
long  du  Châb  et  dont  j'ai  photographié  des  échantillons,  des 
sortes  de  petites  haches,  d'autres  instruments  taillés  en 
pointe,  avec  une  entaille  sur  le  côté,  par  où  on  les  saisissait, 
sans  doute  avec  le  pouce,  des  percuteurs,  enfin  deux  scies 
dont  l'une  a  les  dents  artistement  travaillées. 

J'ai  fait  ample  moisson  de  ces  différentes  sortes  d'instru- 
ments dont  je  ferai  un  envoi  au  mois  de  septembre,  lorsque 
j'irai  à  El  Aghouat  pour  me  ravitailler. 

A  4  kilomètres  plus  loin  et  toujours  vers  le  sud-est,  se 
trouvent  les  ruines  de  Ceddrata,  ville  berbère  qui  fut  dé- 
truite, dit-on,  à  l'époque  de  la  conquête  de  l'Islam. 

Après  une  marche  passablement  fatigante  à    travers  des 


212  BULLETIN. 

dunes  qui  recouvrent  l'emplacement  de  jardins  autrefois  sans 
doute  soigneusement  cultivés,  on  arrive  à  un  monticule  de 
forme  ronde,  de  (50  mètres  de  diamètre  environ,  sur  lequel 
on  trouve  les  ruines  d'un  village  que  l'on  peut  considérer 
comme  ayant  été  le  faubourg  de  la  ville  de  Ceddrata. 

A  50  mètres  au  delà,  sur  un  autre  monticule  de  300  mè- 
tres de  diamètre,  se  trouvent  les  ruines  de  la  ville  ;  les  deux 
monticules  sont  séparés  par  un  ravin  peu  profond,  au  fond 
duquel  coulait  autrefois  un  ruisseau  d'eau  douce,  à  en  juger 
par  la  grande  quantité  de  coquillages  que  l'on  trouve  à  cet 
endroit,  comme  du  reste  sur  beaucoup  d'autres  points  aux 
alentours. 

Les  plus  grandes  maisons  de  Ceddrala  étaient  des  carrés 
plus  ou  moins  parfaits,  comprenant  généralement  deux  corps 
de  bâtiments  se  faisant  face  et  séparés  par  une  cour  inté- 
rieure. L'un  de  ces  corps  de  bâtiments  était  une  soi'te  de  vé- 
i-anda  dont  les  arcades  en  pleins  cintres  reposaient  sur  des 
piliers  carrés.  J'en  ai  remai-qué  une  en  Iton  état  de  conser- 
valioUj  grâce  au  sable  qui  l'a  ensevelie  jusqu'à  bauleur  des 
arcades;  les  portes  d'entrée,  assez  étroites,  étaient  également 
cintrées.  La  maison  que  j'ai  pu  le  mieux  observer  mesure 
0  pas  en  tous  sens.  D'autres  maisons,  de  9  pas  de  longueur 
également  en  moyenne,  ne  sont  composées  (jue  d'une  cour 
et  d'un  corps  de  bâtiment  d'une  seule  pièce  ;  enfin,  les  mai- 
sons du  commun  ne  se  composent  que  d'une  chambre  de  (> 
à  7  pas  de  long  sui-  4  ou  5  de  lai-ge. 

La  plupart  de  ces  maisons  paraissent  avoir  été  enduites 
avec  soin,  à  l'intérieur,  d'une  coucbe  de  plâtre  qui  a  ac- 
quis, avec  le  temps,  une  grande  dureté;  dans  quelques-unes, 
j'ai  remanjué  des  restes  de  corniches  assez  soigneusement 
travaillées. 

J'ai  trouvé,  dans  un  tas  île  décombres  qui  avaient  été  re- 


CORRESPONDANCE.  213 

couverls  par  les  sables,  un  morceau  de  sculpture  assez  gros- 
sier qui  paraît  avoir  été  le  fronton  d'une  porte. 

Les  matériaux  employés  sont  des  blocs  informes  composés 
d'un  mélange  d'argile  et  de  gypse  qui,  avec  le  temps,  ont  ac- 
quis la  dureté  de  la  pierre. 

Au  sud  de  la  ville  rainée,  sont  les  restes  d'un  temple  de 
forme  rectangulaire,  mesurant  23  pas  de  long  sur  18  de  large  ; 
ce  temple  était  divisé  en  deux  parties  dans  le  sens  de  sa  lar- 
geur, l'une  de  10  et  l'auti'e  de  13  pas  ;  la  dernière,  un  peu 
plus  élevée  que  l'autre,  porte  les  traces  d'un  pavage^  on  y 
voit  les  restes  de  petites  piscines  creusées  dans  le  sol  et  en- 
duites de  ciment;  l'eau  s'échappait  par  un  conduit  encore  in- 
tact percé  près  de  l'un  des  angles  de  la  muraille. 

En  fouillant  dans  un  las  de  décombres  provenant  des  rui- 
nes de  ce  temple,  j'ai  trouvé  un  joli  fragment  de  sculpture 
en  plâtre  (jue  j'ai  reproduit  en  phologi-aphie.  C'est  une 
preuve  que  les  arts  n'étaient  pas  inconnus  (\eA  anciens  habi- 
tants de  Ceddrata. 

Partout  aux  alentours  delà  ville,  on  distingue  parfaitement, 
dans  les  endroits  qui  ne  sont  pas  encore  recouverts  par  les 
dunes,  les  traces  des  murs  entourant  jadis  les  jardins,  et  des 
canaux  d'irrigation  amenant  là,  paraît-il,  les  eaux  des  sour- 
ces abondantes  qui  se  trouvaient  à  l'ouest,  au  fond  du  pro- 
longement que  forme  la  vallée  de  ce  côté. 

Deux  de  ces  canaux,  celui  qui  séparait  le  faubourg  de  la 
ville  et  un  autre  dont  on  voit  les  traces  plus  au  sud,  parais- 
sent avoir  été  très-larges  et  profonds  ;  ils  se  réunissaient  à 
l'est  pour  n'en  former  qu'un  qui,  longeant  la  partie  orientale 
de  l'oasis  actuelle,  se  dirigeait  vers  le  nord  et  allait  ai'roser 
des  jardins  jusque  près  de  Ngoussa,  à  ce  que  dit  la  légende. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'au  retour  de  mon  excursion,  j'ai 
suivi  les  traces  de  ce  canal  jusqu'à  l'entrée  de  l'oasis  de 


214  BULLETIN. 

Rouissat.  où  je  les  ai  quittées  pour  me  diriger  vers  le  N.-E., 
(lu  C(Mé  (lu  village. 

Il  est  à  remarquer  que,  partout  dans  le  Sahara,  les  dunes 
se  forment  de  préférence,  non-seulement  sur  les  hauteurs 
hroisées,  mais  encore  là  où  des  travaux  ayant  été  exécutés, 
ces  travaux  ont  ensuite  été  abandonnés  ou  mal  entretenus. 
Je  n'ai  jamais  vu  une  oasis  suffisamment  arrosée  et  bien  cul- 
tivée envahie  par  les  dunes;  mais  dès  qu'an  jardin  est 
négligé,  les  dunes  s'y  forment  avec  une  rapidité  prodi- 
gieuse^. 

Ainsi,  pour  ne  parler  que  de  celte  contrée,  on  ne  voit 
presque  pas  de  traces  de  sable  dans  les  oasis  d'Ouargla  et  de 
Ngoussa,  où  les  palmiers  sont  très-serrés,  les  jardins  suffi- 
samment arrosés  et  bien  entretenus  par  les  Mélano-Gétules, 
tandis  que  du  côté  de  Rouissat,  ainsi  qu'à  El-Hadjlra,  où  le 
sol  appartient  aux  Arabes  nomades,  ces  superbes  dépenaillés 
qui  se  prétendent  nobles,  où  les  palmiers  sont  plantés  à  de 
grandes  distances  les  uns  des  antres,  et  où  la  paresse  des 
propriétaires  les  empêche  de  fouiller  le  sol  pour  y  chercher 
l'eau  qui  ne  se  trouve  pourtant  qu'à  2  ou  3  mètres,  on  voit 
partout  des  dunes  se  former  au  milieu  de  l'oasis. 

D'autre  part^les  apports  de  sable,  dans  les  villes  habitées, 
ne  produisent  qu'un  exhaussement  du  sol  régulier  et  relati- 
vement très-lent,  tandis  qu'une  ville  abandonnée,  des  ruines, 
ne  tardent  pas  à  être  envahies  et  ensevelies  par  les  dunes. 
Ainsi,  les  ruines  de  Geddrata  disparaîtront,  dans  un  temps 
peu  éloigné,  sous  les  Ilots  de  sable  (jui  les  ont  déjà  aux  trois 
quarts  ensevelies. 

A  0  kilom.  environ<iu  suil  de  Geddrata  s'élève, abrupte  et 
isolée  au  milieu  de  la  déjiressiun  par  laquelle  l'oued  lAlià  dé- 
bouche dans  la  sebkha  d'Ouai'gla,  la  gara  de  Qrima,  masse 
de  mollasse  jaune  formée  d'une  agglomération  de  sable  très- 
fin,  de  gypse,  de  silice  et  d'argile,  dont  j'évalue  la  hauteur  à 


CORRESPOND.NNCE.  213 

80  m.  ;  elle  est  de  forme  à  peu  près  ronde  ;  le  diamètre  de 
sa  partie  supérieure  est  de  221  mètres. 

On  arrive  au  sommet  par  un  étroit  et  rude  sentier  en  coli- 
maçon ;  on  passe  sous  une  porte  cintrée  dont  l'approche  est 
défendue,  du  côté  de  la  gara,  par  un  mur  percé  de  petits 
créneaux.  Mais  celte  porte,  dont  l'étal  de  conservation  frappe 
au  premier  abord ,  a  été  construite,  ainsi  (ju'une  grande 
maison  en  mines  (jui  se  trouve  vers  le  centre  de  la  gara,  il 
y  a  soixante-dix  ans  environ,  par  le  cheikh  Cliâamhi,  Si 
Mohammed  hen  Sassi  qui,  s'étant  pris  de  querelle  avec  ceux 
de  sa  tribu,  se  retira  à  Qrima,  d'où  il  dirigea  conli-e  les  siens 
une  série  de  rhazias  (jui  leur  firent  demander  grâce  au  bout 
de  quelques  années. 

Les  seuls  j-estes  bien  conservés  que  l'on  puisse  considérer 
comme  véi'itablement  contemporains  des  anciens  habitants 
de  la  gara,  sont  un  puits  et  un  grand  bassin  carré. 

Le  puits  se  trouve  au  centre,  non  loin  de  la  maison 
édifiée  autrefois  par  le  cheikh  Sassi;  creusé  dans  le  bloc  de 
mollasse,  il  n'a  point  reçu  de  cofirage  ;  le  diamètre  de  son 
ouverture  est  de  3  m.  20;  sa  profondeur  actuelle  estdeSO  m., 
ce  qui  est,  à  peu  de  chose  près,  celle  de  la  gara,  attendu  que 
l'eau  se  trouvant  partout  en  ces  lieux  à  2  ou  3  m.  sous  le  sol, 
il  n'est  pas  à  présumer  que  l'on  ait  dépassé  la  nappe  ascen- 
dante que  l'on  utilise  aujourd'hui;  or  je  suppose  que  le  com- 
blement soit  de  2  à  3  mètres. 

De  chaque  côté  du  puits  sont  deux  piliers  en  maçonnerie 
qui  supportaient  une  poutre  sur  laquelle  on  faisait  glisser 
la  corde  pour  tirer  de  l'eau  ;  ces  piliers  ont  été  élevés,  en 
1870,  par  le  faux  chérif  Bou-Ghoucha  ;  mais  il  est  à  supposer 
que  les  anciens  habitants  employaient  le  même  système  pour 
tirer  de  l'eau,  car  un  sentier  étroit  et  encaissé  qui  part  du 
puits  pour  se  diriger  en  droite  ligne  vers  l'est  indique  que 
les  hommes  employés  au  puisage  ayant  passé  la  corde  sur  une 


216  BUF.LETIiN. 

traverse,  liraient  ensuite  par  un  ellort  continu,  en  s'éloignant 
(lu  puits,  jusqu'à  ce  que  le  vase  servant  au  puisage  étant 
arrivé  à  liauleur  du  seuil,  d'autres  hommes  le  saisissaient 
pour  verser  Teau  soit  dans  un  bassin  soit  dans  un  canal  qui 
la  conduisait  à  un  bassin  éloigné  ;  or  ce  sentier  encaissé 
mesure  une  longueur  de  83  m.  qui  devait  être  égale  à  la 
profondeur  du  puits. 

Le  bassin  se  trouve  sur  le  côté  Est  où  aboutit  |le  sentier, 
mais  en  dehors  de  la  dii'eclion  de  celui-ci  ;  il  mesure  2  m. 
50  de  côté  sur  une  profondeur  à  peu  près  égale  ;  il  a  été  en- 
(hiit  avec  soin  d'un  ciment  de  gypse  auquel  ont  été  mêlés 
de  petits  cailloux  roulés  qui  forment  comme  une  sorte  de 
mosaïque;  un  gros  filet  en  relief  entoure  le  bassin  un  peu 
au-dessus  du  fond  dont  les  angles  ont  été  arrondis  ;  la  partie 
supérieure  est  dégradée. 

Les  traces  d'un  mur  d'enceinte  sont  encore  très-visibles 
presque  partout  autour  de  la  gara. 

Les  anciennes  habitations,  construites  en  petites  pierres 
brutes  provenant  de  la  calotte,  ne  sont  plus  que  des  ruines 
informes  ;  cependant  il  est  facile  de  distinguer  qu'elles 
étaient  très-petites,  peu  élevées,  construites  très-irrégulière- 
ment et  creusées  à  l'intérieur  comme  celles  de  Tekout  près 
de  Rhadamès.  On  trouve  épars,  à  travers  les  ruines,  quelques 
petits  fragments  de  poterie  grossière. 

La  légende  dit  que  «  les  Berabers,  chassés  de  Ceddrata  et 
«  de  leurs  autres  villes  du  pays  d'Ouargla,  se  réfugièrent  sur 
«  la  gara  de  Qrima  où  leur  résistance  lassa  enlin  Topiniâ- 
«  treté  de  leurs  ennemis,  qui  levèrent  leur  camp  de  Kehef 
«  Soulthan  pour  s'en  retourner  vers  le  nord.  Peu  de  jours 
«  après,  les  défenseurs  de  la  gara,  voyant  eux-mêmes  qu'ils 
«  ne  pouvaient  plus  vivre  dans  leur  pays  ruiné,  et  craignant 
«  du  reste  le  retour  des  Musulmans,  abandonnèrent  Qrima 
«  et  se  dirigèrent  du  côté  de  l'oued  Mzab  ;  c'est  de  là  que 


CORRESPONDANCR.  217 

«  leur  vient  leur  nom  de  Béni  Mznh  qu'ils  portent  aujour- 
«  d'Iiui.  » 

Il  est  probable  cependant  que  d'autres  populations,  sœurs 
sans  doute  de  celles  qui  habitaient  le  pays  d'Ouargla,  étaient 
déjà  fixées  sur  l'oued  Mzab,  et  que  c'est  près  d'elles  que  se 
réfugièrent  les  défenseurs  de  Qrima  lorsqu'ils  se  virent  con- 
traints d'al)andonner  leur  pays. 

Plus  tard,  pourchassés  dans  leui-  nouvelle  patrie,  ils  se  dé- 
cidèrent à  embrasser  l'islam  pour  vivre  en  paix  avec  leurs 
persécuteurs  ;  mais  ils  le  firent  avec  beaucoup  de  restrictions 
et  en  conservant  certaines  pratiques  de  leur  ancienne  reli- 
gion, qui  était  dit-on  une  sorte  de  judaïsme  ;  c'est  ce  qui 
leur  valut  la  dénomination  de  ^^o^^^  (khamoi),  c'est-à-dire 
de  cinquième  secte  musulmane. 

N'ayant  en  ce  moment  sous  les  yeux  aucun  document 
pour  m'éclairer,  je  ne  puis  donner  ce  que  j'avance  comme 
des  affirmations,  mais  seulement  comme  de  simples  suppo- 
sitions que  je  me  réserve  de  vérifier  plus  tard  aussi  rigou- 
reusement que  possible.  Un  manuscrit  arabe  très-ancien,  que 
j'ai  entre  les  mains,  ne  jette  pas  un  bien  grand  jour  sur 
l'histoire  de  cette  contrée;  il  contient  cependant  quelques 
traits  originaux  qui  ne  sont  pas  à  dédaigner. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  je  mets  en  parallèle,  d'une  part,  les 
grandes  ressemblances  morale  et  physique  qui  existent  entre 
les  Rhadamésiens  et  les  Béni  Mzab,  et  si  je  compare  entre 
elles  la  gara  de  Tekout,  près  de  Rhadamès,  et  celle  de  Qrima, 
ainsi  que  les  ruines  qui  les  recouvrent  ;  si,  d'autre  part,  je 
relie  ces  deux  points  extrêmes  par  les  ruines  des  deux  viHes 
de  Menza  et  de  Sohoûd  qui,  au  dire  des  anciens,  sont  situées 
au  sud-est  de  Hassi  Botthin^  tout  près  du  grand  fleuve 
Igharghar,  je  suis  obligé  d'en  déduire  dès  à  présent  que  les 
contrées  aujourd'hui  les  plus  désolées  du  Sahara  ont  été  au- 
trefois habitées  et  cultivées  par  une  population  blanclie  assez 

BULLETIN,   T.    XVI,     1877.  15 


218  BULLETIN. 

clènse,  conquérante  d'une  population  aborigène  mulâtre  dont 
les  derniers  représentants  sont,  de  ce  côté,  les  Mélano-Gé- 
tules  ou  Rouarha. 

Ces  garas  fortifiées  n'élaienl-elles  pas  des  lieux  de  refuge, 
des  citadelles,  dans  lesquelles  les  anciennes  populations  de 
ces  contrées  déposaient  leurs  richesses  ;  et  où  elles  se  ré- 
fugiaient elles-mêmes  lorsqu'elles  étaient  attaquées  par  des 
ennemis  en  forces  supérieures,  comme  le  cas  se  présenta, 
par  exemple,  lors  de  l'arrivée  des  Musulmans  ?  Il  est  permis 
de  le  supposer. 

Pour  finir,  je  ferai  remarquer  encore  que  les  silex  d'Ouar- 
gla,  ceux  que  j'ai  trouvés  sur  l'Igharghar  et  le  grattoir  que 
j'ai  ramassé  près  de  Rhadamès,  lors  de  mon  premier  voyage, 
indiquent  également  l'existence,  dans  ces  contrées,  d'une 
certaine  population  dans  les  temps  préhistoriques;  et  comme 
ces  silex  ne  se  rencontrent  jamais  dans  les  bas-fonds  où  sont 
aujourd'hui  les  oasis,  mais  seulement  dans  les  îles  des  an- 
ciens fleuves,  sur  les  hauteurs  ou  sur  les  pentes  qui  bordent 
les  dépressions,  il  faut  bien  en  conclure  que  ces  grandes 
dépressions  que  l'on  désigne  aujourd'hui  sous  les  noms  de 
chotts  ou  de  sebkims  étaient  autrefois  remplies  par  les  eaux 
des  rivières  plus  ou  moins  importantes  qui  les  traversaient, 
comme  cela  se  voit  dans  l'Afrique  centrale,  où  l'œuvre  de 
destruction  qui  a  transformé  le  Sahara  se  continue  malheu- 
reusement encore  sur  une  trop  grande  échelle. 

Mais  là-bas  cette  œuvre  infernale  des  uUramontains  de 
l'Islam  pourra  être  enrayée  à  temps,  grâce  aux  hardis  pion- 
niers qui  ont  signalé  au  monde  civilisé  l'existence  de  ces 
riches  contrées,  dont  quelques-unes  ont  été  déjà  transformées 
en  déserts  par  les  chasseurs  d'esclaves,  et  grâce  surtout  à 
l'œuvre  due  à  l'initiative  de  S.  M.  le  roi  des  Belges,  qui  a 
pour  but  de  faire  dispai-aîiro  rollo  plaio  hideuse  de  l'escla- 
vage qui  déshonore  riiumaiiilr.  V,  L.muik.mi. 


CORRKSPONDANGK,  219 

P.-S.  —  Du  !*•■  au  22  juin  (veille  du  dépari  du  courrier), 
le  thermomètre  à  maxima  (centigrade)  a  donné  une  moyenne 
de  •\-  40°,5  et  le  thermomètre  à  minima  -|-26°,5.  Les  plus 
chaudes  journées  ont  été  ;  le  lo,  -f-  44°,5,  le  IG,  +  47°,8,  le 
17,  +  44°,8,  et  le  22  +  46°.  Allah  !  Allah  !  je  comprends 
que  la  récompense  la  plus  agréable  que  tu  puisses  odrir  à  tes 
fidèles  consiste  en  des  jardins  ombreux  sillonnés  de  cours 
d'eau. 

L'état  sanitaire  est  bon  ;  les  fièvres  n'ont  pas  sévi  très- 
fortement  ;  je  n'ai  vu  qu'un  cas  pernicieux,  sur  une  femme, 
que  j'ai  pu  facilement  guérir. 

Il  a  plu  beaucoup  vers  le  sud-est  ;  les  Châamba  creusent 
un  puits  au  lieu  dit  Zerâat  es  Çbéit,  à  2  journées  de  marche 
au  delà  de  Hassi  Botthin. 


220  BULLETIN. 


OUVRAGES  REÇUS 


PERIODIQUES    ET   PUBLICATIONS    DE    SOCIETES. 

Pelermann,  D'-.  Miltheilungen,  1877,  n"^  7,  8,  9. 

Société  de  Géographie  de  Vienne.  Miltheilungen,  1877, 1.  X, 
n"  5,  6,  7. 

Société  de  Géographie  de  Berlin.  Zeitschrift,  1877,  n°  2. 
Verhandlungen  1877,  n"^  2,  3  et  4. 

Société  de  Géographie  de  Paris.  Bulletin,  1877,  avril,  mai, 
juin,  juillet. 

Société  géographique  de  Saint-Pétersbourg.  Mémoires, 
t.  XIIÏ,  1877,  2""'  livraison. 

Société  de  Géographie  de  Marseille.  Bulletin,  ir*  o  et  6,  7 
et  8. 

Société  de  Géographie  commerciale  de  Bordeaux.  Bulletin, 
no  2,  1875-76. 

Société  de  Géographie  de  Madrid,  t.  II,  n™  1,2;  t.  III, 
n»  1. 

Société  de  Géographie  italienne.  Bulletin,  1877,  n""  3-5, 6, 7. 

Société  de  Géographie  de  Londres.  Mémoires,  vol.  4(5 
(1870). 

Club  alpin  de  Genève.  Écho  des  Alpes,  1877,  n"  2. 

Revue  savoisienne,  1877,  mai,  juin,  juillet,  août. 

Cosmos  de  Guido  Cora,  t.  IV,  n<"  4,  5. 

Revue  maritime  et  coloniale,  1877,  août. 

L'Exploration,  1877,  n»'2();i  37. 

Société  de  Géographie  de  Lyon,  Bulk'Iiii.  n"  7. 


OUVRAGES  REÇUS.  221 

Société  belge  de  Géographie.  Bulleliii,  1"  année,  1877, 
n»^  2,  3. 

Société  de  Géographie  d'Anvers.  Bulletin,  t.  I,  n°'  I,  2. 

Journal  asiatique,  1877,  t.  IX,  février,  mars. 

Bulletin  of  the  United  States  geological  and  geographical 
Survey  of  the  territories,  vol.  II,  n°  4. 

Société  de  Géographie  d'Amsterdam.  Bij  Blad.  N»  1.  Su- 
matra Expeditie. 

Société  de  Géographie  de  Munich.  Jahresbericht,  n°'  6  et  7. 

Société  Khédiviale  de  Géographie  du  Caire.  Bulletin,  n°  4, 
décembre  1870  —  avril  1877. 

Société  d'anthropologie  de  Paris,  1877,  avril. 

Société  d'anthropologie  de  Vienne,  t.  VII,  n""  1,  2,  3,  4, 
5,6. 

Baltische  Studien.  Herausgegeben  von  derGesellschaft  fur 
Pommersche  Geschichte  und  Alterthumskunde,  27°"  année, 
Stettin,  1877. 

Proceedings  of  the  philosophical  Society  of  Glasgow.  Vol. 
X,  n»  2.  Glasgow,  1877. 

Société  d'ethnographie.  Actes  de  la  Société,  1870. 

Don  de  M.  Elisée  Reclus. 
Géographie  universelle.  Liv.  128-140. 

Peiffer,  chef  d'escadron  au  32*  régiment  d'artillerie.  Lé- 
gende territoriale  de  la  France,  pour  servir  à  la  lecture  des 
cartes  topographiques,  t  édit.  1  vol.  Paris,  1877  (don  de 
l'auteur). 

G,  Guillemine.  Notice  nécrologique  sur  le  marquis  de 
Compiègne.  Broch.  Le  Caire,  1877  (don  de  l'auteur). 

Henry  Gannet.  Lists  of  Elévations  principally  in  that  portion 
of  the  United  states  west  of  the  Mississipi  River  ;  fourth  édi- 
tion, Itroch.  Washington  1877  (don  du  Geological  Survey). 


222  BULLETIN. 

Don  de  J.-V.  Havdeii. 

J.-V.  Hayden.  Sixlh  annual  Report  oï  tlie  United  States 
geological  Survey  of  the  Tenilories  emlji-acing  portions  of 
Montana,  Idaho,  Wyoraing  and  Utaii,  being  a  report  of  pro- 
gress  of  the  explorations  of  tiie  year  1872.  1  vol.  Washing- 
ton, 1873. 

F.-V.  Hayden.  Annual  Report  of  the  United  Stater.  geo- 
logical and  geographical  Survey  of  the  Territories  embracing 
Colorado  ;  being  a  report  of  progress  of  Ihe  exploration  for 
the  year  1873.  1  vol.  Washington,  1874. 

F.-V.  Hayden.  The  Grotto  Geyser  of  the  Yellowstone  Na- 
tional Park  with  a  descriptive  note  and  map,  and  an  illus- 
tration by  Ihe  Albert-Type  process. 

Don  du  Smithsonian  Institution. 

Annual  Report  of  the  Board  of  régents  of  the  Smithso- 
nian Institution,  showing  the  opérations,  expenditures,  and 
conditions  of  the  Institution  foi-  the  year  1875.  1  vol.  Wa- 
shington, 1876. 

Sir  Rulherford  Alcock.  Address  to  the  Royal  geographical 
Society  of  London  delivered  at  the  anniversary  meeting  on 
the  28"'  may  1877,  broch,  London,  1877. 

African  exploration  fund.  Royal  geographical  Society. 

The  Woodruff  scientific  Expédition  around  the  World, 
1877-79,  broch.  Indianopolis,  1877. 

(Don  de  l'Université  royale  norwégienne  de  Christiania). 

O.-.I.  Broch,  D^  Le  royaume  de  Norwége  et  le  peuple 
norwégien.Ses  rapports  sociaux,  hygiène,  moyens  d'existence, 
sauvetage,  moyens  de  communication  et  économie.  1  vol. 
Christiania,  1876. 

Reisekai't  over  Norges  5  sydlige  Stifter  in  2  Blade. 

(Don  de  M.  Veniukoff). 
Pierre  Kropotkine.  Étude  sur  la  période  dos  glaciers  de 


OUVRAGES  REÇUS.  223 

In  Finlande.  2.  Hypothèses  concernanl  la  période  .irlaciaire. 
1  vol.  St-Pétersbourg,  1876. 

Slaves  el  Turcs.  Trad.  de  l'Anglais  par  Mme  de  St-Hubert. 
1  vol.  Lausanne,  1877. 

Th.  Studer,  professeur.  Die  Tonga-Inseln.  Broch.  Berne, 
1877. 

Horace  Rumbold.  —  Le  Chili.  Progrès  et  condition  géné- 
rale de  la  République.  Broch.  Paris,  1877. 

Rapport  du  Comité  permanent  du  premier  Congrès  mé- 
téorologique de  Vienne;  réunion  de  Londres,  1870.  Broch. 
Utrecht,  1876. 

(Don  de  M.  R.-J.  Bernardin). 

R.-J.  Bernardin.  L'Afrique  centrale.  Études  sur  ses  pro- 
duits commerciaux.  Broch.  Gand,  1877. 

R.-J.  Bernardin.  Visite  à  l'exposition  de  Vienne.  Broch. 
Gand,  1874. 

R.-J.  Bernardin.  Classification  de  2o0  matières  tannantes. 
Broch.  Gand,  1872. 

R.-J.  Bernardin.  Classification  de  100  caoutchoucs  et  gulta- 
perchas,  suivie  de  notes  sur  les  .sucs  de  Balata  et  de  Massa- 
randuba.  Broch.  Gand,  1872. 

R.-J.  Bernardin.  Classification  de  160  huiles  et  graisses 
végétales,  2"^  édition,  suivie  de  la  classification  de  9o  huiles 
et  graisses  animales.  Broch.  Gand,  1874. 

R.-J.  Bernardin.  Classification  de  250  fécules.  Broch.  Gand, 
1876. 

R.-J.  Bernardin.  Classification  de  40  savonfe  végétaux.  Br. 
Gand,  1873. 

R.-J.  Bernardin.  Nomenclature  usuelle  de  SSO  fibres  tex- 
tiles avec  indication  de  leur  provenance,  leurs  usages,  etc. 
Broch.  Gand,  1872. 

R.-J.  Bernardin.  Notice  sur  les  collections  scientifiques  et 


224  BULLETIN. 

sur  le  musée  commercuil  industriel,  de  Melle-lez-nand.  Bel- 
gique. Broch.  Gand. 

G.  Moynier.  Commission  internationale  africaine.  Rap- 
port sur  la  session  de  .Juin  1877  à  Bruxelles.  Brocli.  Genève. 
1877. 

A.  Boue,  D'".  Ueber  die  tiirkischen  Eisenbahnen  und  ilire 
grosse  volkswirthscliaflliclie  Wirlitigkeit,  besonders  Einiges 
fur  Oesterreicb  und  Ungarn.  Brocb.  Vienne,  1877. 


BULLETIN 


BULLETIN,    T.    XVI, 


1877.  16 


MELAIGES  ET  NOUVELLES 


Le  théâtre  de  la  dernière  expédition  anglaise 
vers  le  pôle. 

Lettre  du  D'^  Petermanii  au  Préaideiit  de  la  Société  roijale 
de  Géographie  de  Londres. 


Monsieur, 

Dans  les  trois  commiinicalions  que  j'ai  déjà  pris  la  libeiié 
de  vous  adresser,  j'ai  rais  de  l'insistance  à  déconseiller  le 
passage  du  Smitli-Soiind  et  à  plaider  en  faveur  de  la  mer  du 
Spitzberg^  entre  le  Groenland  oriental  et  la  Nouvelle-Zemble. 
Néanmoins  je  saluais  avec  joie  le  départ  d'une  nouvelle  ex- 
pédition anglaise  au  pôle,  quelle  que  fût  la  route  qu'elle 
choisit.  Celte  expédition  est  heureusement  de  retour,  et  je 
demande  la  permission  de  vous  exprimer  mes  sincères  féli- 
citations pour  tout  ce  qu'elle  a  réalisé.  J'ai  toujours  tenu  la 
route  du  Srailh-Sound  pour  la  plus  difficile,  mais  une  fois 
qu'on  était  décidé  à  une  nouvelle  tentative  dans  celte  direc- 
tion, j'avais  la  persuasion  qu'une  expédition  anglaise  ne  pou- 
vait en  tout  cas  revenir  sans  d'importants  résultats  pour  la 
géographie  et  pour  toutes  les  autres  branches  de  la  science. 

Jamais  expédition  scientifique  n'a  plus  accompli  que 
celle  du  Challenger:  elle  ouvre  une  nouvelle  ère  dans  l'é- 
tude de  notre  globe  et  des  lois  qui  le  régissent,  et  lorsque  le 
même  chef  fut  appelé  à  conduire  vers  le  Nord  les  navires 


228  BULLETIN. 

ïAlert  et  la  Discovenj,  on  savait  que  le  dépôt  des  intérêts 
scienlitltjues  se  trouvait  entre  les  meilleures  mains.  On  ne 
peut  assez  mettre  en  saillie  ce  caractère  purement  scientifi- 
(jue,  quand  on  se  rappelle  comment  autrefois  les  expéditions 
arcli(|ues  avaient  pour  but  le  gain  matériel,  qu'il  s'agissait  de 
trouver  au  Nord-Ouest  ou  au  Nord  un  passage  vers  de  nou- 
veaux gisements  d'or,  vers  des  régions  à  épices  ou  vers 
d'autres  richesses.  Puisse  l'Angleterre  demeui-er  toujours  fi- 
dèle à  ce  noble  début,  car  si  nous  regardons  autour  de  nous, 
nous  voyons  que  ce  peuple  et  son  gouvernement  sont  les 
seuls  qui  aient  entrepris  quelque  chose  de  semblable  à  l'ex- 
pédition de  ïAlert  et  de  la  Discovery. 

J'ai  essayé  de  me  mettre  au  courant  de  tous  les  voyages 
arctiques  et  antarctiques  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  et 
ma  conviction,  c'est  que  jamais  il  n'y  eut  d'exploration  plus 
habilement  et  plus  héroïquement  conduite  que  celle  de  Sir 
G.  Nares.  D'autres  ont  été  peut-être  plus  téméraires  et  ont 
abandonné  un  ou  deux  braves  navires  dans  les  glaces,  mais 
jus(iu"ici  personne  n'avait  réussi  à  pousser  deux  vaisseaux 
dans  ces  défilés  éminemment  dangereux  et  à  les  ramener 
sains  et  saufs.  Des  circonstances  exceptionnelles  permirent 
au  Polaris  de  pénétrer  jusqu'au  82°  H',  mais  le  navire  n'a 
point  revu  la  rive  natale.  Kane  et  Hayes  n'ont  atteint  (lue  le 
78"4o'. 

Le  chef  de  l'expédition  du  Challenger  doit  avoir  rapporté 
d'une  région  telle  que  la  mer  Paléocrysti(|ue  un  trésor  de 
travaux,  d'observations  et  de  faits  qui  seront  une  gloire  pour 
l'Angleterre.  Mais  qu'il  me  soit  permis  de  signaler  la  valeur 
particulière  de  l'un  de  ces  résultats.  Il  est  fort  rare  qu'une 
expédition  quehjue  fructueuse  qu'elle  puisse  être,  et  aussi 
glorieuse  que  celle-ci  l'a  été  réellement,  aboutisse  pourtant 
à  une  solution  définitive;  car  il  va  de  soi  que  les  faits  obte- 
nus éveillent  de  nouveaux  problèmes,  de  nouveaux  deside- 
rata, et  réclament  de  nouvelles  expériences.  L'expédilion  de 


0 

MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  229 

Sir  G.  Nares  peut  prétendre  à  riionneur  d'avoir  l'ail  la  pleine 
lumière  sur  un  immense  lerriloire  ét|iiivalent  au  tiers  des 
régions  arctiques,  et  qui  avait  été  depuis  longtemps  le  théâtre 
des  pi'incipales  explorations  anglaises.  Tout  ce  (pie  nous  con- 
naissons, (lu  Smitli-Sound  au  détroit  de  Behring,  dans  le  do- 
maine de  la  mer  Paléocrystique,  c'est  à  l'esprit  entreprenant 
et  tenace  de  la  Grande-Bretagne  que  nous  le  devons. 

Sur  les  traces  de  Bylot,  Balïin,  John  Ross  et  Inglelleld,  les 
Américains  ont  fait  aussi,  du  Smith-Sound  au  RobesonChan- 
nel,  des  pointes  très-profitables  et  très-hardies,  et  les  noms 
de  Kane,  de  Hayes  et  de  Hall  prendront  rang  parmi  les  héros 
de  la  science;  mais  il  restait  encore  des  doutes  à  lever,  des 
illusions  cà  déti'uire,  avant  que  l'on  pût  dire  que  l'exploration 
de  la  contrée  du  Smith-Sound  eût  dit  son  dernier  mot.  Quand 
Georges  Nares  n'aurait  obtenu  d'autre  résultat  que  de  dissi- 
per ces  nuages  funestes,  il  aurait  droit  à  une  vraie  recon- 
naissance. On  avait  donné  cà  la  voie  du  Smiih-Sound  une  im- 
portance artificielle  ;  il  était  à  la  mode  de  recommander  ce 
passage,  et  cette  mode  exerçait  une  pression  fâcheuse  sur 
toute  l'exploration  arctique.  Pour  un  homme  qui  avait  mis- 
sion d'atteindre  le  pôle  arctique  sur  des  traîneaux  tirés  par 
des  marins  d"élile,  le  long  d'une  terre  prétendue,  il  y  avait 
un  courage  moral  peu  commun  à  s'en  retourner  plus  t(jt 
qu'on  ne  s'y  attendait,  et  avec  des  résultais  diamétralement 
opposés  aux  hypothèses  fallacieuses  sur  lesquelles  tout  le 
plan  reposait.  Si  Sir  G.  Nares,  au  lieu  de  i-evenir  celte  année, 
avait  doublé  le  cap  Farewell  et  attaqué  l'autre  côté  de  ce  dit 
Groenland,  s'il  avait  poussé  dans  cette  direci ion  orientale  sur 
les  traces  de  Parry  dans  son  excursion  glorieuse  et  encore 
sans  rivale  de  1827,  ou  sur  celles  de  D*vid  Gray  dans  ses  pê- 
ches à  la  baleine  d'il  y  a  30  ans,  il  aurait,  telle  est  ma  con- 
viction, résolu  dans  le  sens  positif  le  problème  du  pôle  Nord 
aussi  complètement  que  l'épouvantable  mer  Paléociysiiijue 
l'a  fait  dans  le  sens  négatif.  Il  aurait  fait  comme  Denys  Diaz, 


230  BULF.ETIN. 

qui  forçu,  il  y  a  430  ans,  la  Ijarrière  si  redoutée  de  l' Equa- 
teur, Qu'on  relise  seulement  avec  attention  le  rai)i)ort  de  Sir 
Edward  Parry,  qu'on  le  cou)i)ai'e  avec  les  expériences  de  la 
dernière  expédition,  et  l'on  sera  convaincu  que  dans  cette 
voie  le  succès  attendait  Sir  G.  Nares.  Ce  que  Pari-y  au  milieu 
de  la  banquise  demandait  pour  ses  bateaux-traîneaux,  c'était 
la  glace  la  plus  solide  et  la  plus  compacte,  tandis  qu'un  va- 
peur aurait  cberché  l'eau  ouverte  et  les  passes  navigables. 

Si  l'expédition,  cet  été  ou  cet  automne  encore^  eût  pris 
cette  route  et  atteint  le  pôle  Nord,  elle  aurait  sans  doute  été 
plus  cordialement  accueillie  par  la  nation  britannique;  mais 
il  s'agissait  naturellement  de  faire  son  devoir  et  de  suivre  les 
instructions  reçues.  Le  mieux  était  encore  de  ramener  les 
navires  en  bon  état.  Ils  sont  actuellement  à  l'ancre  dans  les 
[)or[s  de  la  patrie,  prêts  pour  de  nouveaux  services,  et  si  vo- 
tre grand  et  noble  gouvernement  demeure  fidèle  à  la  ma- 
nière anglaise  de  faire  les  cboses  à  fond  et  non  par  demi- 
mesures,  nous  espérons  bien  que  ces  navires  seront  appelés 
à  une  nouvelle  et  plus  fructueuse  activité. 

H  y  a  six  loules  pour  se  rendre  au  pôle  Nord.  Le  Smith- 
Sound,  —  le  détroit  de  Belning,  —  la  côte  Est  de  la  Terre 
François-Josepb,  —  la  C(Me  Ouest  de  la  même  Terre,  —  le 
Nord  du  Spilzberg  dans  la  direction  de  l'expédition  Parry,— 
la  côte  Est  du  (îroënland. 

La  route  du  Smitb-Sound  a  dit  son  derniei-  mot,  celle  de 
Behring  aussi,  et  cette  année  même  la  destruclion  île  la  Hotte 
lialeinière  améi'icaine  au  nord  du  détroit,  laquelle  n'est 
tpi'une  édition  renouvelée  des  cataslroplies  précédentes,  té- 
moigne des  terribles  dangers  (pii  attcmlent  les  voyageurs 
dans  cette  mer  Paléocrysli(|ue. 

Un  long  et  consciencieux  examen  de  tous  les  faits  et  de 
toutes  les  observation^  dont  nous  pouvons  a\oir  connais- 
sance, ne  fait  donc  que  me  conlirnicr  dans  ma  vieille  convie- 
lion  que  les  (|;iatr.'  routes  mai'ilimes  à  l'ouest  et  à  l'esl  du 


MÉLANGES    ET    NOUVELLES.  ^31 

Spitzberg  méritent  absolument  la  préférence  sur  les  deux 
autres.  La  mer  à  l'est  du  Spitzberg  est  sans  doute  parcourue 
par  le  Gulfstreara,  ou  quel  que  soit  le  nom  que  l'on  veuille 
donner  à  ce  courant,  qui  empêchela  glace  polaire  de  descen- 
dre au  sud  plus  loin  que  le  7o'\  Tandis  que  sur  la  cùle  occi- 
dentale de  rAtlanti(|ue  la  glace  flottante  se  montre  encore 
au  .3()°,  c'est-à-dire  à  la  latitude  de  Malte,  on  n'a  jamais  vu 
une  parcelle  de  glace  atteindre  le  cap  Nord  au  71°. 

C'est  encore  aujourd'hui  mon  opinion  que  la  grande  mer 
ouverte  de  Middendorf,  Wrangell,  Anjou  et  autres,  la  Poly- 
nia  des  Russes,  qui  s'étend  du  lleuve  Taimyr  à  l'ouest  jusqu'au 
cap  Iakan  à  l'est  sur  un  espace  d'environ  l'iOG  milles  marins 
en  droite  ligne,  se  trouve  en  communication  avec  les  der- 
nières ramifications  du  Gulfstream;  mais  je  ne  crois  pas  que 
le  Gulfstream  lui-même,  qui,  daprès  les  données  expérimen- 
tales, occupe  toute  la  largeur  de  l'Océan  entre  l'ile  de  l'Ours 
et  la  Nouvelle-Zemble,  oiïre  aucune  facilité  particulière  pour 
une  navigalion  dirigée  vers  le  Nord.  Toute  la  glace,  soit  arc- 
tique soit  antarctique,  clieiche  à  se  porter  vers  l'Equateur. 
Dans  l'Océan  antarctique  tout  ce  mouvement  se  fait  librement 
autour  du  pôle,  et  sur  toute  l'étendue  de  la  mer  jusqu'au 
()2%  50°,  40°  et  même  35",  et  nulle  part  on  n'a  pu  constater 
l'existence  d'un  courant  d'eau  chaude  aussi  bien  cai-actérisé 
que  le  Gulfstream  de  l'hémisphère  nord.  Le  courant  polaire 
et  celui  du  Golfe  se  meuvent  côte  à  côte,  et  tandis  que  le  pre- 
mier amène  la  glace  jusqu'au  3G",  l'autre  protège  TEui'ope 
contre  la  glace  qu'il  retient  jus(iu'au  75°  ;  la  différence  est 
donc  de  40°.  Mais  entre  l'île  de  l'Ours  et  la  Nouvelle-Zemble, 
vers  le  75",  le  Gulfstream  est  certainement  masijué  par  la 
glace  flottante  qui  ai  rive  de  la  mer  de  Sibérie.  Il  est  clair 
qu'à  ce  point  de  rencontre  de  deux  courants  opposés  dont 
l'un  est  un  charriage  de  glace,  il  y  aura  accumulation  sur 
l'auti'e;  et  c'est  ainsi  que  le  Tegethof  de  l'expédition  autri- 
chienne, qui  voulait  forcer  le  passage,  tomba  dans  Télreinte 


232  BULLETIN. 

de  celte  glace  et  ne  put  s'en  dégager.  Le  Gulfstream  établit 
donc  dans  cette  partie  des  régions  arctiques  une  sorte  de 
jjarrière  de  glaces. 

Le  ï'e^eï/ïo/' était  un  petit  vapeur  de  220  tonnes  seulement, 
et  fut  pris  par  la  violence  du  courant  près  du  cap  Nassau. 
L'année  était  exceplionnellemenl  défavorable,  toute  la  glace 
portait  contre  les  côtes  ;  tandis  qu'auparavant  pendant  plu- 
sieurs années  de  suite  de  faibles  embai'cations  de  pêche  nor- 
wégiennes  avaient  visité  régulièrement  ces  parages  avec  la 
plus  gi'ande  facilité.  Un  navii'e  tel  que  YAlert  ou  la  Discovery 
trouverait  entre  la  Nouvelle-Zemble  et  le  Spitzberg,  partout 
et  en  tout  temps,  le  moyen  de  pénétrer  fort  loin  vers  le  Nord. 
De  nombreuses  expéditions  norvégiennes  et  celle  de  l'An- 
glais Leigb  Smith  ont  donné  des  preuves  récentes  que  toutes 
les  côtes  orientales  du  Spitzberg  n'étaient  nulle  part  d'un  ac- 
cès difficile. 

Le  lieutenant  Weyprecht  qui  commandait  l'expédition  au- 
trichienne (Payer  n'était  préposé  qu'aux  traîneaux),  déclare, 
contrairement  aux  vues  de  son  collègue,  qu'il  continue  à  con- 
sidérer la  route  par  la  mer  de  Sibérie  comme  praticable  jus- 
qu'au détroit  de  Behring,  et  qu'il  serait  prêt  h  prendre  la 
conduite  d'une  entreprise  de  ce  côté.  Et  le  célèltre  profes- 
seur suédois  Nordenskiold^  l'homme  qui  connaît  le  mieux  les 
mers  du  Spitzberg  et  de  la  Nouvelle-Zemble,  m'écrit  de 
Stockbohn  à  la  date  du  29  novembre,  qu'il  compte  diriger 
en  1878  une  nouvelle  tentative  des  Suédois  dans  la  mer  de 
Sibérie,  encouragé  qu'il  est  par  le  fait  que  deux  ans  de  suite 
il  a  ti'aversé  jusqu'à  l'embouchure  des  deux  lleuves  Ob  et 
Ienisseï,  trajet  réputé  autrefois  impossible. 

I3ieii  loin  au  delà  vers  le  Nord  est  la  Terre  de  François- 
.losopb,  qui  oflVe  deux  routes  :  l'une  à  di'oite,  l'autre  à  gau- 
cbc.  La  piemière  est  sans  doulc  encondu-ée  des  glaces  Ilot- 
tantes  de  la  mer  de  Sibérie,  les(|uelles  s'y  accumulent  faute 
d'un  espace  suffisant  pour  s'érbapperau  sud.  Cette  côte  n'of- 


MÉI.ANGKS  ET  NOUVKLLKS.  233 

frirait  donc  qu'une  base  d'opération  relativement  défavoi-a- 
l)le;  mais  la  côte  Ouest  n'en  est  que  pins  à  recommandei'. 

La  cinquième  voie,  celle  qu'a  suivi  PaiTven  1827  en  allant 
directement  au  nord  du  Spitzber.a-,  n'a  jamais  été  séi'ieuse- 
ment  explorée  ni  même  altordée  pai-  un  vapeur,  et  il  me 
semble  qu'on  pourrait  s'en  tii-er  aussi  liicn  (]u'au  Iravei's  des 
mers  antarcti(|ues  et  de  leurs  masses  gigantesques  de  glace  : 
témoin  le  voyage  si  fructueux  de  Sir  James  Claik  Ross  dans 
les  années  1810-43.  Le  secours  de  la  vapeur  faisait  pourtant 
défaut,  et  l'on  devait  se  contenter  d'un  miséralile  navire  à 
voiles. 

Il  est  vi'ai  (|u'il  manque  là  de  côte  que  rr)n  puisse  longer 
et  qui  oITre  des  points  de  relàcbe.  Entre  les  six  i-oules,  celle 
du  Gi'oënland  oi-iental  me  semble  donc  oITrir  le  plus  d'avan- 
tages. Pendant  (oui  l'été,  la  glace  arctiipic  trouve  un  liiire 
dégagement;  il  en  est  de  même  tout  l'biver,  comme  l'équi- 
page de  la  Hansa  en  a  fait  l'expérience.  Il  l'ésulte  de  là  qu'en 
cet  endroit  la  région  polaire  centrale  se  trouve  plus  ou  moins 
dégai-nie  de  glaces,  et  je  maintiens  encore  qu'il  serait  possi- 
ble à  une  expédition  telle  que  celle  de  Sir  G.  Nares  de  tra- 
verser cette  mer,  d'atteindi'e  le  pôle  et  d'explorer  toute  la 
i-égion  jusqu'au  détroit  de  Bebring.  La  longue  expéi'ience  et 
les  observations  positives  du  capitaine  David  Gray  de  Peter- 
head,  lequel  connaît  les  côtes  Est  du  Groenland  mieux  que 
tout  autre  contemporain,  sont  en  parfaite  concordance  avec 
cette  assertion. 

Du  Smith-Sound  jusiju'à  Terre-Neuve,  au  36°,  le  long  de 
la  baie  de  Bafïîn  et  du  détroit  de  Davis  sur  une  longueur  de 
2600  milles  marins,  il  s'opère  un  cbarriage  continuel  de  glace 
polaire,  mais  on  ne  voit  pas  que  la  masse  aille  en  croissant  à 
mesure  qu'on  remonte  vei's  le  Nord.  Au  conli-aii-e,  à  Texlré- 
mité  la  plus  septentrionale  de  cette  longue  ligne,  on  rencon- 
tre régulièrement  le  North-Water,  bien  connu  des  baleiniers; 
le  port  de  Foulke  et  son  voisinage  jouissent  ainsi  pendant 


234  BULI.ETIX. 

toute  raiinée  d'un  climat  doux  et  d'une  mer  ouverte.  De  la 
même  manière  on  peut  trouver  et  l'on  trouvera  sans  doute 
au  pôle  Nord  une  mer  ouverte,  après  qu'on  aura  fait,  en  re- 
montant le  courant  de  clact's  du  (Ti'ot'nla.nd  orierital,  ce  ([ue 
font  l'égulièrement  les  baleiniers  et  les  explorateurs  en  re- 
montant la  haie  de  Ealïin.  Et  plus  il  descend  de  glace,  plus  il 
reste  d'espace  libre  en  été  et  en  automne,  quand  le  gel  n'est 
[lins  là  pou!'  forinor  la  glace  à  nouveau.  La  baie  de  Bafïin  ne 
peut  lecueillir  qu'une  partie  relativement  petite  de  la  glace 
paléocrystique  pa;-  les  éti'oits  défilés  du  Lancaster-Sound,  du 
.lones-Sound  et  du  Smilb-Soiind.  Le  courant  polaire duOi-oën- 
land  oriental  reste  seul  en  état  de  lil)érer  les  régictns  arcti- 
ques centrales  de  leurs  masses  glacées,  et  d'ouvi'ir  la  route 
par  laquelle  les  navigateurs  parviendront  pour  la  premièi-e 
fois  à  l'autre  exti'émité  de  la  mer  polaire  libre. 

Ce  sont  ces  avantages  du  (iroënland  oriental  qui  m'avaient 
fait  (lii-iger  de  ce  c(Mé  nos  deux  expéditions  allemandes.  Bien 
que  la  pi'emière  ne  se  composât  ([iie  d'une  petite  embarca- 
tion noi-wégienne  à  voiles  de  (30  tonnes,  et  la  seconde  d'un 
lourd  vapeur  de  143  avec  un  malheureux  voilier  de  242  ton- 
nes, les  i-ésullals  en  l'uivnt  aussi  favorables  {pi'oii  jutuvait 
l'attendre  d'entreprises  complètement  nouvelles  pour  nous 
autres  Allemands.  Koldewey  ne  lit  aucune  tentative  énergi- 
t|ue  pour  pousser  au  nord  :  sa  petite  machine  à  vapeur  était 
dérangée  el  il  n'en  lit  usage  qu'en  un  seul  endi'oit.  sur  une 
longueur  de  20  milles  marins.  Sir  G.  Nares,  avec  les  moyens 
mis  à  sa  disposiiion,  aurait  peut-être  atteint  par  cette  voie  le 
pôle  en  une  seule  saison,  puisque  clia(iue  année  des  bateaux 
pêcheurs  iu)u  iiontés  parvicniifMl  facilcuMMil  au  Spitzhei'g 
vers  le  80".  Il  n'est  pas  impossible  (pie  les  côtes  du  Groenland 
oriental  et  de  la  Terre  François-Joseph  se  ra[iproclienl  vers 
le  pôle,  en  formant  un  détroit  semlilable  à  celui  de  Hallui,  de 
IcUc  sdctr  (|u"iiiii'  cxiiédilioii  qui   pénétrerait  par  là  au  pôle. 


MÉLANGKS  ET  NOUVELLES.  235 

ti'ouverait  peut-être  deux  rivages  (|ui,  de  cette  manière,  se- 
raient longés  et  visités  pour  la  première  fois. 

Quant  au  prolongement  du  Groenland  vers  le  pôle  et  jus- 
qu'au cap  Iakan,  au  nord  du  déti'oit  de  Behring  sur  un  long 
développement  d'îles  et  de  terres,  voici  ma  théorie,  étroite- 
ment liée  av<'C  tout  ce  cpie  j'ai  avancé  depuis  W  ans  sur  les 
régions  arctiques  centrales.  Je  me  représente  ces  contrées 
comme  formées  de  deux  parties  cà  peu  près  égales  :  l'une  s'é- 
tend des  côtes  (hi  Groenland  oi-iental,  sous  le  20°  Ouest  long. 
Gr.,  versTûiiest  sur  la  haie  de  Baffîn,  les  îles  Parry,  la  pointe 
BaiTow,  le  détroit  de  Behring  et  le  cap  Iakan  sous  le  176° 
environ  de  longitude  Est;  l'autre  moitié  s'étend  de  là  sur 
toute  la  côte  sibérienne,  la  Terre  de  François-Joseph,  le 
Spitzherg,  jus([u"au  Groenland  oriental.  Ces  deux  régions  sont 
nu  point  de  vue  topique,  physique,  thermométritjne,  hydi'o- 
graphique,  alisolument  difrérentes  l'une  de  l'autre.  A  l'occi- 
dent domine  la  tei-re  ferme,  à  l'orient  la  mer.  Ici  les  terres 
enveloppent  les  eaux  an  point  (jue  celles-ci  ne  peuvent  se 
déhairasser  de  leurs  glaces,  là  au  contraire  se  trouve  une 
lai"ge  issue  océanique  par  où,  hiver  comme  été,  passent  les 
masses  congelées.  A  cet  égard  la  merPaléocrystique  présente 
le  type  d'une  harrière  solide  et  complète,  d'une  énorme  ac- 
cumulation glaciaire,  avec  la  production  de  froid  qui  en  ré- 
sulte. Les  masses  ne  peuvent  s'écouler  complètement  ni  par 
le  détroit  de  Behring  ni  par  les  sounds  beaucoup  trop  resser- 
rés de  Lancaster,  de  Jones  ou  de  Smith.  Mais  si  la  glace  pa- 
léocrystique  ne  rencontrait  pas  la  barrière  de  l'Asie  et  du 
Spilzbei'g,  elle  s'échapperait  le  long  du  Groenland  oiiental. 

Des  observations  précises  et  répétées  attribuent  à  la  Poly- 
nia  des  Russes  une  longueur  d'environ  80"  long,  ou  pour  le 
moins  de  1400  milles  marins  du  Oeuve  Taimyr  au  cap  Iakan. 
Ce  n'est  nullement  un  trou  dans  la  glace^  une  Wake  comme 
on  se  plaît  à  la  désigner  :  c'est  une  large  mer  ouverte  dont 
nous  ne  savons  pas  grand'chose,  sinon,  mais  cela  d'une  ma- 


236  BULLETIN. 

nière  absoliiraenl  certaine,  qu'on  l'a  toujours  retrouvée  clia- 
que  année,  liiver  comme  été,  à  la  même  place.  Dans  toute 
l'étendue  de  la  mer  Paléocrystique,  il  ne  se  pi-ésenle  rien  de 
semblable.  Le  seul  fait  analogue  qu'on  puisse  signaler,  mais 
sur  une  échelle  l>ien  réduite,  c'est  la  bande  très-mince  d'eau 
chaude  qui,  de  l'Océan  Atlantique,  se  prolonge  vers  la  côte 
occidentale  du  Groenland  parla  baie  de  Melville jusqu'au  port 
de  Fouîke.  Malgré  le  voisinage  de  l'épouvantable  mer  Paléo- 
crystique, ce  port  se  maintient  libre  pendant  tout  l'hiver  ;  la 
vie  végétale  et  animale  y  est  proporlionnellement  abondante 
et  donne  lieu  à  une  chasse  fructueuse  de  phoques  et  de  ba- 
leines ;  la  Polynia  paraît  présenter  ces  caractères  dans  de 
tout  autres  dimensions. 

Le  bassin  polaire  (tel  est  le  nom  que  je  donnerais  à  la  moi- 
tié oi-ientale  de  la  région  arctique),  possède  une  large  ouver- 
tui-e  sur  i'Allantique:  il  est  parcouru,  hiver  comme  été,  par 
le  puissant  courant  polaire  qui  y  verse  ses  masses  glacées. 
En  conséquence,  la  glace  paléocrystique  telle  que  l'a  rencon- 
trée Sir  G.  Nares  doit  y  être  complètement  inconnue;  en 
même  temps  c'est  le  déversoir  de  ces  énormes  quantités 
d'eau  chaude  que  les  puissants  fleuves  sibériens  envoient 
des  plaines  Ouest  de  l'Asie  centrale. 

Quant  aux  températures  de  ce  bassin  polaire,  il  sullil  de 
mentioimer  les  observations  scientitiipies  recueillies  par  Tex- 
pédilion  suédoise  de  1872-73  sur  les  côtes  nord  du  Spitzberg, 
vers  le  80°.  La  température  moyenne  de  janvier  était  de 
4-14°,2  Fahr.  ;  celle  des  trois  mois  d'iiiver:  décembre,  jan- 
vier, février,  4-3", 7;  le  plus  gi-and  froid  oiiservé  de— 3()°,S. 
L'ensemble  de  la  région  entre  le  Groenland  oriental  et  la 
Nouvelle-Zemble  est  la  pai'tie  de  beaucoup  la  plus  chaude 
qu'il  y  ait  dans  les  deux  zones  polaires  du  nord  et  du  sud. 
C'est  ce  que  prouvent  de  la  manière  la  plus  évidente  les 
nouvrllrs  isothermes  (pie  j'ai  élablies  d'a|Mè>  joutes  les  ob- 
serv;ili(Uis  l'ècentes. 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  237 

Ces  énormes  contrastes  entre  deux  régions  polaires  pla- 
cées côte  à  côte,  ne  peuvent  s'expliquer  que  par  la  présence 
(l'une  forte  barrière  formée  de  terres  ou  d'îles  s'étendaiit  du 
Groenland  à  travers  toute  la  zone  polaire  centrale  jusqu'à  la 
Terre  de  Kellett  et  la  côte  de  Wrangell.  Les  courants  marins 
ne  peuvent  à  eux  seuls  fournir  une  explication  suffisante, 
comme  c'est  le  cas  pour  l'Océan  Atlantique-nord,  car  les  der- 
nières ramifications  du  Gulfstream  sur  la  côle  Ouest  du  Spitz- 
berg  et  de  la  Nouvelle-Zemble  sont  depuis  le  80°,  et  même  le 
75°,  déjà  couvertes  de  glaces  flottantes.  Que  le  Groenland  s'é- 
tende jusqu'au  détroit  de  Belu-ing,  ce  n'est  là  qu'une  liypo- 
thèse  attendant  confirmation  ou  réfutation  de  la  part  des 
faits;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  plus  les  expéditions 
envoyées  jusqu'ici  ont  pénétré  loin  dans  le  nord,  plus  elles 
se  montrent  favorables  à  notre  tliéoiie. 

Au  retour  de  l'amiral  Inglefield,  en  18o2,  il  prélendit  que 
le  Groenland  avalisa  limite  au  79°,  et  exprimait  sa  conviction 
qu'il  aurait  pu  sur  son  petit  navire  Y  Isabelle  passer  du  Smith- 
Sound  au  détroit  de  Behring.  Cet  explorateur,  de  même  que 
d'autres  membres  encore  vivants  de  la  Société  de  Géogra- 
phie, doit  se  souvenii'de  la  discussion  du  22  novembre  18o2 
où  je  combattisses  vues  avec  énergie,  me  fondant  sur  l'état 
de  la  température  et  sur  l'absence  presque  absolue  de  bois 
flotté,  tandis  qu'on  le  trouve  en  quantités  énormes  sur  les 
côtes  longées  par  le  courant  polaire  de  Sibérie  et  du  Groen- 
land oi-iental.  L'expédition  de  Kane,  I8.o3-I8oo,  fut  forcée  de 
pousser  le  Groenland  jusqu'au  cap  Indépendance,  80°2o',mais 
l'on  retomba  dans  la  même  erreur  en  ne  se  représentant 
plus  au  delà  qu'une  mer  libre  qui  se  serait  étendue  directe- 
ment jusqu'au  Spitzberg  et  à  la  Sibérie.  Hayes  en  1861 
trouva  cette  mer  libre  encombrée  de  glaces,  et  Hall  en  1871 
se  vil  forcé  de  la  convertir  en  terre  ferme  se  prolongeant  du 
cap  Indépendance  jusqu'au  cap  Bryant  de  Beaumont,  proba- 
blement le  Sherman  des  Américains,  au  82°24'  environ,  ce 


238  BULLETIN. 

qui  ajoutail  encore  deux  degrés  à  mon  conlinenl.  Le  capi- 
taine Beaumonl  vit  le  Groenland  plus  au  nord  encore  jus- 
qu'au 82°54',  et  le  simple  fait  que  par  un  temps  brumeux  le 
champ  d'observation  trouva  là  sa  limite  ne  peut  en  aucune 
façon  servir  de  preuve  que  le  Groenland  ne  va  pas  plus  loin 
dans  cette  direction  et  se  courbe  vers  le  sud  du  côté  du  cap 
Bismarck.  Sile Groenland  se  terminait  vers  le  82°o4',  la  mer 
Paléocrystique  trouverait  sous  l'action  des  vents  dominants 
de  l'ouest  une  libre  issue  vers  l'Est. 

La  très-petite  quantité  de  bois  flotté  que  Ton  rencontre 
sur  tout  l'espace  du  Smith-Sound  à  la  mer  Paléocrystique 
paraît  être  d'origine  américaine  et  non  sibérienne. 

Des  traces  d'Esquimaux  n'ont  été  remarquées  dans  le  ca- 
nal Robeson  que  jusqu'au  81  °o2'  ;  en  conséquence  les  Esqui- 
maux du  Groenland  oriental  ne  peuvent  pas  avoir  émigré  en 
faisant  le  tour  du  cap  Britannia,  mais  doivent  être  venus  d'A- 
sie le  long  des  cùles  de  ce  Groenland  prolongé  que  j'ai  tou- 
jours eu  en  vue.  Dans  les  établissements  du  Gi'oënland-sud, 
il  est  bien  connu  qu'au  loin,  sur  la  côte  orientale,  se  trouve  une 
tribu  d'Esquimaux  païens,  et  que  des  individus  isolés  se  ren- 
dent de  temps  à  autre  à  la  mission  allemande  de  Frédérics- 
hall;  mais  ils  retournent  toujours  dans  leur  patiie,  parce  qu'ils 
semblent  préférer  le  climat  et  le  genre  de  vie  des  régions 
orientales.  Il  n'est  nullement  impossible  qu'au  pùle  même  on 
ne  trouve  des  Esquimaux. 

11  est  réjouissant  d'avoir  à  constater  que  l'exploration  arc- 
tique, si  vigoureusement  poussée  dans  ces  dix  dernières  an- 
nées, va  présentement  et  dans  un  avenii-  très-prochain  pren- 
dre une  énergie  nouvelle.  Une  expédition  suédoise,  une  hol- 
landaise, sont  déjà  décitiées  comme  on  me  l'a  fait  savoii-  di- 
rectement. Le  plan  du  lieutenant  Wevprechi,  d'établir  huit 
oliservatoires  dans  les  régions  arcti(iues,  est  pris  en  considé- 
ration; mais  je  crains  que  les  chances  de  le  réaliser  ne  soient 
pas  très-fortes,  parce  que  jusqu'à  présent  rinlérèt  n'est  pas 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES,  239 

assez  éveillé  là-dessus  pour  se  traduire  en  entreprise  inter- 
nationale, comme  cela  a  été  le  cas  pour  le  passage  de  Vénus. 
Pour  exécuter  ce  projet  avec  quelque  ampleur  et  lui  faire 
donner  tous  ses  résultats,  il  faudrait  au  moins  dix  expéditions. 
Autant  que  j'en  puis  juger,  la  sympathie  exprimée  jusqu'ici 
pour  cette  entreprise  se  pi-ésente  sous  deux  foi-mes.  Ceux 
qui  sont-prêts  à  faire  quelque  chose  ne  songent  pas  à  se  bor- 
ner purement  et  simplement  à  l'établissement  de  stations 
destinées  à  des  études  magnétiques,  météorologiques  et  autres, 
mais  ils  veulent  pousser  plus  avant  l'exploi-ation  géographi- 
que et  physico-géographique.  Et  ceux  qui  prétendent  s'inté- 
resser au  projet  tel  quel  de  Weyprecht,  ne  font  rien  et  se 
bornent  à  des  phrases. 

La  commission  impériale  appelée  à  statuer  sur  la  motion 
de  Brème  et  de  Hambourg  pour  une  expédition  polaire,  a 
adressé  sur  ce  sujet  un  rappoi't  au  gouvernement  pi'ussien, 
lequel  a  été  mis  ad  acta,  sans  qu'il  y  ait  plus  maintenant  au- 
cune espérance  du  côté  de  l'Empire.  Toutes  mes  informa- 
tions de  Berlin  m'apprennent  qu'il  n'y  a  personne  au  gou- 
vernement qui  prenne  quelque  intérêt  à  cette  affaire  scienti- 
fique; car  c'est  là  toute  la  question;  n'y  eùt-il  dans  un  gou- 
vernement qu'un  seul  membre  sympathique,  l'argent  se 
trouve  et  la  chose  se  fait,  témoin  l'expédition  berlinoise  du 
Loango  qui  a  tiré  beaucoup  de  numéraire  de  la  caisse  publi- 
que. Le  fait  est  que  tout  ce  que  l'Allemagne  et  l'Autriche  ont 
exécuté  dans  le  champ  de  l'exploration  arctique  durant  ces 
dix  dernières  années,  doit  être  mis  sur  le  compte  des  particu- 
liers, non  de  l'État. 

Il  me  semble;  en  outre,  qu'il  existe  une  masse  énorme  de 
bonnes  observations  et  de  matériaux  de  toute  espèce,  qui 
n'ont  point  encore  été  sérieusement  élaborés,  surtout  dans 
leur  ensemble  ;  il  me  semble  aussi  que  les  millions  de  don- 
nées météorologiques  et  autres  qui  ont  été  recueillies  dans 
les  différentes  parties  du  domaine  arctique,  bien  qu'elles  ne 


240  BULLETIN. 

.soient  pas  al)solument  de  la  même  date,  comme  le  voudrait 
Weyprecht,  ne  sont  pas  néanmoins  sans  valeur;  la  faute  se- 
rait plutôt  qu'on  ne  les  a  pas  encore  envisagées  dans  leurs 
rapports  mutuels.  Il  n'y  a  que  peu  de  gens  qui  se  consaci-ent 
à  travailler  sur  une  masse  d'observations  isolées  au  profit 
d'une  brandie  particulière  de  la  science,  et  ceux  qui  n'en 
craignent  pas  la  peine  doivent  y  mettre  beaucoup  de  temps. 
Ainsi  Middendorf  n'a  pas  eu  Ijesoin  de  moins  de  33  années 
pour  épuiser  les  observations  qu'il  avait  faites  dans  son 
voyage  relativement  assez  court  au  fleuve  Taimyr  en  l'an  43, 
parce  ([u'il  ne  les  étudiait  qu'au  point  de  vue  de  la  biologie 
comparée  de  la  région  polaire. 

Une  des  questions  capitales  que  toute  future  exploration 
doit  mettre  au  clair  est  celle-ci  :  Le  bassin  polaire  est-il  pra- 
ticable? et  le  p(Me  Nord  peut-il  êlre  atteint?  —  Les  seules  ten- 
tatives dignes  d'être  mentionnées  se  bornent  à  la  petite  ex- 
cursion de  Sir  Edouard  Parry,  à  partir  de  l'île  de  Ross  jus- 
qu'au 82° 45'  et  retour,  du  23  juin  au  12  août  1827  ;  puis  à 
celle  de  Payer  dans  la  Terre  de  François-Joseph  jusqu'au 
82°5',  du  26  mars  au  23  avril  1874.  La  pointe  des  Suédois 
jusqu'au  81?42',  atteint  le  19  septembre  1808,  fut  le  fait  d'un 
vapeur  de  poste  tout  à  fait  insuffisant:  elle  ne  peut  absolu- 
ment compter;  on  ne  trouva  qu'une  glace  très-mince  d'un  an 
de  date,  précisément  l'opposé  du  Paléocrystique,  comme  cela 
ressort  clairement  de  la  description  que  donne  l'ouvrage 
suédois  du  lieu  le  plus  septentrional  où  soit  parvenue  l'expé- 
dition. On  l'a  dit  avec  raison  :  La  chose  est  possible,  et  c'est 
l'Angleterre  qui  la  fera. 

P.-S.  —  Un  bill  a  été  présenté  par  M.  Hunier  au  Congrès 
des  États-Unis.  Il  propose  que  le  Président  soit  autorisé  à 
organiser  une  ou  plusieurs  expéditions  pour  le  pôle  Nord,  et 
dans  ce  but  à  établir  une  colonie  temporaire  au  nord  du  81°, 
dans  le  voisinage  de  la  baie  de  Lady  Franklin,  à  mettre  au 


MÉLANGES  ET  NOUVELLES.  241 

service  de  cette  entreprise  le  bâtiment  de  l'Étal  qui  semblera 
remplir  le  mieux  les  conditions  voulues,  ainsi  que  les  officiers 
et  le  personnel  les  plus  capables,  à  préparer  les  opérations 
scientifiques  sous  le  contrôle  de  l'Académie  nationale,  à  ré- 
server sur  le  trésor  public  une  somme  de  50,000  dollars  pour 
le  surplus  des  dépenses,  etc. 

On  n'en  sait  pas  jusqu'ici  davantage.  Si  l'expédition  a  lieu 
d'après  le  plan  projeté,  ce  serait  donc  encore  la  route  du 
Smith-Sound  qui  serait  choisie  pour  pénétrer  plus  avant  dans 
la  région  polaii'e  centrale.  Mais  l'important  c'est  qu'il  se  fasse 
quelque  chose.  Même  sur  cette  voie  chaque  expédition  a  jus- 
qu'ici plus  ou  moins  enrichi  la  science  humaine.  Il  n'est  pas 
douteux  qu'on  ira  plus  loin  encore  que  Sir  G.  Nares,  et  cela, 
non  pas  seulement  par  l'analogie  de  ce  qui  s'est  passé  jus- 
qu'ici, mais  parce  qu'une  modification  dans  le  plan  pourrait 
avoir  de  grands  résultats.  L'expédition  anglaise  avait  dissé- 
miné ses  forces  en  envoyant  son  monde  et  ses  traîneaux  dans 
les  quatre  directions  du  nord,  du  sud,  de  l'est  et  de  l'ouest. 
Si  tous  les  efî'orts  avaient  été  concentrés  avec  un  seul  objec- 
tif, la  poursuite  des  découvertes  de  Beaumont  et  la  recon- 
naissance des  côtes  du  Groenland,  on  aurait  fait  probablement 
de  nouvelles  et  plus  amples  conquêtes. 

Au  reste,  on  voit  une  fois  de  plus  combien  les  grands  traits 
physico-géographiques  de  notre  terre  sont  encore  peu  con- 
nus et  mis  en  ligne  de  compte  :  ainsi,  par  exemple,  l'énorme 
contraste  entre  les  régions  situées  à  l'est  et  à  l'ouest  de  l'O- 
céan Atlantique  du  Nord.  La  différence  entre  l'Allemagne, 
les  îles  Britanniques  d'un  côté  et  le  Labrador  de  l'autre,  en- 
tre la  Scandinavie  et  la  Russie  àl'est  et  le  Groenland  à  l'ouest, 
toutes  contrées  placées  sous  le  même  degré  de  latitude,  cette 
différence  se  poursuit  jusque  dans  la  région  arctique  cen- 
trale. Les  expéditions  autrichiennes  et  anglaises  nous  en 
fournissent  la  preuve  éclatante,  car  elles  nous  font  retrouver 

BULLETIX,    T.    XYI,     1877.  17 


242  BULLETIN. 

entre  la  Terre  de  François-Joseph  et  la  région  Paléocrysli- 
que  de  Nares,  des  diversités  de  température,  de  constitution 
des  glaces,  tout  à  fait  tranchées.  Rien  dans  les  récils  de  l'ex- 
pédition autrichienne  n'a  fait  plus  d'impression  en  Angle- 
terre que  le  grand  nombre  d'oiseaux  que  Payer  a  trouvés 
aux  mois  de  mars  et  d'avril  à  l'extrême  nord  de  son  excur- 
sion en  traîneau,  vers  le  82°5'.  Ce  fait  remarquable  qui  n'a- 
vait point  encore  été  observé  par  aucune  expédition  cà  pa- 
reille latitude,  veut  dire  qu'il  y  a  là  une  action  de  la  mer  ou- 
verte, et  que  les  côtes  ouest  de  la  Terre  de  François-Joseph 
se  prolongent  et  sont  baignées  par  le  courant  du  Golfe  jus- 
qu'au 82°. 

Quand  ces  parages  seront  visités,  on  trouvera  comme  sur 
les  côtes  occidentales  des  îles  Britanniques,  de  la  Scandina- 
vie, du  Spitzberg  et  de  la  Nouvelle-Zemble,  la  trace  marquée 
du  plus  grand  axe  de  chaleur  sur  la  terre.  L. 


NOUVELLES  GÉOGMPïïiaïïES 


Société  nationale  suisse  africaine. 

Compte  rendu  de  la  deuxième  séance,  tenue  à  Berne  le  lô  no- 
vembre 1877  sous  la  présidence  de  M.  H.  Bouthillier  de 
Beaumont. 

M.  le  Président  ouvre  la  deuxième  séance  du  Comité  na- 
tional suisse,  et  souhaite  la  bienvenue  aux  membres  et  amis 
de  l'association  venus  de  divers  cantons  pour  prendre  part 
à  ses  travaux  et  délibérations,  par  les  paroles  suivantes  : 

«  Messieurs. 

«  En  ouvrant  la  séance  duGomité  national  siégeant  à  Berne, 
je  désire  vous  mettre  au  fait,  en  quelques  mots,  de  la  créa- 
tion de  TAssociation  internationale  africaine,  de  son  origine, 
de  ses  travaux,  de  sa  marche  jusqu'à  ce  jour.  Je  serai  bref 
autant  que  possible  pour  ne  pas  prendre  du  temps  précieux 
d'un  jour  si  occupé. 

«  Vous  tous  qui  êtes  ici.  Messieurs,  vous  avez  été  attirés  par 
Tintérèt  que  vous  présente  celte  grande  entreprise  de  con- 
quête scientifique  et  civilisatrice,  due  à  l'initiative  de  S.  M.  le 
Roi  des  Belges.  Vous  savez  que  la  fondation  de  cette  œuvre 
a  été  posée  par  les  conférences  internationales  de  Bruxelles 
de  septembre  1876,  et  que,  dans  les  résolutions  prises  alors, 
dont  vous  avez  le  compte  rendu  sous  les  yeux,  les  Sociétés 
de  géographie,  représentant  les  grands  Éîais  de  TEurope, 
en  acqdesçanl,  pour  elles-mêmes  et  pour  leurs  États  res- 


244  BULLETIN. 

pectifs,  à  donner  leur  approbation  el  à  joindre  leurs  apports 
financiers  pour  sa  réalisation  la  plus  rapide,  ont  voulu  lais- 
ser à  son  auguste  Président,  le  Roi  des  Belges,  la  faculté 
d'augmenter  leur  nombre,  en  l'autorisant  à  recevoir  dans  le 
sein  de  TAssociation  d'autres  Sociétés  de  géographie  repré- 
sentant d'autres  États  dans  le  concours  commun  des  nations 
civilisées.  La  Société  de  Genève  s'est  empressée  d'exprimer 
ses  vœux  d'adhésion;  sa  participation  à  l'Association,  soit 
pour  elle-même,  soit  pour  la  Suisse,  a  été  gracieusement  ac- 
cueillie par  Sa  Majesté. 

«  Sur  un  appel  de  la  Société  de  géographie  de  Genève,  in- 
séré dans  les  journaux  et  adressé  directement  par  des  cir- 
culaires individuelles,  cent  douze  adhérents  se  sont  de  suite 
fait  connaître,  et  trenle-deux  d'entre  eux,  représentant  les 
cantons  de  Berne,  Bàle,  Zurich,  Fribourg,  Valais,  Neuchàtel, 
Vaud  el  Genève,  réunis  à  Genève  le  24  avril  de  cette  année, 
ont  constitué  le  Comité  national  suisse,  et  nommé  les  délé- 
gués pour  représenter  la  Suisse  à  la  réunion  de  la  Commis- 
sion internationale  ayant  lieu  h  Bruxelles  le  19  juin  suivant. 

«  Nous  avons  à  vous  exprimer  ici  nos  regrets  de  ce  qu'un 
de  nos  délégués,  M.  Desor,  retenu  par  la  session  des  Cham- 
bres fédérales,  n'a  pu  se  rendre  à  Bruxelles,  regrets  qui  nous 
ont  été  exprimés  ofllciellement  par  M.  le  baron  Greindl,  se- 
crétaire général  de  l'Association.  M.  Moynier  a  bien  voulu  se 
charger  seul,  comm.e  délégué,  du  rapport  à  vous  piésenter. 
Publié  peu  de  temps  après  son  retour,  cet  intéi-essant  do- 
cument a  été  envoyé  en  Suisse  à  tous  les  adhérents  et  pu- 
blié par  le  Globe,  journal  de  la  Société  de  géographie  de  Ge- 
nève. Mais  vu  .son  importance  il  vous  sera  communi(|ué  do 
nouveau  aujourd'hui,  et  sera  l'objet  de  vos  observations, 
comme  il  servira  de  guide  à  vos  délibérations. 

«  Vous  porterez  ainsi  vos  regardsel  votre  attention  sur  les 
moyens  généraux  employés  dans  l'exécution  de  l'œuvre  afri- 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  243 

caine,  el  sur  les  dilïérents  côtés  intéressants  qui  sont  les 
principes  divers  de  son  activité  et  de  sa  réussite. 

«  A  côté  de  l'élément  géographique  et  scientifique  qui  se 
trouve  le  plus  en  vue  el  qui  constitue  pour  les  premiers  pas 
la  base  du  travail  de  l'explorateur,  chef  de  la  mission,  vous 
appréciei-ez  la  portée  des  autres  mobiles  d'action  civilisatrice  : 
la  mission,  la  science,  le  commerce,  la  colonisation,  dont  plu- 
sieurs orateurs  veulent  bien  vous  entretenir  aujourd'hui,  el 
vous  reconnaîtrez  à  quel  point  ces  ouvertures  nouvelles  pré- 
sentées à  nos  savants,  à  nos  sociétés  scientifiques,  philan- 
thropiques, missionnaires,  commerciales,  doivent  être  pré- 
cieuses pour  Texlension  de  tant  d'institutions  renommées 
et  utiles,  répandues  dans  noire  pays. 

«Aussi  sommes-nous  persuadés  qu'à  la  suite  de  la  connais- 
sance plus  complète  de  cette  grande  entreprise,  le  nombre 
des  membres  de  notre  Société  prouvera  bien  vile  de  Tinlérêt 
que  lui  portent  tous  les  hommes  généreux  et  sérieux,  el  que 
leurs  souscriptions  répondront  aussi  cliez  nous  à  noire  at- 
tente. 

«  Dans  tous  les  États  adhérents  à  l'Association,  les  Comités 
travaillent  à  la  faire  connaître  et  à  lui  attirer  des  dons  ou  des 
cotisations.  La  Belgique  seule  a  trouvé  déjà  78,000  francs 
par  an  à  oITrir  à  la  grande  cause  dont  son  Roi  a  arboré  le 
drapeau.  Notre  Société  ne  sera  pas  la  dernière,  j"en  suis  sûr. 
à  exprimer  sa  sympathie  en  apportant  aussi  sa  quote-part  à 
la  fortune  commune.  Il  est  vrai  que,  dans  ce  moment,  de 
grands  embarras  industriels  et  commerciaux,  de  grands  be- 
soins à  satisfaire  par  la  charilé  individuelle,  rendront  nos 
premiers  pas  moins  rapides.  Mais  si  le  présent  n'est  pas  pro- 
pice, ayons  confiance  dans  l'avenir. 

«  Depuis  les  dernières  conférences  du  mois  de  juin  dernier, 
la  Commission  executive,  mettant  en  aciion  les  résolutions 
de  l'Association  internationale,  grâce  aux  ressources  fournies 


246  BULLETIN. 

par  la  Belgique,  a  formé  une  première  expéililion  avec  M. 
Crespel  comme  chef,  MM.  Cambier  et  Mars,  docteur  en 
sciences  naturelles,  et  M.  Marno,  voyageur  déjà  connu,  revêtu 
de  la  mission  plus  spéciale  de  visiter  les  pays  à  l'ouest  du 
Tanganyika  et  d'y  recherclier  les  emplacements  les  plus  fa- 
vorables à  rétablissement  de  futures  stations. 

«  D'après  les  instructions  données,  celte  expédition,  partie 
le  18  octobre  de  Southamplon  pour  Natal,  après  y  avoir  sé- 
journé huit  jours,  doit  se  rendre  directement  à  Zanzibar  et 
commencer  ensuite  son  voyage  par  terre  aussitôt  que  ses 
préparatifs  à  Zanzibar  seront  terminés,  et  aller  se  fixer  sur  le 
côté  ouest  du  Tanganyika.  Un  denos  compatriotes,  M. Broyon, 
établi  depuis  quelques  années  dans  ce  pays,  s'est  proposé, 
comme  vous  le  savez,  pour  donner  à  l'expédition  une  aide 
qui  lui  sera  certainement  bien  précieuse. 

«  Pour  répondre  au  vœu  général  exprimé  dans  la  réunion 
de  fondation  de  Genève,  que  les  séances  du  Comité  aient  lien, 
le  plus  possil)le,  successivement  ilans  les  chefs-lieux  des  can- 
tons, nous  avons  désiré  venir  dès  l'abord  à  Berne  auprès  de 
nos  frères  de  la  Suisse  allemande^  y  chercher  Tappui  et  la 
force  en  les  associant,  comme  vous  le  voyez,  aux  premiers  pas 
de  la  Société.  L'accueil  (pfelle  reçoit  aujourd'hui  dans  vos 
Hiurs,  la  sympathie  que  vous  lui  témoignez  par  votre  nom- 
breuse présence,  nous  sont  un  sûr  garant  du  bien  fondé  de 
notre  confiance  dans  votre  actif  et  précieux  concours.  Per- 
mettez-moi de  vous  en  remercier  ici  officiellement.  » 

j^I.  Delessert,  secrétaire  généi'al,  s'étant  fait  excuser  par 
M.  le  Président  de  ne  pouvoir  assister  à  la  séance,  M.  de  Traz, 
prié  de  vouloir  bien  le  remplacer,  accepte  les  fondions  de 
secrétaire  pour  ce  jour. 

l/ordre  du  jour  de  la  séance,  proposé  par  le  bureau,  es- 
adopté,  après  la  demande  de  M.  Moynier,  acceptée  par  Ta?- 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  247 

semblée,  de  faire  passer  le  troisième  objet  :  «  Rapports  des 
vice-présidents  et  des  délégués  à  Bruxelles;  discussion  géné- 
rale, »  avant  le  deuxième  :  «  Discussion  des  statuts  de  la 
Société.  » 

Il  est  donné  lecture  du  procès-verbal  de  la  séance  de 
fondation  de  la  Société,  tenue  à  Genève  le  24  avril  dernier. 

M.  le  Président  exprime  les  regrets  du  Comité,  de  la 
perte  sensible  qu'il  a  faite  récemment  dans  la  personne 
de  M.  Ghrist-Sarasin,  de  Bàle,  un  de  ses  vice-présidents  ,  si 
sympathique  à  son  œuvre,  si  aimable  dans  ses  relations,  et 
dont  l'intérêt  et  le  concours  actif  lui  auraient  été  précieux. 
Il  exprime  l'espoir  que  cette  place  si  importante  sera  favo- 
rablement remplie. 

M.  le  Président  donne  la  parole  à  Messieurs  les  vice-pré- 
sidents et  aux  délégués  à  la  Commission  internationale  de 
Bruxelles. 

M.  G.  iMoynier.  l'un  des  délégués,  reproduit  les  faits  princi- 
paux énoncés  dans  le  rapport  présenté  par  lui  au  Comité  sur 
ces  conférences,  et  ajoute  quelques  détails  complémentaires 
sur  ce  qui  a  été  fait  depuis,  et  sur  les  perspectives  ouvertes 
pour  l'avenir.  Il  signale,  entre  autres  faits,  le  départ  récent  de 
la  première  expédition  envoyée  par  le  Comité  exécutif,  et 
composée  de  trois  officiers  du  corps  d'Éîat-major  belge,  et  de 
M.  Marno,  voyageur  autrichien,  déjà  familiarisé  avec  les  ré- 
gions de  l'Afrique  centrale  par  de  précédentes  explorations. 

M.  le  professeur  Desor  n'a  rien  à  ajouter  aux  renseigne- 
ments donnés  par  son  collègue,  ayant  été  empêché,  à  son 
grand  regret,  de  se  rendre  à  Bruxelles. 

M.  le  Président  rappelle  le  rôle  et  la  part  que  les  Sociétés 
de  géographie  ont  dans  la  fondation  et  la  poursuite  de 
l'œuvre  internationale,  et  la  place  qu'elles  ont  eue,  en  par- 
ticulier, aux  deux  conférences  de  Bruxelles. 

M.  le  vice-président,  professeur  Mousson,  rend  compte  des 


248  BULLETIN. 

résultais  réalisés  par  Wii,  au  point  de  vue  de  la  souscription 
dans  son  canton  (Zurich);  il  a  obtenu  une  quarantaine  d'adhé- 
rents nouveaux  à  la  Société,  et  réuni  une  somme  d'environ 
1000  francs,  qu'il  remet  entre  les  mains  du  Comité. 

M.  Mousson  avait  espéré  amener  à  la  séance  M.  Widmer, 
négociant  suisse  établi  à  Zanzibar,  bien  placé,  par  conséquent, 
pour  donner  des  renseignements  intéressants  et  utiles  sur 
celte  localité  et  sur  la  partie  avoisinante  du  continent  afri- 
cain; mais  M.  Widmer  n^iyant  pu  venir  assister  à  la  séance, 
M.  le  Président  fait  part  à  rassemblée  des  renseignements 
communiqués  par  lui  verbalement  au  Comité,  et  qui  traitent 
principalement  la  question  des  rapports  de  commerce  déjà 
établis  entre  Zanzibar  et  les  tribus  indigènes  de  l'inlérieur, 
et  du  développement  qu'on  peut  espérer  leur  voir  prendre 
sous  l'intluence  des  projets  de  l'Association  internationale. 
Donnant  des  détails  sur  les  roules  nouvelles,  en  voie  d'établis- 
sement glace  à  l'inilialive  et  aux  soins  de  deux  Sociétés  an- 
glaises de  missions:  l'une  parlant  de  Sadani,  au  nord  de  Zan- 
zibar, et  s'avançant  dans  l'intérieur,  à  travers  un  pays  plus 
salubre  que  ne  l'est  celui  traversé  par  la  roule  parlant  de 
Bagamoyo,  suivie  ordinairement  jusqu'ici;  une  seconde 
ayant  son  point  de  départ  à  Mombas,  plus  au  Nord  encore, 
et  aboutissant  au  même  point,  sur  les  bords  du  lac  Tanga- 
nyika;  une  troisième  enfin,  conduisant  de  la  côte  au  sud  de 
Zanzibar  au  lac  Nyassa,  à  la  mission  écossaise  récemment 
fondée  de  Livingstonia;  il  ajoute  quelques  renseignements 
sur  la  gracieuse  proposition  faite  par  un  de  nos  compa- 
triotes, M.  Broyon,  dont  le  séjour  dans  le  pays  depuis  quel- 
ques années  et  la  position  en  faveur  auprès  d^un  chefin- 
lluent  de  l'intérieur,  dont  il  a  épousé  la  lille,  seront  d'un 
précieux    concours   aux   expéditions   ultérieures  dans  ces 

glons. 

M.  le  vice-président  de  Dardel  (Neuchàtel)  exprime  l'es- 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  249 

poir  que  Tœuvre  poursuivie  par  la  Société  nalionale  suisse 
africaine,  maintenant  qu'elle  est  mieux  définie,  gagnera  de 
nombreux  adhérents  et  souscripteurs  dans  son  canton  ainsi 
que  dans  les  autres  cantons  de  la  Suisse. 

Conforraénienl  au  vœu  exprimé  et  à  la  décision  prise  dans 
la  réunion  de  Genève  pour  une  révision  des  statuts  votés 
alors,  M.  le  vice-président  Mousson  soumet  à  l'assemblée  un 
pj'o.jet  de  statuts  revisés  et  complétés,  lequel  est  discuté  et 
volé  par  elle,  article  par  article. 


Statuts  (le  la  Société  suisse  africaine. 

Article  1".  Il  est  fondé  en  Suisse  une  Société  dite  Société 
nationale  suisse  africaine,  en  rapport  avec  l'Association  inter- 
nationale pour  l'exploration  et  la  civilisation  de  l'Afrique 
centrale. 

Art.  2.  La  Société  se  compose  de  toutes  les  personnes  ou 
associations  qui  adhèrent  à  son  œuvre  et  s'engagent  a  payer 
une  contribution  annuelle,  dont  elles  fixent  elles-mêmes  la 
valeur,  en  souscrivant,  ou  qui  paient  une  fois  pour  toutes  la 
somme  de  cent  francs  au  moins. 

Art.  3.  Chaque  souscripteur  reçoit  un  titre  qui  atteste  sa 
qualité  de  membre  de  la  Société  et  indique  le  montant  de  sa 
souscription. 

Art.  4.  Les  membres  de  la  Société  sont  convoqués  en  as- 
semblée générale  où  ils  prennent  part  aux  délibérations  et  aux 
votations.  Ils  reçoivent  gratuitement  les  rapports  sur  la  mar- 
che de  la  Société  et  sur  celle  de  l'Association  internationale. 

Art.  o.  La  Société  nomme  son  président  et  son  comité,  aux- 
quels elle  confie  Tadministration  et  la  gestion  de  son  œuvre. 

Art.  6.  Le  Comité,  sous  le  nom  de  Comité  national  suisse, 
se  compose  des  membres  présents  à  la  séance  de  fonda- 
tion de  la  Société  du  24  avril  1877,  des  membres  de  son 
bureau,  des  membres  représentants  que  celui-ci  pourra 
choisir,  et  des  délégués  à  la  Commission  internationale. 


230  BULLETIN. 

Art.  7.  Le  Comilé  se  recrute  par  volation  de  la  Sociélé 
réunie  en  assemblée  générale,  sur  des  présentations  faites 
par  lui. 

Art.  8.  Le  Comité  est  chargé  : 

a)  De  vulgariser  en  Suisse,  par  la  presse,  par  la  parole  ou 
par  tout  autre  moyen  qu'il  trouvera  convenable,  les  connais- 
sances de  toute  nature  se  rapportant  au  but  que  l'Association 
internationale  a  en  vue. 

b)  D'organiser  les  souscriptions  et  de  centraliser  les  res- 
sources diverses  qui  seront  mises  à  sa  disposition  pour 
Texéculion  du  programme  international. 

Art.  9.  Le  Comité  nomme  des  vice-présidents,  en  nombre 
qu'il  jugera  convenable,  lesrpiels  assistent  le  président  dans 
toute  son  activité  et  le  remplacent  temporairement  sur  sa  de- 
mande. 

l\  nomme  un  secrétaire  général  et  un  trésorier,  ces  deux 
fonctions  pouvant  être  cumulées.  Il  nomme  aussi  les  délégués 
de  la  Société  à  la  Commission  internationale. 

Art.  10.  Le  président,  les  vice-présidents,  le  secrétaire 
général  et  le  trésorier,  ainsi  f|ue  les  délégués,  constituent  le 
Bureau  de  la  Sociélé.  Leurs  fonctions  sont  honorifiques  et 
giatuites;  celle  de  secrétaire  général  seule,  ou  celle  de  tré- 
sorier, peut  être  rétribuée. 

Art.  11.  Le  Bureau  convoque  l'assemblée  générale, 
quand  et  où  il  le  croit  utile.  Il  s'occupe  de  tout  ce  qui  re- 
garde l'administration  de  la  Sociélé,  surveille  ses  dépenses 
pour  frais  de  bureau,  de  secrétariat,  de  publication,  etc.,  et 
suit  sa  correspondance,  en  entretenant  des  rapports  aussi 
fréquents  que  possible  avec  la  Commission  executive  de  l'As- 
sociation internationale. 

Art.  12.  Le  bureau  apure  les  comptes  du  trésorier  et  fait 
transmettre  intégralement  la  somme  de  toutes  les  souscrip- 
tions, sous  déduction  des  frais  précités,  à  l'Association  inter- 
nationale, par  son  secrétaire  général. 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  2^)1 

Art.  13.  Le  bureau  peut  choisir,  pour  l'aider  et  le  secon- 
der dans  son  activité,  des  représentants,  autant  que  possible 
un  dans  chacun  des  principaux  cantons,  et  dans  ceux  où  il  n'y 
a  pas  déjà  de  vice-président  pour  représenter  le  Comité. 

Art.  14.  Les  représentants  soutiennent  de  leur  mieux 
dans  leur  cercle  respectif  tous  les  intérêts  de  la  Société,  pro- 
voquent la  rentrée  des  souscriptions,  et  se  chargent  de  ren- 
voi des  sommes  au  secrétariat.  Ils  se  tiennent  en  rapport  di- 
rect et  régulier  avec  ce  dernier,  et  sont  de  droit  membres  du 
Comité. 

Art.  15.  Les  présents  statuts,  discutés  et  votés  par  l'as- 
semblée générale,  réunie  à  Berne  le  lo  novembre  1877, 
abrogent  et  remplacent  les  statuts  précédents. 

Le  Secrétaire  géncntl.  Le  Président, 

Eug.  Delessert.  h.  P/  de  Beaumont. 


Les  articles  o,  0  et  12  ont  seuls  donné  lieu  à  quelques 
observations.  A  propos  de  ce  dernier  (art.  12),  M.  Mulhaupt- 
de  Steiger  (Berne)  formule  la  proposition,  qu'au  lieu  de  ver- 
.ser  intégralement  la  somme  provenant  des  souscriptions 
recueillies  en  Suisse,  entre  les  mains  du  Comité  exécutif  de 
l'Association  internationale  à  Bruxelles,  il  en  soit  prélevé 
une  partie,  un  cinquième  ou  un  dixième,  pourcréer  un  fonds 
spécial  suisse,  destiné  à  être  appliqué  ou  cà  contribuer  à 
quelque  œuvre  qui  pourrait  être  entreprise  par  la  suite  dans 
le  même  but,  avec  des  éléments  suisses,  par  des  voyageurs 
suisses  par  exemple,  et  pour  les  intérêts  plus  spéciaux  de  la 
Suisse,  pour  son  commerce.  En  faisant  cette  proposition,  M. 
Midhaupt  a  surtout  en  vue  cette  considération,  que  cela  favo- 
riserait l'accueil  à  espérer  pour  la  souscription  dans  notre 


252  BULLETIN. 

pays,  laquelle,  dans  le  moment  de  crise  actuel  surtout,  court 
risque  de  ne  pas  donner  ce  que  l'on  pourrait  espérer.  Il  s'ap- 
puie sur  ce  qui  a  été  résolu  et  fait  à  cet  égard  par  plusieurs 
des  comités  nationaux  d'autres  pays. 

M.  le  vice-président,  professeur  Mousson  ,  ne  partage  pas 
la  manière  de  voir  du  préopinant,  et  combat  sa  proposition 
pour  plusieurs  motifs  : 

1°  La  Société  africaine  a  été  fondée  et  présentée  en  Suisse 
comme  en  connexion  directe  avec  l'œuvre  de  l'Association 
internationale  créée  à  la  première  conférence  de  Bruxelles  ; 
elle  ne  doit  rien  faire  qui  soit,  ou  pourrait  même  paraître, 
en  opposition  avec  celle-ci  ; 

2»  Si  la  souscription  doit  être  peu  importante,  comme  on 
en  a  exprimé  la  crainte,  il  serait  fâcheux  qu'elle  fût  encore 
diminuée  ; 

3°  Une  entreprise  particulière  de  la  Suisse,  et  par  des 
Suisses,  n'aurait  pas  grande  chance  de  réussite,  ne  pouvant 
se  faire  dans  les  condiiions  favorables  que  présente  l'Asso- 
ciation internationale,  et  avoir  les  résultats  que  celle-ci  ob- 
tiendra avec  les  moyens  et  ressources  dont  elle  disposera 
et  dispose  même  déjà  actuellement.  Au  contraire,  la  Suisse, 
et  la  Société  suisse  africaine  en  particulier,  trouvera,  au  point 
de  vue  du  commerce  national  avec  les  contrées  qui  vont 
être  explorées,  des  avantages  réels  à  se  joindre  compléie- 
ment  à  une  entreprise  internationale,  et  aura  sa  part  d'action 
dans  celle-ci. 

L'importance  de  l'entreprise  internationale  consiste  sur- 
tout à  frayer  des  voies  de  communication  et  à  fonder  des 
stations  qui  serviront  de  points  d'appui,  dont  le  commerce 
et  les  missions  proliteront  largemenl. 

En  résumé,  M.  .Mousson  voit  plus  (rini'oinénient-^  ([ue  d'a- 
vantages à  l'idée  émise  par  M.  Mulhaupt. 

Soutenue  seulement  par  M.  Meltler-Tobler,  négociant  à 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  253 

St-Gall,  et  combattue  d'autre  part  par  MM.  deBeaumont,  pré- 
sident, de  Dardel  (Neuchàtel),  professeur  Studer  et  de  Graf- 
fenried  (Berne),  dont  les  arguments  appuient  et  complètent 
les  considérations  présentées  par  M.  Mousson,  la  proposition 
n'est  pas  adoptée,  et  l'article  12  des  statuts,  tel  qu'il  est  pré- 
senté par  le  Comité,  est  voté  à  la  presque  unanimité  par 
l'assemblée. 

Le  Président  lève  la  séance,  après  avoir  rappelé  aux  assis- 
tants la  visite  à  l'exposition  cartographique,  ouverte  pour 
les  membres  de  l'Association  par  le  Bureau  topographique 
fédéral. 

La  séance  est  reprise  l'après-midi  pour  entendre  diverses 
communications  relatives  à  l'Afrique  centrale. 

M.  le  professeur  Egli,  de  Znricli,  développe  un  ensemble 
de  considérations  orographiques  et  hydrographiques  sur 
cette  partie  du  continent  africain,  dont  il  présente  ainsi 
comme  le  relief,  en  accompagnant  son  exposition  d'un  des- 
sin sur  la  planche  noire.  Il  montre  comment  cette  région 
est  formée  d'un  vaste  plateau,  séparé  de  la  région  des  côtes, 
soit  de  l'Allanlique,  soit  de  l'océan  Indien,  par  des  chaînes 
de  montagnes  à  travers  lesquelles  les  fleuves  se  fraient  leur 
passage  en  formant  presque  toujours  des  cataractes  plus  ou 
moins  nouibreuses  et  plus  ou  moins  importantes.  Le  centre 
de  ce  plateau  est  occupé  par  une  région  montagneuse,  d'une 
altitude  moyenne  de  2  à  3000  mètres,  mais  présentant  aussi 
des  sommets  de  plus  de  6000  mètres,  comme  le  Kiliman- 
djaro et  le  Kénia,  région  où  se  trouvent  les  grands  lacs  et 
où  prennent  naissance  ces  fleuves  puissants  explorés,  dans 
leur  cours  supérieur,  dans  ces  dernières  années  seulement  : 
le  Nil,  le  Zambèze,  objet  des  voyages  de  Livingslone,  et  le 
Congo,  dont  Cameron  et  Stanley  viennent  tout  récemment 
de  reconnaître  l'origine  et  le  cours. 


2o4  BULLETIN. 

M.  Egli  dislingue  d'une  manière  Irès-caraclérisée  Irois 
bassins,  séparés  par  une  barrière  de  montagnes  en  forme  un 
peu  circulaire,  ou  plutôt  de  croissant  (montagnes  de  la  Lune 
de  Ptolémée)  :  celui  du  Nil,  avec  le  Victoria  et  TAlbert- 
Nyanza  comme  grands  réservoirs,  celui  du  Zambèze,  auquel 
se  raltaclie  le  lac  Nyassa  par  son  émissaire  le  Cliiré,  et  celui 
du  Congo,  avec  le  Tanganyika  et  le  Bangweolo  pour  réservoirs 
d'origine.  Ces  fleuves,  le  dernier  surtout,  sont  appelés  à  de- 
venir les  grandes  voies  de  communication  et  de  commerce 
dans  Tintérieur  du  pays;  c'est  la  route  que  devront  suivre, 
autant  que  possible,  les  futures  explorations;  c'est  sur  leurs 
bords  qu'il  faudra  créer  les  stations  projetées,  ainsi  que  sur 
les  bords  des  grands  lacs,  el  sous  ce  rapport  le  Tanganyika, 
sur  lequel  s'est  portée  spécialement  et  avec  raison  l'attention 
de  la  Commission  internationale,  est  bien  celui  qui  paraît  offrir 
la  situation  la  plus  avantageuse,  par  sa  position,  par  la  nature 
de  la  contrée  qui  l'avoisine,  la  ricliesse  de  son  sol  qui  se 
prête  admirablement  à  la  culture  de  la  plupart  des  plantes 
des  tropiques,  son  climat  modéré  el  moins  dangereux  pour 
les  voyageurs  européens  el  ceux  qui  s'y  établiront  que  celui 
des  déserts  voisins  et  des  côtes,  les  dispositions  des  indigènes 
plus  pacifiques  et  moins  hostiles  aux  blancs  que  celles  des 
liabilants  des  contrées  environnantes.  Un  autre  avantage  est 
dans  la  communication  facile  et  déjà  connue  avec  Zanzibar 
el  cette  partie  de  la  côte,  à  laquelle  la  relieront  bientôt  en- 
core de  nouvelles  routes  en  voie  de  création  ;  et  les  récentes 
découvertes  de  Slanley  viennent  d'ouvrir  de  profondes  per- 
spectives sur  une  autre  grande  voie  de  communication  avec 
la  cote  opposée,  celle  de  rAllanlique.  M.  le  professeur  Egli 
cioit  pouvoir,  en  vertu  de  toutes  ces  considérations,  assigner 
à  celte  région  un  rôle  important  dans  l'avenir. 

M.  le  parieur  Jaccard  (Zurich)  présenie  un  travail  sur  la 
sialion  missionnaire,  fondée  il  y  a  peu  d'années  par  l'Église 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  255 

libre  du  canton  de  Yaud  dans  le  nord  de  l'ex-république  du 
Transvaal,  au  milieu  de  populations  ou  caffres  ou  betciioua- 
nes,  dans  une  contrée  fertile  et  d'un  climat  doux  et  salubre, 
formant  un  plateau  en  partie  montagneux  désigné  sous  le 
nom  de  Speliinken,  et  coupé  dans  le  sud  de  vallées  où  se 
sont  établis  des  colons  européens,  non-seulement  boërs,  les 
premiers  occupants  du  pays,  mais  anglais,  portugais  et  autres; 
la  découverte  des  Diamondfields,  qui  se  trouvent  à  50  lieues 
au  sud-est,  en  a  attiré  un  grand  nombre  dans  ces  dernières 
années.  M.  Jaccard  donne  quelques  détails  sur  les  diverses 
tribus  indigènes  qui  occupent  cette  région  et  sont  en  majeure 
partie  betcbouanes,peuple  généralement  pasteur,  de  mœurs  et 
de  dispositions  plutôt  douces  et  bienveillantes,  sans  beaucoup 
d'activité  ni  d'énergie,  si  ce  n'est  pour  la  guerre  qui  est  fré- 
quente entre  tribus  voisines.  Quelques-unes  se  distin- 
guent par  leur  adresse  et  leurs  inclinations  mercantiles.  Le 
contact  avec  les  Européens ,  vis-à-vis  desquels  ils  ne  sont 
généralement  pas  bostiles  malgré  les  actes  fréquents  d'agres- 
sion, les  cruautés  et  le  mépris  des  colons,  des  boërs  surtout, 
qui" sont  venus  s'établir  au  milieu  d'eux  ou  dans  leur  voisi- 
nage, a  encore  peu  changé  les  usages  des  indigènes.  Toute- 
fois ils  se  montrent  accessibles  à  la  civilisation  et  amateurs 
d'améliorations  pour  ce  qui  concerne,  entre  autres,  la  con- 
struction et  Tarrangement  de  leurs  demeures.  Ils  sont  intel- 
ligents, mais  leur  culture  intellectuelle  n'est  pas  très-déve- 
loppée;  leur  langue  a  des  ressources;  bon  nombre  d'entre- 
eux  présentent  des  dispositions  à  l'instruction  que  leur  appor- 
tent les  missionnaires,  vis-à-vis  desquels  ils  se  montrent 
ordinairement  bienveillants;  et  la  preuve  qu'ils  sont  capables 
d'un  développement  intellectuel  et  moral  est  fournie  par 
l'activité,  la  fermeté  de  caractère  et  les  connaissances  des 
aides  indigènes  employés  par  la  mission,  et  l'existence  d'une 
petite  congrégation  chrétienne  formée  il  y  a  quelques  années 


2o6  BULLETIN, 

chez  les  Bapédis,  par  la  seule  action  de  ces  catéchistes  indi- 
gènes, sans  le  concours  des  blancs.  Le  sentiment  religieux, 
qui  ne  se  manifeste  jusqu'ici  chez  ces  populations  que 
par  des  superstitions  assez  grossières,  paraît  susceptible 
aussi  de  développement  et  d'épuration;  certains  usages 
chrétiens,  comme,  pai-  exemple,  l'observation  du  dimanche, 
se  répandent  et  s'établissent  spontanément,  même  dans  des 
villages  encore  tout  à  fait  païens.  L'influence  de  la  civilisa- 
tion se  fait  sentir  aussi  dans  les  rapports  des  diverses  tribus 
entre  elles  et  crée  des  liens  qui  se  ramifient  et  s'alTermissenl 
d'une  manière  inconsciente,  remplaçant  peu  à  peu  les  dis- 
positions particularistes  et  les  luttes  qui  les  armaient  con- 
stamment les  unes  contre  les  autres.  C'est  au  point  de  vue 
de  cette  influence  que  pourront  exercer  ces  peuplades 
plus  ou  moins  transformées  par  la  religion  et  la  civilisation 
chrétiennes  sur  leurs  voisines  encore  païennes  et  refardées, 
habitant  plus  au  nord  (vers  les  contrées  qu'a  en  vue  plus  spé- 
cialement l'Associalion  internationale  africaine),  que  l'étude 
de  ces  peuplades  et  de  leurs  progrès  en  tous  genres,  comme 
aussi  des  progrès  des  Européens  et  des  missionnaires  en 
particulier  au  milieu  d'elles,  offre  un  grand  intérêt  et  se  lie 
avec  la  question  actuelle  de  l'exploration  de  ces  régions  de 
l'Afrique  centrale. 

Du  reste,  cette  station  missionnaire,  que  ses  fondateurs 
vaudois  ont  nommée  Valdesia  et  que  W.  Jaccard  présente 
dans  son  mémoire  comme  un  des  postes  avancés  de  la  civi- 
lisation cliréfienne  de  ce  côté,  n'est  déjà  plus,  à  l'heure 
actuelle,  qu'une  station  intermédiaire.  La  mission  française, 
établie  depuis  nombre  d'annéesausud  de  rAfriijue.  vient  d»' 
réaliser  cette  année  même  le  projet  conçu  dès  longtemps,  de 
fonder  une  station  chez  les  Banyaï,  parents  des  liassoulos  et 
des  Bapédis,  et  habilant  au  nord  du  Liuqiopo,  dans  une  con- 
trée où  aucun  Européen  ne  s'est  encore  établi  jusqu'ici.  Kn 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  257 

passant  à  Préloria,  capitale  de  l'ex-Élat  libre  du  Transvaal, 
M.  Coillard,  le  missionnaire  qui  est  chargé  de  cette  nouvelle 
mission,  a  reçu  les  encouragements  et  les  félicitations  des 
notables,  et  entre  autres  du  consul  belge,  M.  de  Salis,  qui 
s'est  empressé  de  reconnaître  le  lien  de  parenté  entre  l'expé- 
dition de  la  mission  de  Paris  et  l'œuvre  que  poursuit  l'Asso- 
ciation internationale. 

M.  le  professeur  Mousson,  vice-président,  donne  lecture 
d'un  résumé  de  questions  et  de  demandes  d'informations  à 
adresser  au  Comité  exécutif  de  l'Association  internationale, 
pour  être  remises  par  celui-ci  aux  membres  de  la  première 
expédition  d'exploration  et  appeler  leur  attention  sur  cer- 
tains points  dans  les  diverses  branches  des  sciences  physiques 
et  naturelles.  (Voir  ci-après  le  mémoire  de  M.  le  professeur 
Mousson.) 

M.  Lauterburg  (Berne)  et  M.  le  professeur  Desor  (Neu- 
châtel)  ajoutent  quelques  considérations  et  desiderata,  le 
premier  au  sujet  des  observations  hydrographiques  qu'il 
convient  d'encourager,  dans  le  même  sens  où  elles  ont  été 
poursuivies  activement  en  divers  États  européens  dans  ces 
dernières  années;  le  second,  en  vue  de  la  recherche  des 
blocs  erratiques  d'une  part,  et  d'autre  part  des  monuments 
funéraires,  ces  derniers  étant  un  élément  d'indications  pré- 
cieuses sur  l'origine,  l'époque  d'établissement  dans  le  pays, 
les  idées  religieuses  des  populations,  soit  actuelles,  soit  dilTé- 
rentes  de  celles  d^aujourd'hui. 

M.  Desor  insiste  encore  sur  Timportance  de  former  les 
indigènes  à  recueillir  et  emballer  convenablement  les  objets 
d'histoire  naturelle,  qui  ne  manqueront  pas  d'être  collection- 
nés nombreux  dans  ces  contrées  et  envoyés  aux  divers  mu- 
sées d'Europe.  Il  recommande  aux  explorateurs  d'employer 
ou  de  faire  employer  pour  cela  surtout  la  mousse. 

L'ordre  du  jour  étant  épuisé  et  aucune  autre  communica- 

BULLETO,   T.  XTI,   1877.  18 


258  BULLETIN. 

tion  ou  proposition  ne  se  produisant  dans  rAssemblée. 
après  les  remerciements  exprimés  par  M.  Mulliaupt  pour 
riionneur  fait  à  la  Société  de  géographie  de  Berne  par  la 
Société  nationale  suisse  africaine,  en  tenant  sa  2""=  session 
dans  cette  ville,  M.  le  Président  termine  la  séance  en  ex- 
primant toute  sa  satisfaction  de  la  réussite  de  cette  réunion, 
et  Tespoir  qu'elle  sera  le  point  de  départ  d'un  intérêt  soutenu 
pour  l'œuvre  de  l'Association  internationale  en  Suisse. 

Le  Secrétaire,  E.  de  Traz. 


REMARQUES  SUR  LE  PROGRAMME  SCIENTIFIQUE  DE  L  EXPEDI- 
TION AFRICAINE,  RECOMMANDÉES  A  l'aTTENTION  DU  CO- 
MITÉ EXÉCUTIF  PAR  LE  COMITÉ  NATIONAL  SUISSE. 

I.  Observations  météorologiques. 

1.  Il  importe,  en  première  ligne,  d'établir  des  observations 
météorologiques  re^«^//ère5,  à  deux  ou  trois  heures  fixes  du  jour, 
et  continuées  pendant  toute  Tannée.  Elles  embrasseraient: 

a)  La  pression  de  l'air,  à  l'aide  du  baromètre  à  mercure 
ou  d'anéroïdes,  pourvus  des  deux  tables  de  correction  pour 
la  pression  et  pour  la  température; 

b)  Là  température,  à  l'aide  du  thermomètre  à  mercure; 
pour  les  extrêmes  on  se  servira  de  thermomètres  métalli- 
ques ou  du  thermomètre  de  Sixt,  avec  table  de  correction  ; 

c)  L'humidité,  h  l'aide  du  psychromètre  et  de  l'hygromètre 
à  cheveu,  muni  d'échelle  proportionnelle; 

d)  Les  condensations  aqueuses,  à  l'aide  du  pluviomètre; 

e)  Le  vent,  au  moyen  d'une  girouette,  qui  en  donne  aussi 
l'intensité; 

f)  Vaspect  du  ciel  el  des  nuages  ; 

g)  Les  phénomènes  remarquables  de  la  vie  organique. 
C'est  le  programme  de  toute  station  méléoroloui  [ue  ordi- 

nrtire.  Il  ne  réclame  point  un  savant  expert;  toute  persoiine 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  2o9 

intelligente,  exacte  et  soigneuse  pourra  s'en  acquitter,  étant 
pourvue  de  bons  instruments  et  étant  bien  dressée  à  leur  em- 
ploi. 

2.  Mais,  pour  que  ces  observations  remplissent  leur  vrai 
but,  savoir  de  caractériser  le  climat  des  contrées  intérieures 
de  TAfrique,  elles  doivent  être  comparées  à  une  station  litto- 
rale, située  autant  que  possible  sous  la  même  latitude.  Ainsi  il 
serait  convenable  qu'une  station  analogue  fût  établie,  par 
exemple,  à  Zanzibar,  travaillant  sur  le  même  plan  et  avec  des 
instruments  comparés. 

3.  Le  système  d'observations  le  plus  commode  est  celui 
des  appareils  enregistreurs  autonomes,  tels  qu'ils  se  répan- 
dent toujours  plus  dans  les  observatoires  de  TEui'ope.  Mal- 
heureusement la  plupart  de  ces  appareils  sont  compliqués, 
exigeant  de  grands  soins  et  se  dérangeant  facilement,  de  fa- 
çon à  donner  alors  des  indications  fautives.  On  en  possède 
cependant  d'assez  simples  et  solides,  qui  méritent  toute  at- 
tention. Peut-être  faudra-t-il,  au  début,  renoncer  à  leur  em- 
ploi, à  moins  qu'un  expert  ne  soit  adjoint  à  la  station. 

4.  Pour  aller  plus  loin,  pour  faire  des  recherches  sur  la 
pureté  et  la  transparence  de  l'air,  sur  la  quantité  d'ozone,  sur 
le  scintillement  des  étoiles,  les  réfractions  et  les  mirages,  le 
rayonnement,  l'évaporalion,  l'électricité  atmosphérique,  le 
magnélisme  terrestre,  etc.,  il  est  absolument  besoin  d'un 
physicien  de  profession  et  d'un  ensemble  considérable  d'ap- 
pareils différents. 

11.  Collections  d'histoire  naturelle. 

1.  L'essentiel  est  de  ne  rien  négliger,  quelque  vulgaires 
ou  peu  apparents  que  paraissent  les  objets,  et  de  les  rendre 
utiles  à  la  science,  en  les  soustrayant  à  rinfluence  destructive 
des  climats  chauds,  pour  les  envoyer  en  Europe.  Il  s'agira 
alors  de  trouver  pour  chaque  sorte  d'objets  un  savant  expert 


260  BULLETIN. 

qui  se  charge  de  leur  examen,  de  leur  détermination  et  sur- 
tout de  leur  publication,  —  ce  qui  de  nos  jours  n'est  point 
difficile,  les  savanls  étant  avides  de  nouveautés. 

2.  Les  produits  utiles  à  Thomme,  soit  pour  la  culture,  soit 
comme  objets  commerciaux,  méritent  une  étude  sur  place  des 
plus  complètes,  par  rapport  à  leur  origine,  leur  développe- 
ment, leurs  localités,  leurs  habitudes,  leurs  conditions  de 
prospérité,  etc.  Nos  connaissances  à  cet  égard  ne  sont  jamais 
trop  complètes,  puisque  de  nombreuses  applications,  non  en- 
core prévues,  peuvent  en  surgir. 

3.  Une  branche  de  Thistoire  naturelle  ordinairement  né- 
gligée par  les  voyageurs,  et  qui  cependant  acquiert  une  im- 
portance toujours  plus  grande  pour  la  connaissance  de  l'état 
de  la  surface  de  notre  globe,  est  Télude  des  coquilles  terres- 
tres etfluviatiles.  La  lenteur  de  locomotion  chez  ces  animaux 
les  attache  au  sol  de  leur  patrie  ;  de  sorte  que  leur  réparti- 
lion  actuelle  répond,  plus  que  dans  d'autres  ordres  d'ani- 
maux, à  ce  qu'elle  était  à  l'origine  de  l'époque  géologique 
actuelle.  On  connaît  maintenant  en  Afrique  quatre  faunes  ma- 
lacologiques  essentiellement  différentes,  mais  on  est  encore 
dans  une  ignorance  complète  à  l'égard  des  parties  centrales 
de  ce  continent  si  compacte.  (Le  soussigné  s'olire  pour  Tétude 
et  la  publication  des  coquilles  terrestres  et  fluviatiles  que 
fournira  l'expédition.) 

4.  Nous  recommandons  également  la  pêche  des  poissons 
qui  habitent  les  divers  grands  lacs  de  l'intérieur,  lesquels 
appartiennent  à  des  bassins  hydrographiques  dilTérents. 
L'envoi  d'objets  de  ce  genre  n'est  pas  difficile,  en  les  séchant 
et  les  enveloppant  de  mousses  du  pays,  (|ui  elles-mêmes  se- 
raient intéressantes. 

IIL  Phiisique  dn  ijlohe. 
I.  En  premier  lieu,  il  me  paraît  fort  intéressant  de  fixer  le 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  261 

régime  et  les  conditions  d'existence  des  yrands  lacs  de  l'A- 
frique centrale,  dont  le  nombre  augmente  avec  le  progrès 
de  nos  connaissances.  Les  lacs  de  l'Asie  occidentale,  sans 
écoulements  superticiels,  existent  en  vertu  de  la  faiblesse  de 
leurs  afiluents  et  de  Tintensité  de  leur  évaporation;  les  lacs 
de  côtes  maritimes  se  maintiennent  par  les  transfdtrations  de 
la  mer,  ce  qui  les  rend  souvent  saumàtres;  ceux  de  la  Suisse, 
où  l'évaporation  est  moindre,  sont  placés  sur  le  pourtour  des 
hautes  chaînes,  et  doivent  leur  équilibre  moyen  surtout  à 
Tégalilé  approximative  des  eaux  qui  affluent  et  de  celles  qui 
s'écoulent.  Où  doit-on  classer  les  grands  bassins  africains  ? 
Sont-ils,  en  dimensions  colossales,  la  répétition  des  lacs 
suisses?  Sont-ils  tous  l'origine  de  quelque  grand  lleuve? 
Mais  dans  ce  cas,  d'où  proviennent  les  immenses  masses 
d'eau  qui  les  nourrissent  ? 

2.  Parmi  les  questions  géologiques,  il  convient  de  recom- 
mander surtout  la  recherche  et  l'exploitation  des  plautea  fos-- 
siles,  s'il  en  existe.  Les  travaux  de  M.  Heer  ont,  en  elTet. 
prouvé  que  nulle  autre  classe  de  débris  fossiles  ne  répandait 
plus  de  lumière  sur  Thistoire  de  notre  globe  que  les  restes 
de  végétaux  enfouis  à  diverses  époques.  Citons  à  l'appui  quel- 
ques résultats  :  1°  Tout  autour  du  pôle  on  renconire  la  méihe 
faune  tertiaire,  —  ce  qui  prouve,  conîraii'emenl  à  ce  qu'ad- 
mettent beaucoup  de  géologues,  que  depuis  cette  époque 
l'axe  terrestre  n'a  pas  changé  d'une  manière  sensible;  2°  la 
flore  tertiaire,  dans  les  régions  arctiques  et  les  moyennes, 
différait  beaucoup  moins  que  de  nos  jours,  de  sorte  que  le 
froid  du  pôle  a  été  beaucoup  moindre  que  maintenant;  3° en- 
fin sous  les  tropiques  il  y  a  presque  identité  d'espèces  entre  la 
flore  tertiaire  et  la  végétation  actuelle,  ce  qui  démontre  que 
le  climat  des  régions  équatoriales  n'a  que  peu  changé.  C'est" 
ce  dernier  point,  fondé  sur  l'exploitation  de  deux  gisements 
seulement,  qu'il  importerait  de  vérifier  sur  d'autres  local. .es 


262  BULLETIN. 

3.  Une  autre  question,  pleine  tractualilé,  serait  la  décou- 
verte de  traces  d'imcims  glaciers,  comme  on  croit  en  avoir 
reconnu  jusque  dans  les  Cordillières  de  l'Amérique  cen- 
trale. Les  caractères  les  plus  saillants  de  ce  vaste  phénomène 
de  refroidissement  sont  :  le  burinage  des  roches  solides  mi- 
ses h\iichement  à  nu  ;  la  présence  de  galets  ou  de  blocs  plus 
ou  moins  anguleux,  étrangers  à  la  contrée  où  on  les  trouve  ; 
enfin  le  manque  de  stratification  dans  certaines  collines  al- 
longées, qu'on  doit  considérer  comme  les  restes  d'anciennes 
moraines. 

4.  Si  des  traces  de  ce  genre  font  défaut,  même  dans  les 
contrées  montagneuses,  il  conviendrait  de  porter  ses  recher- 
ches sur  les  nappes  d'anciennes  alluvions,  leur  hauteur  au- 
dessus  du  sol  des  vallées,  la  nature  de  leurs  débris,  leur 
extension  par  rapport  à  la  configuration  du  ter.fain,  enfin 
leurs  points  de  départ. 

IV.  Etnde  de  Phomme. 

Les  sujets  d'étude  les  plus  instructifs  nous  paraissent  être 
les  suivants  : 

\.  Les  caractères  extérieurs  des  différents  types,  qu'on  re- 
produit le  mieux  au  moyen  de  la  photographie.  Les  données 
qu'on  possède  à  cet  égard,  même  pour  l'Afrique,  sont  déjà 
nombreuses,  car  la  plupart  des  voyageurs  se  sont  appliqués 
à  recueillir  des  portraits  d'individus  caractéristiques.  Par  ce 
motif  la  moisson  à  attendre  sur  ce  terrain  ne  sera  guère 
riche  en  résul!a's  nouveaux. 

2.  Il  n'en  est  plus  de  même  (juant  à  la  coniiaissaïue  un 
peu  complète  des  langues  et  des  idiomes,  parce  f[u'elle  échappe 
au  voyageur  de  passage  et  suppose  un  séjoui'  prolongé  dans 
le  pays.  Néanmoins,  la  nature  des  mois  et  des  formes  gram- 
malicales  qui  servent  à  l'expression  de  la  pensée  constitue 
un  des  arguments  les  plus  puissants  pour  juger,  d'une  part, 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  263 

de  rinlelligence  d'un  peuple,  de  l'autre  de  ses  affinités  avec 
d'autres  peuplades.  Les  éléments  essentiels  de  la  langue  ne 
s'effacent,  en  effet,  que  très-difficilement,  tout  en  se  modi- 
fiant de  diverses  manières, 

3.  Il  n'est  guère  probable  qu'on  découvre  dans  l'intérieur 
de  l'Afrique  d'antiques  constructions  comme  celles  de  l'A- 
mérique centrale,  qui  témoignent  d'une  ancienne  civilisation 
entièrement  disparue;  mais  il  serait  très-possible  de  ren- 
contrer, comme  dans  bien  d'autres  contrées,  de  simples 
monuments  funéraires,  datant  d'une  époque  inconnue,  et 
jouissant,  de  nos  jours  encore,  d'une  certaine  vénération  tra- 
ditionnelle de  la  part  des  peuples  qui  les  connaissent. 

4.  Un  intérêt  du  même  genre  se  lie,  du  reste,  à  tout  ce  qui 
se  rattaciie  aux  traditions  des  diverses  peuplades.  L'état  pré- 
sent d'une  nation  peut  être  considéré  comme  riiérilage  d'un 
long  passé.  Ses  mœurs,  ses  cérémonies,  ses  idées  religieuses, 
ses  légendes,  ses  clianls,  etc.,  sont  le  produit  d'un  caractère  tra- 
ditionnel et  inné  sur  lequel  ont  agi  mille  influences  diverses, 
et  permettent  à  un  esprit  judicieux  de  remonter,  du  moins 
de  quelques  degrés,  l'échelle  de  l'iiistoire  d'un  peuple  dont 
aucun  document  écrit  ne  parle. 

Nous  nous  bornons  à  ces  quelques  remarques,  en  priant 
le  Comité  exécutif  d'en  tenir  compte,  si  bon  lui  semble,  dans 
les  instructions  qu'il  donnera  aux  savants  adjoints  à  l'expédi- 
tion. 

Zurich,  15  novembre  1877. 

Alb.  Mousson,  prof. 


CoNsmÉRATiONS  de  M.  l'ingénieur  Lauterblrg 
sur  les  observations  h'jJrométriqnes  que  l'auteur  voudrait  voir  réunir 
aux  observations  météorologiqiœs- 

Les  observations  hydrométriques  proposées  ne  pourront 
naturellement  consister  d'abord  que  dans  l'établissement, 


264  BULLETIN. 

aux  endroits  où  les  circonstances  le  pei-mellront,  de  quel- 
ques stations  où  l'on  notera  journellement,  ou  au  début  seu- 
lement, une  fois  par  semaine,  Je  niveau  des  cours  d'eau  prin- 
cipaux, pour  constater  en  traits  généraux  l'influence  des 
chutes  superficielles  (Niederschlage)  sur  l'époque  et  le  vo- 
lume des  crues  de  ces  rivières. 

Par  contre,  il  faudra,  cela  va  de  soi,  réserver  pour  la  pé- 
riode du  développement  plus  complet  de  l'ensemble  des 
observations  les  recherches  plus  approfondies  destinées  à 
établir,  par  exemple,  la  corrélation  entre  les  chutes  superfi- 
cielles d'une  part,  et  d^autre  part  l'évaporation  et  le  degré  de 
saturation  ou  puissance  d'absorption  du  sol  et  de  la  végéta- 
tion, ainsi  qu'à  calculer  la  diminution  qu'amènent  ces  deux 
derniers  facteurs  dans  le  débit  total  des  cours  d'eau. 

Le  but  principal  de  la  présente  proposition  est  avant  tout 
d'attirer  l'attention  sur  les  observations  hydrométriques,  afin 
que  Ton  puisse  s'en  occuper  à  temps.  L'auteur,  en  effet,  a  pu 
se  convaincre  combien  est  regrettable,  en  Suisse,  le  manque 
de  connexion  entre  les  observations  météorologiques  pures 
et  les  observations  hydrométriques,  entreprisespalheureuse- 
ment  trop  longtemps  après  les  premières. 

Lautkbbuug,  ingénieur  à  Berne. 


[La  note  suivante  a  été  coiiuuuniquée  au  Comité  national 
suisse  africain,  pour  être  transmise  à  la  Commission  execu- 
tive de  l'Association  internationale  africaine,  à  litre  de  de- 
mande de  renseignements  à  soumettre  à  l'attention  des 
membres  des  prochaines  expéditions  projetées  dans  l'Afrique 
centrale,  au  sujet  de  certaines  plantes  médicinales  importan- 
tes, qu'ils  pourront  recueillir  dans  les  contrées  explorées 
par  eux.] 

I.  Quelle  est  la  provenance  de  VAloës.  dont  l'exportation 


NOUVELLES  GÉOGRAPHIQUES.  205 

se  fait  dans  les  porls  de  Zanzibar,  surtout  dans  la  direction 
de  Bombay,  et  qui,  pour  celle  raison,  se  nomme  »  Aloës  de 
Zanzibar  »  dans  le  commerce.  Ce  produit  vient-il  exclusive- 
ment de  l'île  de  Soccolora  (par  l'entremise  de  négociants 
arabes),  ou  bien  serait-il  obtenu  également  dans  des  con- 
trées continentales  voisines  de  la  côte  deZanguebar  ?  Dans  ce 
dernier  cas,  il  serait  désirable  d'avoir  des  échantillons  au- 
thentiques de  ce  produit,  et  en  même  temps  de  connaître  les 
espèces  du  genre  «  Aloë  »  qui  le  fournissent. 

II.  Une  espèce  encore  inconnue  du  genre  Amoinum  ou 
d'un  autre  genre  voisin  (famille  des  Scitaminées)  fournit  un 
fruit  analogue  aux  cardamomes  des  Indes  orientales,  usités 
en  pharmacie.  Le  dit  fruit  est  connu  sous  les  noms  de  «  Ko- 
rarima  »  et  «  Guragi  »  dans  les  contrées  des  Gallas ,  des 
Wagonda,  et  d'autres  peuplades  indigènes  de  l'Afrique 
orientale,  qui  en  font  grand  cas  pour  divers  usages.  On  dé- 
sirerait connaître  la  plante  qui  produit  ces  fruits,  c'est-à-dire 
en  recevoir  quehiues  exemplaires  bien  conservés,  et  surtout 
contenant  feuilles,  (leurs  et  fruits,  de  manière  à  pouvoir 
être  déterminés  par  les  botanistes.  De  plus,  il  serait  désirable 
de  savoir  si  la  plante  en  question,  ainsi  que  son  fruit  (qui 
est  d'un  intérêt  historique  en  pharmacologie),  est  localisée 
dans  quelques  districts  de  l'est  de  l'Afrique  ou  répandue  plu- 
tôt dans  des  régions  plus  étendues,  surtout  dans  le  pays  enli-e 
les  grands  lacs  de  l'intérieur  et  la  côte  de  Zanguebar  ? 

III.  On  désirerait  d'être  fixé  sur  la  question,  si  la  racine  de 
Colombo,  employée  dans  la  médecine  européenne  et  très- 
eslimée  aussi  par  les  peuples  de  Test  de  l'Afrique,  qui  l'ap- 
pellent «  Kalumb,  »  est  seulement  produite,  comme  on  le 
croit,  par  les  contrées  littorales  de  l'Afrique  situées  vis-à-vis 
de  Tîle  de  Madagascar,  c'est-à-dire  par  les  pays  de  Mozam- 
bique et  des  embouchures  du  Zambèze  ;  ou  bien  si,  par 
contre,  la  plante  Menispermum  palmutuin,  Lamarck  {Cocculus 


266  BULLETIN. 

palmat.  De  Gand.),  croît  pareillement  dans  les  districts  de 
Tintérieur,  situés  h  l'Ouest  des  côtes  de  Zanguebar  et  de  Mo- 
zambique? c'est-à-dire,  si  la  racine  y  est  récoltée  et  entre 
dans  le  commerce?  En  cas  alfirmatif,  des  racines  soigneuse- 
ment sécliées,  ainsi  que  les  feuilles,  fleurs  et  fiuits  de  la 
plante,  séchés  avec  précaution,  seraient  de  grand  intérêt. 

IV.  Il  est  à  désirer  que  les  membres  de  l'expédition  afri- 
caine prennent  note  de  produits  végétaux  (parties  de  plantes 
ou  extraits,  sucs,  gommes,  résines,  etc.)  qui  jouent  un  rôle 
important  dans  la  médecine  indigène  des  peuples  afri- 
cains, et  qui  pourraient  être  plus  ou  moins  facilement  ex- 
portés en  Europe  pour  y  faire  des  essais  thérapeutiques  et 
physiologiques.  Des  échantillons  des  produits  mêmes,  ainsi 
que  de  bons  exemplaires  séchés  des  plantes  qui  les  four- 
nissent, ou  mieux  encore  des  plantes  fraîches  conservées 
dans  un  liquide  quelconque,  devraient  être  envoyés  en  Eu- 
rope pour  une  étude  approfondie. 

Des  échantillons  authentiques  des  poisons  violents  que  les 
Africains  employent,  soit  pour  les  flèclies  empoisonnées,  soit 
dans  Texamen  et  le  jugement  des  criminels  (analogues  à 
VUpds  tienté  des  Indes  ou  aux  fruits  du  Pliijsostiyma,  fèves 
de  Calabar  de  TAfi-ique  occidenlale,  etc.),  seraient  d'une  va- 
leur scienlillque  particulière,  et  devraient  être  tout  spéciale- 
lement  recommandés  à  Pattenlion  de  l'expédition. 

V.  Le  soussigné  sera  heureux  de  recevoir  des  envois  ou 
des  correspondances  en  rapport  avec  les  vœux  émis  ci-dessus, 
et  ne  manquera  pas  de  les  communiiiuer  en  même  temps  à 
des  autorités  en  médecine  et  pharmacologie,  alîn  d'en  faire 
le  meilleur  usage  possible  pour  la  science  et  la  pratique. 

Edouaud  Scu.er,  pluinnack'H, 

Prof,  de  pharmacognosie  au  Polytecbnicum  de  Zurich. 


NOUVELLKS  GÉOGRAPHIQUES.  267 


Nous  ne  voulons  pas  terminer  ce  compte  rendu  de  la  S"* 
session  de  la  Société  nationale  suisse  africaine  sans  faire 
mention  de  deux  oijjets  se  rapportant  plus  particulièrement  à 
la  cartographie  et  à  la  géographie  :  L'exposition  du  Bureau 
fédéral  topographique,  et  la  séance  de  la  Société  de  géogra- 
phie de  Berne,  nouvellement  reconstituée. 

Cette  dernière  séance,  offerte  aux  membres  du  Comité  na- 
tional et  de  la  Société  de  géographie  de  Genève,  la  veille  au 
soir  du  jour  ofllciel  de  la  réunion  du  Comité,  a  été  remplie 
d'une  manière  très-intéressante,  par  une  esquisse  de  M.  le 
professeur  Leuzinger  sur  les  résultats  acquis  par  les  récentes 
découvertes  des  derniers  voyageurs  dans  l\\frique  centrale, 
surtout  sur  la  position  des  grands  lacs  et  le  régime  de  leurs 
affluents  qui  représentent  le  plus  grand  et  peut-être  le  plus 
beau  réseau  de  navigation  intérieure;  et  par  une  communi- 
cation de  M.  le  professeur  Studer,  un  des  vice-présidents  du 
Comité  national  suisse  africain,  souvenir  de  ses  éludes  de 
zoologie  sur  les  rives  de  l'embouchure  du  Congo,  et  détails 
géographiques  pleins  de  vie  donnés  par  la  bouche  raéme  de 
ce  savant  observateur,  sur  cette  station  importante  dans  ses 
rapports  avec  l'Afrique  centrale. 

L'exposition  cartographique  du  Bureau  d'État-major  fédé- 
ral, sous  la  direction  de  M.  le  colonel  Siegfried,  présentait 
aux  regards  et  à  l'étude,  non-seulement  les  cartes  couron- 
nées dans  bien  des  expositions  et  connues  des  amateurs,  mais 
aussi,  et  particulièrement  aux  visiteurs  auxquels  elle  s'adres- 
sait alors  à  Berne,  une  quantité  d'éléments  peu  connus  qui 
les  ont  beaucoup  intéressés.  Ils  pouvaient  suivre  tous  les  dé- 
tails inconnus  de  la  carte,  depuis  la  feuille  minute,  produit 


268  BULLETLN. 

du  relevé  des  opérations  de  géodésie  et  d'arpentage,  jusqu'à 
la  feuille  modèle,  c'est-à-dire  jusqu'au  complet  achèvement 
du  dessin  qui,  après  approbation,  est  donné  comme  modèle 
aux  graveurs.  On  ne  sait  vraiment  ce  que  Ton  doit  admirer 
le  plus,  de  ce  dessin  au  crayon  ou  à  la  plume  d'une  si  admi- 
rable précision  et  d'un  tel  fini,  ou  de  la  patience  et  de  Tbabilelé 
de  celui  qui  aura  à  le  reporter  sans  le  moindre  changement 
sur  la  plaque  de  cuivre. 

Des  cartes  de  sondages  de  divers  lacs  de  la  Suisse,  don- 
nant le  reUef  de  leurs  fonds,  servaient  de  témoignage  de 
l'intérêt  scientifique  que  présentent  ces  nouvelles  éludes, 
mais  aussi  de  l'extrême  difficulté  et  de  la  longueur  du  travail 
qu'elles  exigent. 

Des  reliefs  de  différentes  localités,  et  entre  autres  du 
St-Gothard,  représentaient  de  beaux  spécimens  de  la  perfec- 
tion apportée  et  du  progrès  acquis  depuis  quelques  années, 
depuis  M.  Bardin  surtout,  dans  ce  mode  de  représentation, 
auquel  une  grande  importance  doit  être  accordée  aujour- 
d'hui, grâce  à  la  reproduction  photographique. 

Sous  ces  divers  points  de  vue,  sans  parler  même  de  la 
collection  des  cartes  anciennes  de  la  Suisse  ainsi  (jue  de  di- 
verses plaiiclie.s  de  travaux  spéciaux  et  de  détail,  cette  expo- 
sition a  excité  un  grand  intérêt  chez  les  visilanls,  et  leur  a 
laissé  un  souvenir  de  sincère  reconnaissance  pour  le  chef 
distingué  du  Bureau  topographique,  qui  a  bien  voulu  en 
prendre  l'inilialive. 


OUVRAGES  REÇUS 


PÉRIODIQUES   ET    PUBLICATIONS   DE    SOCIÉTÉS. 

Petermann,  D"-.  iMittheilungen.  1877,  n'^^  10,  11,  12. 

Société  de  Géographie  de  Vienne.  Mittheiliingen,  1877,  t.  X, 
n"^  8  et  9. 

Société  de  Géograpliie  de  Berlin.  Zeitsclirift,  1877,  n"  5. 
Verhandliingen,  1877,  n"'  5,  0  et  7. 

Société  de  Géographie  de  Paris.  Bulletin,  1877,  août, 
septemi3re  et  octobre.. 

Société  géograpliiqiie  de  S*-Pétersbourg.  Mémoires,  t.  XIII. 
1877. 

Société  de  Géographie  de  Marseille.  Bulletin,  n"'"  9  et  10. 

Société  de  Géographie  italienne.  Bulletin,  1877,  n"'  8,  9, 
10,  11. 

Société  de  Géographie  de  Madrid.  T.  II,  n°  3.  T.  111,  n"^  2,  3. 

Club  Alpin  de  Genève.  Echo  des  Alpes,  1877,  n»  3. 

Institut  Vénitien.  Actes.  T.  III,  n°'  4,  5,  6,  7. 

Cosmos  de  Guido  Cora.  T,  IV,  n"  6. 

Société  de  Géographie  d'Amsterdam.  Tijdschrift,  1877. 
T.  III,  no  1. 

BijBlad,n''2.  Sumatra  Expeditie,n»4.  DeReis  derPandora. 

Geological  and  Geographical  Survey  of  the  Territories. 
Bulletin,  1877,  n"  1,  2,  3. 

L'Exploration,  1877.  Livraisons  37-52. 


270  BULLt:TIN. 

Revue  Savoisienne,  1877.  Septembre,  octobre  et  novembre. 
Société  Vaudoise  des  Sciences  naturelles,  n°  78. 
Revue  maritime  et  coloniale,   1877,  juillet,  septembre, 
octobre,  novembre. 
Société  Belge  de  Géograpbie.  Bulletin,  1877,  n"'  4,  5. 
Journal  Asiatique,  1877,  t.  IX^  avili,  mai,  juin,  juillet. 
Société  de  Géograpbie  d'Anvers.  Bulletin.  ï.  1,  n"  3. 
Société  de  Géograpbie  de  Halle  a/S.  Miltbeilungen,  1877. 
L'Extrême  Orient,  1877.  l''^  livraison. 
Meteorological  Society.  Quartei"ly  Journal.  Juillet. 
Société  d'etbnograpbie.  Session  1877. 

Don  de  M.  Elisée  Reclus. 

Géograpbie  Universelle.  Livraisons  141-150. 

J.-C.  Ducomraun.  Une  excursion  au  Mont-Blanc.  Avec 
3  planches.  Brocb.  Genève,  1839  (Don  de  M.  Kûndig). 

L.-N.-B.  Wyse.  Rapport  sur  les  Etudes  de  la  Commission 
Internationale  d'exploration  de  l'istbme  du  Darien.  In-quarto. 
Paris,  1877  (Don  du  Comité  de  Direction). 

Paul  Soleillet.  L'Afrique  occidentale.  Algérie ,  Mzab, 
Tidikelt.  1  vol.  Paris,  1877  (Don  de  l'auteur). 

Don  du  Smithsonian  Institution. 
F.-V.  Hayden.  Catalogue  of  tbe  publications  of  ibe  U.  S. 
Geological  and  Geograpbical  Survey  of  the  Territories.  Se- 
cond Edition,  revised  to  December  31.  187(5,  Washington, 
1877. 

Bulletin  of  the  U.  S.  Enlomological  Commission.  Destruc- 
tion of  the  young  or  unfledged  locusts.  N°  1,  brocli. Was- 
hington 1877.  N^  2.  On  tbe  natural  history  of  tbe  rocky 
mountain  iocust,  and  on  tbe  babits  of  tbe  young  or  unlled- 
ged  insects  as  tbey  occur  in  tbe  more  feitile  counlry  in 
which  tbey  will  batcli  Ibo  présent  yeai-.  Brorb.  Wasbingion^ 
1877. 


0 
OUVRAGES  REÇUS.  271 

F.-V.  Hayden.  Preliminary  Report  of  tlie  U.  S.  Geological 
Survey  of  Wyoming-  and  portions  of  contiguous  territories. 
1  vol.  Wasliington,  1871. 

F.-V,  Hayden.  Exploration  luade  under  tlie  direction  of 
prof.  F.-V.  Hayden  in  1876. 

Washington  iMatthews.  Etlmography  and  philology  of  Ihe 
Hidatsa  Indians.  1  vol.  Washington,  1877. 

F.-B.  Meek.  Report  on  Ihe  invertebrate  cretaceous  and 
tertiary  fossils  of  the  upper  Missouri  country.  1  vol.  Was- 
hington, 1877. 

Emil  Bessels.  Scientific  Results  of  the  U.  S.  Arctic  Expédi- 
tion. —  Steamer  Polaris.G.-F.Hallcommanding.  Vol.  1.  Phy- 
sical  Observations.  1  vol.  Washington,  1877. 

Don  de  la  Société  de  Géographie  de  New-Yoï-k. 

Transactions  of  the  American  Geographical  Society  of  New- 
York,  vol.  5.  1  vol.  New-York,  1874.  ' 

Journal  of  the  American  Geographical  Society  of  New- 
York,  1874,  vol.  6.  1  vol.  New-York,  1876. 

Don  de  M.  le  D'"  H.  Lombard. 

D''  H.  Lombard.  Traité  de  Climatologie  médicale,  compre- 
nant la  météorologie  médicale  et  l'élude  des  influences  phy- 
siologiques, pathologiques,  prophylactiques  et  thérapeutiques 
du  climat  sur  la  santé.  T.  I  et  II.  Genève,  1877. 

Don  de  M.  W.  Huljer. 

Statistique  de  la  France.  Nouvelle  série.  —  Statistique  an- 
nuelle. T.  II.  1872.  1  vol.  4°.  Paris  1875.  —  T.  III.  1873.  i 
vol.  8».  Paris  1876. 

Statistique  internationale  de  l'agriculture,  |î'édigée  et  pu- 
bliée par  le  service  de  la  statistique  générale  de  France. 
1  vol.  Nancv  1876. 


272  bulletin. 

Cartes. 
Don  de  M.  G.-E.  Emery. 

Georges-E.  Emery.  Map  of  the  North  Sea  and  Lands  as 
known  in  popular  Geography,  1877,  with  an  original  identi- 
fication of  the  Frisland,  Islandia,  Crolandia,  S*-Tliomas,  Po- 
danda  and  Duilo  of  the  Zeni  map  and  Voyages,  1380. 

Map  of  the  Nortli  Sea  and  Lands  delineated  upon  a  Chart 
in  the  14th  century  hy  Antonio  Zeni  and  as  printed  at  Venice 
in  1558  toaccompany  the  narratives  of  the  norlliern  Voyages 
of  tlie  brothei's  Nicolo  and  Antonio  Zeno  to  Iceland,  Green- 
land,  Spitzhergen,  Franz-Joseph  Land,  etc.  1380  and  afler. 

Body  of  the  Zeni  map  of  the  North  Sea  and  Lands,  1380, 
exhihiting  an  original  identification  of  Frisland,  Islandia, 
Crolandia,  Podanda,  Monaco,  Icaria,  Neome,  Grislada,  and 
the  seven  Islands  (Mimant,  etc.);  also  the  Islands  of  the  Zeni 
nari'ative  and  the  Lost  Colonv  of  East  Greenland. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS   LE    GLOBE,  TOME  XVI,    1877. 


MEmOIRES 

Pages 

L'OCÉAN  ATLANTIQUE,  par  M.  W.  Rosier,  prof,  {suite 
et  fin) 5,  79 

L'EXPLORATION  ET  LA  CIVILISATION  DE  L'AFRI- 
QUE CENTRALE,  par  M.  L.-H.  de  Laharpe 35 

LE    PAYS    D'UZ    ET    LE    COUVENT    DE    JOB,    par 

M.  Alex.  Lombard 61 

PLAINES  ET  DÉSERTS  DES  DEUX  CONTINENTS,  par 

M.  Frank  de  Morsier 143 


BUIiliETI^f 

Extrait  des  Procès-Verbaux  des  Séances  de  la  Société.  .  .  .  3,  75 

Mélanges  et  Nouvelles. 

Conférence  de  Bruxelles,  septembre  1876,  en  vue  de  l'explo- 
ration et  de  la  civilisation  de  l'Afrique  centrale  (M.  Faure)       38 

Lithologie  du  fond  des  mers,  par  M.  le  prof.  Delesse  (M.  de 

Beaumont) 141 

Les  volcans  des  îles  Sandwich  (M.  de  Laharpe) 155 

Le  théâtre  des  dernières  explorations  anglaises  vers  le  pôle  ; 

lettre  du  D'  Petermann  (M.  Lecoultre) 227 

BULLETIN,  T.   XVI,   1877.  19 


274  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Correspondance. 

Pages 

Lettres  de  M.  V.  Largeau  à  M.  le  Président  de  la  Société.  — 

17  avril  1877 128 

26  mai  1877 205 


Bibliographie. 

Notices  bibliographiques  (Divers) 135 

Notice  sur  l'exposition  cartographique  à  Berne  (M.  de  Beau- 
mont)    267 

Ouvrages  reçus 67,  149,  220,  269 


Association  internationale  africaine. 

Fondation  du  Comité  national  'suisse  de  l'Association  interna- 
tionale africaine,  Genève,  avril  1877 123 

Conférence  de  Bruxelles,  juin  1877 145 

Rapport  sur  la  session  de  la  Commission  internationale  de  juin 

1877,  à  Bruxelles,  par  M.  G.  Moynier,  délégué 183 

Seconde  séance  du  Comité  suisse,  Berne,  novembre  1877  .  .  243 

Note  remise  par  M-  le  professeur  Mousson 258 

Note  remise  par  M.  l'ingénieur  Lauterburg 263 

Note  remise  par  M.  le  professeur  Schser 264 


LE  GLOBE 

JOURNAL  GÉOGRAPHKJUE 
ORGANE 

DE   LA 

SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE  OE  GENÈVE 

POUR  SES 

MÉMOIRES  &  BULLETIN 


TOME  DIX-SEPTIEME 


Troisième    Série. —  Tome   I, 

1878 


GENEVE 

LIBRAIRIE      DESROGIS 

J.   SANDO/,   SUCCKSSEUR 

PARIS 

LIBRAIRIE   SANDOZ   ET   FISCHBACHER 
33,  rue  de  Seiue,  33 


NEUCHATEL.   —  IMPRIMERIE   DE  JAMES  ATTINGER. 


MÉMOIRES 


PLAINES  «&  DESERTS 

DES 

DEUX    CONTINGENTS 


PREMIÈRE  PARTIE 

(ARABIE.  —  Suite.) 

Quel  rapport  peut  avoir  ce  fruit  délicieux  du  désert 
avec  le  caractère  de  ses  habitants?  On  connaît  la  fru- 
galité des  Arabes,  leur  indifférence  dédaigneuse  pour 
les  conforts  de  la  vie  et  pour  la  richesse;  le  caractère 
arabe  est  resté  primitif.  Ce  peuple  est  le  peuple  libre 
et  énergique  par  excellence;  la  vie  contemplative  au 
désert  lui  a  imprimé  des  traits  où  se  lisent  l'enthou- 
siasme et  la  poésie;  «celte  vie,  dit  M.  Aug.  Glardon, 
l'a  endurci  aux  fatigues  et  trempé  pour  la  lutte  et  les 
combats.  Les  Arabes  sont  passionnés  d'indépendance, 
et  pour  la  conquérir  et  la  conserver,  leur  esprit  cheva- 
leresque affronte  et  méprise  la  mort.»  Ce  peuple  vrai- 
ment noble  semble  fait  pour  dominer,  et  son  fidèle 
ami,  le  cheval,  semble  fait  pour  s'associer  à  son  hé- 
roïsme. —  Le  cheval  arabe,  dit  la  Sainte  Ecriture  (JubJ, 
a  un  hennissement  éclatant  comme  le  tonnerre,  il  bon- 
dit comme  la  sauterelle,  il  creuse  la  terre  de  son  pied, 
s'égaie  en   sa  force   et  affronte  l'homme  armé;  il  ne 


i  PLAINES    ET    DÉSERTS 

s'épouvante  de  rien,  ne  se  détourne  point  devant  la 
hune  effîlée,  devant  le  sifflement  des  flèches,  ni  devant 
le  fer  élincelant  de  la  lance;  il  s'enivre  du  son  de  la 
trompette. —  On  comprend  le  prix  que  met  l'Arabe  à  la 
possession  d'un  tel  cheval.  Si  cet  animal  ne  connaît 
pas  la  crainte,  l'Arabe,  pour  l'amour  de  lui,  saura 
prendre  la  fuite  devant  une  attaque  régulière.  Il  vou- 
dra sauver  son  coursier  à  tout  prix. 

Une  jument  de  noble  race  est  souvent  la  propriété 
commune  de  deux  ou  trois  familles.  «  Malheur,  chez 
nous,  dit  M.  de  Moltke,  au  cheval  qui  aurait  quatre 
maîtres;  chez  l'Arabe,  au  contraire,  il  n'en  est  que 
mieux  traité  et  choyé.» 

«  Chez  les  peuples  nomades  et  pasteurs,  dit  le  géné- 
ral Oaumas,  peuples  qui  rayonnent  sur  de  vastes  pâtu- 
rages et  dont  la  population  n'est  pas  en  rapport  avec 
l'étendue  de  leur  territoire,  le  cheval  est  un  trésor  et 
une  nécessité.»  Avec  son  cheval,  l'Arabe,  le  Turcoman, 
le  Kirghise  ou  le  Mongol  commerce,  voyage,  surveille 
ses  nombreux  troupeaux,  fait  la  guerre  et  s'adonne  au 
pillage  et  à  la  chasse.  L'espace  n'est  plus  rien  pour  lui  ; 
de  là  l'élève  du  cheval  et  le  perfectionnement  de  sa 
race. 

Pour  obtenir  des  renseignements  authentiques  sur 
l'élève  du  cheval  arabe  pur  sang,  dont  la  généalogie 
est  soigneusement  conservée,  le  sang  entretenu  sans 
mélange,  et  qui  forme  un  objet  important  d'exporta- 
tion, nous  passerons  en  Mésopotamie,  où  nous  retrou- 
verons, avec  l'Arabe,  le  chameau  et  le  noble  cheval. 
Nous  pourrons  nous  associer  pour  la  route  avec  une 
caravane  de  Bagdad  de  retour  d'Alop,  où  elle  a  conduit 
(les  indigo,  café,  épiées,  tapis, perles,  dattes,  gomme, 
chevaux,  chameaux,   etc.;  nous    |)()urrions  aussi    l'aire 


DES    DEUX    CONTINENTS  5 

roule  avec  une  de  ces  innombrables  hordes  de  pèle- 
rins revenant  de  la  Mecque  où  nous  avons  conduit  le 
lecteur.  On  pourrait  représenter  l'Arabie  comme  le 
trait  d'union  géographique  qui  relie  le  Sahara,  y  com- 
pris les  déserts  lybique  et  nubien,  avec  ceux  de  la  Syrie 
et  de  la  Mésopotamie;  transition  parfois  insensible  de 
l'un  à  l'autre,  y  reproduisant  les  alternatives,  ici  de 
sables  mous  et  de  sables  durcis,  là  de  grès  rouges  en 
décomposition  avec  scories  noires  par  places  et  par 
suroxydation  du  l'er,  ailleurs  de  granit  égyptien,  enfin 
plus  rarement  de  calcaire  (Aug.  Wallin);  soulevés  à 
des  hauteurs  variables  au-dessus  de  la  mer,  ne  dépas- 
sant pas,  à  ce  qu'il  semble,  mille  mètres  en  maximum, 
et  recelant  aussi  des  fleuves  morts  (Palgrave);  théâtre, 
comme  le  Sahara,  d'expéditions  de  pillage  entre  tribus 
parfois  de  même  race  ou  de  race  très  rapprochée,  tel- 
les que  celles  des  Arabes  et  des  Bédouins;  enfin  centre 
d'où  et  vers  lequel  rayonnent  les  étapes  des  caravanes, 
centre  qui  fait  de  l'Arabie  un  lieu  permanent  de  con- 
cours pour  tout  ce  qui  relève  de  la  religion  de  Maho- 
met; ensorte  que  si,  comme  le  dit  M.  Onésime  Reclus 
(Terre  à  vol  d'oiseau,  I,  p.  479),  «  l'Arabie  est  isolée  du 
reste  du  monde  par  ses  plateaux  rocheux  et  sa  ceinture 
de  déserts,  si  elle  reproduit  une  Afrique  en  Asie,  »  le 
mouvement  religieux  occasionné  par  ses  pèlerins  la 
tire  de  cet  isolement,  et  elle  se  rattache  par  le  com- 
merce au  reste  de  l'immanité  civilisée. 

En  effet,  placée  entre  l'Asie  à  laquelle  elle  appartient 
géographiquement,  et  l'Afrique  septentrionale  dont  elle 
offre  les  principaux  caractères,  l'Arabie  forme  la  tran- 
sition entre  ces  deux  portions  de  l'ancien  continent; 
sans  rivières  dignes  de  ce  nom,  elle  doit  à  cette  confi- 
guration exceptionnelle  la  vie  nomade  et  aventureuse 


6  PLAINES    ET    DÉSERTS 

de  sus  habilanls,  leur  besoin  d'échange  et  de  com- 
merce. Aussi  on  relrouve  aujourd'hui  l'Arabe  partout, 
depuis  le  Maroc  el  l'Atlas  jusqu'au  mur  de  la  Chine,  de- 
puis les  bords  du  Nil  et  du  Niger  jusqu'à  Zanzibar  au 
sud,  jus(iu'à  l'Indus  et  l'Oxus  au  nord.  L'Arabie,  sillon- 
née de  massifs,  divers  de  hauteur  el  d'exposition,  ollre 
avec  de  grandes  difficultés  pour  son  étude,  une  cer- 
taine variété  dans  ses  produits  et  les  articles  de  son 
commerce,  tels  que  l'encens,  le  baume  de  la  Mecque 
et  ses  dalles,  le  café  exquis  de  Moka,  la  pêche  des  per- 
les sur  les  côtes  du  golfe  Persique,  enfin,  dans  le  Ned- 
jed,  l'élève  du  chameau  eldu  cheval  le  plus  renoumié. 

L'arabe  est  la  langue  sacrée  des  Musulmans;  Maho- 
met écrivit  le  Coran  en  arabe.  Grâce  à  ce  livre,  la  lan- 
gue du  prophète  est  très  répandue  en  Turquie,  en 
Asie,  dans  la  Perse,  l'Inde  et  la  Tartarie,  en  Afrique 
dans  la  Barbarie,  le  Maroc,  l'Abjssinie,  la  Cafrerie,  etc. 

Cent  à  cent  cinquante  mille  pèlerins  traversent  an- 
nuellement l'Arabie  pour  se  rendre  à  la  Mecque  el  à 
Médine;  tous  les  ans  ses  villes  se  peuplent  subilemenl 
de  ces  nombreux  étrangers.  Le  mélange  des  races  n'en 
sera-l-il  pas  le  résultat  ? 

Nous  voudrions  voir  plus  clair  dans  la  destinée  des 
peuples  que  représentent  les  dénominations  de  Sarra- 
sins, Maures,  Berbères,  Bédouins  el  Arabes  propre- 
ment dits  *.  «  Ces  peuples,  dit  M.  de  Moltke,  comman- 


'  1»  J'emploie  le  terme  Bédouin  pour  exprimer  le  earaclère  va^^aboml 
des  tribus  vouées  à  la  vie  nomade  et  pastorale,  réservant  plus  spécialement 
et  par  opposition  le  nom  général  A' Arabe  pour  celles  ijui  mènent  une  vie 
agricole  et  sédentaire. 

2"  Semblablemcnt,  d'après  le  D"^  Barth,  chez  les  Touaregs  la  particule 
Aei,  i)récédant  le  nom  de  la  tribu  berbère,  désigne  celles  qui  sont  séden- 
taires par  opposition  à  celles  qui  sont  errantes  :  Kel-oti'i.  Krl-ijf'rcss. 

3°  M.  le  professeur  Langlés,  dans  une  note  de  sa  traduction  du  voyage  de 
G.  Forster  (du  Bengale  à  travers  la  Russie),  discute  et  repousse  l'explication 
de  cet  auteur  relative  au  nom  S(irrasi)i.  Forster  le  dérive  de  Ssakhnrah 
(Sahara)  dans  le  sens  général  d'li(thila)ils  des  plaines  arides.   M.  I.auglës 


DES    DEUX    CONTINENTS  7 

daienl  une  fois  tlcpuis  l'Himalaya  jusqu'aux  Pyrénées 
el  depuis  l'Indus  jusqu'à  la  nier  Allanlique,  et  leur  lan- 
gage commun  encore  aujourd'hui  en  fail  foi.  Aucun 
peuple  peut-être  autant  que  l'Arabe  n'a  conservé  aussi 
intacts  ses  mœurs,  ses  coutumes  et  sa  langue  au  milieu 
des  péripéties  les  plus  diverses;  comme  pasteurs  et 
comme  chasseurs,  ces  nomades  continuent  toujours  à 
parcourir  leurs  solitudes  ignorées.  Le  Bédouin  y  mène 
encore  aujourd'hui,  comme  ses  pères,  la  vie  de  priva- 
tions, de  misère  et  d'indépendance:  il  erre  encore  au- 
jourd'hui sur  sa  steppe  el  il  abreuve  ses  troupeaux  aux 
mêmes  puits  qu'au  temps  de  Moïse  el  de  Mahomet.» 
(Moltke,  p.  241  de  l'édition  allemande.) 

rs'ous  l'avons  dit  :  Parler  de  l'Arabie,  c'est  continuer 
le  Sahara  et  l'étendre  en  imagination  jusqu'à  la  Syrie, 
où  nous  entrerons  bientôt. 

«  Les  conditions  du  sol,  dit  Jomard  (Etudes  sur  r Ara- 
bie, p.  166),  celles  de  température  et  de  constitution 
physique  du  pays,  ont  dû  avoir  une  grande  influence 
sur  les  indigènes  de  l'Afrique  égyptienne  et  sur  leurs 
habitudes.  Si  on  considère  l'ensemble  de  la  région  tro- 
picale à  l'ouest  du  golfe  Persique,  on  sera  frappé  de 
l'analogie  existant  entre  les  contrées  qui  forment  ce 
grand  espace;  cette  zone,  à  prendre  du  10'^  au  30^  pa- 
rallèle nord,  est  presque  homogène  et  n'est  interrom- 
pue que  par  la  mer  Rouge  et  par  la  vallée  du  Nil;  ce 
sont,  à  deux  exceptions  près,  ou  des  montagnes  plus 
ou  moins  stériles,  ou  de  purs  déserts  qui  en  occupent 
la  surface.  En  Asie,  ce  sont  les  rochers  sablonneux 
d'Ahqâf.  En  Afrique  ce  sont,  d'un  côté  les   rochers  ari- 

le  tire  de  Charâr/yn  (pluriel  de  CItarrjij)  qui  signifie  Oriental,  nom  par 
lequel  les  Musulmans  barbaresques,  arabes  et  syriens  se  distinguent  de 
leurs  frères  d'Espagne,  du  Midi  de  la  France  et  du  Maroc,  qu'ils  appellent 
Moghréby  ou  Mar/hrébij,  et  qui  signifie  Occidental. 


8  PLAINES    ET    DÉSEriTS 

des  qui  séparent  le  Nil  de  la  mer  Rouge,  de  l'autre  les 

sables  du  Sahara La  fertilité  du  Nil  a  dû  y  attirer  de 

tout  temps  le  commerce  et  des  établissements  séden- 
taires   Le  chameau  d'Asie  trouve  à  l'occident  de  la 

mer  Rouge  le  même  terrain  qu'il  est  habitué  à  fouler  à 
l'orient.  » 

Celte  analogie  de  climats,  qui,  jusqu'à  un  certain 
point  peut-être,  suppose  une  homogénéité  de  races, 
nous  suggère  une  distinction  nécessaire  quand  il  s'agit 
d'un  pays  tel  que  l'Arabie;  à  plusieurs  égards,  en  effet, 
et  surtout  pour  ce  qui  concerne  ses  habitants  noma- 
des, ce  sont  bien  plutôt,  semble-t-il,  les  rapports  gé- 
néalogiques de  familles  et  de  tribus  que  les  dénomina- 
tions des  districts  qu'elles  occupent,  qui  importent  à  la 
division  géographique  du  pays  et  qui  doivent  en  ré- 
gler l'étude. 

Cependant  cette  étude,  dès  que  l'on  veut  définir  la 
constitution  géographique  du  pays,  est  difficile,  et 
nous  n'en  présentons  ici  une  ébauche  qu'avec  une  ex- 
trême défiance. 

Burckhardt  (trad.  d'Eyriès,  II,  p.  ii-),  retrace  le  relief 
de  l'Arabie  en  tirant  une  ligne  qu'il  prolonge  du  mont 
Liban,  du  N.  au  S.,  ou  plutôt,  dit  Palgrave,  du  IN.-N.-O. 
au  S.-S.-E.,  et  du  29"  au  2/i-o  lat.  N.  Le  prolongement 
du  Liban,  forme,  dit  le  premier,  une  chaîne  qui  tra- 
verse l'Arabie  à  peu  près  dans  la  même  direction, 
laissant  à  l'orient  la  mer  Morte,  passant  par  Akaba  au 
nord  jusqu'au  Yémen  au  sud,  tantôt  longeant  la  mer 
Rouge  ou  golfe  Arabique,  tantôt  laissant  entre  la  mon- 
tagne et  cette  mer  une  plaine  que  Burckhardt  nomme 
Te/iama,  terme  général  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  un  district  particulier  du  même  nom,  qu'on  trouve 
plus  au  sud.  La  |)enle  orientale  de  cette  chaîne,  tout  le 


DES    DEUX    CONTINENTS  9 

long  du  Jourdain,  de  la  mer  Morte  el  de  la  vallée  d'A- 
raba  jusqu'à  Akaba.eslbeaucoup  moins  prononcée  que 
sa  pente  ouest;  par  conséquent  la  plaine  d'Arabie,  qui 
commence  à  l'est  de  ces  montagnes,  est  très  élevée  au- 
dessus  de  la  mer.  Quand  on  y  monte  de  l'ouest,  on  a 
en  vue  de  très  hautes  crêtes,  en  particulier  lorsqu'un 
débouche  sur  la  plaine  à  l'est  de  Médine.  Ces  crêtes, 
laissées  à  gauche,  ne  paraissent  plus  que  des  collines 
et  leur  altitude  au-dessus  de  la  plaine  de  l'est  n'atteint 
qu'au  tiers  de  celle  qu'elles  ont  de  l'autre  coté.  — 
Quand  on  creuse,  dit  Palgrave,  un  nouveau  puits  dans 
le  Nedjed,  l'eau  des  puits  situés  à  l'ouest  diminue 
d'autant;  c'est  l'indice  d'une  nappe  d'eau  souterraine 
el  la  preuve  que  la  péninsule  arabique  s'abaisse  vers 
la  mer  Rouge.  —  Les  habitants  du  Tehama  sont,  pa- 
raît-il, pauvres  comme  leur  territoire;  il  n'y  pleut  par- 
fois que  trois  ou  quatre  jours  dans  toute  l'année. 

Le  Hedjaz,  la  terre  sacrée  par  excellence  de  l'Islam, 
est  à  cheval  sur  la  chaîne  dont  nous  parlons,  et  en  oc- 
cupe, dans  le  milieu  de  son  prolongement,  les  deux 
versants. 

A  l'est  de  cette  chaîne  régnent  les  grands  déserts, 
entourant  comme  d'une  ceinture  un  plateau  central 
plus  élevé  qu'eux  et  désigné  sous  le  nom  de  Nedjed.  Le 
mot  /Ver// signifie  terrain  élevé,  par  opposition  à  Tehama, 
qui  signifie  terrain  bas. 

Le  désert  qui  l'entoure  s'étend  à  l'est  jusqu'à  l'O- 
man; au  nord,  il  touche  à  la  Syrie  par  l'Arabie  péfrée 
et  le  Djouf  (Arabie  déserte),  où  nous  arriverons  bien- 
tôt. X  l'est  et  au  sud,  ce  désert  central,  nommé  par  les 
bédouins  Robael  kliali  (demeure  vide  ou  abandonnée), 
se  prolonge  sur  une  vaste  étendue;  il  ne  s'y  trouve  pas 
un  seul  puits  et  il  est  inhabitable  en  été.  Mais  en  hiver, 


10  PLAINES    ET    DÉSERTS 

yprès  les  pluies,  les  sables  s'y  couvrenl  d'une  lierbe 
que  les  tribus  du  Nedjed,  du  Hedjaz  et  de  l'Yémen  font 
brouler  par  leurs  troupeaux.  Ces  sables  sont  fréquen- 
tés par  l'autruche  :  plusieurs  parties  en  sont,  croyons- 
nous  avec  de  Wrede  et  Maitzahn,  encore  inexplorées- 

Les  pâturages  du  Nedjed  proprement  dit  nourris- 
sent, on  le  sait,  une  race  excellente  de  chameaux  et 
surtout  des  chevaux  célèbres  dans  tout  le  monde. 

Du  INedjed  dépendent  entre  autres,  comme  annexes, 
au  nord  le  DjébelShomer  et  au  centre  le  Cassim. 

Enfin,  tout-à-fait  au  midi,  s'étend  au-delà  du  désert  la 
vaste  territoire  de  l'Hadramaut,  à  peine  connu,  visité 
par  les  voyageurs  Seetzen,  Arnaud  et  de  Wrede,  assez 
rempli  par  places  d'une  population  sédentaire,  mais 
très  peu  civilisée  et  toujours  guerroyante,  hostile  entre 
tous  les  Arabes  au  nom  de  chrétien  ou  plutôt  d'Euro- 
péen; territoire  excessivement  montueux,  assez  arrosé, 
balayé  par  de  fréquents  orages,  et  présentant  des  mas- 
sifs qui  ont  jusqu'à  8000  pieds  de  hauteur.  L'Hadra- 
maut est  séparé  de  la  mer  par  une  région  un  peu  plus 
accessible  au  commerce,  dont  le  rivage  est  très  pois- 
sonneux; ensorte ,  dit  de  Wrede,  qu'on  y  nourrit  les 
chameaux  en  partie  de  poissons  séchés  et  salés.  — 
Mais  le  plan  de  cette  étude  nous  prescrit  de  porter  ail- 
leurs nos  pas. 

En  abordant  l'Arabie  par  le  nord  avec  M.  Palgrave 
(Trad.  d'E.  Jou veaux,  I,  p.  17),  nous  retrouvons  le  dé- 
sert dans  toute  sa  physionomie  saharienne.  Il  s'étend 
au  sud  de  la  Syrie  depuis  le  bord  de  la  mer  Morte  jus- 
qu'à l'Euphrale.  «  Devant  nous,  dit  Palgrave,  sur  la 
route  de  Mann  à  Djouf,  s'étendait  la  plaine  sombre,  im- 
mense, dénuée  de  végétation  et  de  vie  ;  de  tous  côtés 
des  lacs  fantastiques  étalaient  leurs  catix  trompeuses, 


DES    DEUX    CONTINENTS  I  I 

qui  faisaient  paraître  la  chaleur  et  les  privations  plus 
pénibles  encore;  çà  et  là  de  sombres  rocs  basaltiques, 
grandis  par  la  réfraction  de  l'alniosplière  embrasée, 
prenaient  la  forme  d'une  bizarre  et  gigantesque  mon- 
tagne ;  spectacle  terrible  et  désolé,  auquel  la  solitude 
ajoutait  une  telle  terreur,  que  la  vue  même  d'un  en- 
nemi aurait  semblé  un  soulagement.  Pendant  cinq  jours, 
le  lézard  du  désert,  à  la  peau  si  sèche  qu'il  semble  ne 
pas  avoir  une  parcelle  d'humidité  dans  son  corps  dis- 
gracieux, et  la  gerboise   d'Arabie,  furent  les  seules 

créatures  sur  lesquelles   notre  œil  pût  se  reposer 

Je  n'oublierai  jamais  ces  journées  longues  et  monoto- 
nes durant  lesquelles  nous  pressions  avec  une  ardeur 
fiévreuse  le  pas  de  nos  chameaux,  marchant  quinze  ou 
seize  heures  sur  vingt-quatre,  exposés  aux  rayons  d'un 
soleil  vertical,  et  ne  trouvant  rien,  ni  dans  l'aspect  du 
paysage,   ni   dans  la  société  de   nos  guides,   qui  pût 

nous  distraire  de  nos  tristes  pensées Après  un  repos 

insuffisant  de  deux  ou  trois  heures,  le  guide  nous  ré- 
veillait avec  ces  sinistres  paroles  :  Si  nous  tardons, 
710US  mourrons  tous  de  soif!  —  Poussant  alors  de  nou- 
veau nos  montures  fatiguées  au  milieu  de  la  nuit  obs- 
cure, nous  nous  attendions  sans  cesse  à  être  attaqués 

ou  pillés Partagé  entre  le  rêve  et  le   délire  causé 

par  une  fièvre  violente  qui  était  venue  se  joindre  à  ma 
lassitude  et  à  mon  abattement,  je  n'avais  plus  con- 
science ni  du  sol  que  nous  foulions  sous  nos  pieds,  ni 
du  but  de  notre  voyage.  Une  seule  plante  répandait 
sur  notre  route  monotone  un  peu  de  vie  et  de  variété; 
c'était  la  coloquinte  amère  et  empoisonnée  du  désert.» 
—  Telle  est,  au  nord,  la  grande  ceinture  du  désert 
qui  entoure  l'Arabie  centrale,  l'isole  de  la  Syrie  et  de 
Bagdad,  et  rend  ses  communications  avec  l'Hedjaz, 
l'Yémen  et  l'Oman  incertaines  et  périlleuses. 


12  PLAINES    ET    DESEUTS 

«  Il  était  midi,  raconte  Palgrave  un  peu  plus  tard;  le 
soleil  brillant  au  milieu  d'un  ciel  sans  nuages  versait 
à  flots  ses  rayons  embrasés  sur  le  désert  aride  :  tout  à 
coup,  le  vent  du  sud,  lourd  et  chaud,  se  mita  souffler 
par  violentes  rafales  et  l'air  devint  si  accablant  qu'il 
paraissait  manquer  à  nos  poitrines.  Nous  nous  regar- 
dions avec  inquiétude,  nous  demandant  ce  qui  se  pas- 
sait. Sélim,  notre  guide  bédouin,  courbé  sur  son  cha- 
meau, la  tête  dans  son  burnous,  ne  paraissait  pas  dis- 
posé à  nous  répondre;  ses  deux  compagnons  étaient 
également  silencieux.  Enfin,  pressé  par  nous,  Sélim, 
nous  désignant  une  petite  tente  noire  qui,  par  un 
bonheur  providentiel,  se  voyait  à  peu  de  distance,  nous 
répondit  brièvement:  Si  nous  y  parvenons,  îious  sommes 
sauvés.  Prenez  garde  à  vos  chameaux,  ajouta-t-il,  ne  les 
laissez  ni  s'arrêter  ni  se  coucher.  Puis  il  pressa  vigou- 
reusement sa  monture,  sans  ajouter  une  parole.  — 
Deux  cents  mètres  au  moins  nous  séparaient  de  la 
tente...  ]\os  bêtes  refusaient  de  faire  un  pas  de  plus. 
L'horizon  s'obscurcissait  rapidement  et  prenait  une 
teinte  violette;  un  vent  de  feu,  pareil  à  celui  qui  sorti- 
rait de  la  bouche  d'un  four,  soufflait  au  milieu  des  té- 
nèbres croissantes;  nos  chameaux,  en  dépit  de  nos  ef- 
forts, tournaient  sur  eux-mêmes  et  pliaient  les  genoux 
pour  se  coucher...  .4  l'exemple  de  nos  guides  arabes, 
nous  nous  étions  couvert  le  visage  et  nous  fraj)pions 
nos  montures  avec  une  énergie  désespérée,  les  pous- 
sant vers  l'asile  unique  désigné.  Heureusement  nous  y 
arrivâmes  avant  que  la  tempête  déchaînât  toute  sa  fu- 
reur. Nous  étions  sauvés...  Nos  malheureux  chameaux, 
étendus  à  terre  et  sans  vie  en  apparence,  avaient  en- 
foui leur  long  cou  dans  le  sabh;,  laissant  passer  l'ou- 
ragan sur  eux...  Dix  minutes  se  passèrent;  une  chaleur 


DES    DEUX    CONTINENTS  iS 

semblable  à  celle  d'un  fer  rouge  nous  enveloppait  de 
ses  brûlantes  étreintes,  puis  les  parois  de  la  tente  ro- 
comniencèrent  à  s'agiter  sous  le  souffle  d'un  vent  fu- 
rieux. Le  Simoun  s'éloignait...  Bientôt  le  jour  reprit 
son  éclat  accoutumé.  —  Chose  singulière  !  Pendant 
toute  la  durée  de  la  tempête,  aucun  tourbillon  de  pous- 
sière ou  de  sable  ne  s'était  élevé,  aucun  nuage  ne  voi- 
lait le  ciel,  et  je  ne  sais  comment  expliquer  les  ténè- 
bres qui,  tout  à  coup,  avaient  envahi  l'atmosphère.» 

Entre  le  Djouf  et  le  Djébel-Slioruer  s'étend  une  plaine 
immense  d'un  sable  rouge  amoncelé  en  dunes  et  mon- 
ticules, hauts  de  deux  à  trois  cents  pieds,  courant  pa- 
rallèlement du  >\  au  S.  C'est  tour  à  tour  un  abîme  et 
une  prison  de  sable,  une  vaste  mer  de  feu  labourée  et 
soulevée  en  vagues  rougeatres  quand  s'y  promène  le 
terrible  vent  du  désert. 

«  En  traversant  le  désert  appelé  Néfoud,  nous  ne  pou- 
vions, dit  encore  Palgrave  (I,  p.  88),  donner  que  trois 
heures  à  la  halte  pour  souper  et  prendre  un  peu  de 
repos;  nous  ne  pouvions  consacrer  plus  de  temps  au 
sommeil;  car  si  nous  ne  sortions  pas  de  ce  désert 
avant  que  notre  provision  d'eau  fût  épuisée,  noire  perle 
était  certaine.  On  n'apercevait  nulle  trace  d'hommes  ou 
d'animaux.  Le  désert,  pas  plus  que  l'océan,  ne  garde 
l'empreinte  des  voyageurs  qui  le  traversent.  » 

Vers  le  soir  du  second  jour  de  traversée  du  Néfoud, 
on  découvre  deux  pics  de  granit  qui  élèvent  leurs  py- 
ramides solitaires  au-dessus  des  dunes;  ils  se  ratta- 
chent, selon  Palgrave,  à  une  base  rocheuse  sur  la- 
quelle repose  le  sable  de  ce  désert,  de  même  que  les 
vagues  recouvrent  le  lit  immuable  des  mers.  La  couche 
inférieure  du  sol  est,  dit-il,  certainement  granitique  ; 
quant  à  l'épaisseur  du  sable